DES JEUX CHAMPÊTRES DES ENFANTS
1829
À PARIS, A. MARC, Libraire, Auteur et éditeur du Dictionnaire des romans, Rue Rameau N°11. Quartier du Palais Royal.
Texte établi par Paul Fièvre, décembre 2018.
Publié par Paul FIEVRE, décembre 2018.
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:34.
PERSONNAGES
ICÉLIE, agée de 18 ans.
LÉONILLE, agée de 12 ans, soeur d'Icélie.
LOUIS, frère d'Icélie et de Léonille.
La scène est dans une terre du Languedoc.
Extrait de LES JEUX CHAMPÊTRES DES ENFANTS et l'île par Madame la Comtesse de Genlis, orné de huit gravures. TROISIÈME ÉDITION, 1829. pp. 62-81
SIXIÈME DIALOGUE
LOUIS.
Nous voilà chargés d'une belle récolte ; mais, pour cette fois, nous irons par ordre, et nous commencerons par le persil.
ICÉLIE.
Comment ! Le persil t'amuse-t-il ? [ 1 Persil : En latin pelroselinum.]
LOUIS.
Pardi ! À casser des gobelets de verre avec le suc de cette plante ; j'en ai brisé plus de dix dans ma vie.
ICÉLIE.
C'est un fort vilain jeu, parce qu'on peut s'y couper les doigts.
LOUIS.
C'est ce qui m'est arrivé plus d'une fois, et cela m'en a dégoûté.
ICÉLIE.
C'est une mauvaise plante, très malsaine, très contraire aux tempéraments bilieux fort échauffante, et qu'en outre on peut très facilement confondre avec la ciguë (qui est un poison), ce qui a fort souvent produit des accidents funestes. On trouve dans les Mémoires de la Faculté royale de Montpellier que toute une famille fut empoisonnée pour avoir mangé une farce faite avec des oeufs, de la mie de pain et de la petite ciguë qu'on avait prise pour du persil ; toutes les personnes moururent. [ 2 Ciguë : en latin cicuta.]
LÉONILLE.
Il serait donc bien nécessaire de connaître les différences du persil et de la ciguë, pour surveiller les cuisiniers et cuisinières.
ICÉLIE.
Assurément, et c'est ce que maman a exigé de moi : c'est aussi pourquoi j'ai desséché avec tant de soin dans mon herbier de bonne ménagère (tu sais que j'ai fait à part un herbier qui porte ce nom), la ciguë avec tous ses caractères, placée entre le persil et le cerfeuil. Au reste , il serait beaucoup plus simple de ne jamais manger de persil, puisque sans méprise et par lui-même il a beaucoup d'inconvénients. [ 3 (c) Cerfeuille, en latin coerefolium ou choerophyllum. Le cerfeuil est très-bon dans le scorbut et dans l'hydropisie. Cette plante, qui est apéritive et rafraîchissante, purifie le sang et convient dans les maladies de la peau; ses feuilles, qui sont semblables à celles de la cigüe et du persil, sont plus petites, d'un rouge clair, attachées à des queues velues. Ses fleurs sont composées de cinq pétales blancs inégaux, disposés en parasol; ce qui donne à ces plantes le nom d ombellifères. Les feuilles de la cigüe ont une odeur de persil ; ses fleurs sont rouges et disposées aussi en parasol. Le meilleur antidote de la ciguë est le vinaigre ou le jus de citron avec de l'oximèle tiède, en quantité suffisante pour faciliter le vomissement.]
LOUIS.
Fort bien, pour nous autres enfants, qui ne mangeons que de la viande rôtie ou bouillie ; mais quand on est grand, il faut bien manger des ragoûts.
ICÉLIE.
C'est comme si tu disais que lorsqu'on est grand , il faut être gourmande et déraisonnable.
LOUIS.
Mais pourtant je vois presque toutes les grandes personnes manger des truffes, des morilles et des champignons ; et on sait bien que toutes ces choses sont très malsaines et que même en les mangeant on risque de s'empoisonner.
ICÉLIE.
Cela t'apprend qu'en général on ne réfléchit point, et qu'on fait sans cesse des Imprudences ; le nombre des sages est toujours très petit. Mais tu as dû remarquer que nos parents et Monsieur l'abbé ne mangent jamais de toutes ces choses.
LOUIS.
C'est vrai.
LÉONILLE.
Maman est si sobre, et toi aussi ma soeur, et pourtant tu es aussi grande qu'elle.
ICÉLIE.
D'ailleurs la religion nous prescrit la tempérance.
LOUIS.
Oui, et c'est pour notre bien, puisqu'elle préserve de tant d'accidents et qu'elle conserve une bonne santé.
ICÉLIE.
Il en est ainsi de tout ce qu'elle défend ; elle a l'air d'être sévère, et néanmoins tout ce qu'elle nous commande nous est utile dès ce monde.
LOUIS.
Allons, je serai sobre, car il faut obéir à Dieu, et je vois d'ailleurs qu'il est bête d'être gourmand.
ICÉLIE.
Il me faut une nouvelle plante.
LÉONILLE.
Laisse-moi dessécher celle-ci.
ICÉLIE.
Le pied d'alouette . [ 4 Pied d'alouette : en latin, delphinium. Cette plante est, dit-on, astringente et vulnéraire ; mais elle n'est guère d'usage.]
LÉONILLE.
Tu sais qu'on fait une petite couronne avec ses fleurs emboîtées l'une dans l'autre.
LOUIS, après un moment de silence.
As-tu bientôt fini ?
LÉONILLE.
Oui, c'est fait.
LOUIS.
Admirez cette belle branche de laurier ; on ne joue pas avec cela ! Mais on en couronne les grands hommes ; je veux qu'elle soit dans notre herbier, et je la dessécherai moi-même. [ 5 Laurier : en latin laurus. Il y a un grand nombre d'espèces de laurier ; tous ceux qu'on emploie dans les cuisines sont dangereux, surtout celui qui a un goût d'amande ; pris à petites doses il est très malsain, et à fortes doses il est un violent poison; il cause la paralysie, les convulsions et enfin la mort. Le fameux dit. Hamel a fait sur le laurier beaucoup d'expériences qui ont constaté qu'une cuillerée du suc suffit pour tuer un gros chien.]
ICÉLIE.
Cela est héroïque ! Tu la placeras sans doute à côté du persil qui a cassé tant de verres.
LOUIS.
Comme tu es moqueuse !...
LÉONILLE.
Oui, mais elle ne l'est jamais sur les absents.
ICÉLIE.
Sur les absents ! La moquerie la plus innocente est toujours de la médisance et ressemble à la perfidie ; il faut n'attaquer en rien ceux qui ne sont pas là pour se défendre.
LOUIS.
Va, je ne songe guère à me défendre contre toi, car je suis sûr que tu ne voudras jamais me faire de la peine. Jette les yeux sur mon laurier, ne l'ai-je pas bien arrangé ? Deux feuilles d'un côté, deux feuilles de l'autre, pour faire voir le dessus et le dessous, une fleur au milieu... c'est parfait.
LÉONILLE.
Place ! Place ! Que je pose ma belle campanule. [ 6 Campanule : ou gantelée, ou gant de Notre-Dame, en latin, campanulta, C'est le nom d'un genre fort nombreux auquel appartient entre autres la belle plante connue sous le nom de pyramidale. Si l'on coupe une racine de campanule par tranches de l'épaisseur de trois ou quatre lignes, chacune de ses rouelles mise séparément en terre produit une plante de la même espèce.]
ICÉLIE.
Je crois qu'il y a ici un peu d'usurpation. De quel droit cette plante que tu annonces d'un air si triomphant, vient-elle se glisser dans cet herbier ? Qu'a-t-elle de curieux ou d'amusant ?
LOUIS.
Elle est jolie, et voilà tout ; c'est un petit mérite lorsqu'il est tout seul.
LÉONILLE.
Eh bien, vous vous trompez tous deux ; j'ai trouvé un moyen de la rendre fort amusante.
LOUIS.
Comment cela ?
LÉONILLE.
J'en fais de petits vases ravissants. D'abord j'arrache la fleur de la tige : tu vois que cette cloche est plus grande que la moitié de mon doigt ; je fais à cette cloche, avec du papier doré, un petit pied, ensuite je colle adroitement tout autour dans le milieu une petite bande du même papier, et puis je coupe en dedans le pistil, je verse de l'eau dans la cloche, et enfin je mets dans cette cloche pleine d'eau les plus petites fleurs des champs, le mouron rouge et le blanc, l'herbe aux perles ; l'eau entretient la fraîcheur de la cloche et celle des fleurs qui sont dedans, et mon petit vase peut rester ainsi bien vivant sur son pied douze ou quinze jours.
ICÉLIE.
L'invention est fort jolie.
LOUIS.
On peut faire la même chose plus en grand avec des grosses tulipes et des lys.
ICÉLIE.
Non, car ces fleurs ne sont pas en cloches, l'eau n'y tiendrait pas. Néanmoins on peut trouver un moyen pour suppléer a l'eau, et l'on aurait de cette manière de charmantes bordures de tablettes et de cheminée ; mais la nature a fait mieux encore que les petits vases de campanules. Il existe a Madagascar une plante fort singulière : sa feuille qui imite par l'extrémité la forme d'un vase garni de son couvercle, contient beaucoup d'eau. [ 7 Ce moyen serait d'introduire, au lieu d'eau, dans la corolle du lys, avant son épanouissement, un morceau de concombre dans lequel on aurait planté les queues des petites fleurs. Ceci sera expliqué dans le dialogue suivant.]
LÉONILLE.
Comment s'appelle cette plante ?
ICÉLIE.
On la nomme anramatique. La feuille du sarracena du Canada en contient aussi. Avez-vous encore des plantes ? [ 8 Notre chardon à foulon ou chardon bonnetier contient aussi de l'eau; les feuilles opposées et réunies autour de la tige y forment une coupe qui contient depuis un verre jusqu'à une demi-pinte d'eau. Mais de toutes les plantes, celle qui paraît la plus singulière à cet égard, c'est le nepenthes distillatoria. Il faut en voir la description dans les excellentes notes de la traduction du poëme de Darwin (les amours des plantes}, par Monsieur Deleuze.]
LOUIS.
Encore une, c'est le bagnaudier. [ 9 Le bagnaudier ou faux-sénéi en latin, collltea.]
ICÉLIE.
Oh ! Le jeu de celui-là est connu, et j'avoue qu'il y a un grand plaisir à faire claquer les gousses. Il existe un autre arbre en Amérique qui est bien plus curieux ; son fruit, dans l'état de maturité, est élastique ; desséché par l'ardeur du soleil, il se gerce, se fend avec éclat, et lance au loin ses grains.
LOUIS.
C'est superbe.
LÉONILLE.
C'est très effrayant.
ICÉLIE.
Aussi appelle-t-on cet arbre, à cause de ce jeu de la nature qui se fait avec le bruit d'une petite artillerie, l'arbre du diable.
LOUIS.
C'est injuste, des graines ne peuvent pas tuer.
LÉONILLE.
Oui, mais elles me feraient bien peur.
LOUIS.
Parce que tu as la timidité d'une femme.
ICÉLIE, à Léonille.
Où as-tu mis ton vase de campanule ?
LÉONILLE.
Dans ma chambre, venez le voir.
LOUIS.
Nous te suivons.
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 606
Notes
[1] Persil : En latin pelroselinum.
[2] Ciguë : en latin cicuta.
[3] (c) Cerfeuille, en latin coerefolium ou choerophyllum. Le cerfeuil est très-bon dans le scorbut et dans l'hydropisie. Cette plante, qui est apéritive et rafraîchissante, purifie le sang et convient dans les maladies de la peau; ses feuilles, qui sont semblables à celles de la cigüe et du persil, sont plus petites, d'un rouge clair, attachées à des queues velues. Ses fleurs sont composées de cinq pétales blancs inégaux, disposés en parasol; ce qui donne à ces plantes le nom d ombellifères. Les feuilles de la cigüe ont une odeur de persil ; ses fleurs sont rouges et disposées aussi en parasol. Le meilleur antidote de la ciguë est le vinaigre ou le jus de citron avec de l'oximèle tiède, en quantité suffisante pour faciliter le vomissement.
[4] Pied d'alouette : en latin, delphinium. Cette plante est, dit-on, astringente et vulnéraire ; mais elle n'est guère d'usage.
[5] Laurier : en latin laurus. Il y a un grand nombre d'espèces de laurier ; tous ceux qu'on emploie dans les cuisines sont dangereux, surtout celui qui a un goût d'amande ; pris à petites doses il est très malsain, et à fortes doses il est un violent poison; il cause la paralysie, les convulsions et enfin la mort. Le fameux dit. Hamel a fait sur le laurier beaucoup d'expériences qui ont constaté qu'une cuillerée du suc suffit pour tuer un gros chien.
[6] Campanule : ou gantelée, ou gant de Notre-Dame, en latin, campanulta, C'est le nom d'un genre fort nombreux auquel appartient entre autres la belle plante connue sous le nom de pyramidale. Si l'on coupe une racine de campanule par tranches de l'épaisseur de trois ou quatre lignes, chacune de ses rouelles mise séparément en terre produit une plante de la même espèce.
[7] Ce moyen serait d'introduire, au lieu d'eau, dans la corolle du lys, avant son épanouissement, un morceau de concombre dans lequel on aurait planté les queues des petites fleurs. Ceci sera expliqué dans le dialogue suivant.
[8] Notre chardon à foulon ou chardon bonnetier contient aussi de l'eau; les feuilles opposées et réunies autour de la tige y forment une coupe qui contient depuis un verre jusqu'à une demi-pinte d'eau. Mais de toutes les plantes, celle qui paraît la plus singulière à cet égard, c'est le nepenthes distillatoria. Il faut en voir la description dans les excellentes notes de la traduction du poëme de Darwin (les amours des plantes}, par Monsieur Deleuze.
[9] Le bagnaudier ou faux-sénéi en latin, collltea.