COMÉDIE VAUDEVILLE EN 1 ACTE EN PROSE
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Jeunes Élèves de la rue de Thionville, le 5 Ventôse an II de la République.
Prix : 24 sols.
AN XI - 1803.
Par Mrs J.-A. JACQUELIN et ROUGEMONT.
Chez HUGUET, Imprimeur, rue des Fossés-St.-Jacques, n°4, près l'Estrapade, Division de l'Observatoire.
Texte établi par Paul FIEVRE juillet 2022
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:32.
Nous déclarons avoir cédé au citoyen Hugelet, imprimeur, la pièce ayant pour titre : l'Amour à l'anglaise, Comédie en un acte ; laquelle pièce il peut imprimer, vendre et faire vendre en tel nombre d'exemplaires qu'il lui plaira ; nous réservant les droits d'auteur par chaque représentation qu'on pourra donner sur les théâtres de la République.
Paris, ce 6 Ventôse, an II.
Signé JACQUELIN et ROUGEMONT.
Je déclare que je poursuivrai tous contrefacteurs et distributeurs d'éditions contrefaites, et qui ne porteraient pas le fleuron qui est au frontispice, lequel représente les lettres initiales de mon nom.
S.-A. HUGELET
COUPLET D'ANNONCE.
AIR : Du Vaudeville de Florian.
L'amour de plus d'une flocon
Pour les femmes nous intéresse ;
L'allemand aime avec, raison
Et l'espagnol, avec noblesse ;
Le caprice est assez souvent
En amour la mode française
Mais, en faveur du sentiment
Traitez bien l'amour à l'anglaise.
PERSONNAGES. ACTEURS.
DOLSEY, Milord M. St-EDME.
FRONTIN, Valet-de-chambre français. M. DESPRÉS.
JOURDAIN, Chirurgien. M. ISIDOR.
JULIE, jeune Veuve Mlle ALDÉGONDE.
FINETTE, sa Suivante. Mlle BOULOGNE. et ensuite Mlle VIRGINIE.
La Scène se passe dans un hôtel garni, et le théâtre représente un salon , deux cabinets, une table, des papiers, des plumes.
L'AMOUR A L'ANGLAISE.
SCÈNE PREMIÈRE.
Frontin, Finette, entrant chacun d'un côté.
FRONTIN.
Bon ! Je te cherchais.
FINETTE.
Et moi aussi.
FRONTIN.
Ah ! Ah !... Je voulais te parler de mon maître.
FINETTE.
Je voulais l'entretenir de ma maîtresse.
FRONTIN.
Depuis que milord Dolsey a vu Julie, il ne boit ni ne mange, d'où je conclus qu'il est amoureux.
FINETTE.
Depuis que cet anglais est venu se loger dans cet hôtel garni, ma maîtresse ne songe plus du tout à sa toilette ; donc elle eu le coeur pris.
FRONTIN.
Ta sagacité est en défaut ; il faut qu'un anglais soit amoureux fou pour cesser de boire et de manger. Mais une femme amoureuse et française surtout, n'en est que plus coquette ; et tiens, j'ai remarqué, Finette, que depuis que tu n'aimes tu te mets cent fois mieux qu'auparavant.
FINETTE.
Moi j'ai remarqué, Frontin, que ma chère maîtresse en tient.
FRONTIN.
Pour mon maître ? Tant mieux. Milord est immensément riche, il l'épouse, me garde à son service, la maîtresse en fait autant pour toi nous allons tous quatre passer l'été dans une superbe maison de campagne que milord achète à Julie ; l'hiver, nous venons nous établir à Paris et nous ne pensons plus qu'à manger, boire, dormir et à faire l'amour.
FINETTE.
Doucement, monsieur Frontin, nous n'en sommes pas encore tout à fait là ; supposé même que milord ait su plaire à Julie, rien n'est moins certain que son mariage avec elle.
FRONTIN.
Tu m'étonnes !
FINETTE.
AIR : Chacun avec moi l'avouera.
Ma maîtresse lit tous les jours
Des romans et des aventures ;
Aussi, je crois que ses amours
Sont dans le goût de ses lectures ;
Bis.
5 | Croyant assurer son bonheur |
D'une constante et vive ardeur,
Elle exige avant tout des preuves,
Enfin, pour aller à son coeur !
Il faut passer par mille épreuves.
FRONTIN.
N'est-ce que cela ? Mon maître est anglais, il est amoureux, aucun obstacle ne saurait l'épouvanter.
FINETTE.
Tu le crois donc sérieusement épris de Julie ?
FRONTIN.
Sérieusement est le mot, et pour lui prouver son amour, il n'est point de folies dont il ne soit capable.
FINETTE.
En vérité ?
FRONTIN.
Même de l'aimer sans en être aimé.
FINETTE.
Je parierais bien, coquin, que tu ne lui ressembles pas ?
FRONTIN.
Tu gagnerais ; mon amour n'est jamais désintéressé, beaucoup d'hommes pensent comme moi là-dessus.
FINETTE.
Et beaucoup de femmes sont de leur avis.
FRONTIN.
Une autre façon de penser de mon maître qui n'est pas commune, c'est celle ci: « Oui, Frontin, assuré une fois de l'amour de Julie par le simple aveu qu'elle voudrait bien m'en faire, moi n'aimer jamais qu'elle, quand bien même, elle viendrait à en aimer un autre ; le tombeau serait alors mon ressource. »
FINETTE.
Tu ne lui ressembles pas encore de ce côté là, je parie ?
FRONTIN.
Ne parie pas, tu gagnerais une seconde fois.
Il tire un flacon de sa poche.
AIR : De Sophie.
10 | Je rends hommage à la beauté |
Mais ma tendresse est fort badine,
Quand j'aime, c'est avec gaîté
Fi ! D'un amour qui me chagrine,
Lui faisant voir que son flacon est vide.
Tiens, vois ma bouteille à présent ;
15 | Moi, je traite ainsi ma bergère |
Je l'abandonne, au même instant
Lorsque je vois qu'elle est légère.
FINETTE.
Tu fais bien de m'averTir.
FRONTIN.
Oh ! Ce que j'en dis n'est que pour plaisanter et tu sais trop bien friponnette, qu'un minois comme celui là est capable de me faire manquer à mes principes.
FINETTE.
Les principes de monsieur Frontin ! Je dois te dire que j'en ai aussi des principes et que ce sont ceux de Julie.
FRONTIN.
Comment ! Tu lis des romans ?
FINETTE.
Point du tout.
AIR : De la Chimène.
Mais je veux, imitant ma maîtresse
Mons Frontin, éprouver votre amour.
FRONTIN.
20 | Peux-tu bien douter de ma tendresse ? |
Exige de moi tout en ce jour.
FINETTE.
En ce cas, Te sens-tu capable
Pour moi du plus sublime effort ?
FRONTIN.
Non doute pas, ma toute aimable ;
25 | Si tu veux, demande ma mort. |
FINETTE.
Non pas : renonce au jus de la treille
Et Finette embellit ton destin.
FRONTIN, avec fierté.
Pour toi je renonce à la bouteille !
À part.
Mais je ne renonce pas au vin.
FINETTE.
À la bonne heure, me voilà réconciliée avec foi, mais songe bien à ta promesse.
FRONTIN, l'embrassant.
Crois en mon amour...
FINETTE.
Allons, monsieur FronTin, soyez sage ; j'aperçois ma maîtresse.
SCÈNE II.
Frontin, Finette, Julie en peignoir.
JULIE.
Eh bien ! Finette, que faites-vous là depuis si longtemps ? Faut-il que je fasse ma toilette moi-même ?
FINETTE.
Madame, c'est que Frontin...
JULIE.
Eh, bien ! Frontin ?
FINETTE.
M'entretenait de l'amour du son maître...
JULIE.
De l'amour de son maître ! Pour qui ?
FINETTE.
Pour une jeune et jolie veuve que j'ai l'honneur de servir.
JULIE, avec fierté.
Pour moi ?
FINETTE.
Aussi lui disais-je, que vous rendre sensible n'était pas chose aisée ; que vingt prétendants l'avaient tenté sans succès et que milord Dolsey ferait bien d'y renoncer, qu'il le devait même, s'il ne voulait pas se l'entendre prescrire de votre bouche.
JULIE.
Et qui vous a chargée d'être mon interprète ?
FINETTE.
Vous m'avez dit cent fois que tels étaient vos sentiments, et que le veuvage vous paraissait un état préférable à celui du mariage.
JULIE.
Sans doute, mais vous aurez commis quelque gaucherie ; vous aurez annoncé brusquement au valet de milord Dolsey.
FRONTIN.
Oh ! Mon Dieu ! Oui, Madame, comme vous dites là tout brusquement.
JULIE.
C'est qu'en vérité, on n'est pas de cette mal adresse ; laissez moi, je vais essayer de réparer votre sottise, en m'expliquant moi-même avec ce garçon.
FINETTE, à part.
Cette femme là en tient où je ne m'y connais pas.
JULIE, à Finette qui sort.
Préparez tout ce qu'il faut pour m'habiller.
FINETTE.
Oui, madame.
FRONTIN, à part.
Bravo ! Monsieur mon maître, bravo ; on ne vous voit pas du tout avec indifférence.
SCÈNE III.
Frontin, Julie.
JULIE.
Eh, bien! que vous disait Finette ?
FRONTIN, à part.
Plaidons le faux pour savoir le vrai.
Haut.
Ah ! Madame, elle m'a vraiment épouvanté.
JULIE.
Et comment ?
FRONTIN.
Par ses discours sur vous, par l'aversion que, dit elle, vous avez pour tous les hommes.
JULIE, riant.
Par mon aversion pour tous les hommes ?
FRONTIN.
Si Finette ne ment pas, cela est bien malheureux pour eux et surtout pour quelqu'un de ma connaissance !....
JULIE.
Comment, elle prétendait ?....
FRONTIN.
Oui, Madame ; elle ajoutait même qu'il suffisait que l'on vous parlât d'amour pour vous mettre dans un courroux épouvantable, je crains que beaucoup d'hommes ne soient tentés de mériter votre colère !
JULIE.
vous ajoutiez foi aux propos de Finette ?
FRONTIN.
Moi, madame ? Pas entièrement. Comment est-il possible que Julie ; excusez, Madame, c'est à Finette que je parle ; comment est-il possible, (lui disais-je) que ta maîtresse qui a tant d'attraits, prétende empêcher quelqu'un (milord Dolsey par exemple) de l'aimer, de l'adorer, puisqu'il ne peut pas s'en empêcher lui même ? Vous me croirez si vous voulez Madame, eh bien, Finette me donnait raison.
JULIE.
Vous n'aviez pas positivement tort ; mais puis-je bien éprouver de la tendresse pour milord Dolsey et croire à son amour pour moi lorsque, je sais... de lui-même qu'il n'a jamais aimé.
FRONTIN.
Dans son pays, oui, mais dans celui ci, oh ! C'est bien différent.
AIR : Du vaudeville de l'Asthénie.
30 | Ah ! S'il a toujours conservé |
Pour l'amour un coeur inflexible
C'est qu'il vous était réservé
De rendre son âme sensible ;
Pouvait-il former un désir
35 | Au près de ses froides anglaises? |
Quand la gaîté, quand le plaisir
N'habitent que chez les françaises.
DOLSEY, dans la coulisse.
Où est-il, le maraud, le pendard ?
FRONTIN.
Mon maître m'appelle, il me battrait si je tardais plus longtemps ; Madame, permettez.
DOLSEY, de même.
Je parie que le scélérat il s'amuse à boire où à babiller avec son Finette, plutôt que de battre mon habit, si je trouve lui je lui casse bras et jambes.
FRONTIN, tremblant à Julie.
Je vous disais bien, Madame, qu'il fallait me retirer.
JULIE.
Ne craignez rien.
SCÈNE IV.
Frontin, Julie, Dolsey, en robe de chambre.
DOLSEY, s'échauffant.
Où est-il le coquin que je tue lui.
Apercevant Julie.
Ah ! Pardon, Milady, pardon ; ce n'est pas contre vous que je suis en colère considérablement beaucoup fort.
Voyant Frontin.
C'est contre ce misérable valet.
JULIE.
Ne le maltraitez pas, milord, vous ne pouvez pas avoir de sujet plus intelligent ; il me répondait sur une question que je venais de lui faire.
FRONTIN.
Oui, milord, c'était au sujet de votre amour et je disais a madame...
DOLSEY.
Je parlerai bien moi-même à présent puisque voilà moi ; vas t'en battre mon habit, où !...
JULIE.
Milord !....
DOLSEY.
Soyez tranquille, Milady, à votre considération je ne lui ferai rien de mal.
FRONTIN.
Mais, Monsieur...
DOLSEY.
Qu'est-ce à dire monsieur, je suis un monsieur, moi ?
FRONTIN.
Ah ! Pardon, milord, il est nécessaire que je vous dise...
DOLSEY.
Goddem ! Il me fait enrager !... Veux-tu bien aller battre mon habit, il faut que je sorte dans le minute.
FRONTIN, à part.
Je n'en crois rien.
Haut.
Milord, je vous obéis.
Il sort.
DOLSEY.
Et tu fais bien, maraud.
SCÈNE V.
Julie, Dolsey.
DOLSEY.
Eh ! Bien, Milady, ce garçon il vous disait que moi aimer vous, passionnément tout à fait ?
JULIE, en riant.
Oui, milord.
DOLSEY.
Et vous avez répondu ?
JULIE.
Eh ! Mais, savez-vous bien que vous devenez pressant ?
DOLSEY.
Pressant ? Oui, moi pressé de savoir le réponse de vous ; vous peut être déjà aimer quelqu'un autre que moi.
AIR: Du vaudeville de Florian.
Chacun il sait qu'en tous les temps,
En France comme en Angleterre,
40 | La dette de femme, à vingt ans |
Est de savoir aimer et plaire ;
Daignez répondre avec bonté
Au doute affreux qui m'inquiète,
45 | N'avez-vous encore acquitté |
Que le moitié de votre dette ?
JULIE.
Avant de vous répondre, puis-je être certaine de vous avoir inspiré de l'amour ?
DOLSEY.
Ah ! Milady, je vous aime... Je ne vous aime pas, je vous adore ; non, je ne vous adore pas, je vous idolâtre, et c'est à vos genoux que Dolsey.
Il se relève tout à coup.
Mais je m'aperçois que je suis en robe de chambre, souffrez que je vous quitte ; Frontin, il m'a appris le langue et le politesse françaises , ce garçon il aura battu mon habit, je vais le mettre et je reviens vous adorer.
JULIE, riant.
Restez, restez ; ne suis-je point en peignoir ?
DOLSEY.
Puisque vous me le permettez, je demeure et j'en reviens tout de suite à mon tendresse pour vous ; voulez-vous, Milady, que je vous dise une réflexion que j'ai faite à cet sujet.
JULIE.
Très volontiers.
DOLSEY.
C'est que j'ai remarqué que dans cet pays, l'amour il ne se fait pas comme en Angleterre.
JULIE.
Vous croyez ?
DOLSEY.
J'en suis certain ; chez nous, Milady...
AIR : L'Amour aura soin de t'instruire.
Ce n'est qu'en perdant l'existence
Que l'on cesse de s'adorer
L'amour est plus léger en France,
50 | Mais on sait bien mieux l'inspirer ; |
Si les femmes en Angleterre,
Savent mieux chérir que charmer ;
Française , vous m'avez su plaire,
Soyez anglaise pour m'aimer.
JULIE.
Comment, donc ! Des madrigaux ?
DOLSEY.
Je ne suis pas ce que c'est que des madrigaux, ce que je vous dis est la vérité.
JULIE.
Vous voulez plaisanter, Milord ; puis-je croire à un amour aussi prompt ?
DOLSEY.
Pas si prompt, depuis quinze jours que je suis dans ce hôtel garni ; moi aimer vous dès le second jour.
JULIE.
En vérité, dès le second jour ?
DOLSEY.
Foi de milord Dolsey ! Je vous assure que je vous aime.
JULIE, à part.
Éprouvons si cet amour est aussi vif et aussi sincère qu'il le dit.
DOLSEY.
Qu'est-ce que vous dites là toute seule ?
JULIE.
Je réfléchissais à un obstacle insurmontable qui s'élève entre nous deux.
DOLSEY.
Quel obstacle ? Mon âge ? J'ai la figure sérieuse, mais je ne suis pas vieux du tout, je n'ai pas encore quarante ans.
JULIE.
Ce n'est pas votre âge qui m'arrête.
DOLSEY.
Mon grande fortune ? Il est vrai que je possède deux ou trois misérables millions ; mais, si par délicatesse, ils vous empêchaient d'épouser moi, j'en distribue demain les trois quarts et demi aux malheureux. Je trouverai bien dans Paris à placer mon argent.
JULIE, à part.
Que d'amour et de générosité.
Haut.
Je ne vois comme vous dans l'opulence que le plaisir de soulager l'infortune ; ce n'est donc pas votre fortune qui m'empêche de vous accorder ma main.
DOLSEY.
Goddem ! Et qu'est-ce donc ?
Se frappant le front.
J'y suis, vous êtes mariée.
Sans lui donner le temps de répondre.
C'est très mal à vous, Milady, de ne pas prévenir ; je vais être obligé de me brûler le cervelle !
JULIE.
Calmez-vous ; je suis maîtresse de disposer de moi.
À part.
Les hommes sont trompeurs dans tons les pays ; éprouvons mon anglais.
DOLSEY.
Je suis anglais, dites-vous ? Cela il ne fait rien à la chose ; si je vous conviens, je suis français.
JULIE.
Je vois, Milord, qu'il faut vous avouer un, secret important, et que jusqu'ici je n'ai révélé à personne.
DOLSEY.
Parlez vite ; vous m'effrayez beaucoup fort.
JULIE.
Il y a quelques années... Mais vous allez cesser de m'aimer.
DOLSEY.
Moi, pas capable jamais.
JULIE.
Il y a quelques années, dans une promenade à cheval, je fis une chute.
DOLSEY.
Eh, bien ! Après ?
JULIE.
J'en fus blessée dangereusement, il n'y eut qu'un moyen d'arrêter les progrès effrayants du mal et de me sauver la vie, ce fut... de me couper la jambe.
DOLSEY, la regardant.
Goddem !
JULIE.
Depuis ce temps là je porte une jambe de bois.
DOLSEY.
Je ne m'en suis jamais aperçu.
JULIE, à part.
Je le crois bien.
Haut.
Nous avons chez nous des gens d'une grande habileté.
DOLSEY, avec orgueil.
Et en Angleterre aussi.
JULIE.
D'après l'événement terrible que votre amour seul a pu m'engager à vous confier, vous voyez que je ne puis être à vous, je craindrais qu'une fois mon époux, la réflexion, le dégoût ne détruisissent bientôt dans votre coeur l'amour que vous auriez pour moi.
DOLSEY.
Qu'est-ce que vous dites donc ? Votre jambe de bois vous empêche-t-il d'être jolie, aimable et spirituelle comme vous l'êtes ?
JULIE.
Il ne me reste que le regret de vous avoir connu ; adieu, milord, il faut nous séparer pour toujours.
DOLSEY, l'empêchant de sortir.
C'est seulement ce maudit jambe de bois qui vous empêche de nous marier ensemble ?
JULIE.
Je vous l'ai dit, milord, c'est la seule raison et je la crois suffisante.
DOLSEY.
Eh ! Bien, Milady, je vous quitte ; avant une heure je vous reverrai et vous n'aurez plus rien à m'opposer... que votre ingratitude, si ce doit être le récompense de mon tendresse.
JULIE.
Quel est votre dessein ?
DOLSEY, entrant brusquement.
Dans peu vous le saurez.
SCÈNE VI.
JULIE, seule.
Ah ! Oui ; Dolsey m'aime, je n'en saurais douter, tout jusqu'à son emportement sert à m'en convaincre mais pourquoi continuer ma ruse avec lui ? J'ai commencé, il faut achever et m'assurer pour la vie de son amour.
RONDEAU.
AIR Nouveau d'Alex. Piccini.
55 | Il faut recourir à la ruse |
En tendresse, comme aux combats ;
L'expérience est mon excuse ;
La ruse fait tout ici bas.
C'est par la toilette
60 | Que femme coquette |
De mainte conquête
Excite l'ardeur,
Et la plus novice
Fait avec malice
65 | Servir l'artifice |
Pour gagner un coeur ;
Il faut recourir, etc.
Souvent à la guerre
Elle est nécessaire ;
70 | Et le militaire |
Lui doit son laurier.
Lorsqu'avec adresse
Esprit et souplesse
Lorsqu'avec finesse, .
75 | Il sait l'employer. |
Il faut recourir, etc.
Mais ne perdons pas de vue Dolsey un seul instant ; il est capable de tout ; j'aperçois Finette ; recommandons lui bien de ne pas sortir de cet appartement et de veiller sur toutes les issues de concert avec Frontin ; moi, de mon côté, observons exactement les moindres démarches de mon anglais et assurons-nous des suites de mon entretien avec lui.
SCÈNE VII.
Julie, Finette.
FINETTE.
Madame, vous m'avez renvoyée dans votre cabinet de toilette, tout y est près depuis une heure.
JULIE.
Il n'était pas question de cela pour le moment ; garde toi bien, Finette, de quitter cet appartement ; charge Frontin de t'instruire de tous les desseins, de toutes les actions de son maître, et viens aussitôt me dire ce qu'il t'aura appris.
SCÈNE VIII.
FINETTE, seule.
Que signifie l'agitation de ma maîtresse ? Est-ce amour, est-ce jalousie ? Si c'est l'un, c'est l'autre, ils marchent ordinairement ensemble ; ne serait-ce pas plutôt chez elle le désir de quelque aventure extraordinaire ? Je ne sais que penser. Ma foi, tout bien calculé, je crois qu'avec ses finesses ma chère maîtresse en tient pour milord Dolsey, et cependant leur âge leur caractère sont bien opposés, bizarrerie ordinaire de l'amour.
AIR : Du vaudeville de Jean Monet.
Oui, le dieu de la tendresse
Est un dieu capricieux ;
Par lui ma folle maîtresse.
80 | Aime un anglais sérieux ; |
Quel destin !
Ce Frontin
Qui, chaque matin
Se grise,
85 | Faut-il, que j'en sois éprise ? |
Moi qui n'aime pas le vin.
Ter.
Mais c'est lui qui vient ici je crois. Justement, il est dans d'heureuses dispositions.
SCÈNE IX.
Finette, Frontin, en 'gailé , son flacon à la main.
FRONTIN.
AIR : Quand je suis saoul dès le matin,
Oui, je veux moi, soir et matin
Boire à longs traits de ce bon vin,
L'oubli des maux, tel est enfin
90 | Mou caractère ; |
Mais la paresse étant contraire,
Bis.
Buvant un coup.
Je travaille ainsi sans chagrin.
Celui qui ne fait rien sur la terre
N'est pas éloigné de mal faire.
Bis.
FINETTE.
Belle occupation et sur tout fort utile !
À Frontin.
Voilà donc ce que tu m'as promis.
FRONTIN.
Qu'est-ce que je l'ai promis, Finette, voyons ?
FINETTE.
De ne boire de ta vie, et cela il n'y a pas une heure.
FRONTIN.
C'est pour m'habituer à m'en déshabituer.
FINETTE.
Si tu m'aimais un tant soit peu, aurais-tu si vite oublié que tu ne dois m'obtenir qu'en renonçant à boire ?
FRONTIN.
Tiens, Finette, c'est au contraire parce que je t'adore que je bois.
FINETTE.
Tu auras de la peine à me prouver cela, par exemple.
FRONTIN.
Point du tout.
AIR : Vive le vin, vive l'amour.
95 | Sans le vin a dit un savant, |
L'amour est toujours languissant ;
Le vin embellit nos maîtresses,
Le vin augmente nos tendresses
Je te le prouve sans retard.
100 | Avec le vin, l'amour est plus gaillard |
Et les femmes sont moins tigresses.
FINETTE, à part.
Le coquin dit vrai, je n'ai pas la force de me fâcher contre lui.
Haut.
Tiens, Frontin, je le préviens que si tu ne changes pas...
FRONTIN, l'interrompant.
Auprès de toi peut-on changer.
FINETTE.
Que si tu ne changes pas de conduite, je me brouille tout à fait avec toi.
FRONTIN.
Ce mot va m'empêcher de boire, je te jure.
FINETTE.
Ne jure pas ; j'aime mieux entrer en composition avec toi ; écoute-moi bien : si d'ici à ce soir seulement, tu ne te grises pas là ce qui s'appelle complètement, demain je suis à toi.
FRONTIN.
Ah ! Finette, que me proposes tu ? C'est me faire injure ainsi qu'à toi même, prends huit jours je t'en prie , les attraits valent bien cela.
FINETTE, riant.
Non, non, un tel sacrifice serait au-dessus de ton courage et je ne veux pas courir le risque de te perdre.
FRONTIN.
Ah ! Cet aveu de ta flamme mérite une récompensé, il faut que je t'embrasse encore.
Il l'embrasse.
SCÈNE X.
Finette, Frontin, Dolsey.
DOLSEY, apercevant Frontin.
Toujours à faire l'amour ou à boire.
FRONTIN.
Il me semble que c'est ce qu'on peut faire de mieux.
DOLSEY.
Fort bien , mais pour le moment, il s'agit d'autre chose. Écoute.
Apercevant Finette qui prête l'oreille.
Mais je ne veux pas que Finette il m'entende ; viens avec moi j'expliquerai à toi dans mon chambre, ce qu'il faut que toi fasses à l'instant.
FINETTE.
Ne manque pas de venir m'instruire de tout.
FRONTIN.
C'est convenu.
DOLSEY.
Come here, come here wrecth !
SCÈNE XI.
FINETTE, seule.
Pourquoi tout ce mystère ? Quel est le projet de ce sombre milord ? Avec sa mine loup-garou il n'annonce rien de gai ; attendons le retour de Frontin et courons instruire Julie de ce qu'il m'apprendra ; ma maîtresse a raison de se délier de son amant, il est homme à lui prouver son amour d'une manière vraiment épouvantable.
AIR : du vaudeville de Comment faire.
Combien n'a-t-on pas vu d'Anglais
Amoureux fous d'une cruelle,
Pour rendre hommage à ses attraits
Se brûler gaiement la cervelle ?
105 | Ils sont plus sages nos Français ! |
Quand la beauté fait leur conquête,
Ce n'est point par des pistolets
Qu'elle leur fait perdre la tête ;
Leur amour n'est pas aussi noir.
110 | Car nous voyons ces bons apôtres |
Haïs d'une, par désespoir,
En aimer aussitôt deux autres.
SCÈNE XII.
Finette, Frontin accourant.
FRONTIN, très vite.
Milord vient de m'ordonner d'aller chez Monsieur Jourdain le chirurgien, qui demeure ici près et de lui enjoindre de venir tout de suite avec ses instruments.
FINETTE.
Avec ses instruments ?... Tu m'effraies !
FRONTIN.
Mon maître était sur mes talons, s'il me trouvait avec toi, il me chasserait, je ne puis l'en dire davantage. Adieu.
FINETTE.
Milord vient ici ; il me parait soucieux ; courons avertir ma maîtresse de ce qui se passe.
Elle entre chez Julie.
SCÈNE XIII.
DOLSEY, seul, habillé, entrant avec un air pensif, une bourse d'une main et de l'autre un pistolet.
Frontin il m'a dit que Julie était sortie, tant mieux, elle ne pourra s'opposer à l'exécution de mon projet. Mettons ce bourse et cette pistolet sur ce table. Ce chambre il vaut mieux que le mien pour ce que je veux faire. Julie et moi occupons seuls ce corps de logis, en fermant la porte, je ne serai vu ni entendu de personne ; le chirurgien il va venir, allons ferme, du courage Milord ! Fi donc moi jamais avoir peur !
AIR : Voilà bien ces lâches mortels ( de Sterne. )
En France on tient de beaux discours
Aux filles, aux femmes, aux veuves,
115 | On leur promet d'aimer toujours |
Sans jamais en donner de preuves ;
Pour parler l'anglais n'est pas fort,
lI n'aime point avec folie,
Mais il sait se donner la mort
120 | Pour être aimé de son amie. |
Quoique anglais, ne nous tuons pas ;
En y réfléchissant je pense,
Qu'on ne peut après son trépas
En obtenir la récompense ;
125 | Faisons un accommodement, |
Ôtons nous, point du tout la vie,
Mais une jambe seulement
Pour être aimé de mon amie.
Je le remplace aussitôt par un jambe de bois ; Julie et moi nous n'avons plus rien a nous reprocher l'un à l'autre et elle est forcée de m'épouser ; on vient c'est monsieur Jourdain ; dans un instant je serai le plus heureux des hommes.
SCÈNE XIV.
Dolsey, Jourdain.
DOLSEY, fermant la porte après lui.
Bonjour, docteur ; excusez, c'est une précaution indispensable.
JOURDAIN, avec crainte à part.
Quel est donc son projet ?
DOLSEY.
Dites moi, docteur ; avez vous tous vos instruments de chirurgie ?
JOURDAIN.
Non ; mais j'en ai une partie.
DOLSEY, avec humeur.
Frontin cependant a dû vous recommander...
JOURDAIN.
Ne vous fâchez pas, j'ai sans doute ce qu'il vous faut. J'ai là bistouri, sonde, lancette , scalpel....
DOLSEY.
Je crois que c'est celui-ci qui m'est nécessaire.
JOURDAIN.
Comment ! Vous voulez vous faire disséquer tout vif ?
DOLSEY.
Pas tout-à-fait ; c'est donc un autre, mais vous le saurez mieux qui moi lorsque je vous aurez expliqué ce que je veux.
JOURDAIN.
Ah ! J'entends : vous voulez être saigné ; en effet, vous me paraissez en avoir besoin ; mettez vous dans ce fauteuil ce sera fait en une minute.
DOLSEY.
Ce n'est pas pour cette opération que je vous ai fait appeler.
JOURDAIN.
Pour la première fois, je me trompais, vous êtes mille fois plus malade, vous avez un abcès interne.
DOLSEY.
Oh ! Le maudit bavard ! Avec ses conjectures.
À Jourdain.
Pour en finir, je vais vous dire ce dont il est question ; pour la premier fois de ma vie je suis amoureux, mais amoureux comme un diable je n'ai qu'un moyen de me faire aimer.
JOURDAIN.
Quel est il ?
DOLSEY.
Le voici.
JOURDAIN, soulevant la bourse.
Pour celui là, je le crois sans peine.
DOLSEY.
Vous n'y êtes pas du tout : il y a cent guinées dans ce bourse et trois balles dans cette pistolet, non je me trompe il n'y en a que deux.
JOURDAIN.
Il y en a bien assez pour se tuer lorsqu'on en a envie, mais ce n'est sans doute pas pour vous rendre cet office que vous m'avez envoyé chercher ?
DOLSEY.
Non, non, moi savoir que ce n'est pas de ce manière que vous tuez le monde, voici ce que c'est.
JOURDAIN.
Je vous écoute avec la plus grande tranquillité.
DOLSEY.
AIR : Des Tentations de St Antoine.
Docteur au même instant, s'il vous plait,
130 | Entre ce bourse et cet pistolet, |
Choisissez !
JOURDAIN.
Mon choix est bientôt fait ;
La bourse a pour moi plus d'attraits.
DOLSEY.
Mais
Je prétends que vous m'obéissiez
Que vous me coupiez
135 | Cette jambe que vous voyez. |
JOURDAIN.
Pour quelles raisons ?
DOLSEY.
Ah ! Finissons !
JOURDAIN, à part.
Ce fou j'en réponds,
Quitte les petites maisons.
DOLSEY.
140 | Docteur au même instant s'il vous plait, |
Entre ce bourse et cet pistolet.
Choisissez !
JOURDAIN.
Mon choix est déjà fait,
la bourse a pour moi plus d'attraits.
DOLSEY.
Mais
Surtout ne me faites pas souffrir.
JOURDAIN.
145 | Dans votre loisir |
Bah ! Vous vouiez vous divertir ?
DOLSEY.
Sachez qu'un anglais,
Ne rit jamais.
JOURDAIN.
Vous ne riez pas.
DOLSEY.
150 | Je ne ris pas. |
JOURDAIN, à part.
Quel embarras.
DOLSEY, avec plus de force,
Allons donc, à l'instant, s'il vous plaît.
Entre ce bourse et cet pistolet
Choisissez !
JOURDAIN, prenant la bourse.
Mon choix est bientôt fait.
155 | Et votre argent devient mon bien. |
DOLSEY.
Bien. |
SCÈNE XV.
Dolsey, Jourdain, Julie sort de chez elle à petit bruit et observe; elle doit être habillée.
Dolsey s'assied.
DOLSEY, montrant sa jambe au chirurgien.
AIR : Chantez, dansez, amusez-vous.
Allons, Monsieur, coupez-la moi.
JOURDAIN.
Comment, il faut que je l'ampute ?
Mais que je sache au moins pourquoi,
Auriez vous donc fait une chute ?
160 | Si votre pied n'est que démis |
Monsieur il peut être remis.
DOLSEY.
AIR : Si Pauline est dans l'indigence,
Ce n'est point le pied qui m'effraye
Et me cause de la douleur.
JOURDAIN.
Eh ! Mais, où donc est votre plaie ?
DOLSEY.
165 | Elle est dans le fond de mon coeur. |
JOURDAIN.
Pour opérer semblable cure
À moi pouvez vous recourir ?
Celle qui vous fil la blessure
Est seule en droit de la guérir.
Bis.
DOLSEY.
C'est justement pour cela, que je veux que vous m'ôtiez ce jambe, si vous aime mieux me couper la droite, cela m'est égal ; une fois, l'affaire finie je vous prierai de me trouver le jambe de bois le mieux faite, alors rien ne s'opposera plus à mon bonheur et mon amante deviendra mon femme ; allons, docteur, faites votre devoir aussi bien que je ferai le mien.
JOURDAIN.
Mon devoir, Monsieur, n'est pas de vous couper la jambe, quand vous vous portez bien.
JULIE, à part.
Je crois qu'il est temps de me montrer
JOURDAIN, à part.
Je ne sais plus quelle défaite lui donner.
Haut.
Je n'ai pas l'instrument nécessaire pour cette opération ; souffrez, milord, que j'aille jusques chez moi le chercher.
DOLSEY, le retenant et Vajustant avec le pUlolet.
AIR : de la Fanfare de S. Cloud.
170 | Je suis beaucoup dans l'attente, |
Terminez donc vos discours.
JOURDAIN, détournant le pistolet.
Prenez garde à la détente,
Ou c'en est fait de mes jours.
DOLSEY.
Ah ! Quelle lenteur extrême
175 | Voulez vous bien en finir ? |
JOURDAIN.
Je m'en vais à l'instant même
Vous procurer ce plaisir.
DOLSEY.
Allons, Monsieur, je vous attends.
JOURDAIN, à part.
Je n'ai pas d'autre parti que la fuite.
DOLSEY, courant après lui.
Oh ! La porte est fermée, vous ne m'échapperez pas.
Il se trouve vis-à-vis Julie.
C'est vous, Milady, dans ce chambre ?
JULIE.
Oui, Dolsey ; depuis noire dernier entretien je ne vous ai pas perdu de vue un seul instant, j'ai été témoin de tous vos débats avec monsieur et je ne puis résister à la preuve que vous vouliez me donner de votre amour.
DOLSEY.
Si vous voulez permettre, il est encore temps.
JULIE.
Oh ! Non ; et je ne puis répondre dignement à l'excès de votre tendresse qu'en vous accordant et mon coeur et ma main.
DOLSEY, lui baisant la main.
L'ai-je bien entendu ? Ah ! Milady ; moi trop heureux !
SCÈNE XVI.
Dolsey, Jourdain, Julie, Finette.
FINETTE, à part.
Je m'en étais douté, ma maîtresse est émue ; l'anglais lui baise la main, voilà un mariage de fait.
DOLSEY.
Je veux mériter mou bonheur, et avec la permission de Milady, Monsieur Jourdain va me couper la jambe absolument ; je vous ressemblerai au moins, mon charmante Julie, en quelque chose et je ne pourrai faire un pas sans me rappeler mon tendresse pour vous.
FINETTE.
Vous ne vous couperez ni bras ni jambes et vous épouserez ma maîtresse qui n'a pas plus de jambe de bois que vous et moi.
DOLSEY.
Que dit votre Finette, je vous prie ?
JULIE.
La vérité. Ma chute, ma jambe de bois qu'en était la suite...
DOLSEY.
Eh bien ?
JULIE.
Eh ! Bien, tout cela n'était qu'une épreuve que je chéris maintenant puisqu'elle m'a fourni un témoignage assuré de votre amour pour moi, mais que la chose n'aille pas plus loin ; plus, de jambe de bois ou je me brouille avec vous.
DOLSEY.
Puisque vous le voulez je garderai les deux jambes que j'ai.
JOURDAIN.
J'aurais été fâché de gagner votre argent. Voici votre bourse.
DOLSEY.
Non, gardez-la ; je veux que chacun partage aujourd'hui mon bonheur.
On entend frapper à coups redoublés à la porte du fond.
JULIE.
Quel est donc ce tapage ?
DOLSEY.
C'est sûrement Frontin, j'avais fermé la porte de peur d'être dérangé ; tiens, Finette, voici le clef, ouvre lui.
Finette va ouvrir.
SCÈNE XVII et dernière.
Les Précédents, Frontin, ivre.
FINETTE.
Le voilà dans un bel état.
FRONTIN.
Eh, bien ! Milord, avez-vous recule chirurgien que je vous ai envoyé ?
DOLSEY.
Oui : c'est monsieur.
FRONTIN.
Malgré cela vous avez conservé tous vos membres ; j'en étais sûr d'avance ; j'avais fait prévenir Madame par Finette de votre dessein extravagant.
DOLSEY.
Comment ! Maraud ?
FRONTIN.
Et en réjouissance de ce que vous conserviez votre jambe j'ai été boire un coup à votre santé ; j'en ai bu un, j'en ai bu deux, j'en ai bu trois...
DOLSEY.
Et tu t'es rendu malade parce que je me portais bien ?
Riant de ce qu'il vient de dire.
Cet Frontin il m'amuse c'est pourquoi je le garderai toujours à mon service.
FRONTIN.
Qu'est-ce que c'est que malade, Milord ? Je ne suis pas malade du tout, à la bonne heure si j'avais été quelque temps entre les mains
Frappant sur le ventre de Jourdain.
de Monsieur Jourdain.
JOURDAIN.
Ce coquin me manque, je crois.
FRONTIN.
Dulciter monsieur de la lancette ! [ 1 Dulciter : latin qui signifie doucement, et qui est pris avec ce sens dans le style badin et moqueur. [L]]
FINETTE.
Monsieur Frontin se rappelle nos conditions ?
FRONTIN.
Quelles conditions ?
FINETTE.
Pour te donner de la mémoire je le préviens que tu peux épouser qui tu voudras mais ce ne sera pas moi.
FRONTIN.
Ah ! Finette, je suis ferme sur mes jambes.
FINETTE.
Pas mal.
DOLSEY.
Il est un des causes de mon félicité ; Finette épouse-le ; trente mille francs que je lui donne réparent bien des petits défauts, n'est-ce pas ?
FINETTE.
Et même de grands. Je pardonne à celui qu'il a, en faveur de la bonne qualité que vous lui donnez et surtout en faveur du penchant que je ne puis m'empêcher d'avoir pour ce mauvais sujeT-là.
FRONTIN.
Voilà ce qui s'appelle parler, oh ! Pour cet aveu, viens que je t'embrasse, que je te croque.
FINETTE.
Pas tant d'amour pour commencer, la flamme pourrait ne pas durer longtemps.
FRONTIN.
Ah ! Qu'est ce que tu dis là ? Une fois ton mari je veux être dans une ivresse perpétuelle
FINETTE.
Oh ! Je le crois.
FRONTIN.
Dans une ivresse perpétuelle de tes charmes.
FINETTE.
Je n'en crois plus rien.
VAUDEVILLE.
AIR : de l'Anglaise,
FRONTIN.
L'amour n'est pas un jeu ;
Auprès de toi ma belle,
180 | Je le serai fidèle, |
J'en mets ma jambe au feu.
FINETTE.
Quand vous aimez c'est pour un jour,
Pour prendre des leçons d'amour,
Messieurs les amoureux français,
185 | Allez chez les anglais. |
DOLSEY.
Plus d'un français, je crois,
Voudrait prés de Julie,
La voyant si jolie !
En faire autant que moi.
JOURDAIN.
190 | Pour un objet rempli d'appas |
Sacrifier jambes ou bras !
C'est la mode que les français
Laisseront aux anglais.
JULIE.
Puisque l'on voit en paix
195 | La France et l'Angleterre |
Ne faites pas la guerre
À notre amant anglais ?
Puisque l'on, etc...
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Notes
[1] Dulciter : latin qui signifie doucement, et qui est pris avec ce sens dans le style badin et moqueur. [L]