MONOLOGUE EN VERS
dit pour la première fois au Cercle des Castagnettes le 2 avril 1880 par Mademoiselle O. D'ANDOR.
1880.
PAR G. FEYDEAU
PARIS, PAUL OLLENDORF, ÉDITEUR, 28 bis, Rue de Richelieu 28 bis.
Publié par Paul FIEVRE, octobre 2019.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:00:35.
PERSONNAGES
UNE JUENE FEMME.
LA PETITE RÉVOLTÉE
UNE JEUNE FEMME.
Ah ! C'est trop fort ! Je suis en rage !
Me traiter de cette façon !
Vous figurez-vous qu'à mon âge,
Maman me chasse du salon !
5 | Oui, c'est le mot ! Maman me chasse |
Sans crainte de m'humilier.
Mais à la fin, cela m'agace,
Et je suis lasse de plier !
Je suis une bonne nature,
10 | Je patiente, mais... tout doux ! |
Il ne faut pas que cela dure
Ou je me fâche, voyez-vous !
Enfin, à vous tous j'en appelle !
N'ai-je pas raison franchement ?
15 | Me voici grande demoiselle : |
Pourquoi me traiter en enfant ?
Ce qu'on m'a fait, c'est une honte,
C'est une atteinte à mon honneur !
Je sens le rouge qui me monte.
20 | Mais l'on verra si j'ai du coeur !... |
Tantôt à la porte l'on sonne,
? J'étais avec mère au salon -
Et soudain, voilà que la bonne
Annonce : « Monsieur Montalon ! »
25 | « Monsieur Montalon ! Fait ma mère, |
Vite, fillette, viens t'asseoir,
Et tiens-toi bien, car c'est le père
Du jeune homme de l'autre soir ! »
« Et tiens-toi bien, car c'est le père
30 | Du jeune homme de l'autre soir ! » |
Pourquoi me dit-elle ça, mère ?
Quel rapport ça peut-il avoir ?
Enfin Monsieur Montalon entre...
Si vous saviez comme il est fait !
35 | Vieux, chauve, petit, un gros ventre ! |
Non, je n'ai rien vu de si laid !
Et pourtant, le fils, ce me semble,
Du père est le portrait frappant !
C'est drôle que l'on se ressemble,
40 | Et que l'on soit si différent ! |
Car le fils, ne vous en déplaise,
Est vraiment un joli garçon
Mais je m'étonne qu'il me plaise,
Quand je vois Monsieur Montalon.
45 | Bref, quand Maman, selon l'usage, |
Eut fait la présentation,
Je le vois qui me dévisage,
Avec grande obstination !
Je me sentais embarrassée,
50 | Et cela se comprend vraiment ! |
Se voir ainsi dévisagée,
Je vous assure, c'est gênant !
Lorsqu'il m'eut bien considérée,
Le vieux réfléchit un instant
55 | Puis, d'une voix très altérée, |
Dit en s'adressant à maman :
« Ah ! mademoiselle est charmante,
Madame, et j'ai certain projet
Dont vous serez ma confidente...
60 | Je veux vous parler en secret ! » |
... Et maman m'a mise à la porte,
Sans égard pour ma dignité ;
Il a bien fallu que je sorte,
Mais vrai, c'est une atrocité !
65 | Il faut toujours qu'on m'humilie ! |
« Maman ne me manque jamais !
Hier, pour voir une comédie,
Elle me conduit aux Français. »
Eh bien ! Au plus joli passage
70 | De cette pièce, elle eut le front |
De me faire partir, ô rage !
Tout ça, pour me faire un affront !
Enfin toujours elle tourmente,
On a beau faire ce qu'on peut,
75 | Jamais on ne la voit contente, |
Elle ne sait ce qu'elle veut !
Tenez, une preuve entre mille.
Vendredi soir sur le palier
Je parlais à M. Léville,
80 | Le locataire du premier ; |
Ce n'était pas un bien grand crime !
Un brin de causette en passant,
C'est une faute bien minime.
Mais quand elle apprit ça, maman,
85 | Ah ! sainte Vierge ! quelle vie ! |
Je ne l'oublierai de longtemps,
Disant que c'est une infamie
Que de parler aux jeunes gens !
Ne croyez pas qu'elle le pense !
90 | Son seul but en réalité, |
c'était de me faire une offense,
Une offense à ma dignité !
Et je vais le prouver bien vite !...
Trois jours après, à la maison
95 | Nous recevons une visite |
Du fils de monsieur Montalon !
Or, voyez si ce n'est pas bête,
Si cela se comprend vraiment.
Maman nous laisse en tête-à-tête,
100 | Là, tous les deux, bien gentiment. |
Nous ne savions trop que nous dire,
Et c'était même très gênant !
Enfin, il se mit à sourire,
Et je souris également.
105 | Dès lors la glace était brisée : |
Nous commençâmes à causer,
Et moi bien vite apprivoisée,
Pour trois je me mis à jaser.
Puis enfin, de fil en aiguille
110 | Il en vit à parler d'amour, |
Il me dit que j'étais gentille,
Et me fit quelque peu la cour !
Il se mit à genoux par terre,
Et m'embrassa bien longuement ;
115 | Quant à moi, je me laissais faire, |
Ne pouvant agir autrement.
Mais comme il était de la sorte
À m'embrasser bien tendrement,
Tout à coup, voilà qu'à la porte
120 | Je vois apparaître maman ! |
Je deviens rouge, embarrassée...
Mais, à mon grand étonnement,
Loin de paraître courroucée
Elle sourit en nous voyant !
125 | Or que veut dire ce sourire ? |
Que peut-on conclure de là ?
Si ce n'est pas se contredire,
Comment appellerez-vous ça ?
Ainsi donc, quand maman me gronde
130 | Ce n'est que pour me taquiner ! |
Et c'est toujours devant le monde,
Qu'elle cherche à m'humilier !
Que je voudrais qu'on me marie,
Pour pouvoir être libre enfin !
135 | Rester fille, Dieu ! quelle vie ! |
Quand donc en verrai-je la fin !
Au moins lorsque je serai dame,
Mon mari me traitera mieux !
Un bon époux, je le proclame,
140 | Est le plus grand bienfait des cieux ! |
...Non, mais que peuvent-ils bien faire ?
Ce vieux est des plus indiscrets
De tenir si longtemps ma mère
Pour lui raconter ses secrets.
145 | Que peut-il avoir à lui dire ? |
Cela m'intrigue franchement !
S'il voulait que je me retire,
C'est que c'était intéressant !
Si j'écoutais par la serrure ?...
150 | Quoi ! c'est un moyen excellent. |
Chez les femmes, je vous assure
Que tout le monde en fait autant
...Ah ! mon Dieu ! que viens-je d'entendre ?
« Cher monsieur, ma fille est à vous ! »
155 | Non... ce n'est pas... j'ai cru comprendre... |
Monsieur Montalon ! mon époux !
Quoi ! moi, je deviendrais la femme
De cette vieille antiquité !
Non, par exemple, je réclame,
160 | J'ai ma petite volonté. |
Donc, maintenant l'on me marie
Sans seulement me consulter ?
Ah ! c'est trop fort ! quelle infamie !
Je finis par me révolter.
165 | À quoi peut bien penser ma mère |
De me donner un tel mari !
Il est au moins... quinquagénaire !
Vraiment c'est un joli parti !
Enfin me voyez-vous : « Madame
170 | Montalon ! » Quel nom singulier ! |
Ce serait beau pour une femme !
C'est un vrai nom de cordonnier !
Oh ! tout n'ira pas de la sorte
Et je lutterai s'il le faut !
175 | Je ne crains rien, moi, je suis forte, |
Il faudra me prendre d'assaut !
« ... Je puis répondre de ma fille,
Car je sais qu'elle aime Gaston,
Et je suis aise, en ma famille
180 | De voir entrer un Montalon !... » |
Hein ! quoi !... ce n'était pas le père !
C'était donc moi qui me trompais !
Est-ce bien possible ! oh ! ma mère,
Comme je te calomniais !
185 | Oui, tu dis bien, Gaston, je l'aime, |
? Je puis l'avouer entre nous -
Pour lui mon amour est extrême
Et je le rêvais pour époux !
Enfin, je vais être sa femme !
190 | L'on m'appellera : « Montalon ! » |
Non, voyez-vous, ce que je blâme,
C'est qu'il ait un si vilain nom !
... Mais bah ! Les noms cela se change,
On n'a qu'à mettre un « de » devant.
195 | « Montalon » tout court, c'est étrange, |
Mais « de Montalon » c'est charmant !
Enfin je vais être Ladame,
Et je vais épouser Gaston !
Ma foi, je n'y tiens plus... et dame !
200 | Tant pis, je retourne au salon. |
Mesdames ! Avant que je sorte,
Un conseil dans l'intimité :
N'écoutez jamais à la porte,
Ce n'est pas un bon procédé !
205 | Ou bien alors, je vous propose |
De bien écouter... jusqu'au bout !
Car, à se tromper l'on s'expose,
Si l'on n'a pas entendu tout !
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 606