CINQUIÈME DIALOGUE

DES JEUX CHAMPÊTRES DES ENFANTS

1829

À PARIS, A. MARC, Libraire, Auteur et éditeur du Dictionnaire des romans, Rue Rameau N°11. Quartier du Palais Royal.


Texte établi par Paul Fièvre, décembre 2018.

Publié par Paul FIEVRE, décembre 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/12/2022 à 22:12:40.


PERSONNAGES

ICÉLIE, agée de 18 ans.

LÉONILLE, agée de 12 ans, soeur d'Icélie.

LOUIS, frère d'Icélie et de Léonille.

La scène est dans une terre du Languedoc.

Extrait de LES JEUX CHAMPÊTRES DES ENFANTS et l'île Par Madame la Comtesse de Genlis, orné de huit gravures. TROISIÈME ÉDITION, 1829. pp. 48-61


CINQUIÈME DIALOGUE.

ÉTÉ.

LOUIS.

Ah ! Ma chère Icélie, nous t'apportons toutes les richesses de l'année, des cerises, des fraises, des groseilles et des framboises.   [ 1 Cerisier, en latin, cerasus. Il y a une espèce de cerisier à fleur double et qui par conséquent ne donne point de fruit. C'est avec les merises, espèce de cerises, que l'on fait la liqueur appelée en Allemagne kirsch-Nasser. M. Haller, célèbre médecin, dit que cette eau est très dangereuse, et qu'on a toujours remarqué qu'elle abrège la vie de ceux qui en boivent d'habitude. [NdA]]

ICÉLIE.

Connais-tu la singulière propriété des feuilles de framboises ?

LOUIS.

Non.

ICÉLIE.

Tu vois qu'elles sont d'un vert foncé en-dessus et d'un vert très pâle en-dessous ; en botanique ce vert blanchâtre s'appelle glauque.

LOUIS.

Après.

ICÉLIE.

Eh bien, ce vert glauque ne prend jamais l'eau ; en trempant cette feuille de framboise dans un verre d'eau, le côté vert glauque ne sera pas mouillé.

LOUIS.

J'essaierai cela tout à l'heure.

ICÉLIE.

Cela est certain, jamais le vert glauque ne se mouille; mais travaillons à notre herbier, on ne peut pas dessécher tout à la fois. Donne-moi les feuilles par ordre.

LOUIS.

Avant tout, la cerise ; c'est la reine des fruits rouges... Ah ! J'oubliais que j'ai encore cueilli une branche d'épine-vinette et dont le fruit commence à se faner.   [ 2 Epine-vinette, en latin, berberis. On prescrit avec succès, dans les fièvres inflammatoires, bilieuses et putrides, une espèce de boisson faite avec l'épine-vinette. Les Égyptiens l'emploient dans les fièvres pestilentielles. |NdA]]

ICÉLIE.

J'espère que tu l'as cueillie avec précaution.

LOUIS.

Oh ! Oui, je sais que les piqûres de ces épines sont dangereuses et difficiles à guérir.

ICÉLIE.

C'est pourquoi les haies que l'on fait avec cet arbrisseau sont redoutables par leurs piquants. Sais-tu que les fleurs présentent un phénomène très curieux ?

LOUIS.

Non.

ICÉLIE.

Les étamines de ces fleurs...

LOUIS.

N'appelles-tu pas étamines les petits filets qui sont dans le coeur de la fleur ?

ICÉLIE.

Justement.

LÉONILLE.

Et le grand filet qui est au milieu se nomme pistil.

LOUIS.

Ce pistil est terminé par une jolie petite boule.

ICÉLIE.

Et c'est cette boule qui devient le fruit.

LOUIS.

C'est drôle ; mais explique-nous donc ce phénomène très curieux.

ICÉLIE.

Les étamines sont tellement irritables qu'au plus léger attouchement elles se contractent et se portent rapidement sur le pistil où elles demeurent fixées pendant un certain temps.

LÉONILLE.

C'est a peu près comme les feuilles de la sensitive.

LOUIS.

Revenons aux cerises. Devine d'abord comment j'ai pu faire entrer ces deux cerises dans la fente de cette carte ?

ICÉLIE.

Je ne le devinerai pas.

LOUIS.

Je vais donc te l'apprendre ; je suis tout fier de pouvoir t'enseigner quelque chose.

ICÉLIE.

Et moi je suis charmée de t'avoir cette obligation ; car, même dans les choses de peu d'importance, on doit toujours de la reconnaissance à ceux qui nous instruisent.

LOUIS.

Ma bonne soeur, combien donc nous devons être reconnaissants !... Vois-tu comme je retire cette cerise, et comme je la remets ?

ICÉLIE.

Cela est très ingénieux !   [ 3 La gravure ne pourrait donner l'idée de ce petit jeu. [NdA]]

LOUIS.

Que ne fait-on pas avec des cerises ! Premièrement on nous en laisse manger à discrétion.

LÉONILLE.

Et puis on en fait des confitures.

LOUIS.

Et puis on grimpe sur les arbres pour les cueillir.

LÉONILLE.

On fait avec les queues de jolis lacs d'amour.   [ 4 Lacs : lacets.]

LOUIS.

Et les noyaux qui brûlent si joliment, qui font un petit feu si doux.

ICÉLIE.

On les amasse en Espagne pour cet usage ; on en remplit de grandes bassines d'argent, on les enflamme avec un peu de braise ; c'est là le seul chauffage dont on se serve dans ce beau pays chaud.

LÉONILLE.

On fait aussi de ces mêmes noyaux, ainsi qu'avec les noyaux d'abricots, de si jolis petits paniers !...

LOUIS.

J'en sais faire aussi de charmants anneaux, en usant sur une pierre un côté et puis l'autre. On réunit ces anneaux par des anneaux de crins, ce qui forme une très jolie chaîne. Quant aux groseilles, aux framboises et aux fraises, nous ne les avons apportées que parce que nous aimons à les cueillir et à les manger.   [ 6 M. Frézier, en revenant de son voyage de la mer du sud, a le premier fait connaître en Europe le fraisier du Chili, qui diffère de toutes les espèces - européennes par la largeur, l'épaisseur et le velu de ses feuilles ; son fruit de couleur rouge pâle est communément de la grosseur d'une noix, et quelquefois gros comme un oeuf de poule, mais sa saveur ne vaut pas celle de nos fraises. On a aussi obtenu en Flandre, par la culture, des cerises aussi grosses que des pommes d'api. On a reconnu dans la plante appelée garance ( en latin rubia ), une propriété qui a quelques rapports avec celle des racines de fraisier et d'oseille ; cette propriété est de teindre en rouge les os des animaux qui en ont été nourris quelque temps ; trois jours suffisent pour un pigeon; la moelle de ces os teints, et toutes les autres parties molles de l'animal conservent leur couleur naturelle. Si on cesse de donner en nourriture les particules de garance, les os perdront peu à peu leur teinture. On a fait de vains efforts, dit M. Haller,pour teindre de cette manière les os en bleu , en jaune et en vert. [NdA]]

LÉONILLE.

Maman m'a appris à imiter parfaitement les fraises ananas avec des lisières d'écarlate.

ICÉLIE.

Voilà toutes nos fleurs et nos feuilles arrangées, notre séance est finie.

Fin du cinquième Dialogue.

 



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Notes

[1] Cerisier, en latin, cerasus. Il y a une espèce de cerisier à fleur double et qui par conséquent ne donne point de fruit. C'est avec les merises, espèce de cerises, que l'on fait la liqueur appelée en Allemagne kirsch-Nasser. M. Haller, célèbre médecin, dit que cette eau est très dangereuse, et qu'on a toujours remarqué qu'elle abrège la vie de ceux qui en boivent d'habitude. [NdA]

[2] Epine-vinette, en latin, berberis. On prescrit avec succès, dans les fièvres inflammatoires, bilieuses et putrides, une espèce de boisson faite avec l'épine-vinette. Les Égyptiens l'emploient dans les fièvres pestilentielles. |NdA]

[3] La gravure ne pourrait donner l'idée de ce petit jeu. [NdA]

[4] Lacs : lacets.

[5] Les racines du fraisier, en latin fragaria, sont mises au nombre des remèdes diurétiques (qui font uriner), apéritifs (qui facilitent le cours des humeurs), et vulnéraires ( bons pour les contre-coups et pour dissoudre le sang coagulé ). On a remarqué que si l'on boit souvent de la décoction de racine de fraisier et d'oseille, les excréments se colorent en rouge, de sorte que l'on croirait d'abord que le malade est attaqué d'un flux, provenant d'un mal au foie. On ne peut trop recommander le soin de laver les fraises avant d'en manger, parce que les crapauds et les serpents, qui en aiment l'odeur, reposent souvent sous les fraisiers, et jettent leur bave sur leurs fruits.

[6] M. Frézier, en revenant de son voyage de la mer du sud, a le premier fait connaître en Europe le fraisier du Chili, qui diffère de toutes les espèces - européennes par la largeur, l'épaisseur et le velu de ses feuilles ; son fruit de couleur rouge pâle est communément de la grosseur d'une noix, et quelquefois gros comme un oeuf de poule, mais sa saveur ne vaut pas celle de nos fraises. On a aussi obtenu en Flandre, par la culture, des cerises aussi grosses que des pommes d'api. On a reconnu dans la plante appelée garance ( en latin rubia ), une propriété qui a quelques rapports avec celle des racines de fraisier et d'oseille ; cette propriété est de teindre en rouge les os des animaux qui en ont été nourris quelque temps ; trois jours suffisent pour un pigeon; la moelle de ces os teints, et toutes les autres parties molles de l'animal conservent leur couleur naturelle. Si on cesse de donner en nourriture les particules de garance, les os perdront peu à peu leur teinture. On a fait de vains efforts, dit M. Haller,pour teindre de cette manière les os en bleu , en jaune et en vert. [NdA]

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