POUR LA SAINTE-ENFANCE
1858
Par l'Abbé E. GONNET.
AVIGNON LIBRAIRE DE CAILLAT-BELHOMME, Éditeur. Rue Saunerie, 15. PROPRIÉTÉ DE L'ÉDITEUR.
AVIGNON, typ. Jacquet, rue Saint-Marc, 22.
Texte établi par Paul FIÈVRE, février 2021
Publié par Paul FIEVRE, mars 2021
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:00:26.
PERSONNAGES.
EUGÉNIE, agrégée à la Sainte-Enfance.
ANNA, enfant de la première communion.
LOUISE, maîtresse de choeur.
CHORISTES, au nombre de neuf.
L'ANGE DE LA SAINTE-ENFANCE.
La scène se passe dans une cour ombragée.
Extrait de "Dialogues en vers pour pensionnaires ou congrégations de jeunes demoiselles", 1er cahier, de l'Abbé Eugène Gonnet. pp 11-24
EUGÉNIE OU LE ZÈLE V...
SCÈNE I.
Eugénie, Anna.
EUGÉNIE.
Eh ! Bien donc, chère Anna, tu te rends aujourd'hui ?
Pour notre Sainte-Enfance, oh ! Quel beau jour à lui !
Laisse que je t'inscrive....
ANNA.
Eugénie, à mon âge,
On ne me verra point faire un enfantillage.
5 | Songe que j'ai douze ans. |
EUGÉNIE.
Et moi, douze ans passés. |
Et pourtant je suis loin de dire : c'est assez.
Et je ne suis pas seule : il en est beaucoup d'autres
Qui se font un honneur d'être toujours des nôtres.
J'étais Associée, avant le jour heureux
10 | Où Jésus vint remplir le plus doux de mes voeux : |
Depuis, j'ai dû changer de titre et non d'idée.
ANNA.
Ton titre est ?....
EUGÉNIE.
Agrégée. Allons ! Sois décidée.
ANNA.
C'est l'oeuvre des enfants : ou, si, comme tu dis,
Je puis être agrégée, écoute un bon avis.
15 | Par ton zèle indiscret pour cette oeuvre nouvelle, |
Tu vas nuire aux progrès d'une oeuvre encor plus belle.
EUGÉNIE.
La Propagation ?
ANNA.
De la Foi : t'y voilà.
EUGÉNIE.
Nous faisons du chemin : tant mieux ! J'aime cela.
Tu n'es plus trop âgée ainsi que tout-à-l'heure ?
20 | Ta seconde raison sera-t-elle meilleure ? |
Elle prend, je le vois, un air très sérieux.
Mais, quand on l'examine et qu'on la juge mieux,
On reconnaît bientôt que c'est l'indifférence
Qui cherche à se parer des traits de la prudence.
ANNA.
25 | Il faudrait le prouver. |
EUGÉNIE.
Loin de nuire aux progrès |
De l'oeuvre qui naquit sur le sol Lyonnais, [ 1 La congrégation de La Sainte-Enfance est créée en 1865 et a été approuvée par Mrg de Bonald archevêque de Lyon. Au XIXème siècle, la maison-mère est domiciliée à Lyon. ]
La Sainte-Enfance vient, comme une soeur puînée,
Embellir de sa soeur la noble destinée.
ANNA.
La Propagation ne refuse aucun soin
30 | Aux petits comme aux grands, quand ils en ont besoin. |
EUGÉNIE.
Oui, mais, en se vouant à cette classe unique
Que décime à toute heure une coutume inique,
La Sainte-Enfance ajoute aux admirables fruits
Que son illustre soeur avant elle a produits.
35 | Des enfants rachetés qui nous dira le nombre ? |
Par l'eau régénérés, les uns croissent à l'ombre
De monuments pieux, nommés Orphelinats ;
Les autres, glorieux d'un précoce trépas,
S'en vont peupler le ciel de myriades d'anges
40 | Et chanter au Très-Haut des hymnes de louanges. |
ANNA.
Tu fais de l'éloquence.
EUGÉNIE.
Et qui n'en ferait pas
En voyant susciter d'injustes embarras
À cette oeuvre si belle et si compatissante ?
Du peu que l'enfant donne il faut qu'on se contente.
45 | Quand il aura pris goût à faire des heureux |
Vous le verrez sans peine accéder à vos voeux.
Attendez vingt-un ans. Ses ressources plus grandes
Lui permettent enfin de grossir ses offrandes.
On lui déclare alors qu'il va perdre à la fois
50 | Son titre d'agrégé comme aussi tous ses droits, |
S'il n'accepte à l'instant, pour étouffer la plainte,
D'embrasser les deux soeurs dans une même étreinte.
ANNA.
C'est très bien.
On commence à chanter dans la pièce voisine :
Mais qu'entends-je ? Oh ! Les touchants accords !
EUGÉNIE.
Bon : c'est le choeur qui vient seconder mes efforts.
ANNA et EUGÉNIE écoutent chanter. Vers la fin du morceau, neuf choristes arrivent sur la scène, à la suite de leur maîtresse de choeur.
SCÈNE II.
LES MEMES, LOUISE ET LES CHORISTES.
ANNA, à Louise.
55 | Nous avons entendu votre brillant cantique. ' |
LOUISE.
Et puis, qu'en pensez-vous ?
ANNA.
L'air en est magnifique.
LOUISE.
Aussi, j'espère bien me distinguer ce soir.
EUGÉNIE.
Louise, en fait de chant, on connaît ton savoir.
Mais qu'as-tu préparé pour notre Sainte-Enfance ?
60 | C'est que nous attendons un morceau d'éloquence... |
Nous en avons besoin : depuis un bon moment,
( Qui l'aurait dit d'Anna ? ) je prêche vainement.
LOUISE.
Cette oeuvre a, pour ma part, toutes mes sympathies.
Je lui réserve un chant... :
EUGÉNIE, aux choristes.
Et vous, enfants chéries,
65 | Vous l'aimez, n'est-ce pas ? L'Association |
Bientôt sur son registre inscrira votre nom ?
UNE CHORISTE.
J'y serai.
UNE AUTRE CHORISTE.
Moi, j'y suis. Mais, à présent, j'ignore
Si ma mère voudra que j'y demeure encore.
EUGÉNIE.
Pourquoi ?
LA 2e CHORISTE.
Ce matin même, à son divin banquet,
70 | Pour la première fois Jésus me conviait. |
EUGÉNIE.
Tu n'auras rien à perdre en étant agrégée.
Qu'en dis-tu, chère Anna ? N'es-tu donc pas changée ?
ANNA.
Je crois que, sans risquer de passer pour enfant,
Je puis être agrégée.
EUGÉNIE.
Ah ! Que c'est consolant !
ANNA.
75 | Mais dois-je à mes parents imposer cette aumône ? |
EUGÉNIE, avec surprise.
Tiens !
ANNA.
Que de frais déjà je leur occasionne !
EUGÉNIE.
Encore un vain prétexte ? Ah ! Combien de soupirs,
Avec le seul argent de tes menus plaisirs,
Tu pourrais épargner aux enfants de la Chine !
80 | Sans être riches, va, fort bien je m'imagine |
Que nous pourrions donner de notre propre fonds ;
Mais nous voulons avoir des joujoux, des bonbons.
Ah ! Je le disais bien : oui, c'est l'indifférence
Qui cherche à se parer des traits de la prudence
À Louise.
85 | Louise, à mon secours !.... |
Quel silence mortel ! |
On se tait sur la terre, adressons-nous au ciel.
Eugénie tombe a genoux.
Bel ange, protecteur de cette, oeuvre sublime
Pour laquelle mon coeur d'un saint zèle s'anime,
Oh ! daigne en ce moment me prêter ton appui !
On frappe à la porte.
LOUISE.
90 | Quelqu'un frappe. |
EUGÉNIE.
Ouvrez-donc. Grand Dieu ! Si c'était Lui. |
ANNA, s'avançant vers la porte qui s'ouvre d'elle-même.
Je suis perdue, ô ciel !
EUGÉNIE.
Qu'as-tu vu ?
ANNA.
C'est un ange.
TOUTES, en tombant à genoux.
Mon Dieu ! Quelle frayeur !
SCÈNE III.
LES MÊMES ET L'ANGE DE LA Sainte-Enfance, tenant-JOUa main une couronne et un album.
L'ANGE.
Jeunes enfants, qu'entends-je ?
Relevez-vous.
On se relève.
Je suis un ange du Seigneur;
Et vous, n'êtes-vous pas des anges par le coeur ?
95 | Si je suis votre frère, et si le ciel m'envoie , |
Laissez sur votre front s'épanouir la joie.
À peine revenu du terrestre séjour,
J'offrais à l'Éternel un enfant. (fleur d'un jour ),
Quand Jéhova m'a dit : « Redescends sur la terre :
100 | Va chercher des amis à ton oeuvre si chère. » |
EUGÉNIE, avec un air de satisfaction.
La Sainte-Enfance ?
L'ANGE.
Bien : je suis déjà compris.
Aussi prompt que l'éclair, à l'instant j'ai repris,
Sur l'ordre de mon Dieu, mes éclatantes ailes :
Je m'élance soudain des voûtes éternelles.
105 | Je viens à vous d'abord, sûr d'avoir bon accueil. |
Car, un ange m'a dit avec un saint orgueil :
« Il est dans Avignon de charitables âmes
Que dévore en secret la plus pure des flammes :
Telle est la jeune enfant dont je suis le gardien.
110 | Eugénie est son nom : elle le porte bien. |
Depuis que les Chinois ont ému son coeur tendre,
Il n'est rien que pour eux elle n'ose entreprendre.
Mais, hélas ! le succès ne la suit pas toujours :
C'est de toi qu'elle attend un généreux secours. »
115 | Ta prière, Eugénie, à mon coeur a su plaire. |
Non, tout n'est pas perdu : travaille, mais espère,
Et d'abord, ô ma soeur, accepte de ma main
Cet encouragement à l'amour du prochain.
L'ange couronne Eugénie.
EUGÉNIE.
Merci ! bel ange. Ton visage
120 | Éblouit par ses traits vermeils ; |
Mais la douceur de ton langage
Va faire goûter mes conseils.
L'ANGE.
J'espère bien que si je plaide
En faveur des petits Chinois,
125 | Tu verras venir à ton aide |
Ces compagnes que j'aperçois.
UNE 3e CHORISTE.
Est-il vrai que, loin de leur mère,
Ils ont mille morts à souffrir,
S'ils n'ont le bonheur de lui plaire
130 | Quand leurs yeux viennent à s'ouvrir ? |
L'ANGE.
Oui, tandis que l'on environne
De tant de soins votre berceau,
Leur mère, hélas ! les abandonne,
Ou devient leur propre bourreau.
UNE 4e CHORISTE.
135 | Autant l'exécuteur du crime |
Fait naître en moi d'aversion,
Autant l'innocente victime
M'inspire de compassion.
L'ANGE.
S'ils avaient du moins le baptême,
140 | Ils seraient admis dans le ciel, |
Témoin l'enfant qu'aujourd'hui même
J'ai porté devant l'Éternel.
UNE 5e CHORISTE.
Mais, bel ange, que faut-il faire
Pour sauver ces pauvres petits ?
145 | Faut-il, pour leur servir de mère, |
Voler vers ce lointain pays ?
L'ANGE.
Calme-toi : le Missionnaire
Que rien au monde ne retient
Doit mettre fin à leur misère,
150 | Si ta charité le soutient. |
UNE 6° CHORISTE.
Eh ! Quoi ! C'est assez d'une aumône ?
L'ANGE.
Et d'une prière au bon Dieu,
LA 6e CHORISTE.
Dis-moi vite ce que l'on donne.
L'ANGE.
Un sou par mois.
LA Ce CHORISTE.
Oh ! C'est bien peu.
EUGÉNIE.
155 | Qu'est-ce qu'un sou par mois ? On peut bien y suffire. |
ANNA.
Oui, c'est vrai, je l'avoue.
L'ANGE.
Eh ! Bien, qui veut souscrire ?
TOUTES.
Moi ! Moi ! Bel ange.
L'ANGE.
Bon : vive la charité !
J'aime à voir ce combat de générosité.
Enfants, vous me prouvez que les faveurs insignes
160 | Dont vous êtes l'objet tombent sur des coeurs dignes ; |
Et moi, je vous promets que vos jeux fortunés
Ne pouvaient aujourd'hui mieux être assaisonnés.
Comment vous nommez-vous ? Vos noms, je veux les prendre,
Et sur ma harpe d'or au ciel les faire entendre.
165 | Approchez, mes enfants, approchez tour-à-tour : |
Car, je vais remonter à l'éternel séjour.
Chacune dit son nom à l'oreille de l'ange qui écrit sur son album.
L'ANGE, après avoir fermé son album, continue :
Vous êtes douze. Allons, chacune sa série !
Et puis, pour trésorière acceptez Eugénie.
TOUTES.
Oui ; bel ange.
L'ANGE.
À genoux ! Il faut nous dire adieu.
L'on se met a genoux.
170 | Enfants, je vous bénis. Au revoir devant Dieu. |
L'ange sort : on se relève.
SCÈNE IV.
Les mêmes, excepté L'Ange.
ANNA.
Quel prodige !... Ma soeur, que ta victoire est belle ?
EUGÉNIE.
Le Seigneur a voulu réchauffer notre zèle.
C'est à nous, à présent, de prouver au Seigneur
Que la reconnaissance anime notre coeur.
175 | Essayons pour cela de devenir Apôtres : |
L'ange a pris notre nom, prenons celui des autres.
Chacune sa série ! À ce désir si beau
Il m'en souvient, mes soeurs, vous avez fait écho.
ANNA.
Oui, oui, je te promets de remplir ma douzaine.
TOUTES.
180 | Et moi, de même. |
EUGÉNIE.
Bon : mon affaire est certaine. |
Enfants, puisque vos coeurs battent pour les Chinois.
Pour eux faites aussi résonner votre voix.
Louise, apprends-nous donc la douce mélodie
Que tu dois nous chanter à la cérémonie.
185 | Nous la répéterons à nos aimables soeurs : |
C'est le plus sûr moyen de triompher des coeurs.
LOUISE entonnne le cantique de la STE-ENFANCE :
Écoutez du fond de la Chine.
Le choeur lui répond, en reprenant toujours le dernier vers.
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Notes
[1] La congrégation de La Sainte-Enfance est créée en 1865 et a été approuvée par Mrg de Bonald archevêque de Lyon. Au XIXème siècle, la maison-mère est domiciliée à Lyon.