ou LE JEU DE L'OIE
DRAME EN UN ACTE.
PREMIER PROVERBE.
M. DCC. LXXXV.
Par MONSIEUR G***.
À LIÈGE, Chez F.J. DESOER, Imprimeur-Libraire, sur le Pontd'Isle, à la Croix d'Or.
Publié par Paul FIEVRE février 2018
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:19.
PERSONNAGES
MADAME MONVAL.
LE PÈRE THOMAS, vieillard, père de Madame Monval.
LUCETTE, Enfant de Madame Monval, âgée de six ans.
LE PETIT MONVAL, Enfant de Madame Monval, âgée de huit ans.
COLETTE, gouvernante d'enfant de Madame Monval
ALISON, gouvernante d'enfant de Madame Monval
BOURGUIGNON, Laquais du voisinage.
La Scène est chez Madame Monval.
Le texte est issu de "Nouveaux proverbes dramatiques ou recueil de comédies de société pour servir de suite aux Théâtres de Société et d'Éducation" par Monsieur G[arnier], 1785. pp. 1-16.
LE BON PAPA
Le Théâtre représente un salon à manger. L'action se passe sur les sept heures du soir.
SCÈNE PREMIÈRE.
Collette, Lucette, Le petit Monval, Bourguignon.
Les enfants font au fond du Théâtre au tour d'une petite table et achèvent leur souper ; Colette est debout auprès d'eux.
BOURGUIGNON entre doucement sur la pointe du pied, et surprend Colette.
Bonsoir, Collette.
COLLETTE.
Comment, c'est toi ? Mais voyez cet étourdi ; si Madame allait paraître.
BOURGUIGNON.
Est-ce qu'elle n'est pas partie ?
COLLETTE.
Eh mais, vraiment, non. Elle s'y dispose pourtant, car elle est à sa toilette.
BOURGUIGNON.
Crois-tu qu'elle y soit longtemps ?
COLLETTE.
Oh ! Ce n'est pas un petit ouvrage que la toilette de Madame Monval ; cependant je crois qu'elle va sortir à l'instant. Va-t-en, qu'elle ne te rencontre pas ici, car tout serait perdu.
BOURGUIGNON.
Je venais te dire que l'on t'attend. Tout notre monde est arrivé.
COLLETTE.
Que veux-tu ? Je ne peux pas y aller qu'elle ne soit partie.
BOURGUIGNON.
Peste soit de ta maîtresse et de sa toilette. Sa bonne femme de mère n'y faisait pas tant de façons.
COLLETTE.
Oh mon Dieu ! Ne m'en parle donc pas. La pauvre femme ! Dieu veuille avoir son âme ; mais elle nous pesait sérieusement sur les épaules.
BOURGUIGNON.
Elle était donc un peu difficile ?
COLLETTE.
Bon ; n'aurait-elle pas voulu nous faire mener la vie qu'elle menait dans son village.
BOURGUIGNON, riant.
Ah, ah, ah, ah. Et cela n'était guère dégoût de Madame Monval, n'est-ce pas ?
COLLETTE.
Je t'en réponds.
Le poussant dehors.
Va-t-en donc, je crains qu'on ne nous surprenne.
BOURGUIGNON, revenant.
Et le bon papa Thomas ; qu'en faites- vous ?
COLLETTE.
Mais, nous ne serions pas fâchés qu'il lui prit envie de suivre sa chère épouse.
BOURGUIGNON.
Il est pourtant assez bon diable.
COLLETTE.
Oui, mais ce qu'il vous a des manières si gothiques, un air si villageois.
BOURGUIGNON.
Il est vrai qu'il est bonhomme dans toute la signification du terme.
Les enfants pendant ce temps causent et rient en regardant Colette et Bourguignon.
COLETTE, jetant sur eux un regard courroucé.
Est-ce fini ?
LE PETIT MONVAL.
Oui, ma bonne.
COLLETTE.
Allons, qu'on se lève, et qu'on dise ses grâces.
LE PETIT MONVAL.
Oui, ma bonne.
Il se lève ainsi que sa soeur.
BOURGUIGNON.
Tu sais donc ici la mère de famille.
COLLETTE.
Il le faut bien.
BOURGUIGNON.
Tu ne serais pas la première qui aurait joué ce rôle avant que d'être mariée.
COLLETTE.
Le sou !
On entend au bruit.
Sauve-toi vite, j'entends ma maîtresse.
BOURGUIGNON, en sortant.
Je t'attends au moins.
COLETTE.
Oui, oui.
SCÈNE II.
Les précédents, le Père Thomas.
COLETTE, à part.
C'est le père Thomas. La peste soit de l'homme.
Elle s'occupe pendant cette scène à débarrasser la table.
LUCETTE et LE PETIT MONVAL, sautent au cou au père Thomas.
Bonjour, mon bon papa Thomas.
LE PÈRE THOMAS.
Bonsoir, mes enfants, bonsoir.
Il s'assied et les prend l'un après l'autre sur ses genoux.
Eh bien, comment va la joie, nous amusons-nous bien ? Montre-moi donc ta poupée, Lucette, il y a longtemps que je ne l'ai vue.
LUCETTE, baisse les yeux d'un air triste.
Je ne l'ai plus, mon bon papa.
LE PÈRE THOMAS.
Tu ne l'as plus, ma bonne amie, et qui est-ce qui te l'a prise ?
Lucette fait des signes en montrant Colette.
On vous fait donc toujours des chagrins, mes pauvres enfants.
À Lucette.
Laisse faire, va, demain je t'en achèterai une autre.
LUCETTE, l'embrassant.
Grand merci, mon bon papa.
LE PETIT MONVAL.
Et moi, mon bon papa, on m'a fait aussi du chagrin. Oui.
LE PÈRE THOMAS.
Comment donc mon cher enfant ?
LE PETIT MONVAL, montrant aussi Colette.
On a jeté dans le puits ma toupie et mon arbalète.
LE PÈRE THOMAS.
Oh ! cela est bien méchant.
COLETTE, quittant brusquement son ouvrage.
Allons, il y a longtemps que vous avez soupé, il faut se coucher ; partons.
LE PÈRE THOMAS.
Laissez-les moi ce soir, Mademoiselle Colette ; je n'ai de plaisir qu'avec ces chers enfants.
COLETTE, d'un ton d'humeur.
Oui, pour les gâter : non, Monsieur, je ne peux pas ; ma maîtresse m'a recommandé expressément de les envoyer coucher aussitôt après leur souper.
LE PÈRE THOMAS.
Dites-lui que je vous ai priée de me les laisser.
COLLETTE.
Dieu m'en garde. J'y serais bien reçue.
SCÈNE III.
Madame Monval, les précédent.
MADAME MONVAL, entre sans regarder personne, elle est extrêmement parée.
Mademoiselle Colette !
COLLETTE.
Madame ?
MADAME MONVAL.
Mon mantelet.
COLLETTE.
Le voilà, Madame.
MADAME MONVAL.
Je vous avais dit de me débarrasser de ces enfants.
COLLETTE.
Madame ; c'est monsieur Thomas qui veut les retenir.
LE PÈRE THOMAS.
Je serais charmé qu'on me les laissât pour ce soir.
MADAME MONVAL.
Cela ne se peut pas, mon père. Vous ne seriez pas mal vous-même d'aller vous coucher. À votre âge, on a besoin de repos ; d'ailleurs , il viendra peut-être ici du monde, et vous n'êtes pas en état de paraître. Mademoiselle Colette, conduisez mon père dans sa chambre.
LE PÈRE THOMAS.
Mais...
MADAME MONVAL.
Mademoiselle Colette, entendez- vous ce que je vous dis ?
COLLETTE.
Oui, madame.
Au père Thomas en le prenant par le bras.
Allons, Monsieur.
LE PÈRE THOMAS.
J'irai bien seul.
Il sort, ainsi que Madame Monval, mais du côté opposé.
SCÈNE IV.
Colette, Lucette, Le petit Monval.
COLETTE.
Lucette, vous êtes la plus âgée, vous devez être la plus raisonnable ; ayez soin d'aller vous coucher tout de suite ainsi que votre frère.
LUCETTE.
Oui, ma bonne.
COLLETTE.
Que je ne vous voie plus jouer comme vous faites avec votre bon papa ; il vous gâte, et puis c'est tout.
LUCETTE.
Oui, ma bonne.
Colette sort.
SCÈNE V.
Lucette, le petit Monval.
LUCETTE.
Allons, Monval ; il faut aller nous coucher.
LE PETIT MONVAL.
Bon ; aller nous coucher. Et qu'est-ce que nous serons dans nos lits jusqu'à demain neuf heures.
LUCETTE.
Dame, que veux-tu ? Si maman revenait, et si elle nous trouvait debout, nous serions fouettés jusqu'au sang.
LE PETIT MONVAL.
Oh ! Nous pouvons rester encore quelque temps ; elle ne reviendra pas de sitôt.
LUCETTE.
Eh bien ! Qu'est-ce que nous ferons ?
LE PETIT MONVAL.
Si mon bon papa était ici, nous nous amuserions bien ; il sait tout plein de petits jeux. Va voir s'il dort, Lucette.
LUCETTE.
Vas-y, toi.
LE PETIT MONVAL, allant doucement jus qu'à la porte.
J'entends du bruit.
Avec joie.
Ah ! C'est mon bon papa.
SCÈNE VI.
Les précédents, le Père Thomas.
LE PÈRE THOMAS.
Eh bien, mes enfants, vous n'avez donc pas envie de dormir ?
LE PETIT MONVAL.
Ma si, non, mon bon papa.
LE PÈRE THOMAS.
Où est donc Mademoiselle Colette ; est-ce qu'elle est sortie ?
LUCETTE, d'un petit air mystérieux.
Chut, elle est allée avec son galant.
LE PÈRE THOMAS.
Comment, petite commère, est-ce que tu sais ce que c'est qu'un galant ?
LUCETTE.
Ah qu'oui. On croit que je ne suis qu'un enfant ; on dit devant moi bien des choses qu'on s'imagine que je n'entends pas, mais que j'entends bien, allez. Tenez, à propos de Mademoiselle Colette, maman la regarde comme une dévote, une sainte ; mais si elle savqit tout ce que lui dit le grand laquais de Monsieur le Président, et ce qu'elle y répond, elle la mettrait bien vite à la porte.
LE PÈRE THOMAS.
La petite peste ! Vous voulez jouer, mes pauvres enfants, n'est-ce pas ? Je vois cela d'ici. Allons, je suis des vôtres, je m'en vais mettre au jeu pour tous ; mais je vous avertis que je ne prétends rien au gain.
LE PETIT MONVAL, embrassant le père Thomas.
Vous êtes bien bon, mon bon papa, je vous aime de tout mon coeur.
LUCETTE.
Et moi aussi, je vous assure.
LE PÈRE THOMAS, les embrassant tous deux.
C'est bien, mes enfants, je vous proteste que je vous aime bien aussi. C'est à l'Oie que nous allons jouer ; ce jeu-là est innocent ; plut à Dieu que vous n'en connussiez jamais d'autres !
LUCETTE.
Oh ! Mon bon papa, tout ce qui vous sait plaisir, nous en fait aussi à nous.
Elle étend le jeu d'Oie sur la table : ils se placent tous autour.
LE PÈRE THOMAS.
Tu m'aimes donc bien, Lucette ? - Allons, vos marques.
LUCETTE.
Si je vous aime, mon bon papa ! Oh ! Tant, tant... Cela ne se peut pas dire. - Moi, je prends mon dé.
LE PETIT MONVAL, d'un air chagrin.
Et moi donc, mon bon papa, dame, c'est que je vous aime autant que ma soeur, oui.
LE PÈRE THOMAS, attendri.
Les charmants enfants ! Ah ! Pères, mères qui ne vous trouvez bien que loin de votre famille, vous ne connaissez pas les vrais plaisirs ! Conservez toujours ces sentiments-là, mes enfants, aimez bien vos père et mère.
Pendant ce temps le jeu continue.
LE PETIT MONVAL.
Pour maman, je l'aime bien aussi ; mais c'est d'une autre espèce d'amitié. - Huit.
LUCETTE.
Te voilà au puits. Reste tranquille à cette heure.
LE PETIT MONVAL.
Tant mieux. Je causerai plus à mon aise.
LE PÈRE THOMAS.
Et quelle est donc cette espèce d'amitié que tu as pour ta maman Monval ?
LE PETIT MONVAL.
Dame, tenez, je ne peux pas dire cela, moi ; j'aime maman, parce qu'il faut l'aimer ; quand je la vois fâchée, je le suis aussi ; parce qu'elle me gronde et me bat plus fort qu'à l'ordinaire.
LUCETTE.
Mon bon papa, c'est à vous à jouer.
LE PÈRE THOMAS.
Cela est vrai ; c'est que j'écoute avec plaisir ton frère.
SCÈNE VII.
Madame Monval, Alison, les précédents.
MADAME MONVAL.
Je n'ai pas mal fait de revenir sur mes pas. Pourquoi n'êtes-vous donc pas couchée, Mademoiselle, ainsi que votre frère ?
LUCETTE.
Maman, nous attendions Mademoiselle Collette.
MADAME MONVAL.
Mademoiselle Colette est un mauvais sujet qui ne remettra jamais les pieds dans ma maison.
Montrant Alison.
Voici celle qui la remplace.
À Alison.
Vous entendez pourquoi je chasse Colette, faites-en votre profit.
ALISON.
Madame n'aura pas à se plaindre de moi.
MADAME MONVAL.
Tant mieux. Conduisez ces enfants dans leur chambre et ne les quittez point qu'ils ne soient au lit.
ALISON.
Cela suffit, Madame.
Elle sort avec les deux enfants.
SCÈNE VIII et dernière.
Madame Monval, Le Père Thomas
MADAME MONVAL.
Mon père, je vous ai dit que j'attendais ce soir du monde, en conséquence je vous avais prié d'aller vous coucher.
LE PÈRE THOMAS.
Vous attendez du monde ; puis-je vous faire déshonneur ?
MADAME MONVAL.
Vous prenez la chose de travers, mais cela est pardonnable à un homme de votre âge. On pourrait vous dire, sans que vous dussiez vous en fâcher, que vous n'êtes pas en état de paraître devant un certain monde, cependant on ne le fait point ; on ne s'occupe que de votre santé ?
LE PÈRE THOMAS.
Ma fille, vos façons d'agir sont bien indignes ! Dieu vous en punira. L'éloignement que vous avez pour vos enfants, et celui qu'ils ne manqueront pas d'avoir pour vous, vous préparent un jour bien des peines. Dieu veuille qu'elles ne soient pas plus grandes que les miennes. Ah, ma fille ! Au village, tu pensais bien autrement.
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