CORINE OU LE SILENCE

PASTORALE

M. DC. XXIV.

D'ALEXANDRE HARDY PARISIEN.


© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2024 à 22:10:07.


MONSEIGNEUR LE PREMIER.

MONSEIGNEUR,

Ainsi que le Soleil ne choisit dans le Ciel que douze signes pour en faire ses Palais ordinaires, la prudence des Rois ne disperse leurs faveurs, qu'aux sujets qui le méritent, plutôt par une excellence de vertu, que par un bénéfice de fortune : encor osé-je dire après toute la France, que ce grand Soleil des Monarques de l'Europe, qui s'est si justement acquis le titre de JUSTE, vous oblige plus, MONSEIGNEUR, aux effets de sa Justice, qu'aux présents de sa faveur, comme celui qu'une singulière modération d'esprit, une connaissance de soi-même, une jeunesse mure, et vieille en ses sages actions, mettent au dessus de la calomnie, et de l'envie : comme celui qui ne pouvait plus espérer que ce qu'il a, ne plus avoir que ce qu'il mérite. Or à l'imitation de ces mauvais joueurs de luth, qui font beaucoup pour eux, de ne toucher que quelques simples accords, qu'ils savent passablement mal : J'aime mieux n'entrer plus avant en vos louanges, que de me perdre dans leur dédale, et en dire peu avec la vérité, que beaucoup avec la flatterie. Mon intention n'est ici que de vous offrir pour arrhes d'une humble affection, ce recueil de Tragédies, qui passe hardiment au jour, sous la lumière d'un nouvel astre de la France. Le style Tragique un peu rude, offense ordinairement ces délicats esprits de Cour, qui désirent voir une tragédie, aussi polie qu'une ode, où quelque élégie; mais aucune loi n'oblige à l'impossible, et la carrière des Muses ouverte à tout le monde, permet de mieux faire à qui pourra. Il me suffit que ce simple présent découvre la sincérité du courage d'un pauvre esclave qui se jette MONSEIGNEUR, en la franchise de votre autel, et se sentira toujours trop honoré de l'aveu de Hardy III.

Votre plus humble, et affectionné serviteur.

A. HARDY.


AU LECTEUR.

L'honneur et la vérité, m'obligent d'avertir le Lecteur par forme d'Apologie, que l'Oracle de ce grand Ronsard, dans une sienne élégie à Grévin, s'accomplit de nos jours, et que la poésie passe désormais chez quelque autre nation plus judicieuse, et moins ingrate que la nôtre : car l'apparence de retenir davantage les Muses chez nous, après les avoir dépouillées, et réduites à telle pauvreté, qu'à peine se peuvent elles servir de quelques paroles affectées, qui passent à la pluralité des voix, par le suffrage de l'ignorance, pour déplorer notre folie, et leur misère. L'excellence des poètes d'aujourd'hui, consiste en la profession que faisait Socrate, (mais plus à propos qu'eux) de ne rien savoir ; qu'ainsi ne soit, examinons la tyrannique reformation, que les principaux d'entre eux veulent faire, et que des Arbitres sans passion, jugent après, s'il est licite de détruire les principes d'une Science pour la réformer en perfection : Leur première censure condamne entièrement les fictions, ainsi que superflues, au lieu qu'une infinité de belles conceptions s'y rapportent, et se fortifient en leur appui : les épithètes, les patronymiques, la recherche des mots plus significatifs, et propres à l'expression d'une chose, tout cela ne leur sent que sa pédanterie : les rythmes pour lesquelles ils font tant de bruit, ce sont eux qui les observent le moins, aussi se veulent elles puiser dans une source plus profonde. Si bien que notre langue, pauvre d'elle-même, devient totalement gueuse en passant par leur friperie, et par l'alambic de ces timbres fêlés. J'approuve fort une grande douceur au vers, une liaison sans jour, un choix de rares conceptions, exprimées en bons termes, et sans force, telles qu'on les admire dans les chef d'oeuvres du sieur de Malherbe ; mais de vouloir restreindre une tragédie dans les bornes d'une ode, où d'une élégie ; cela ne se peut ni ne se doit, non plus que se rendre passionné partisan de Montaigne, pour mettre en usage ces mots de propreté, politesse, et autres, plutôt que suivre l'autorité d'Amiot qui dit, polissure, et propriété, de meilleure grâce. Nos champignons de rimeurs, trouvent étrange aussi, qu'en poèmes si laborieux et de longue étendue que les Dramatiques, je fasse dire aux personnages, exclus, perclus, expulsés, sans pouvoir au demeurant trouver une seule rime licencieuse, où forcée : mais lorsque ces vénérables censeurs auront pu mettre au jour cinq cents poèmes de ce genre, je crois qu'on y trouvera bien autrement à reprendre, non que la qualité ne soit ici préférable à la quantité, et que je fasse gloire du nombre qui me déplaît ; au contraire, et à ma volonté, que telle abondance défectueuse, se pût restreindre dans les bornes de la perfection. La force de leur calomnie m'a contraint de prendre ce bouclier plus que suffisant d'en rabattre les coups : quiconque au surplus s'imagine que la simple inclination dépourvue de science puisse faire un bon poète, il a le jugement de travers, et croirait à un besoin que le corps pût subsister sans âme, attendu que la poésie s'anime des plus rares secrets de toutes les sciences, comme les oeuvres d'Homère, et de Virgile en font foi, [d]esquelles plus on admire, plus on trouve à admirer, qui n'appartient qu'aux esprits solides, et capables d'asseoir un jugement définitif, sur la controverse de laquelle, il s'agît ici.


ARGUMENT.

Corine et Mélite, jeunes Bergères, égales en beauté, deviennent éperdument amoureuses de Caliste, Pasteur autant accompli d'ailleurs, que nouveau en matière d'Amour, qui par diverses ruses tâche à se défaire de leur importunité : mais comme il se voit réduit à l'élection de l'une des deux pour sa moitié, et ne s'en pouvant plus dédire, il promet une préférence à celle des Nymphes, qui s'abstiendra plus longtemps de parler. Elles acceptent la paction, et se rendent muettes par ce moyen, cependant le Berger Arcas, qui ne cédait en perfections rustiques à aucun autre, après plusieurs refus de l'ingrate Mélite, qu'il idôlatrait, en fait demande au père qui la lui accorde sur le champ : mais on la trouve sans parole ainsi que sa co-rivale, les deux Vieillards consultent sur ce prodigieux accident le savoir de Mérope vieille Magicienne, qui en réfère la cause au charme donné par Caliste seul capable d'y remédier, on va pour le saisir au corps, lui préoccupé de crainte se met en fuite à travers les champs, où Cupidon assisté de sa mère après quelque léger châtiment le ramène, et touts les différents des Pasteurs composés, le marie avec Mélite, ainsi qu'Arcas avec sa Corine ; d'autres gentils incidents bigarrent ce beau sujet qui se trouveront à sa lecture.


LES ACTEURS

TITYRE, père de Melite.

MOELIBÉE, père de Corine.

MOPSE, père de Caliste.

VÉNUS.

CUPIDON.

CORINE, bergère.

MÉLITE, bergère.

CALISTE, berger.

ARCAS, berger.

MÉROPE, Vieille.

SATIRE.

[Le lieu de la scène n'est pas mentionné.]


ACTE I

SCÈNE I.
Corine, Melite, Caliste.

CORINE.

Que notre sort se roule déplorable,

Que nous avons le Ciel peu favorable,

Non pas le Ciel, mais Amour Un Enfant,

Du Ciel, des Dieux, et de nous triomphant,

5   Ores qu'on voit la Nature seconde

Renouveler la naissance du monde,

Que le Printemps de Zéphyre conduit,

Des jeunes fleurs la moisson nous produit,

Seules Mélite en tristesse plongées,

10   Seules d'un feu, d'un même feu rongées,

Les yeux noyés d'un gros fleuve de pleurs,

Nous dévorons nos muettes douleurs,

Nulles d'espoir, vu la jeunesse tendre

De qui ne peut à nos flammes se prendre,

15   Qui ne se paît que d'enfantins ébats,

Encor novice es amoureux combats,

Que ferons nous ? Quel conseil je te prie

Tempérera cette ardente furie ?

MÉLITE.

Faut se résoudre au vouloir de son choix,

20   Et consulter l'Oracle de sa voix.

CORINE.

Il n'a ne choix, ne plaisir, ne parole,

Régi sans plus d'une constance folle,

Ores actif à surprendre un oiseau

Par ses gluants, ou dedans le réseau,

25   Qui va tantôt sur le bord de la rive

Tendre aux poissons sa ligne déceptive,  [ 1 Déceptif : Qui est propre à decevoir. [L]]

Je l'ai trouvé mille fois innocent,

Un agnelet de sa bouche pressant,

MÉLITE.

Me croiras-tu ? Hier sur la vesprée

30   Je l'aperçus folâtre dans le pré,

Courir après son ombre qui fuyait,

Si qu'impuissant de l'atteindre il criait

Ne plus ne moins que tu ferais la perte

De ton troupeau dessus l'heure soufferte.

CORINE.

35   Laissons à part son enfance, et me dis

Si de ce somme ocieux dégourdi  [ 2 Ocieux : Terme vieilli. Oisif. [L]]

Je restais seule à posséder sa grâce?

MÉLITE.

De force alors tu m'ôtes de ma place,

De force alors (ce que je ne crains voir),

40   Quelque autre part il se faudra pourvoir .

CORINE.

Ne fais pas tant de la dissimulée,

Et aperçois le long de la vallée

Quelqu'un venir.

MÉLITE.

C'est Caliste, c'est lui,

Comme attristé de ne sais quel ennui.

CORINE.

45   Tenterons-nous sa volonté dernière

Dessus le choix prémédité naguère ?

MÉLITE.

Oui, j'aime mieux à cette fois mourir

Que mille morts davantage nourrir.

SCÈNE II.
Corine, Mélite, Caliste.

CORINE.

L'Amour et Pan préservent d'infortune

50   De nos bergers l'espérance commune.

MÉLITE.

L'Amour et Pan, les Grâces et Cypris

De nos Bergers gardent le mieux appris.

CALISTE.

Pourvu que Pan me prenne en sa tutelle,

Des autres Dieux je quitte la séquelle.  [ 3 Séquelle : Terme familier de mépris. Certain nombre de gens qui suivent quelqu'un, attachés aux intérêts de quelqu'un ou d'un parti. [L]]

CORINE.

55   Négliges tu le plus puissant des Dieux,

Qui te fait vivre et loge dans tes yeux,

Qui sait punir la fierté des rebelles,

Et guerdonner ceux qui lui sont fidèles ?  [ 4 Guerdonner : Terme vieilli. Récompenser. [L]]

CALISTE.

Vous m'amusez d'un importun discours,

60   Et ce pendant il s'enfuira toujours.

MÉLITE.

Qui s'enfuira ?

CALISTE.

Mon passereau que j'aime

Plus mille fois (je pense) que moi-même.

CORINE.

Pour un perdu je t'en redonne deux.

CALISTE.

Autre pourtant que le mien je ne veux,

65   Le plus privé, le plus beau qui se voie,

Dessus mon doigt il becquette la proie,

D'une cerise il fera trois repas,

Et l'appelant me suivra pas à pas.

MÉLITE.

Tu lui fais part des baisers de ta bouche ?

CALISTE.

70   Le plus souvent avec moi je le couche.

CORINE.

Sans redouter, que Nature et l'Amour

De tes forfaits te punissent un jour ?

CALISTE.

Je ne crains rien que le perdre.

MÉLITE.

Encore

Ne peux-tu pas refuser, qui t'adore,

75   D'une demande.

CALISTE.

  He ! Que me voulez-vous ?

CORINE.

Rien que savoir, à laquelle de nous

L'affection t'incline davantage.

CALISTE.

Vous y entrez égales en partage,

Car je ne hais personne.

MÉLITE.

Tu sais bien

80   Si de Junon tu voulais le lien,

Te marier, laquelle préférée

Se choisirait à l'autre conférée.

CALISTE.

Je m'en vais donc de mon père savoir

Laquelle doit la préférence avoir.

CORINE.

85   Simplicité ridicule et grossière,

Seul tu es juge en semblable matière.

CALISTE.

Chacune m'aille un bouquet amasser,

De mille fleurs rares le compasser,

Et au plus beau ma faveur concédée.

90   DessuS le champ la dispute est vidée.

MÉLITE.

Tu le promets ?

CALISTE.

Oui.

CORINE.

Jure donc Amour,

Sa douce mère, et la céleste Cour.

CALISTE.

Je vous les jure, à quoi tant de paroles ?

MÉLITE.

Si ce serment, infracteur, tu violes.

CALISTE.

95   Ne me croyez jamais.

CORINE.

  Touche en la main.

CALISTE.

Que de tourments vous me donnez en vain.

MÉLITE.

Tu nous viendras retrouver sans demeure.

CALISTE.

Premier qu'il soit pour le plus un quart d 'heure .

CORINE.

Or sus, allons Mélite, par plaisir

100   En ce bouquet essayer son désir.

SCÈNE III.
Arcas, Mélite.

ARCAS.

Pauvre Berger tu te trompes de croire

Que ton amour s'acquière la victoire,

Tenu cra[i]ntif en sa flamme couvert,

Le coeur sans plus aux complaintes ouvert,

105   Ce petit Dieu qui tous les autres dompte,

Est de nature ennemi de la honte,

Favorisant ses soldats, qui hardis

Suivent le siècle innocent de jadis,

Lors que pressez de l'amoureuse rage,

110   Dessus la langue on portait le courage

À la beauté qui captifs nous tenait,

Si que dés l'heure aux effets on venait :

Bel âge d'or, siècle heureux, hé de grâce

Reprends chez nous ton empire et ta place,

115   Ô vains regrets ! ô souhaits ocieux !

Mais vois-je pas ce soleil gracieux,

Ce parangon des Nymphes bocagères,

Cette beauté, l'honneur de nos bergères,

A chef baissé qui picore les fleurs ?

120   Oui, je lui vais redire mes douleurs,

Lui redonner ma prière zélée,

Avec un peu plus d'audace mêlée.

MÉLITE.

Fils de Vénus que dévote je sers,

Duquel je prise et révère les fers,

125   Prince des Dieux qui peuples ce grand monde

Viens favorable et ma dextre seconde .

ARCAS.

À la bonne heure elle invoque l'Amour.

MÉLITE.

Et me sauvant la lumière du jour,

En ce bouquet où repose ma vie,

130   Me fais par lui triompher de l'envie.

ARCAS.

L'obscurité de ce propos confus

M'étonne autant qu'onc étonné je fus.

MÉLITE.

Je veux avoir premier que je le lie

De toutes fleurs une paire cueillie.

ARCAS.

135   Elle tend là de sorte ses esprits

Que l'on dirait un chef d 'oeuvre entrepris :

le ne saurais te plus voir en la peine,

Sans t'assister dédaigneuse inhumaine.

MÉLITE.

Mon cher Arcas depuis quand es-tu là ?

ARCAS.

140   Mon cher, ô Dieux le beau nom que voila !

Toi, depuis quand me chéris-tu cruelle ?

MÉLITE.

L'antique erreur te suit perpétuelle

Pour me tenir suspecte sans raison,

De te haïr.

ARCAS.

Et sucrer ma poison.  [ 5 Poison : Poison était autrefois féminin, comme le veut l'étymologie. [L]]

MÉLITE.

145   Oblige moi parmi ces fleurs nouvelles,

De me trier seulement des plus belles .

ARCAS.

À quel usage ? À quel secret dessein ?

MÉLITE.

Que d'un bouquet.

ARCAS.

Qui couronne ce sein ?

Il n'en faut pas.

MÉLITE.

Pourquoi ?

ARCAS.

Belle demande,

150   Les deux boutons qu'il recèle friande,

Méritent plus, et passent de beauté

Tout ce que Flore eut onc de nouveauté .

MÉLITE.

Or sus causeur, dépêche toi, travaille,

ARCAS.

De quel salaire assuré ?

MÉLITE.

Ne te chaille,

155   Un jour viendra,

ARCAS.

  Que tu feras mourir

Le pauvre Arcas pour ne le secourir .

MÉLITE.

Faible je n'ai du secours qui suffise,

Non pas à moi,

ARCAS.

Ô sorcière feintise !  [ 6 Feintise : Synonyme de feinte, avec cette seule nuance que feintise vieillit et qu'il a un air archaïque. [L] ]

MÉLITE.

Or sus, or sus, mêle tes fleurs ici.

ARCAS.

160   Que fussions nous entremêlés ainsi.

MÉLITE.

Adieu Berger, adieu, si je puis chose

Qui te rendit la pareille, dispose.

ARCAS.

Un seul baiser de récompense au moins,

Libres ici d'Argus, et de témoins.  [ 7 Argus : Personnage auquel la Fable donnait cent yeux. [L] ]

MÉLITE.

165   Je n'entends pas bien clair de cette oreille,

Adieu te dis.

ARCAS.

Ô rigueur nonpareille !

Ô trahison malicieuse, hélas !

Quelque charmeur l'aura pris en ses lacs,  [ 8 Lacs : Cordon délié. Autrefois le sceau était attaché aux édits avec des lacs de soie de diverses couleurs. [L]]

Quelque inconnu de ce bouquet s'honore,

170   Moindre que moi, qui possible l'abhorre,

Allons savoir, allons vérifier,

Qu'onc à [ce] sexe on ne se peut fier.

SCÈNE IV.
Mérope, Satire.

MÉROPE.

Toutes les fois que je pense au Satire,

Pour mon sujet plein d'amoureux martyre,

175   Auquel des deux je ne sais m'attacher,

Ou soit de rire, ou soit de me fâcher ;

Qui vit jamais une plus grand folie ?

Ores que l'âge à la tombe me lie,

Comme à bon droit ce plaisant amoureux,

180   De ma beauté s'esclave langoureux,

Plus je le fuis, plus je moque sa flamme,

Plus l'aveuglé me poursuit, me réclame,

Si qu'à la fin tel périlleux erreur

Pourrait brutal se tourner en fureur;

185   Mais une pluie éteindra sa luxure :

Ah! le voici ce vrai monstre en nature.

Mot, je le veux aux altères tenir,

Et d'Un appas moqueur entretenir.

SATIRE.

Je te cherchais de tous côtés ma belle,

MÉROPE.

190   As-tu (dis moi) retrouvé ta cruelle ?

SATIRE.

La retrouver, folâtre à quel propos,

D'esprit, de corps également dispos ?

MÉROPE.

Que voulais-tu maintenant ? Qui t'amène ?

SATIRE.

L'ardente soif de voir ma souveraine,

MÉROPE.

195   Ainsi chacun recherche son pareil,

SATIRE.

Je t'embrassai cette nuit au sommeil.

MÉROPE.

Je t'en livre une, et jeune et plus privée,

Que ta beauté martyre captivée .

SATIRE.

Hier j'étais difforme à ton avis,

200   Aujourd'hui beau les Nymphes je ravis .

MÉROPE.

Cela ce fait de peur que de Narcisse,

La vanité t'apportât le supplice,

Or en un mot la belle de nos bois

Pour toi se meurt, elle tire aux abois.

SATIRE.

205   Tu me repais ou d'un charme, ou d'un songe.

MÉROPE.

Que me revient de t'user de mensonge ?

SATIRE.

Dis moi son nom,

MÉROPE.

Mélite,

SATIRE.

Désormais

De la mémoire aux yeux je la remets,

Mélite ô dieux, éprise de la sorte ?

MÉROPE.

210   Jusqu'en son sein si tu veux je te porte.

SATIRE.

Comment cela ?

MÉROPE.

Par coutume le soir,

Lorsque la nuit étend son voile noir,

De mille amours et des grâces conduite,

Elle se va baigner sans autre suite,

215   Dans le cristal d'une source qui est

D'arbres cachée au coeur de la forêt,

Proche du Pin, où tu sais qu'à Cibèle

On sacrifie en la saison nouvelle,

Ne manque donc à point nommé d'aller

220   Près de la Nymphe allègre te couler.  [ 9 Allègre : Dispos, prompt à faire. Esprit, caractère allègre.[L]]

SATIRE.

Possible exclus de semblable conquête

Tu concevrais jalouse un mal de tête,

Qui pour avoir trop osé hasardeux,

Me priverait en fin de toutes deux.

MÉROPE.

225   Non, derechef je jure le contraire,

Que tu me plais t'efforçant de lui plaire .

SATIRE.

Bien donc, tantôt, puis qu'ainsi tu le veux,

Lavé, peigné, de barbe et de cheveux,

Sous ta conduite il faudra que j'essaye

230   De lui guérir cette amoureuse plaie.

MÉROPE.

Adieu Satyre, et la nuit s'avançant

ResSouviens toi de me prendre en passant,

SATIRE.

N'en doute pas, adieu ma chère vie,

Adieu mon heur, ah ! je brûle d'envie,

235   Un chaud désir me transporte de moi ;

Mais patient ores réserve toi

A la moisson d'une beauté pudique,

Et à charmer son courage t'applique,

Parmi tes fruits lui choisissant un don,

240   Vois de paraître à ses yeux quelque Adon.  [ 10 Adon : S'est dit pour Adonis. [L]]

ACTE II

SCÈNE I.
Corine, Mélite, Caliste.

CORINE.

Jamais bouquet ne fut de son mérite,

Qu'Amour lui-même arbitre le visite,

De tant de fleurs la rare nouveauté

Entre amoureux vaut une royauté :

245   Ô beau bouquet, si ta vertu sacrée,

Où de mon mieux l'espérance est ancrée,

Fait que je vive en cette élection,

Trouve parfait de la perfection,

Si tu m'obtiens l'amoureuse victoire,

250   Je garderai plus chère ta mémoire,

Que je ne fais du jour que je naquis ;

Pour monument de ce bien fait exquis,

Un tous les ans à la même journée

Se portera sur l'autel d'Hyménée :

255   Or l'heure presse assignée au combat,

Et qui ma joie en la sienne rabat,

Voici venir Mélite résolue,

Comme déjà victorieuse élevé.

MÉLITE.

Je te croyais plus fine à ce jeu là,

260   Ô quel bouquet de novice voilà !

CORINE.

Montre le tien qui se cache de honte.

MÉLITE.

Mais qui ne peut souffrir qu'on lui affronte

Un ennemi de si peu de valeur.

CORINE.

Il n'en aura que trop à ton malheur.

MÉLITE.

265   Non pas pourvu qu'on me rende justice.

CORINE.

Est-ce de fleurs qu'il manque, ou d'artifice ?

MÉLITE.

En tous les deux je le juge imparfait

L'ordre et la forme en laquelle il est fait

Ne m'a que plus en l'espoir confirmée,

270   De vaincre, et voir Corine supprimée.

CORINE.

Que de langage, allons vers le coupeau,  [ 11 Coupeau : Sommet d'un coteau, d'une montagne. [L]]

Où d'ordinaire il mène son troupeau.

MÉLITE.

Holà, ne bouge, un qui fort lui ressemble,

Là-bas repose à l'ombre de ce tremble.  [ 12 Tremble : Peuplier dont les feuilles tremblent au moindre vent. [L]]

CORINE.

275   Remarque un peu que nous apercevant,

Il gagnerait volontiers le devant.

MÉLITE.

Or sus, courons l'attraper au passage.

CORINE.

Méchant demeure, où fuirais-tu volage ?

SCÈNE II.
Caliste, Mélite, Corine.

CALISTE.

Vous vous pourriez cent fois mettre en courroux

280   Je ne pensais désormais plus à vous.

CORINE.

N'en jure point, la vérité notoire

Témoigne assez de ta courte mémoire.

CALISTE.

Car la douleur de l'oiseau m'a transi,

Que j'ai perdu naguère en ce lieu ci.

MÉLITE.

285   Si dans deux jours je m'offre de te rendre

Un Passereau plus privé ? Te l'apprendre ?

CALISTE.

Un plus privé dans deux jours, hé comment ?

Depuis deux mois, de moment en moment

Toujours après c'est ce que j'ai pu faire.

MÉLITE.

290   Cela berger, consiste en peu d'affaire.

J'ai le secret de les apprivoiser,

Veuille sans plus un débat accoiser,  [ 13 Accoiser : Rendre coi, calme, tranquille. [L]]

Veuille sans plus ta promesse tenue

Me couronner de la palme obtenue,

295   Car tu vois trop raisonnable combien

En toute sorte il surpasse le sien.

CALISTE.

L'un et l'autre a si peu de différence,

Qu'on ne saurait asseoir de préférence.

CORINE.

Ce peu qui penche à l'imperfection,

300   Du mien toujours te donne élection.

CALISTE.

Que voulez-vous que je dise autre chose ?

L'égalité me tient la bouche close,

Vivons ainsi qu'au précédent amis.

MÉLITE.

D'en accepter une tu as promis.

CALISTE.

305   Bien, j'aimerai celle qui plus légère

M'ira quérir un peu d'eau la première,

Pâmé de soif, tantôt prise à courir

Après l'oiseau qui me fera mourir.

MÉLITE.

Ne pense plus à ta perte frivole,

310   Où tu as dit présentement je vole.

CORINE.

Moi tout de même, or avise au retour

De m'adjuger la primauté d'Amour.

CALISTE, seul.

Ô le grand coup ? Ô la ruse opportune

Pour me tirer de leur presse importune !

315   Mal assuré je n'attendais que voir

Les coups sur moi de ces folles pleuvoir :

Ores prenons de bonne heure la fuite

Pour éviter leur fâcheuse poursuite.

SCÈNE III.
Arcas, Mérope.

ARCAS.

Vous l'avez vu ce prodige mes yeux,

320   Qui dut armer le tonnerre des cieux

Vous avez vu la perfide éhontée,

À un enfant bouche à bouche affrontée :

Ô déloyale ! Ô aveugle en ton choix,

Tu as trouvé le mal que tu cherchais,

325   Un apprenti des amoureuses peines,

Qui moquera tes espérances vaines,

Au lieu qu'en moi du jour au lendemain

Hymen romprait ce servage inhumain ;

Du moins tigresse aurai-je l'allégeance

330   Que ce rival doit faire la vengeance

De ton erreur : mais n'aperçois-je pas,

S'acheminer Mérope au petit pas ?

Il n'y a point de doute que c'est elle,

Qui m'aura vu naguère en cervelle.

MÉROPE.

335   Comme Amoureux tu t'entretiens toujours,

Seul écarté de fantasques discours.

ARCAS.

Tu le connais sage d'expérience,

Qui sais guérir par ta noire science

La plus grand part des mortelles langueurs,

340   Sous toi Clotho diffère ses rigueurs,  [ 14 Clotho : une des Parques. [L]]

L'averne tremble, et la lampe nocturne  [ 15 Averne : Poétiquement, les enfers mêmes. [L]]

Cède au pouvoir d'un charme taciturne :

Prête moi donc Mérope le secours,

Qu'aux affligés tu concède[s] toujours.

MÉROPE.

345   N'espère point que ta flamme s'allège,

Si tu ne tends à ta rebelle un piège.

ARCAS.

Quel piège encor ?

MÉROPE.

Ballant de la plier,  [ 16 Ballant : Qui pend et oscille. [L]]

Eut elle un coeur insensible d'acier.

ARCAS.

Sinon l'erreur obstiné qui maîtrise

350   Cette beauté de qui la fuit éprise,

Je ne voudrais désespérer du tout,

Que par le temps nous n'en vinssions à bout.

MÉROPE.

Le connais-tu le rival qu'elle affecte ?

ARCAS.

Trop, et n'aurais son enfance suspecte,

355   Pourvu que l'âge en un point s'arrêtât,

Qui du désir plus outre n'attentat.

MÉROPE.

Nomme le moi.

ARCAS.

Caliste.

MÉROPE.

Prends courage,

Tu forceras la rigueur de l'orage,

Caliste neuf en l'école d'amour,

360   Simple, honteux, ne la tiendra qu'un jour ;

Or je retourne au moyen que te donne

Le paphien de fléchir la félonne,  [ 17 Paphien : originaire de Pahos à Chypre.]

Car qui ne sait qu'à force de bien faits,

Les plus ingrats favorables sont faits ?

365   Que peu à peu une pluie qui dure,

Cave des rocs la substance plus dure,

Beaucoup de gloire, et fort peu de danger

Peuvent hardi la nymphe t'obliger.

ARCAS.

J'exposerai mon honneur et ma vie,

370   Si son service à cela me convie.

MÉROPE.

Écoute donc, un Satire insolent

De la ravir machine violent,

Lorsque le soir elle voudra seulette

Laver au bain sa charmeuse molette,  [ 19 Molette : Terme de chasse. Se dit des tendons des épaules et des cuisses du cerf. Ici emploi métaphorique.]  [ 18 Chameuse : on lit "charneure" qui signifie "charnue".]

375   Dans la forêt où ce bouquin paillard  [ 20 Bouquin : Satyre, démon. [L]]

A sa coutume observé de hasard,

Pour mon devoir j'allais trouver Mélite,

Et l'avertir que l'embûche elle évite ;

Mais maintenant je juge que tu peux

380   L'occasion prise par les cheveux,

Donner secours à ta belle maîtresse,

La préservant de si honteuse oppresse,

Qui lui fera le courage amollir,

Et d'un enfant la mémoire abolir,

385   L'approuves-tu ? Parle, avise, regarde

Qu'un de nous deux de l'encombre la garde .

ARCAS.

Ma voix sans plus se resserre de peur,

Que ce ne soit un mensonge pipeur.  [ 21 Pipeur : Celui qui trompe de quelque manière que ce soit. [L]]

MÉROPE.

Tu ne m'as onc menteuse reconnue,

390   Franche toujours, et de fallace nue ;  [ 22 Fallace : Action de tromper en quelque mauvaise intention. [L]]

Or te dois-tu ressouvenir où est

Une fontaine au coeur de la forêt,

Non guère loin de l'arbre de Cybèle,

Qui là nos voeux tous les ans renouvelle.

ARCAS.

395   Très bien, j'irais à clos yeux de ce pas.

MÉROPE.

Prends néanmoins un modéré compas

À te conduire et n'éclore à la hâte

Rien d'avortif qui l'entreprise gâte.

ARCAS.

Devers quelle heure est il bon de marcher ?

MÉROPE.

400   Lorsque Phoebus commence à se coucher.

ARCAS.

Je vais tenir ma houlette ferrée,  [ 23 Houlette : Bâton que porte le berger, et au bout duquel est une plaque de fer en forme de gouttière, qui sert pour lancer des mottes de terre aux moutons qui s'écartent, et de la sorte les faire revenir. [L]]

Pour ce duel amoureux préparée.

MÉROPE.

Tu as affaire au plus lâche vilain

Qui se vit onc.

ARCAS.

Aussi je ne le crains,

405   Mais en tous cas la prévoyance est bonne.

MÉROPE.

Tu as raison, va sans dire à personne

Ce qui se passe.

ARCAS.

Adieu Mérope, et crois

Que ta faveur ne s'oubliera chez moi.

SCÈNE IV.
Mélite, Corine.

MÉLITE.

Tiens vitement Caliste,

CORINE.

Ô la finesse

410   De précéder d'une voix menteresse

Celle qui t'a, je prends ses yeux témoins,

Plus de dix pas précédé pour le moins !

MÉLITE.

Ce sont discours faciles au parjure,

Qui de jamais ne dire vrai conjure.

CORINE.

415   Caliste viens (que sert de te cacher ?)

Nos différents et ta soif étancher .

MÉLITE.

Reçois la mienne et plus franche et plus nette.

CORINE.

Là ton envie apparaît indiscrète,

MÉLITE.

Mon beau Caliste, où es-tu mon souci ?

CORINE.

420   Allons chercher aux environs d'ici,

MÉLITE.

Écho, répond seule mise en sa place.

CORINE.

Ta moquerie à la parfin nous lasse.  [ 24 À la parfin : loc. adverb. tombée en désuétude et signifiant : à la fin dernière. ]

MÉLITE.

Folles cent fois de se plus amuser

A qui ne sait de la victoire user.

CORINE.

425   Tels voeux à part des la première vue

Qu'on le tiendra surpris à l'impourvu,

Faut garrotter ce Protée inconstant,

Si que l'Oracle il profère à l'instant.

MÉLITE.

Nous ferons mieux, or de poussière pleine,

430   Et de sueur je cours à la fontaine,

Où j'ai le soir appris de me laver.

CORINE.

Moi cependant mon troupeau retrouver.

ACTE III

SCÈNE I.
Satire, Mérope.

SATIRE.

Heureuse nuit aux amours favorable !

Nuit des labeurs le charme secourable,

435   Nuit destinée à ma félicité,

Qui du cercueil m'aurais ressuscité,

Tu es venue ô mère du silence,

Qui jà muet de tous côtés s'élance :

Avise donc Satire à te munir,

440   D'une vigueur capable de tenir,

D'une vigueur amoureuse qui dure,

Et te confirme en la grâce future

De ce Phoenix de beauté gracieux,

Qui te commet à son plus précieux ;

445   Or parvenu à l'huis de ma Sibylle,

J'aiguiserai d'une façon subtile

Mon sifflement afin de l'appeler,

À peu de bruit lui parlant sans parler.

MÉROPE.

J'entends qui c'est, allons tu viens à l'heure,

450   Qui se pourrait appeler la meilleure.

SATIRE.

Ma douce vie, hé bien, n'ai-je tenu

Promesse au terme entre nous convenu ?

MÉROPE.

Ta diligence admirable mérite

Ce qu'elle aura d'une chaste Charite ;

455   Or sus de loin qu'on suive au petit pas,

Si que de l'oeil tu ne me perdes pas,

Et où du doigt je fais signe arrêtée,

Cours te jeter sur ta proie apprêtée.

SATIRE.

Oncques garrot ne partit plus léger

460   Que tu me vois au signal déloger.

SCÈNE II.
Mélite, Arcas.

MÉLITE.

L'infinité de ces gauches présages,

Ébranlerait les plus fermes courages,

M'acheminant, la funéreuse voix

D'une chevêche a soupiré trois fois,

465   Après du pied sur l'herbage glissée,

Une couleuvre à longs plis élancée

M'a poursuivi avec tant de fureur,

Qu'au souvenir je hérisse d'horreur,

Trembler aussi la fièvre continue

470   De chaque chose à présage tenue ?

Jamais, jamais, l'innocence fera

Que mon dessein se parachèvera.

ARCAS.

J'entr'ois l'accent de quelque voix humaine,

Et le bonheur sans doute me l'amène.

MÉLITE.

475   Mon arc tendu auprès de moi je veux

De ce ruban me tresser les cheveux.

ARCAS.

Oui la voilà, qui sans doute murmure,

Diane rends ta lampe plus obscure,

Qu'à pas larrons près d'elle parvenu,

480   Tant de beautés je puisse voir à nu.

SCÈNE III.
Satire, Mélite, Arcas, Mérope.

SATIRE.

Belle Bergère.

MÉLITE.

Ô Dieux !

SATIRE.

N'aie point peur.

ARCAS.

Comme adoucit son appeau le pipeur !

SATIRE.

Je suis.

MÉLITE.

N'approche, ou[...]

SATIRE.

Que voudrais-tu dire,

Méconnais-tu ton fidèle Satire ?

MÉLITE.

485   Qui t'a donné l'audace de venir ?

SATIRE.

Ton mandement.

MÉLITE.

Moi ?

SATIRE.

Souffre un peu tenir.

MÉLITE.

Retire toi monstre infect de luxure,

Si tu ne veux que je te défigure.

ARCAS.

Crainte de pis allons la secourir.

SATIRE.

490   Un baiser pris je consens de mourir.

MÉLITE.

Je baiserai plutôt la Parque blême,

SATIRE.

J'appliquerai la rigueur à l'extrême,

MÉLITE.

À l'aide, au meurtre, on me force, au voleur.

SATIRE.

Me résister t'apporte du malheur.

ARCAS.

495   Demeure infâme, arrête, ou je te tue,

MÉROPE.

Arcas aux mains sa parole effectue.

SATIRE.

Au moins entends mes raisons,

ARCAS.

Quitte la.

SATIRE.

Bien je le veux.

ARCAS.

Oui forcé.

SATIRE.

La voilà.

ARCAS.

Tu laisseras tes cornes sur la place.

SATIRE.

500   Écoute un peu.

ARCAS.

  Mon oreille en est lasse.

SATIRE.

Hélas ! Merci, je me rends, que veux-tu ?

ARCAS.

Qu'il te souvienne avoir été battu,

MÉLITE.

Tiens le Pasteur que ma part je lui donne.

MÉROPE.

J'entends des coups l'orage qui résonne

505   Dessus le dos de mon bel amoureux,

Quelle risée au sortir d'avec eux

Je me prépare.

SATIRE.

Au meurtre, on m'assassine,

Rompu de bras, de tête, de poitrine,

Secours ô Pan, secours, je n'en puis plus.

MÉLITE.

510   une autre fois ne t'empiège à ta glue.

ARCAS.

Laissons-le aller.

SATIRE.

Hé je vous en supplie.

MÉLITE.

Non, non, premier ma vengeance accomplie.

ARCAS.

Va sauve toi, ne nous promets-tu pas ?

SATIRE.

Oui, retrouvé donnez moi le trépas.

MÉLITE.

515   Ah ! Si la force égalait mon courage,

Tu vomirais l'âme pour cet outrage.

SATIRE, échappé.

Louve, rufien, quelque jour, quelque jour  [ 25 Rufien : Homme débauché, qui vit avec des femmes de mauvaise vie, ou qui en procure aux libertins. [L]]

On vous réserve à beau jeu beau retour.

SCÈNE IV.
Arcas, Mélite.

ARCAS.

Je rends Mélite une grâce commune,

520   Tant à l'Amour qu'à ma bonne fortune,

D'avoir sauvé du naufrage prochain

Ta chasteté, qui résistait en vain,

Telle à peu près que la barque qui flotte

À la merci des vagues sans pilote,

525   Dessus le point de s'abîmer au fond.

MÉLITE.

Oui, mais Berger tel bienfait se morfond,

Perde son lustre et l'on n'a plus de grâce,

Quand son auteur la mémoire en repasse,

Il ne doit pas même s'en souvenir,

530   Où le mérite est nul à l'avenir.

ARCAS.

Qui le dirait par forme de reproche ?

Qui n'aurait pas à miner une roche,

De cruauté, d'orgueil et de mépris ?

Qui ne saurait qu'un ingrat a le pris

535   De mes labeurs, de mes fidèles peines,

Qui ne saurait qu'au supplice tu mènes

Son innocence ? Ah ! Ces points exceptez

J'aurai trop tôt mes services vantés,

Trop tôt béni l'heure si fortunée

540   Que je sauvé ta pudeur butinée.

MÉLITE.

Entretien-toi d'espérance toujours,

Et à son temps réserve mon secours,

Tandis je vais divulguer la victoire

Qui te promet une immortelle gloire.

ARCAS.

545   Sans m'élargir la faveur d'un baiser,

Soit, mes yeux ont eu de quoi s'apaiser,

De quoi repaître une ardeur curieuse.

MÉLITE.

Qu'avance là ta langue injurieuse ?

ARCAS.

La vérité.

MÉLITE.

Quelle ?

ARCAS.

N'importe pas.

MÉLITE.

550   Dis franchement.

ARCAS.

  J'admirais ce repas

Pris de la vue, ah ! Tu veux que d'envie

À ce reçoit je soupire la vie.

MÉLITE.

Qu'aurais-tu vu ?

ARCAS.

Deux montagnes de lait

Qu'un beau bouton décore vermeillet.

MÉLITE.

555   Ô le menteur ! De ma tresse épanchée,

J'étais dans l'eau plus qu'à demi cachée,

Adieu, adieu.

ARCAS.

Je te reconduirai,

Crainte de pis.

MÉLITE.

Moi donc j'obéirai.

SCÈNE V.
Satire, Mérope.

SATIRE.

Meurtri de coups, à peine hélas ! À peine

560   Je puis marcher et ravoir mon haleine,

Encore plus affligé de l'affront

Qui me demeure imprimé sur le front :

Ô fausse vieille ! Ô mille fois traîtresse !

Tu m'as vraiment bien pourvu de maîtresse,

565   Tu m'as joué d'un tour de ton métier,

Mais à mon rang je te veux châtier,

Si sur le champ de l'attentat purgée,

D'un tel soupçon je n'ai l'âme allégée,

Or ne pouvant la rejoindre depuis,

570   Je l'attendrai sur le seuil de son huis,

J'entr'ois marcher, ce l'est qui s'achemine,

Nous jugerons du courage à la mine.

MÉROPE.

Tu es donc là Satire, hé bien, comment

Va ton Amour à ce commencement ?

SATIRE.

575   Très mal.

MÉROPE.

Pourquoi très mal ?

SATIRE.

  Ta gausserie  [ 26 Gausserie : Terme populaire. Moquerie, raillerie. [L]]

Pourrait changer mon amour en furie.

MÉROPE.

Que te faut-il ? est-ce le grand merci

De t'avoir fait d'elle jouir ainsi ?

SATIRE.

Je ne veux plus de telle jouissance,

MÉROPE.

580   On te l'avait livrée en ta puissance,

De faire plus le moyen que veux tu ?

SATIRE.

Onc pour un coup, je ne fus tant battu.

MÉROPE.

Ces petits coups qu'une fille desserre

Ne sont que fleurs en l'amoureuse guerre.

SATIRE.

585   Certain pasteur survenu de renfort,

Las de frapper m'a rendu comme mort.

MÉROPE.

Malheur pourtant inopiné qui montre.

Que tu n'étais que bien sans la rencontre.

SATIRE.

Point, je renonce à semblable amitié,

590   Tâte mauvaise, et juge par pitié,

S'ils m'ont battu d'une cruelle sorte.

MÉROPE.

Dedans le coeur tes blessures je porte,

Mais tu voudrais induire à te prier.

SATIRE.

Tu n'oserais demain me défier,

595   Donne sans plus avant que je te quitte,

Pour me guérir quelque drogue d'élite .

MÉROPE.

Entre dedans je ferai mon pouvoir,

Joint qu'à loisir je désire savoir

De point en point le progrès de l'histoire,

600   Vu l'accident presque impossible à croire.

SATIRE.

Hélas ! Trop vraie à mon plus grand regret,

Tu le sauras, mais tiens le cas secret.

ACTE IV

SCÈNE I.
Corine, Mélite.

CORINE.

Pauvre Mélite, ah ! Que je suis joyeuse

De te pouvoir informer soucieuse,

605   Sur ce que bruit la commune rumeur,

Que tu courus fortune de l'honneur,

Que le secours d'Arcas ton plus fidèle

T'a conservé ce beau nom de pucelle,

Acte de soi si brave et généreux,

610   Qu'il doit atteindre au Ciel des Amoureux

Qu'il ne se peut assez louer et dire,

Plaise toi donc au vrai me le déduire.

MÉLITE.

Tu te souviens lors de notre départ,

Comme chacune eut pris quartier à part,

615   Que de sueur et de poussière pleine,

Je résolus d'aller à la fontaine,

Où mille fois, et mille en sûreté

J'osai fier seule ma chasteté ;

Là dans le bain à peine je me plonge,

620   Et pour laver le corps ces bras j'allonge,

Qu'un grand Satire élancé plus soudain

Que le lion ne court dessus un daim,

Vient l'oeil flambant d'une lubrique rage,

Par la prière essayer mon courage.

CORINE.

625   D'effroi quasi je pâme t'écoutant,

Ainsi que mien le cas représentant.

MÉLITE.

J'eus bien ma part d'une frayeur extrême,

Et néanmoins retournée en moi-même,

À résister ma dextre s'apprêtait,

630   Empoignant l'arc d'arme qui l'arrêtait,

Mais ce bouquin me la prévint saisie,

De mes refus croissant sa frénésie,

Alors qu'à coup ce Persée arrivé,

Que mon amour longtemps a captivé,

635   Surprend le montre, et en telle surprise,

Bon gré mal gré le contraint lâcher prise,

Si qu'il me donne à même temps loisir

De châtier le rustre à mon plaisir.

CORINE.

Mais quel guerdon rémunéra la peine  [ 27 Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]]

640   De ce vainqueur que tu fuis inhumaine ?

MÉLITE.

L'offre des biens que je dois posséder

Si les parents viennent à décéder.

CORINE.

Tu l'offensais, car ce bien fait si rare

Ne compatit avec un prix avare,

645   Et qui m'aurait conservé cette fleur,

La cueillerait bien due à sa valeur.

MÉLITE.

Je tiens l'avis d'un autre tolérable,

De toi rien moins seule alors préférable.

CORINE.

Bon gré mal gré tu viendras toujours là.

MÉLITE.

650   Allons presser l'Oracle sur cela,

Allons savoir la volonté dernière,

De qui notre âme a chez soi prisonnière.

CORINE.

Prends d'un côté, moi de l'autre, de peur

Qu'il nous échappe encore ce pipeur.

MÉLITE.

655   Bien je ferai par le pré mon enceinte.

CORINE.

Moi par ce bois image de ma crainte.

SCÈNE II.
Caliste, Corine, Mélite.

CALISTE.

Enseignez moi forêts quelque rocher,

Creux et secret où me pouvoir cacher,

Quelque caverne au soleil inconnue,

660   Telle qu'où fait la Déesse cornue,

Son beau Pasteur un siècle sommeiller,

Encore là faudrait s'émerveiller,

Si je n'avais ma retraite peu sûre :

Dieux ! En voici quelqu'une je m'assure,

665   Et comment donc, je vois Corine, et faut

Se préparer à un nouvel assaut,

L'extrémité d'inventions féconde

M'en a fourni la meilleure du monde,

Pour l'assurer de l'espoir mal conçu,

670   Et décevoir qui croit m'avoir déçu,

SCÈNE III.
Corine, Caliste, Mélite.

CORINE.

Enfin trompeur, tu nous l'as donné belle

Avec ta soif si pressement cruelle,

Pour te vouloir au besoin secourir,

Et l'une et l'autre alors cuida mourir,  [ 28 Cuider : Croire, penser. Terme vieilli et tombé en désuétude. [L]]

675   Lasses (Dieu sait) sueuses, hors d'haleine :

Une autre fois épargne notre peine,

Quitte un chemin d'orgueil que tu poursuis,

À nous tramer ces Amoureux ennuis.

CALISTE.

Après beaucoup d'attente, que jà l'ombre

680   Croissant par tout amenait la nuit sombre,

Contraint je fus mon troupeau remmener,

Et vous devez à l'heure pardonner.

MÉLITE.

Demain, demain je croirai ta défaite,

N'en parlons plus, c'est une chose faite,

685   On te pardonne à la charge pourtant

De se résoudre à cett' heure constant.

CALISTE.

Tenez-le ainsi, que du trépied Delphique.  [ 29 Trépied delphique : meuble religieux associé au culte d'Apollon et l'oracle de Delphes.]

CORINE.

Garde toi bien d'une sentence inique.

CALISTE.

Celle qui plus se tiendra de parler,

690   À mon Amour, que sert de le celer ?

MÉLITE.

Qui jamais vit pareille félonie ?

Qui jamais vit aucune tyrannie,

Nous usurper ce naturel bien fait ?

Repense au mal premier que l'avoir fait.

CALISTE.

695   Le voulez-vous, ou non, dites Bergères,

Que je m'en aille ?

CORINE.

À ces preuves légères,

Qu'elle refuse accepter, ne dois-tu

Me couronner du myrte débattu ?

Qui vais passer au milieu de la flamme,

700   Si tu le veux chère âme de mon âme.

MÉLITE.

Elle en sera premier lasse que moi,

Sus, il suffit, mais borne nous ta loi.

CALISTE.

Qu'appelez vous borner ?

CORINE.

S'entend l'espace

Du temps préfix, que muettes on passe.

CALISTE.

705   Tant que j'impose à ce silence fin.

MÉLITE.

Fais donc veiller nos actions afin

Que la première infractaire trouvée

Soit de l'espoir de ta grâce privée.

CALISTE.

N'en doutez point, adieu Nymphes.

CORINE.

Adieu

710   Puisque la voix chez nous n'a plus de lieu.

SCÈNE III.
Arcas, Titire, Moelibée.

ARCAS.

Chétif Arcas ta prudence sommeille,

Tu entretiens ta torture pareille

Au criminel de l'Érèbe dolent,

Toujours la roue enflammée ébranlant,

715   Tu es ainsi, tandis que ta poursuite

Pense adoucir les rigueurs de Mélite,

Veut à pitié l'impiteuse émouvoir,

Il faut d'ailleurs t'obtenir ce pouvoir,

Il faut dessous l'autorité d'un père

720   Auquel selon Nature elle obtempère,

Humiliée en tirer la raison :

Ah ! Le voici sortir de sa maison

Qui ne saurait refuser ma demande,

Si l'équité plus forte lui commande,

725   Si sa vieillesse affecte le repos,

Que je te trouve ô Tityre à propos !

TITYRE.

Brave pasteur des Arcades la gloire,

Digne d'un los d'éternelle mémoire,  [ 30 Los : Vieux mot qui signifie louange. [L]]

Dis librement ce que pour toi je puis.

ARCAS.

730   Tu peux en un guérir tous mes ennuis,

Moi pris de gendre appui de ta famille,

Car sans mentir j'idolâtre ta fille.

TITYRE.

Tu me ravis d'aise en ce tien désir,

Qui ne saurai de parti lui choisir

735   Plus désirable, et à son avantage,

N'eusses-tu pris de fortune en partage

Que ta vertu dont l'effet généreux

La retira d'un pas si dangereux.

ARCAS.

Humble à genoux de coeur je te rends grâce,

740   Mais las, hélas ! Une frayeur me glace.

TITYRE.

Quelle frayeur ? Te doutes-tu de moi,

Comme inconstant qui vacille en sa foi ?

ARCAS.

Je crains qu'elle ait autre part sa pensée.

TITYRE.

Toute âme ainsi de Cupidon blessée,

745   Se fantastique une jalouse peur,

Que je te vais dissiper en vapeur :

Mélite ho ! Mélite viens te dis-je :

Sais-tu que que c'est ? Ce berger nous oblige

De te venir d'épouse demander,

750   Chose que j'ai voulu trop accorder

Ainsi que juste, honorable et utile,

Avise d'être à mon vouloir docile,

Or sus de bouche, et de coeur veux-tu pas

Vivre avec lui jointe jusqu'au trépas ?

755   Quel accident la parole t'arrête,

Que tu réponds des mains et de la tête ?

Ô Cieux ! D'où vient ce désastre soudain,

Elle s'efforce à nous parler en vain.

ARCAS.

Ou c'est un charme, ou (cruelle malice)

760   Du mariage elle fuirait la lice.

TITYRE.

Crois que plutôt la forte impression

De ce péril cause l'affliction,

Remis aux yeux de sa vague pensée,

Pour voir présente une chose passée,

765   Mais qui là-bas se lamente si fort ?

ARCAS.

C'est Moelibée,

MOELIBÉE.

Ô secourable mort !

Ne fais languir un déplorable père,

Qui plus de joie en ce monde n'espère,

Sa race unique ores quant à la voix,

770   Pareille au tronc immobile d'un bois.

TITYRE.

Sur quel sujet lamente Moelibée ?

MOELIBÉE.

Sur la parole à celle dérobée,

Qui fut l'espoir de ses caduques ans.

TITYRE.

Donc ma douleur commune tu ressens,

775   Qui désastreux même perte regrette,

Contagieuse à ma fille muette;

ARCAS.

Un sort malin produit là ses effets,

Sort qui les sens nous peut rendre imparfaits.

MOELIBÉE.

J'allais trouver Mérope la Devine,

780   Pour l'informer de quelque médecine.

TITYRE.

Tous d'un accord allons la requérir,

Et le motif du désastre enquérir.

SCÈNE IV.
Mérope, Satire.

MÉROPE.

Démons reclus dans la demeure pâle,

Par les replis de l'onde stygiale,  [ 31 Onde stygiale : le fleuveSTyx des Enfers.]

785   Par le pouvoir du Prince des Enfers,

Par ces pavots que je lui brûle offerts,

Venez quittant les gouffres de l'Averne,

Vous tenir prêts ici dedans mon cerne,

Prêts de punir un bouc luxurieux

790   Qui le futur me représente aux yeux,

Ah, le voici qu'une brutale rage

À son malheur époint dans le courage :  [ 33 Époindre : Terme vieilli. Faire sentir un aiguillon, un désir. [L]]  [ 32 Épointer : Casser la pointe, émousser. [L]]

SATIRE.

Dispos, gaillard, plus propre au jeu d'aimer

Qu'oncques, je viens ta promesse sommer,

795   Après l'épine il faut avoir la rose,

Tu ne dis mot, pensive à autre chose.

MÉROPE.

De vrai je pense à ta brutalité,

À ta folie, à ta stupidité,

Qui recevront des coups pour leur salaire,

800   Ne désistant de cet honteux affaire.

SATIRE.

Te moques-tu ?

MÉROPE.

Satyre ton plus sûr

Est d'esquiver mon courroux punisseur.

SATIRE.

J'espère avec un long baiser humide

Me l'adoucir dédaigneuse homicide .

MÉROPE.

805   Or sus à coup favorables esprits

Apprenez lui que vaut s'être mépris .

SATIRE.

Au meurtre, au meurtre, au secours, on me tue.

MÉROPE.

Cela va bien, mon vouloir s'effectue.

SATIRE.

Pardon Mérope, et je renonce à tout.

MÉROPE.

810   Non, pour si peu tel crime ne s'absout,

Retire toi chère troupe avernale,

Va retrouver ta demeure fatale,

Et que sa forme en un arbre échangeant,

J'aille le fiel de sa haine changeant,

815   Vif à souffrir des tortures extrêmes :

Ores convient retournée à moi-même,

Expédier ces pasteurs affligés

Sur un erreur qui les tient assiégés,

Qui les contraint recourir à l'asile

820   De ma science aux innocents utile.

SCÈNE V.
Moelibée, Tityre, Arcas, Mérope.

MOELIBÉE.

Comme avertie on dirait qu'elle attend,

L'oeil dessus nous pitoyable jetant,

Abordons là d'une humble révérence ;

Sybille en qui pose notre espérance,

825   Un incident nous amène vers toi

Pères chétifs.

MÉROPE.

Amis attendez-moi,

De la douleur qui vous presse inspirée,

Je vais chercher sa cure désirée,

Je vais l'avis du destin consulter

830   Et ce qui doit de tel cas résulter,

Tandis portez dans le Ciel vos prières,

Contre un méchef de vertus singulières.  [ 34 Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]

TITYRE.

Dieu des Bergers Pan qui prends le souci

De leurs troupeaux, et d'eux-mêmes aussi,

835   Grande Pallas, toi fruitière Pomone  [ 36 vers 835, On lit Pales, nous interprétons par Pallas.]  [ 35 Pomone : Terme du polythéisme latin. La déesse des fruits [L]]

Qu'à nos méfaits votre bonté pardonne,

Ne veuillez pas bénignes déités

Rétribuer les tourments mérités,

Ne veuillez pas répéter notre offense

840   Sur des enfants, ains dessus l'innocence :

Plutôt hélas ! Que plutôt l'un de nous

Tombe victime au céleste courroux.

MOELIBÉE.

Je tremble au coeur d'entendre ce murmure

Qui de Pluton le noir peuple conjure,

845   Qui de Mérope irrite la fureur,

Dieux ! La voici, mon chef dresse d'horreur,

Ô quels regards son oeil flambants nous darde

Pour enfanter du démon qu'elle garde !

MÉROPE.

Pasteurs courage, après bien peu de temps

850   Ce triste hiver vous éclot un printemps,

Leur mal parvient d'un charme de silence,

Mais volontaire et hors de violence,

Es mots suivants l'Oracle vous dira

L'auteur, les cieux et qui les guérira.

ORACLE.

855   Du plus beau des bergers que sache l'Arcadie,

Naguère fut jeté se sort malicieux,

Arrêtez moi sa fuite, et telle maladie

Prendra fin par celui qui maîtrise les Cieux.

Voilà quelle est la volonté divine,

860   Qu'à l'accomplir chacun donc s'achemine.

MOELIBÉE.

Hélas ! Supplée à notre infirmité,

Qui ne pourrait (double calamité)

Jamais trouver, veufs de ton assistance,

Le sens obscur de pareille sentence.

MÉROPE.

865   Allons suivez, que la commune voix

Juge à présent du plus beau de nos bois,

Allons, d'indice en indice la chose

Nous deviendra manifeste déclose,

Et du surplus qui doit à ce besoin

870   S'exécuter, j'embrasserai le soin.

ACTE V

SCÈNE I.
Vénus, Cupidon.

VÉNUS.

Mauvais garçon, volage, incorrigible,

Et aux douleurs de ta mère insensible,

Quelle malice inhumaine te meut

De tourmenter un peuple qui ne veut,

875   Parmi ces bois où l'innocence habite,

Que t'honorer pardessus ton mérite ?

Que t'obéir tributaire à tes lois,

Si ta puissance éprouver tu voulais,

Dresse ton vol, aiguise tes sagettes  [ 37 Sagette : Termes vieillis. Flèche. [L]]

880   Pour subjuguer les Scythes ou les Gètes,  [ 38 Gète : Nom d'un peuple de la mer noire donné par les grecs.]

Qui suivent Mars, rebelles à l'Amour,

Victorieux choisi là ton séjour

Sans outrager (cruauté tyrannique)

Nos bons sujets de ce monde rustique, []

885   Je te défends de les plus molester,

Où ne te pense à moi représenter .

CUPIDON.

Voilà que c'est, l'impression mauvaise

Ne me permet rien faire qui vous plaise,

Vous condamnez à faute de savoir,

890   L'équité même, ainsi que l'allez voir :

Un arrogant porté de vaine gloire

Ose en ces bois disputer ma victoire,

Fuit deux beautés réduites aux abois,

Et sur lui presque épuisant mon Carquois,

895   Reste qu'il s'aille ériger un trophée

De ma puissance en ces lieux étouffée :

Moi donc atteint d'une juste pitié,

Pourrais-je moins l'orgueilleux châtié,

Que dissiper la discorde naissante

900   En exauçant une troupe innocente,

Afin qu'ici votre Empire et le mien

Ferme établis ne redoutent plus rien.

VÉNUS.

Tu as raison, pourvu que tu ne mentes

Que le discord chez eux tu ne fomentes,

905   Mais quand as-tu résolu de punir

Ce téméraire et au Ciel revenir ?

CUPIDON.

L'oeuvre de peu s'accomplit sans demeure,

Permettez-vous le plaisir d'un quart d 'heure,

À tel spectacle autant délicieux,

910   Et voire plus qu'aucun dedans les Cieux.

VÉNUS.

Mon indulgence accorde ta demande,

À ce qu'après où je veux on se rende.

CUPIDON.

Après je suis entièrement à vous,

Qui n'aurez plus de sujet de courroux :

915   Chacun son arc encoche d'une flèche,

À qui mieux mieux, que chacun fasse brèche

De dans son coeur de rocher aperçu,

Du même espoir que Narcisse déçu.

SCÈNE II.
Caliste, Cupidon, Vénus.

CALISTE.

Dieux le péril qu'incroyable j'évite,

920   Un monde armé fondait à ma poursuite

Dans le logis paternel, n'échappant

Que cette voix, empoignez le méchant

L'empoisonneur, le Sorcier, l'infidèle,

Qui sous un front modeste de pucelle

925   Ne laisse pas d'user pernicieux

D'un sortilège abominable aux Cieux ;

Lors élancé du haut d'une fenêtre,

Je me recouds à la Parque peut être,

De retourner point de nouvelle, il faut

930   Prendre un asile, où se soit ne m'en chaut,

Mais où choisir de retraite assurée,

Je ne saurai l'âme trop égarée,

Suivons où veut le hasard nous mener,

Las ! Quel scadron me vient environner,  [ 39 Scadron : escadron.]

935   D'enfants ailés ? Chacun l'arc pour son arme,

Franc de péril je retombe en un charme,

Hélas ! Merci, prenez de moi pitié.

CUPIDON.

Tu l'obtiendras ton crime châtié.

CALISTE.

Qu'ai-je commis ?

CUPIDON.

Qui te cause la fuite ?

CALISTE.

940   La juste peur d'une injuste poursuite.

CUPIDON.

Frappons toujours tant qu'il ait confessé.

CALISTE.

Ô Cieux ! De coups invisibles pressé

Le coeur me fend, et ne sais quelle flamme

Coule parmi jusqu'au profond de l'âme,

945   Pardonnez-moi, quiconque soyez vous,

Sans me connaître acharnés de courroux.

VÉNUS.

L'âge mon fils mérite qu'on modère

Ce châtiment, sa coulpe plus légère .

CUPIDON.

Pourquoi souvent ne m'excusez vous donc ?

950   Plus faible d'ans vous ne le fîtes onc.

VÉNUS.

Faible de corps tu es fort de malice,

Que trop de fois je tolère complice,

Or ne fais plus état de me fléchir,

Si tu ne veux de peine l'affranchir.

CUPIDON.

955   Cruel, ingrat, à genoux remercie

La Déité qui de toi se soucie,

Voue une offrande à la mère d'Amour,

Car tu lui dois la lumière du jour :

L'âme au surplus d'un repentir outrée,

960   En réparant l'injure perpétrée,

Tu promettras la guérison du sort

Des deux beautés qui penchent à la mort,

L'une d'épouse à cette heure choisie ;

Parle, as-tu pas changé de fantaisie ?

CALISTE.

965   Hélas ! Oui si Corine jamais

Me recevait en grâce désormais,

Je lui serais autant ou plus fidèle,

Que le passé dédaigneux et rebelle,

Mais qui vous a divulgué l'accident ?

970   Il faut qu'alliez le mortel excédant.

CUPIDON.

Simple tu vois la Déesse qui donne

Aux vrais Amants une heureuse Couronne,

Tu vois son fils qu'elle apaise irrité,

Pour t'honorer d'un bien non mérité.

CALISTE.

975   Donc à ce coup voici la prophétie,

Que m'annonçait Corine, réussie,

Reste un scrupule en mon âme douteux,

Que nos bergers m'accablent impiteux.  [ 40 Impiteux : antonyme de piteux ; Qui éprouve de la pitié ; miséricordieux. [L]]

CUPIDON.

Ne le crains pas, je t'ai pris en ma garde,

980   Et votre paix commune me regarde,

Allons suis moi, allons leur au devant,

Un tel ouVrage imparfait achevant.

SCÈNE III.
Mérope, Mopse, Moelibee, Tityre.

MÉROPE.

Ruse tournoie et déguise faussaire,

Tu répondras de ta race corsaire,

985   Tu pâtiras de son impiété,

Qui sans toi su jamais n'aurait été,

Le fils ne suit que l'exemple du père,

Partant sortir de nos liens n'espère,

Que lui rendu, joint que tout receleur,

990   Au double encourt la peine du voleur.

MOPSE.

Si je puis dire en quelle part du monde

Le misérable à l'heure vagabonde,

Que sous mes pieds l'Érèbe s'entrouvrant,

Aille mon crime et ma tête couvrant,

995   Hélas ! Chétif plut au vouloir Céleste,

Toi hors des dards de la Parque funeste,

Conduit en lieu d'assurance bien loin,

Que ce mien chef te pleigeât au besoin.  [ 41 Pleiger : Cautionner, promettre par caution. [L]]

MOELIBÉE.

À son défaut il y va de ta vie,

1000   L'une pour l'autre en échange ravie,

Où la rançon de ta prochaine mort

Gît à guérir le venin d'un tel sort.

MOPSE.

Sains de renom, et purs de conscience,

Ni lui ni moi n'eûmes onc la science,

1005   Qui périlleuse à tous les animaux,

Tantôt envoie, ores chasse les maux,

Un seul secret pratiquer je désire,

Qu'utile à tous nul ne me puisse nuire.

TITYRE.

La vérité contraire te dément,

MOELIBÉE.

1010   Un faux soupçon l'opprime injustement.

MÉROPE.

Silence amis, faites trêve aux querelles,

Une colombe a du bruit de ses ailes

Donné l'augure et calmant à la fois,

Marque le lieu, le saint lieu dans les bois,

1015   Où je prévois l'assistance divine,

Sus qu'à genoux désormais on chemine,

L'alme Vénus et son fils découverts.  [ 42 Alme : Poét., vx. Nourricier, auguste. [CNRTL]]

À votre mieux tendent les bras ouverts.

SCÈNE DERNIÈRE.
Mérope, Vénus, Cupidon, Caliste, Corine, Mélite, Arcas, Tityre, Mopse, Moelibée, Satire.

MÉROPE.

Double ornement de la Troupe immortelle,

1020   Qui de Nature embrasse la tutelle,

Faisant durer la race des humains,

Nous te joignons nos suppliantes mains

Pour apaiser une guerre amoureuse

Que tu peux faire en un moment heureuse.

VÉNUS.

1025   Prononce toi mon fils ce jugement,

Qui de leurs maux porte l'allègement .

CUPIDON.

Caliste joint à sa belle Corine,

En est la fin comme il fut l'origine :

Arcas Mélite aura pour sa moitié,

1030   Rare Phoenix d'une ferme amitié,

De ce trésor possesseur légitime,

Que sa valeur conserva magnanime :

Sus donnez vous réciproques la foi,

Que veut d'Hymen l'inviolable loi.

CALISTE.

1035   Chère Corine, hélas ! Je te demande

L'oubli premier de ma coulpe trop grande,

Ne t'en souviens Bergère, et je promets

En récompense être tien désormais.

CORINE.

Ô agréable ! ô céleste parole !

1040   Par ta vertu tout mon malheur s'envole,

Pour t'obtenir je n'estimerai pas

Avoir assez enduré d'un trépas,

Caliste mien ? Ô Amour ! Je rends grâce

À ta bonté, qui tout' autre surpasse.

MÉLITE.

1045   La larme aux yeux, le repentir au coeur,

Je te supplie ne garder de rancoeur

À ta Mélite, Arcas ma douce vie,

Ne soyons plus qu'une âme, et qu'une envie,

Et réparons de plaisirs amoureux

1050   Le temps perdu qui nous fit langoureux.

ARCAS.

Ô quel miracle aux neveux incroyable !

Mélite mienne ores d'impitoyable,

Vous l'avez fait puissantes Déités,

Et le faisant vous me ressuscitez,

1055   Si comblé d'heur, si transporté de joie,

Que de l'excès, peu s'en faut, je larmoie.

CUPIDON.

Reste assoupir chez vous autres parents,

Ce qui pourrait nourrir les différents,

S'entre-promettre une amitié qui dure

1060   Également jusqu'à la sépulture.

TITYRE.

Moi je le veux, Mopse pardonne nous

L'effort commis d'un imprudent courroux.

MOPSE.

Qui se fût pu garder sur l'apparence

De même faute en pareille occurrence ?

1065   Nul des mortels, vu que le bien présent,

D'abolir tout est plus que suffisant.

MOELIBÉE.

J'accepterai ma part de cette grâce,

Comme coupable avec lui je l'embrasse,

CUPIDON.

Encor faut-il vous sceller ce bienfait,

1070   De ne sais quoi de passe-temps parfait,

L'arbre changé que voyez, en Satire.

SATIRE.

Qui hors de terre immobile me tire ?

Qui m'a rendu ma figure et ma voix ?

Quels nouveaux Dieux habitent dans nos bois ?

CUPIDON.

1075   Contente toi de ta forme reprise,

Sans plus donner à tes vices de prise

Sur tes désirs justement châtiés,

À l'avenir de la raison liés.

SATIRE.

À ce bandeau je n'en fais plus de doute,

1080   C'est le vainqueur que l'Olympe redoute ;

Ô Paphien, je proteste à genoux

Ne provoquer jamais plus ton courroux,

Épris de vieille, ou de jeune qui vive,

Tant j'ai souffert pour ma fureur lascive.

VÉNUS.

1085   Allez Bergères à bon heure cueillir

Nos fruits plus doux, qui ne peuvent vieillir,

Allez germer une suite seconde

De beaux enfants qui repeuplent le monde,

Allez jouir d'un assuré repos,

1090   Et d'un courage allègrement dispos,

En notre honneur, sur vos flûtes rustiques,

Jusques au Ciel pousser mille cantiques,

Nous vous serons favorables toujours,

D'heur accomplis en vos saintes Amours.

MÉROPE.

1095   Nous le jurons vénérable Déesse ;

Sus que chacun dépouillé de tristesse

Vienne à l'envi célébrer ce beau jour,

Que tous nos bois ne parlent que d'Amour,

De ris, de jeux, de caresses mignardes

1100   Que de baisers, et de danses gaillardes,

Après avoir dans leurs sacrés autels

Remercié les puissants Immortels.

 


EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI

Par grâce et privilège du Roi il est permis Jacques Quesnel, marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer en telle forme et caractères que bon lui semblera, un livre intitulé. Le Théâtre d'Alexandre Hardy, Parisien, Tome 3. contenant Achille, Coriolan, Cornelie, Arsacome, Marianne, Alcée, le Ravissement de Proserpine la Force du Sang, la Gigantomachie, Felismene, Sidere, et le Jugement d'Amour, avec défenses à tous Libraires, Imprimeurs, et autres, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre ni débiter le dit livre de Théâtre d'Alexandre Hardy, Tome troisième, ni aucunes des susdites pièces, séparément, ou en aucune forme que ce soit, pendant le temps et espace de six ans, à peine de confiscation des exemplaires, et de cinq cents livres d'amende, comme il est plus au long contenu en l'original. Donné a Paris le 28 mai, mille six cens vingt cinq, et de notre règne le seizième, scellé du grand sceau de cire jaune, et signé, Par le Roy en son son Conseil.

LE LONG.

Achevé d'imprimer le 20. Décembre, 1625.


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Notes

[1] Déceptif : Qui est propre à decevoir. [L]

[2] Ocieux : Terme vieilli. Oisif. [L]

[3] Séquelle : Terme familier de mépris. Certain nombre de gens qui suivent quelqu'un, attachés aux intérêts de quelqu'un ou d'un parti. [L]

[4] Guerdonner : Terme vieilli. Récompenser. [L]

[5] Poison : Poison était autrefois féminin, comme le veut l'étymologie. [L]

[6] Feintise : Synonyme de feinte, avec cette seule nuance que feintise vieillit et qu'il a un air archaïque. [L]

[7] Argus : Personnage auquel la Fable donnait cent yeux. [L]

[8] Lacs : Cordon délié. Autrefois le sceau était attaché aux édits avec des lacs de soie de diverses couleurs. [L]

[9] Allègre : Dispos, prompt à faire. Esprit, caractère allègre.[L]

[10] Adon : S'est dit pour Adonis. [L]

[11] Coupeau : Sommet d'un coteau, d'une montagne. [L]

[12] Tremble : Peuplier dont les feuilles tremblent au moindre vent. [L]

[13] Accoiser : Rendre coi, calme, tranquille. [L]

[14] Clotho : une des Parques. [L]

[15] Averne : Poétiquement, les enfers mêmes. [L]

[16] Ballant : Qui pend et oscille. [L]

[17] Paphien : originaire de Pahos à Chypre.

[18] Chameuse : on lit "charneure" qui signifie "charnue".

[19] Molette : Terme de chasse. Se dit des tendons des épaules et des cuisses du cerf. Ici emploi métaphorique.

[20] Bouquin : Satyre, démon. [L]

[21] Pipeur : Celui qui trompe de quelque manière que ce soit. [L]

[22] Fallace : Action de tromper en quelque mauvaise intention. [L]

[23] Houlette : Bâton que porte le berger, et au bout duquel est une plaque de fer en forme de gouttière, qui sert pour lancer des mottes de terre aux moutons qui s'écartent, et de la sorte les faire revenir. [L]

[24] À la parfin : loc. adverb. tombée en désuétude et signifiant : à la fin dernière.

[25] Rufien : Homme débauché, qui vit avec des femmes de mauvaise vie, ou qui en procure aux libertins. [L]

[26] Gausserie : Terme populaire. Moquerie, raillerie. [L]

[27] Guerdon : Terme vieilli. Récompense. [L]

[28] Cuider : Croire, penser. Terme vieilli et tombé en désuétude. [L]

[29] Trépied delphique : meuble religieux associé au culte d'Apollon et l'oracle de Delphes.

[30] Los : Vieux mot qui signifie louange. [L]

[31] Onde stygiale : le fleuveSTyx des Enfers.

[32] Épointer : Casser la pointe, émousser. [L]

[33] Époindre : Terme vieilli. Faire sentir un aiguillon, un désir. [L]

[34] Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]

[35] Pomone : Terme du polythéisme latin. La déesse des fruits [L]

[36] vers 835, On lit Pales, nous interprétons par Pallas.

[37] Sagette : Termes vieillis. Flèche. [L]

[38] Gète : Nom d'un peuple de la mer noire donné par les grecs.

[39] Scadron : escadron.

[40] Impiteux : antonyme de piteux ; Qui éprouve de la pitié ; miséricordieux. [L]

[41] Pleiger : Cautionner, promettre par caution. [L]

[42] Alme : Poét., vx. Nourricier, auguste. [CNRTL]

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