AGARITE

TRAGI-COMÉDIE

DÉDIÉE À MADAME la Duchesse de Nemours.

M. DC. XXXVI.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI..

Par le Sieur DURVAL.

Représenté par la première fois en 1640.


Texte établi à partir de l'Édition critique établie par Marine Jeannoutot dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)

Publié par Paul FIEVRE, décembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 26/10/2024 à 20:18:26.


À TRÈS HAUTE ET PUISSANTE PRINCESSE ANNE DE LORRAINE, Duchesse de Genevois, de Nemours et d'Aumale.

Madame,

Le témoignage, que rend le public des pièces de théâtre, n'étant bien souvent fondé que sur le bien faire des Acteurs, n'est pas une lettre de recommandation pour les faire passer à la Postérité. Celle-ci que j'ai l'honneur de présenter à Votre Grandeur ayant été aucunement bien reçue semblait ne devoir plus craindre l'injure du temps ni les coups de langue : mais l'approbation de quelques bons esprits durant l'espace de peu d'années n'est pas une marque suffisante pour faire trouver bonne la plus belle Poésie, si le travail de la presse ne fait les mêmes effets que l'artifice du théâtre ce que n'osant me promettre de ce genre de poème je différais toujours d'en faire mettre les vers en lumière, prévoyant assez qu'une lecture interrompue d'actes et de scènes ôterait la grâce qu'ils peuvent avoir en la bouche des acteurs. Toutefois puisqu'ils n'ont jamais été récités comme les voici j'ai pensé que mes fautes étant publiques je les devais réparer par cette édition. Que si d'aventure cette occupation d'esprit vous semble peu sérieuse, c'est encore un peu de jeunesse qui n'est pas incompatible avec l'âge viril et pour ainsi dire c'est la plus proche folie de la sagesse. Vous entendez bien, Madame, que je me veux excuser de savoir faire des vers en louant un art souvent incommode, et quelque fois ridicule en ceux qui l'exercent, mais jusqu'ici n'ayant point fait renchérir le papier a force d'écrire, je pense n'avoir employé en ce gracieux travail que certaines heures de recréation. Pourtant quand il s'agira de traiter a bon escient quelque haut sujet qui vous appartienne, encore que les Princes de votre Maison soient très illustres dans les Histoires et que le simple discours de votre Généalogie surpasse en magnificence le style des poètes et des Orateurs j'ose vous promettre des pièces de meilleure trempe et de plus longue haleine. Alors pour faire admirer à tout le monde les Ducs, et les Chevaliers d'Aumale je tracerai volontiers un plus grand dessein. Les noms de Nemours, et de Genevois me fourniront de hautes pensées et sans méditer rien de fabuleux, j'imaginerai peut-être de si nobles fictions qu'elles seront respectées pour l'amour de vous et me feront connaître.

Madame,

De votre Grandeur, très humble et très obéissant serviteur,

DURVAL.


AU LECTEUR.

Ne pense pas Lecteur, que je veuille mettre un long préambule au devant de cette pièce pour suspendre les opinions des maîtres sur le jugement qu'ils en pourront faire. Je ne suis point si amoureux de mes poèmes que je ne les supprime très volontiers, quand ils seront condamnés par des juges compétents. Cependant et jusqu'à tant que nos poètes et nos Orateurs soient érigés en titre d'office, je n'estime pas qu'ils se puissent attribuer une souveraine juridiction sur les matières de prose ou de vers. Et je crois qu'il me doit être permis comme à plusieurs autres d'en dire mon petit mot pour le temps que j'ai mis à lire les ?uvres de quelques-uns qui me semblent plus curieux de trouver de nouveaux accents en notre langue par la nouvelle orthographe que d'animer et polir leurs écrits par la force de leur génie et par les grâces de l'éloquence acquise. Je ne les veux point choquer plus rudement de peur que le contre coup ne me fasse mal, car je ne sens point en moi plus de vigueur qu'ils en peuvent avoir, et les défauts [que] je remarque en eux, je les ai peut-être sans que je les voie. C'est pourquoi je ne laisse point aller sans passe-port cette première tragi-comédie, que je te prie de ne pas prendre pour un modèle ajusté de tout point aux règles qui serviront un jour de préface à d'autres, si tu la reçois ainsi, je te puis assurer d'un volume de quatre pièces plus justes et plus nombreuses, chacune desquelles tenant sa partie te fera voir comme alors que je me suis diverti à cette belle science, j'ai séparément traité, la tragédie, La tragi-comédie, La Pastorale et la comédie, les unes dans la prétendue règle de vingt-quatre heures, comme poèmes simples et les autres hors de la même règle, comme poèmes composés. C'est tout ce que mon loisir m'a permis de contribuer à la scène française qui ne peut avoir que les quatre faces que je te montre. Je laisse aux autres à remplir les niches du théâtre de ses figures et décorations extérieures, et je me contente d'en avoir mis le plan à fleur de terre et dressé la base quadrangulaire sur laquelle tous les bons ouvriers peuvent jeter les fondements de l'oeuvre dramatique et le conduire à sa perfection.


À MONSIEUR DURVAL.

Sur la Tragi-Comédie d'Agarite.

En vain le Ciel prétend l'hommage,

De produire ici bas des Dieux ;

C'est un dessein injurieux

Que nous ravir cet avantage ;

Durval possède ce pouvoir,

Et dedans ses vers nous fait voir

La naissance d'une Carite ?

Le moins qu'il en doit espérer,

Est que sous le nom d'Agarite,

On se porte à le révérer.

Comme elle parut aux théâtres,

Et qu'elle y sema ses douceurs,

Les plus critiques des censeurs,

Y devinrent ses idolâtres ;

Elle vainquit ses envieux

Et l'on jugea bien que les Cieux,

Avoient infus dedans son père,

Les grâces, l'ardeur, les appas,

Qui rendirent Jupiter mère,

Lorsqu'il enfanta sa Pallas.

Agarite fournit des charmes,

Qui dérobent la liberté,

Son aventure et sa beauté,

Ont fait rire et jeter des larmes,

Sa bouche recèle un aimant,

Où le plus horrible tourment,

Sent étouffer toute sa rage ?

C'est un Oracle des Neuf soeurs,

Qu'il faut n'avoir point de courage,

Pour ne fléchir à ses douceurs./

Divine amorce à nos oreilles,

Dont notre esprit reste étonné,

Qui devrait être couronné,

Pour avoir fait tant de merveilles ?

Alors que ton sage guerrier

Parut couronné de Laurier,

Et le coeur rempli de délices,

Sortit des Enfers ténébreux,

On vit que les travaux d'Ulysses,

Pour toi seul n'étaient que des jeux.

Ce grand héros a le mérite,

Qui lui fait tout vaincre et charmer,

Mais l'honneur de se faire aimer,

Est réservé pour Agarite.

Ainsi tous deux ont leurs appas,

Et donnent tous deux le trépas,

A qui leur porte de l'envie,

Pres ce prodige de valeur,

Celui qui conserve sa vie,

La rend aux charmes de sa soeur./

Durval dans le sacré mystère,

Que Parnasse tient recelé

Où l'onde du cheval ailé,

Apprend à parler et se taire,

Rencontre des charmes si doux,

Que le Ciel en devient jaloux,

Contre le bonheur de la terre,

Et son dépit est si peu saint,

Que rien n'arrête son tonnerre,

Que les Lauriers dont il est ceint.

Esprit qui ne sens nuls obstacles,

A façonner les plus beaux vers,

Et des beautés de l'univers,

Fais les moindres de tes miracles,

Agarite qui sort au jour,

Suspend nos voeux, et notre amour,

Sur ses grâces et tes louanges ;

Mais dans ce doute, hasardeux,

Le Ciel m'enseigne par ses anges,

Qu'on vous doit admirer tous deux.

ALLARD.


ARGUMENT.

Agarite jeune Damoiselle, mais trop agréable aux yeux d'un Roi est sollicitée par Celidor, son favori. Medon pour éluder cette artificieuse poursuite, se vient plaindre à la Majesté du rapt qu'il suppose avoir été fait de sa fille. Cependant il la dépayse et l'envoie aux champs en une maison de plaisance. Elle n'y est pas sitôt que deux Gentilshommes en deviennent amoureux. Policaste gagne son coeur, et Lizene provoque sa haine. Celui-ci d'aussi bonne maison que son rival, et plus riche que lui : pour mieux réussir en sa recherche vient trouver le père, qui le reçoit comme il désire ; et envoie quérir sa fille pour les accorder. Corintie en l'absence de son frère est cajolée par Celidor, qui en devient amoureux en cherchant Agarite, mais comme elle ne peut l'entretenir longtemps, il retourne auprès du Roi rendre compte de sa Commission. Là il apprend par le commun bruit, et la bouche du Roi, le Mariage que Medon prétend faire, et sur le soupçon qu'ils ont que c'est pour réparer le rapt commis, ils délibèrent de se défaire du marié le soir de ses noces, et d'enlever la mariée. Mais Policaste, exécutant le premier un autre stratagème, dont il est demeuré d'accord avec Agarite, frustre le dessein du Roi une seconde fois. Le soir de ses noces venu, Agarite est ravie par son Amant, et conduite par eau dans une place forte. Lizene son époux est tué dans un ballet inventé exprès par Celidor et Medon n'est pas plus affligé de la perte de sa fille et du meurtre de son gendre que le Roi l'est de son entreprise mal exécutée. Enfin pour surcharge d'afflictions ce malheureux père est amené devant ce Prince irrité, qui l'accuse du meurtre de son Gendre, et lui impose la mort de sa fille, pour lui faire déclarer où elle est. Dans cette confusion turbulente d'événements tragiques, un pêcheur vient dire que sur le bord de la rivière il a trouvé des habits de femme à l'usage d'une Damoiselle. On s'y transporte. Medon les reconnaît pour ceux de sa fille, et le Roi présumant qu'Agarite s'est noyée par désespoir, en est si fort troublé, qu'il lui fait dresser un lit de parade, où tous les jours il vient faire ses regrets. D'autre côté Celidor ayant su que Lizene qu'il a tué était frère de Corintie son Amante, se résout de faire penitence d'un si grand crime, et pour s'en aller en pélerinage, il prend congé d'elle, mais celle-ci pour rompre son dessein, le suit bientôt déguisée en Cavalier. Tandis Policaste et Agarite demeurent dans leur château, d'où enfin ils sortent pour venir en Cour et trouver moyen en désabusant le Roi, d'accomplir leur mariage. Ils s'adressent à Phénice gouverneur d'Amelise, auquel ils conseillent de faire mettre cette jeune Princesse à la place de l'effigie d'Agarite que le Roi idolâtre, afin qu'il s'en puisse rendre amoureux, et qu'il soit plus facile de lui faire changer son amour imaginaire en une affection réglée et légitime. Ce qu'ils exécutent au contentement d'Amelise, qui est bien aise de faire l'idole pour devenir Reine, et s'étant pris garde que depuis une telle supposition le Roi n'est plus si furieux. Un jour entre autres qu'il se plaint dans sa chambre, Amelise se lève en sursaut de dessus le lit de parade. Incontinent Phénice paraît suivi de Policaste et d'Agarite deguisée en Page. Tous ensemble le rassurent, et Phénice lui ayant montré l'auteur de la feinte s'évertue encor par vives raisons de lui ôter Agarite de la mémoire, pour lui faire prendre un parti sortable à la dignité de sa personne. Finalement il se résout d'épouser Amelise. Alors Policaste découvre Agarite, et la reconnaît pour sa maîtresse. Le Roi, autant ravi de ce miracle, que la grande affection qui est entre eux, change l'amour qu'il a eu pour elle en bienveillance, et pour récompenser Policaste d'une feinte qui réussit à tant d'heureux effets, il lui accorde Agarite en mariage. Au même temps Celidor et Corintie étant retournez en Cour en habits déguisez, sont aussi reconnus et mariez ensemble.

Une considération m'empêche de nommer le Royaume et la Province où j'ai feint cette Histoire. Je dirai seulement contre l'opinion de ceux qui veulent que la scène soit en un seul lieu, qu'une partie des aventures de ce Ppoème se passe aux champs, et l'autre à la ville, s'ils ne veulent prendre pour un seul lieu toute une contrée.


LES PERSONNAGES.

LE ROI.

LE FLAMAND, Peintre et Marchand de Tableaux.

CELIDOR, Favori du Roi, Amant de Corintie.

AGARITE, amante de Policaste.

MEDON, père d'Agarite.

PHÉNICE, gouverneur d'Amelise.

AMELISE, jeune Princesse.

L'EXEMPT des gardes du Roi.

POLICASTE, Amant d'Agarite.

LIZENE, rival de Policaste.

CORINTIE, soeur de Lizene.

LE COCHER DE MEDON.

LES PÊCHEURS (I et II).


ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE.
Le Roi, Celidor.

LE ROI.

Que les Rois de mon âge ont de trouble en aimant !

Et qu'un Sceptre déplaît en la main d'un Amant !

L'éclat de ma Couronne est contraire à la flamme

Qu'un Soleil de beautés allume dans mon âme.

5   Et bien que ma fortune élève mon amour

Elle me fait haïr les pompes de ma Cour,

J'aime d'entretenir à des heures secrètes

Celui d'entre les Dieux qu'on adore à cachettes :

C'est ici qu'avec lui je confère souvent,

10   Il entend les raisons que je mets en avant :

Je lui dis mes secrets, il me prête l'oreille,

Et tout Roi que je suis un enfant me conseille.

Ce petit Dieu m'apprend que les plus innocents

Souffrent quand il lui plaît les peines que je sens.

15   Et lors que je me plains des tourments que j'endure

Il me dit que j'ai tort d'accuser la Nature

Qui soumet tout le monde à ses divines lois,

Et lui fait obéir les Princes et les Rois,

Ainsi contre l'Amour j'éprouve ma constance,

20   Et toutefois en vain je lui fais résistance,

Comment lui résister ? Il est armé de traits,

Et pour se faire aimer ma belle a tant d'attraits,

Que si je ne cédais à la force des armes,

Elle me gagnerait par l'effet de ses charmes.

25   Mais voici de retour celui qui tous les jours

A l'honneur de la voir.

CELIDOR.

Sire point de discours

On ne la peut gagner par des belles paroles,

Une chaîne de prix et du poids des pistoles

Pourrait à mon avis.

LE ROI.

Ha ! Ce trafic aussi

30   Me déplaît.

CELIDOR.

  Si fait-on toutes choses ainsi.

LE ROI.

L'or ne peut enrichir que les Nymphes du Tage,

Il faut qu'à celle-ci je donne davantage.

CELIDOR.

Ô Prince libéral que l'on dût adorer !

Que nous verrons longtemps votre règne durer !

LE ROI.

35   Si tu me fais jouir d'une beauté si rare,

Outre qu'en ton endroit je ne suis point avare,

Sache qu'en un instant je te puis élever

Jusques où tes souhaits ne sauraient arriver.

CELIDOR.

J'y fais tout mon pouvoir mais plus je continue

40   Et plus dans le discours je la vois retenue.

LE ROI.

Il n'en faut donc jamais espérer d'amitié ?

CELIDOR.

Jamais qu'elle ne soit votre chère moitié.

LE ROI.

Celidor tu sais bien que c'est chose impossible

Sollicite, poursuis et la rends plus sensible,

45   La jeunesse, l'amour et la simplicité

Gagneront son esprit étant sollicité.

CELIDOR.

Il est vrai que l'Amour fond les âmes de glace

Il faudra que ce feu dans son coeur trouve place,

Vis à vis de chez elle un marchand de tableaux

50   Qui s'entend avec moi, fait montre des plus beaux.

Elle de qui l'esprit aux nouveautés s'applique,

Pour les considérer entre dans la boutique.

Alors je prends mon temps et la viens accoster

Lui montrant des objets qui la peuvent tenter.

55   Enfin votre portrait dont je dis des merveilles

Charme autant ses beaux yeux que je fais ses oreilles[.]

LE ROI.

Tu lui parles d'amour.

CELIDOR.

Je vous laisse à penser.

LE ROI.

Ô service qu'un Roi ne peut récompenser !

Tu te peux assurer que ta fortune est grande,

60   Mais vois la plus souvent et fais qu'elle se rende.

SCÈNE II.
Agarite, le Flaman, Celidor, Medon.

AGARITE.

Si le mignon du Roi n'est point un suborneur

Qui tâche d'abuser une fille d'honneur,

Ce nom de Majesté m'éblouit et me tente

Et celui de l'amour me peut rendre contente,

65   Mais quoi ! c'est me flatter d'espérances en l'air

Qui passent devant moi plus vite qu'un éclair,

Encore que les Rois chérissent les plus belles

Ils n'épousent jamais de simples Damoiselles.

Et pour moi j'aime mieux vivre sans vanité

70   Que de perdre la fleur de ma pudicité :

C'est toujours le plus sûr. Mais les belles figures

Hé Dieu ! que ce Flamand a de riches peintures ?

Je m'en vais l'aborder pour les voir de plus près.

Monsieur assurément vous les faites exprès,

75   Vous nous montrez toujours quelques pièces nouvelles.

LE FLAMAND.

Le monde qui les voit les estime plus belle

Quand elles ont reçu quelques traits de vos yeux ;

En effet il est vrai qu'elles s'en vendent mieux.

AGARITE.

Ha ! Ne me gaussez point en me voulant complaire[.]

LE FLAMAND.

80   Excusez j'ai là haut quelques comptes à faire.

CELIDOR.

Page tiens mon épée et m'attends là devant,

Vraiment j'eusse mal fait de passer plus avant

Voyant des raretés où l'art de la peinture

Compare tous ses traits à ceux de la Nature.

AGARITE.

85   Monsieur, je vous entends : mais de tous ces portraits

Vous ne voyez en moi que les plus rudes traits.

CELIDOR.

J'estime que l'amour n'acheva cet ouvrage

Qu'après vous avoir vue en la fleur de votre âge.

AGARITE.

Pensez-vous ? Et l'on dit que l'amour n'a point d'yeux.

CELIDOR.

90   On en peut dire autant de tous les autres Dieux.

Mais laissent ils de voir ce qu'on fait dans le monde ?

AGARITE.

Je ne sais donc sur quoi le vulgaire se fonde.

CELIDOR.

Passons outre, parlons de ce que nous voyons

Et disons librement ce que nous en croyons.

AGARITE.

95   Bien que ce soient ici des peintures profanes

Monsieur, que dites vous de ces deux courtisanes ?

CELIDOR.

Si leurs rares tableaux se perdaient une fois

On trouverait en vous les beautés que j'y vois.

AGARITE.

Ha ! Vous ne dites pas tout ce qu'il vous en semble

100   Je ne crois point avoir tant de beautés ensemble.

CELIDOR.

Vous les avez pourtant et ne les semblez pas

Car cette belle gorge a bien d'autres appas.

AGARITE.

Dites mieux que de loin je parais être telle,

Mais à me voir de près que je ne suis plus belle.

CELIDOR.

105   Je ne ferai jamais cette comparaison,

Ce serait proprement démentir la raison,

Et dès lors ces portraits qui manquent de parole

En auraient pour reprendre une personne folle.

AGARITE.

Vous ne serez jamais par leurs bouches repris.

CELIDOR.

110   Pourquoi ? De leurs beaux yeux je me sens bien épris,

Ils font dedans mon coeur ce qu'au vôtre peut faire

Cette image du Roi capable de vous plaire.

AGARITE.

Pour me parler du Roi vous me dites cela.

CELIDOR.

Comment ! Négligez vous la passion qu'il a ?

115   Il est si libéral, si vaillant, et si sage.

AGARITE.

Vraiment ce sont bien là de beaux traits de visage,

Mais une autre que moi le pourra contenter.

CELIDOR.

Dieux ! Tout ce que je vois vous y dut inviter,

Voyez ce beau Printemps où l'amour s'est lui-même

120   Représenté partout comme sur un emblème.

Il n'est trait là dedans qui ne vous fasse voir

Des chef-d'oeuvres entiers de son divin pouvoir.

Alors que ces peupliers à la Vigne se lient

Leurs feuilles tremblent d'aise et leurs branches s'en plient,

125   L'esprit qui les produit d'un soin perpétuel,

Nourrit entre leurs troncs un amour mutuel :

Ainsi le Grenadier et le myrte se baisent,

Et parmi les citrons les oranges se plaisent,

Cette palme profite et se charge de fruits,

130   Passant près de son mâle et les jours et les nuits,

Ces arbres où l'on prend des poires et des pommes

Ont chacun leurs moitiés aussi bien que les hommes,

Et sans nous arrêter à tant de végétaux

La nature marie encore les métaux,

135   L'or avecque le plomb sur le feu se rassemble

Et dedans ce creuset ils se mêlent ensemble,

Savez-vous bien pourquoi l'on a peint ce cailloux ?

C'est pour montrer qu'il a plus d'amitié que vous,

Car le jaspe s'engendre au coeur de cette pierre,

140   Et rien de votre coeur ne germe sur la terre,

Certes sans y penser nous tombons dans la mer,

Où même les poissons nous enseignent d'aimer,

Dans ce froid élément, les sèches s'entrelacent

Les Dauphins font l'amour, et les poulpes s'embrassent.

145   Ceux-ci qui sont plongés au fonds de ce tableau

N'éteignent point le feu qui les brûle dans l'eau.

On dirait à les voir qu'ils se meurent de joie

Et que dedans du lait l'un et l'autre se noie,

O[u] que bien à propos en la saison des fleurs

150   Le peintre les a faits de diverses couleurs,

Car c'est la vérité qu'approchants du rivage

Ils prennent la couleur de tout un paysage,

En la même façon que vous prenez en vous

Tout l'éclat des portraits qui sont autour de nous.

155   Mais c'est trop vous mener à la merci des ondes

Retournons maintenant dans les plaines secondes ;

Que pensez vous que fait dedans ce chaume sec

Cette belle perdrix qui nous montre son bec :

Elle en conçoit une autre à la moindre parole

160   Qu'elle entend prononcer à son mêle qui vole,

Il ne faudrait que voir ces ramiers accouplés,

Pour savoir en quel temps les déserts sont peuplés,

Quoi ! ne direz-vous pas que ces deux Tourterelles

Rappellent leurs maris pour coucher avec elles,

165   Regardés ces lapins, ces lièvres, ces chevreaux

Ce sont des animaux qui sont tous amoureux.

Surtout considérez que ce bocage sombre

Où l'ouvrier a caché deux personnes à l'ombre,

N'empêche point de voir ces deux jeunes amants

170   Qui sont venus au but de leurs contentements,

Il n'en faut point mentir cette pièce mérite

Il n'y manque rien plus que l'amour d'Agarite.

AGARITE.

Mon coeur ne s'est ému non plus de ce discours

Que mes yeux en voyant tant de sortes d'amours,

175   Le papier souffre tout et la toile de même.

CELIDOR.

Quoi ! N'aimerez vous pas un Prince qui vous aime ?

Serez vous seule au monde en qui la cruauté

Ait de l'intelligence avecque la beauté.

MEDON.

Qu'est-ce que ce mignon peut tant dire à ma fille ?

180   Sur la fleur de ses ans je crains cette chenille.

AGARITE.

Monsieur retirez-vous, hé Dieu ! J'entends parler

Mon père à la fenêtre.

CELIDOR.

Il faut donc s'en aller.

MEDON.

Agarite ma fille.

AGARITE.

Écoutez il m'appelle !

Adieu c'est trop causer.

CELIDOR.

Adieu doncque cruelle

185   Ha ! Qu'il est malaisé de la solliciter

En passant par ici je ne puis m'arrêter

Qu'aussitôt d'elle et moi son père ne soupçonne ;

Ce vieillard ne veut pas qu'elle parle à personne,

Et la tient de si près, que même de chez lui

190   Il voit ce qu'elle fait en la maison d'autrui.

Allons trouver le Roi, mais feignons que l'affaire

S'est passée autrement afin de lui complaire,

Il faut payer les Grands d'espérance et de vent

Car de même monnaie ils nous payent souvent.

SCÈNE III.
Medon, Agarite.

MEDON.

195   Agarite parfois pour être trop civile

On fait courir de soi de faux bruits dans la ville ;

Que te montrait là-bas le favori du Roi ?

AGARITE.

Un tableau du printemps.

MEDON.

Ma fille je te crois.

Mais dans mon cabinet j'en ai bien un plus rare,

200   Celui de qui je l'ai l'acheta d' un Barbare.

AGARITE.

Hé ! Mon père voyons ce tableau précieux.

MEDON.

Il faut bien contenter ton esprit curieux,

Vois comme là dedans toutes choses finissent,

Comme les unes font que les autres périssent,

205   Et de quelle façon la nature réduit

Aux termes du néant tout ce qu'elle produit.

D'abord tu connais bien qu'à l entour de la vigne,

Ce laurier est toujours une plante maligne,

Que ce jeune olivier un vieux chêne détruit,

210   Et que tous deux mourants ils ne font aucun fruit,

L'or l'argent et l'étain dans ce fourneau de pierre

Se font comme tu vois une cruelle guerre,

Et tu peux bien juger que ce fin diamant

Empêche tout à fait la vertu de l'aimant.

215   Ce congre dans la mer dévore une lamproie,

Et cet autre poisson est des poulpes la proie.

Sur terre nous voyons qu'il n'est point d'animal

Qui ne nuise à quelque autre, ou ne lui veuille mal,

Ainsi cette perdrix deux ou trois fois remise

220   Sous la main de l'Autour, enfin se trouve prise,

L'Aigle dessus les bois va prendre des ramiers

Et les cerfs sont dedans déchirés des limiers.

O Dieux ! Que vois-je là ? Non loin de ce feuillage

Une bergère meurt à la fleur de son âge,

225   C'est un jeune Seigneur qui feignant de chasser

Lui vient ôter la vie en la voulant forcer.

Agarite prends garde où sa rage le porte

Et songe que l'on peut te traiter de la sorte.

AGARITE.

Las ! Pourvoyez-y donc car c'est la vérité

230   Qu'on attente déjà sur ma pudicité,

Le favori du Roi tous les jours m'importune

Il voudrait que l'amour gouvernât ma fortune.

MEDON.

Ha ! Ma fille l'amour est un mauvais enfant

Il se plaît à des jeux que l'honneur lui défend,

235   Garde que ce mignon. Mais il est difficile

D'empêcher son dessein demeurant dans la ville ;

Il faut. Attends un peu que je songe à ceci,

Il faut que sur le soir tu t'en ailles d'ici,

Et qu'aussitôt après en déplorant ma vie

240   Je vienne dire au Roi que quelqu'un t'a ravie,

Qu'en dis-tu mon enfant il n'est pas mal aisé,

De sauver ton honneur par un rapt supposé,

Je te ferai mener en un lieu de plaisance

Éloigné de la Cour et de la médisance,

245   Et je pourrai sous-main te trouver un époux,

Dont le Roi quelque jour ne sera point jaloux.

AGARITE.

On ne saurait trouver une fourbe meilleure.

MEDON.

Non, mais il faut aussi l'accomplir de bonne heure.

SCÈNE IV.
Phénice, Amelise, le Roi, Celidor, l'Exempt [, Medon].

PHÉNICE.

Quand je pense, Madame, au bonheur qui vous fuit,

250   Il me semble de voir un beau jour qui me luit.

Soit que je vous regarde ou que je considère,

Le grand bien pour l'État que de vous on espère,

Il n'est point de Princesse, en qui sans vanité,

On puisse remarquer tant de prospérité.

255   Outre que tout le monde à bon droit vous honore,

Tant de nobles partis vous regardent encore,

Qu'il ne vous reste plus.

AMELISE.

Phénice taisez vous,

Je sais que vous allez me parler d'un époux,

Mais ne me flattez point d'une espérance vaine,

260   Et ne me parlez plus de ce titre de Reine.

J'ai bien assez de coeur pour régner quelque jour,

Si j'étais créature à donner de l'amour,

Encore que le Roi, quelque fois me caresse,

Une moindre beauté lui tient lieu de maîtresse,

265   Mais il entre au Conseil, allez-y vitement

Tandis je me retire en mon appartement.

PHÉNICE.

Je reviendrai bientôt.

LE ROI.

Les affaires civiles,

Nous tiennent prisonniers dans les plus belles villes,

Les Sceptres dont les Rois gouvernent les humains,

270   Sont d'un cèdre pesant qui sue entre leurs mains,

Ceux qui sont élevés au faîte d'un Empire,

Tiennent à mon avis le timon d'un navire,

Dont le fonds est d'ébène et le reste d'un bois,

Que l'orage et la foudre enflamment comme poix,

275   Et puis en leur endroit tous les vents sont propices

Ils nagent dans les biens et dedans les délices.

Erreur de louer tant la fortune des Rois,

En mon particulier je me contenterais

Si quelqu'un sans toucher à l'intérêt des Princes,

280   Pouvait mettre un bon ordre en toutes mes provinces.

PHÉNICE.

Si la tête n'agit, tout les membres du corps,

En matière d'État sont de faibles ressorts.

Sire, pardonnez-moi, je le dis d'un bon zèle,

À peine trouvez-vous un seul homme fidèle,

285   Il est temps désormais de ne croire que vous,

Puisque vos conseillers vous trompent quasi tous.

LE ROI.

Les Rois sur leurs sujets ne sont pas toujours maîtres,

On voit en tous états des méchants et des traîtres ;

Si mon conseil n'est bon, pour le moins je n'élis

290   Que des hommes de bien lorsque je l'établis.

PHÉNICE.

C'est aussi dans ce choix que les sages vous trompent

Car dedans les honneurs les hommes se corrompent.

Et tels que de bienfaits vous pensez obliger,

Ont de l'intelligence avecque l'étranger.

CELIDOR.

295   Monsieur quand on a su de semblables cabales,

On a toujours puni ces âmes déloyales.

Quiconque sert les Rois, et ne vit comme il faut,

Est mené tôt ou tard dessus un échafaud.

PHÉNICE.

Oui, quand les Magistrats ne se laissent corrompre.

LE ROI.

300   Que me veut cet exempt qui nous vient interrompre ?

EXEMPT.

Sire, un pauvre vieillard, et fort inquiété,

Désire de parler à votre Majesté.

LE ROI.

Et bien faites le entrer, ma clémence m'oblige

D'avoir pitié de ceux que la Fortune afflige.

CELIDOR.

305   C'est le père, écoutez à l'oreille.

LE ROI.

  Tant mieux.

MEDON.

Sire, si ce discours ne vous est ennuyeux,

Je demande justice, et me plains d'une injure,

Qui trouble en mes vieux ans le cours de la Nature.

On a ravi ma fille (Hélas ! en ce penser

310   Mille traits de douleur me viennent traverser.)

LE ROI.

Console-toi, Bonhomme, en des crimes semblables,

Il se faut informer des personnes coupables.

Sachons les ravisseurs, afin de les punir

Et voyons quel chemin ils auront pu tenir.

315   Celidor, c'est de toi que j'attends la vengeance,

Te chargeant tout exprès de cette diligence.

CELIDOR.

Quiconque soit l'auteur de cette lâcheté

Je réponds de sa tête à votre majesté.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Agarite, Lizene, Policaste.

AGARITE.

Je pense qu'autrefois en cette solitude,

320   Quelque esprit amoureux s'occupait à l'étude,

Et je crois que celui qui fit bâtir ce lieu,

Faisait ici des vers à la gloire d'un Dieu.

Pour le moins j'ai trouvé sur de vieilles armoires,

Ce recueil où l'Amour a rangé ces mémoires.

325   Il semble que l'auteur ne les fit imprimer

Que pour me faire voir comme je dois aimer.

Dans ce livre tout plein d'agréables mélanges,

La flatterie enseigne à donner des louanges.

On apprend à parler avec des compliments

330   Capables de tromper les meilleurs jugements.

Il est un peu mêlé de Sonnets Satyriques :

Mais c'est pour condamner ces amants frénétiques,

Qui ne veulent jamais recevoir d'autre loi,

Encore qu'on rejette et qu'on blâme leur foi.

335   Tel est en mon endroit cet obstiné Lyzene,

Dont l'Amour s'est rendu coupable de ma haine,

Tant il est déplaisant, et tant j'aime celui

Que je dois par dessein obliger aujourd'hui.

J'ai choisi dans ces Vers une sorte de style,

340   Où Lyzene verra sa recherche inutile :

En un même feuillet j'ai trouvé ce qu'il est,

Et combien en son lieu Policaste me plaît :

Mais les voici tous deux à propos.

LYZENE.

C'est merveilles

De voir une Beauté qui n'a point de pareille.

AGARITE.

345   Vous pouvez bien aussi vous tromper en ce point.

POLICASTE.

Ha ! nous sommes d'accord, que vous n'en avez point.

AGARITE.

Peu s'en faut que tous deux je ne vous désavoue.

POLICASTE.

Si vous ne voulez pas que personne vous loue,

Je ne sais comme il faut vous faire un compliment.

AGARITE.

350   Lisez où j'en étais, et vous saurez comment.

POLICASTE.

Sonnet, d'un gentilhomme aimé de sa maîtresse.

LYZENE.

Celui-là méritait d'être mis sur la Presse,

Achève Policaste, il semble que l'auteur

Eut dessein là dedans de parler du Lecteur.

POLICASTE.

355   Celle que je chéris ne rougit point de honte,

Quand je prends sur sa bouche un amoureux baiser,

Et si quelque rougeur sur sa face lui monte

Elle provient d'un feu que je sais attiser.

Souvent entre ses bras, il faut que je lui conte,

360   D'où peut naître ce feu qui nous vient embraser,

Et quand c'est tout de bon que l'Amour nous surmonte,

Cette flamme s'accroît au lieu de s'apaiser.

Alors pour adoucir mes amoureuses peines

Et rafraîchir le sang qui me bout dans les veines,

365   Elle me fait presser la neige de son sein.

Mais en cette action elle a beau me complaire,

La nature a formé ses tétons à dessein

Qu'il en sorte du lait, et non pas de l'eau claire.

LYZENE.

Je meure, ce Sonnet en sa pointe me plaît,

POLICASTE.

370   L'eau m'en vient à la bouche, avec ce goût de lait.

LYZENE.

De grâce, permettez que j'en trouve un semblable.

AGARITE.

Tournez donc le feuillet, sans chercher à la Table.

LYZENE.

Je suis d'un beau sujet épris si follement,

Que je prends à faveur le dédain et la haine,

375   Celle que je poursuis me hait mortellement

Et si je n'oserai l'appeler inhumaine.

Je fais ce que je puis pour son contentement,

Elle ce qu'elle peut pour rengréger ma peine,

Et si je la veux voir une heure seulement,

380   Elle ne me veut voir de toute la semaine.

Jamais je n'en aurai le plaisir que j'attends :

Un autre jouira du bien que je prétends,

Car alors qu'elle voit mon âme a la torture,

Elle irrite mon mal au lieu de le guérir,

385   Et dit en se moquant des tourments que j'endure,

Qu'elle m'aimerait bien, si j'en pouvais mourir.

Cela s'adresse à moi, je trouve en cette page

Pour sortir de chez vous un honnête passage.

Adieu la belle Adieu : vous avez de l'esprit

390   De me donner ainsi mon congé par écrit.

AGARITE.

Policaste va voir, je ne crois pas qu'il sorte,

Il nous peut écouter sur le seuil de la porte.

POLICASTE.

Il est déjà bien loin[.]

AGARITE.

Laisse le donc courir,

Ce n'est pas avec lui que je veux discourir.

POLICASTE.

395   Je crains que de colère il découvre la vie

Que nous faisons tous deux[.]

AGARITE.

Il crèvera d'envie

Plutôt que d'en parler : car un sot amoureux

Espère tôt ou tard de se voir bien heureux

Et ne s'offense point quelque mal qu'on lui fasse.

POLICASTE.

400   Je serais bien fâché si j'étais à sa place.

AGARITE.

Je n'ai garde, mon coeur de te désobliger,

POLICASTE.

Ce serait le moyen de me bien affliger.

AGARITE.

Que jamais ce penser n'interrompe notre aise,

POLICASTE.

Pour n'y penser jamais, permets que je te baise.

AGARITE.

405   Pourvu qu'en tout honneur.

POLICASTE.

  Je ne demande rien.

Autre chose, d'honneur, je ne veux que le tien.

AGARITE.

Tu t'émancipes trop de parler de la sorte.

POLICASTE.

Ha ! que tu connais mal l'amour que je te porte.

AGARITE.

Après un doux baiser ne demande rien plus,

410   Je hay plus que la mort ces plaisirs dissolus.

POLICASTE.

Je ne veux point passer ou le sein ou la bouche.

Mignarde ne crains point qu'autre part je te touche.

AGARITE.

C'est trop recommencer : ha ! Je me fâcherai.

POLICASTE.

Je n'en veux plus qu'un autre, et puis je m'en irai.

AGARITE.

415   Dépêchez-vous : je crains que Lyzene revienne.

POLICASTE.

Adieu, je prends ton livre, afin qu'il t'en souvienne.

AGARITE.

Agréable maison mon honneur est chez toi,

Beaucoup plus sûrement qu'à la ville où j'étais.

Il est vrai qu'en ce lieu je suis comme captive,

420   Mais l'Amour encourage une fille craintive ;

Et ce qui me console en ma captivité,

Est de voir Policaste en toute liberté :

Son entretien me plaît en ce lieu solitaire,

Plus que tous les honneurs qu'un Roi me pouvait faire.

425   Et certes désormais l'amour qu'il a pour moi

Me fait haïr la Cour autant que je l'aimais.

SCÈNE II.
Lyzene, Corintie, Celidor.

LYZENE.

Malgré ses cruautés je lui serai fidèle,

Ma soeur ne parle point de son père, ni d'elle,

Peut-être qu'à la fin.

CORINTIE.

Elle se résoudra

430   De prendre le parti que son père voudra,

Medon depuis longtemps connaît notre famille.

LYZENE.

En tout cas je m'en vais lui demander sa fille :

Adieu, si je l'épouse on te viendra quérir.

CORINTIE.

Je ne sais quoi, me dit qu'on le fera mourir,

435   Mais je n'oserais pas lui conter ce présage :

Et d'ailleurs pour le croire, il n'est pas assez sage :

Dieu veuille qu'aucun mal ne lui puisse arriver.

Cependant Celidor me doit venir trouver,

Et pourvu qu'à chasser il ne s'arrête guère,

440   Nous saurons ménager l'absence de mon frère.

Courage, le voici, j'entends un Cor d'argent,

Son Veneur ce matin est assez diligent,

Afin qu'aucun des siens ne le puisse distraire,

Je m'en vais lui montrer le signal ordinaire.

445   Quand je mets un bouquet sur ma fenêtre, alors

Il est bien assuré que mon frère est dehors.

Ô qu'heureuse me fut sa première visite !

Il me trouva naguère en cherchant Agarite,

Et je lui plus si fort qu'à la faveur des bois,

450   Il est venu depuis me revoir plusieurs fois.

CELIDOR.

Beaux yeux qui m'arrêtez le matin quand je passe,

Et me faites quitter le plaisir de la chasse,

C'est ici que de vous je reçois le bon jour,

Et non pas du Soleil qui luit sur cette Tour.

CORINTIE.

455   Si comme le Soleil je réglais les journées,

Celles-ci croyez-moi dureraient des années.

CELIDOR.

Celle par qui je compte et les jours et les nuits,

Peut bien croître ma joie, et finir mes ennuis.

CORINTIE.

Ne vous en moquez pas une personne absente

460   Pourra rendre votre âme et la mienne contente.

CELIDOR.

Hé Dieu ! Serait-ce bien votre Frère ?

CORINTIE.

C'est lui.

CELIDOR.

Mais quoi ! ne doit-il pas retourner d'aujourd'hui ?

CORINTIE.

Possible de huit jours.

CELIDOR.

Ô favorable absence !

Donne nous désormais un peu plus de licence.

CORINTIE.

465   Il faut croire qu'un Dieu nous procure ce bien,

Pour unir à ce coup votre coeur et le mien.

Vous savez que mon âme est unie à la vôtre,

Il n'est point d'amitié qui ressemble la nôtre.

CORINTIE.

En ce parfait amour une difficulté

470   M'empêche de goûter notre félicité.

CELIDOR.

Quelle difficulté vous empêche de rire ?

CORINTIE.

Je n'ose découvrir ce que mon coeur désire.

CELIDOR.

Me taire tel secret, c'est me faire un affront.

CORINTIE.

Il se fait voir assez lisez-le sur mon front.

CELIDOR.

475   Vraiment, puisque l'Amour se lit en votre face

Comme une vive flamme en une belle Glace,

Je vais parler si haut de vos rares beautés

Que je vous ravirai si vous les écoutez.

Cette gorge d'appas, et de grâces pourvues,

480   Est le plus bel objet qui contente ma vue.

Voire, si la beauté s'appelle proprement

Une chose que l'oeil connaît parfaitement,

Il faut avec les yeux m'ôter la connaissance,

Ou croire que de vous mon amour prend naissance.

485   Au reste, qui ne voit que vos yeux ravissants

Pour attirer les coeurs ont des charmes puissants ?

Ils jettent dans les miens de petites bluettes,

Et des langues de feu qui ne parlent muettes :

Les astres prennent tous leur clarté de la leur :

490   C'est d'eux que le Ciel emprunte sa couleur.

Mais nul à mon avis ne doit trouver étrange

Qu'ils soient de bleu céleste au visage d'un Ange.

CORINTIE.

Que vous êtes flatteur !

CELIDOR.

Voila trop m'offenser

CORINTIE.

De parler autrement que vous n'osez penser.

CELIDOR.

495   Ha ! vous le payerez,

CORINTIE.

  Tout beau je vous supplie.

CELIDOR.

Il faut,

CORINTIE.

Arrêtez-vous : Hé Dieu ! quelle folie.

CELIDOR.

Quand l'âme par les yeux exprime ses désirs

Pourquoi priver le corps de ses menus plaisirs ?

CORINTIE.

Ha ! Que vous êtes fin.

CELIDOR.

Quelle grande finesse

500   Trouvez[-vous] en l'humeur d'une simple jeunesse ?

CORINTIE.

Vous tâchez de venir,

CELIDOR.

Achevez sur un point.

CORINTIE.

Où sans doute (Beau-fils) vous n'arriverez point.

CELIDOR.

Possible qu'au jardin dessous un beau feuillage,

Vous laisserez la fleur de votre Pucelage.

CORINTIE.

505   Ha ! vous ferez beaucoup d'obtenir un baiser.

CELIDOR.

Allons, je ne suis plus en humeur de causer.

SCÈNE III.
Policaste, Agarite, [Un cocher].

POLICASTE.

Celui qui n'aime pas n'est pas digne de vivre,

J'ai marqué ce beau trait feuilletant votre Livre.

AGARITE.

Où l'avez-vous laissé ?

POLICASTE.

Dedans mon cabinet.

AGARITE.

510   Vous ne lirez donc point maintenant de sonnet.

POLICASTE.

Non, mais je pourrai lire en plus beaux caractères

Les merveilles d'amour et ses divins mystères.

Où saurais-je mieux voir sa puissance qu'en vous ?

Elle y paraît écrite en un style si doux,

515   Qu'il n'est Esprit humain qui me la puisse apprendre

Comme un si beau sujet me la peut faire entendre.

AGARITE.

Tout-beau vous me feriez entrer en vanité

Reprenez le discours que vous avez quitté.

POLICASTE.

Je disais que ceux-là sont indignes de vivre

520   Qui censurent l'amour, ou ne l'osent pas suivre ;

Si je suis amoureux, ne vous en étonnez,

Ce n'est que pour aimer que nous sommes tous nez,

Et je crois que les Dieux seraient ce que nous sommes,

Si l'on aimait au Ciel à la façon des hommes.

AGARITE.

525   Vous voulez donc conclure, afin de me charmer,

Qu'il n'est point de plaisir

POLICASTE.

Plus grand que de s'aimer.

C'est le souverain bien des personnes bien nées.

AGARITE.

Passons donc en aimant nos meilleures années.

POLICASTE.

Vivons, vivons contents, mais que mal à propos

530   Celui-ci vient troubler notre amoureux repos.

AGARITE.

Ha ! c'est notre cocher : et bien quelle nouvelle

A la ville ?

POLICASTE.

Il me faut retirer d'auprès d'elle.

LE COCHER.

Monsieur m'a commandé de vous venir quérir,

Et depuis mes chevaux n'ont cessé de courir :

535   Il vous écrit ce mot.

AGARITE.

  Montre que je le voie.

Ô le mauvais conseil que mon père m'envoie !

Cocher, fais tout le moins repaître tes chevaux.

Dieux, toujours les amants auront-ils des Rivaux ?

POLICASTE.

Entendez-vous parler de Lyzene ?

AGARITE.

Mon père

540   Me le fait épouser, cela me désespère.

POLICASTE.

L'apparence qu'absente on vous puisse obliger ?

Un père ne le peut, mais il y faut songer.

AGARITE.

Si je n'ai qu'un lourdaud, le moyen que je l'aime.

Lyzene, couvert d'or sera toujours lui-même :

545   Il sera toujours tel que je l'ai reconnu,

Ha ! j'aime mieux avoir Policaste tout nu.

POLICASTE.

Écoutez le conseil que l'amour me suggère

J'ai trouvé le moyen de tromper votre père :

Mais il faut que ce soit bien avant dans la nuit,

550   Et lorsqu'ès grands chemins on n'entend plus de bruit :

En sortant de la ville on voit sur la rivière

Un clocher ruineux dedans un cimetière,

C'est le lieu plus commode où peut s'exécuter

Le glorieux dessein que je viens d'inventer.

AGARITE.

555   Toujours vous inventez quelque ruse gentille.

POLICASTE.

Vous savez comme on danse aux noces d'une fille.

Le soir étant venu qu'espère mon rival,

Il vous faut esquiver de la Presse du bal.

Quand vous serez venue à la rive du fleuve,

560   Où dans le même temps il faut que je me trouve,

Vous lairrez vos habits, où durant les chaleurs

Ceux qui se vont baigner se dépouillent des leurs.

Le monde qui verra cet indice funeste,

Pourra s'imaginer facilement le reste,

565   Et croira que d'ennui, de rage et désespoir,

Vous vîntes vous noyer à quelque heure du soir.

Tandis à la faveur de l'ombre et des étoiles,

Je vous aurai conduit à rames et à voiles,

Jusques dans une place, où mon père autrefois,

570   A souffert des assauts, et des sièges de Rois,

Là nous pourrons tous deux finir nos destinées,

Ou du moins nous aimer durant longues années.

AGARITE.

Je trouve aucunement ce dessein hasardeux

Toutefois l'entreprise est heureuse à tous deux.

575   Mon coeur assurez-vous que l'affaire est conclue,

Adieu, c'est assez dit, m'y voilà résolue.

SCÈNE IV.
Le Roi, Celidor.

LE ROI.

Je ne m'étonne pas si tes gens n'ont rien fait

Et si tu n'as pas mis ta promesse en effet,

Tu n'avais pas moyen de trouver cette Belle,

580   Puisque son Ravisseur est en ville avec elle.

Or bien que ta poursuite ait fort mal réussi,

Tu peux savoir le bruit qu'on en fait courir ici :

On dit que le Seigneur qui la tenait naguère,

Afin de l'épouser est venu vers le père,

585   Et que du rapt commis lui demandant pardon,

Il a fléchi le coeur du bonhomme Medon

Tellement que bientôt la noce se doit faire,

Pour couvrir ce forfait d'un amour volontaire.

CELIDOR.

En ce rapt vous avez le plus grand intérêt

590   C'est un crime public, Sire, je suis tout prêt

D'exterminer l'auteur d'une faute si grande.

LE ROI.

Celidor, c'est aussi ce que je te commande,

Quand tu verras le soir de la noce approcher,

Une heure auparavant qu'on s'en aille coucher,

595   Il le faut.

CELIDOR.

C'est tout dire.

LE ROI.

  Et ravir l'épousée.

CELIDOR.

Sire je vois déjà l'affaire bien aisée.

LE ROI.

Écoute, si tu fais ce coup là dextrement,

Juge que peut un Roi qui t'aime uniquement.

CELIDOR.

Pourvu que ses faveurs soient un peu de durée,

600   Je verrai pour longtemps ma fortune assurée.

Tandis qu'un Gentilhomme a l'oreille d'un Roi,

A tous ses courtisans il impose la loi,

Mais au premier revers de la moindre disgrâce

Chacun la lui veut faire et se mettre en sa place,

605   De sorte qu'à la Cour, dès la première fois,

Il se faut bien servir de la bonté des Rois.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.
Medon, Lyzene, Agarite, Corintie.

MEDON.

Le sacré mariage unit l'homme et la femme,

D'un noeud comme celui qui joint le corps et l'âme,

Et l'anneau conjugal qui les serre est si fort

610   Que leur chaste amitié dure jusqu'à la mort.

Ainsi de temps en temps le monde multiplie

Et la loi de nature est toujours accomplie,

Par elle on voit toujours les pères rajeunir,

Et l'on ne voit jamais les familles finir,

615   Mais il vaut mieux entrer dans quelque monastère,

Et mourir tous les jours dans une vie austère

Que d'être mal ensemble et de s'injurier,

Pour avoir un sujet de se démarier.

Depuis que la discorde entre dans un ménage,

620   On y passe à regret le reste de son âge,

Et le contentement qu'on y devrait avoir

Se change en une horreur que l'on a de se voir.

Agarite je crois que vous êtes bien aise,

Que Lyzene aujourd'hui vous caresse et vous baise.

625   Mais il lui faut montrer un visage gaillard,

Prenez exemple à moi qui ne suis qu'un vieillard,

De l'aise que j'en ai, j'ai quitté la calotte,

Et bientôt pour danser je vais prendre la botte,

Afin de témoigner aux hommes de mon temps

630   Que je retourne encore à l'âge de vingt ans.

LYZENE.

Est ce que vous craignez quelque trait de malice,

Quand nous serons tous deux en l'amoureuse lice ?

Il n'en faut pas rougir, et cet oeil rigoureux

Ne se doit offenser d'un langage amoureux.

AGARITE.

635   Excusez mon humeur, je suis ainsi nourrie.

LYZENE.

Je vous adoucirai.

AGARITE.

Laissez moi je vous prie.

MEDON.

Volontiers qu'elle songe aux prises qu'à ce soir

Vous aurez avec elle et vous le pouvez voir.

LYZENE.

Est-il vrai.

AGARITE.

Je ne sais.

MEDON.

Tu ne l'oses pas dire.

LIZENE.

640   Elle a bien de la peine à s'empêcher de rire.

AGARITE.

Je n'en ai point d'envie, au moins avecque vous.

LIZENE.

C'est que vous me craignez en qualité d'époux,

Mais ne vous arrêtez sur de telles pensées,

Vos appréhensions seront bientôt passées.

CORINTIE.

645   Causeur promettez moins et la payez comptant.

Faites-en davantage et n'en dites pas tant.

MEDON.

Ces rencontres gaillards abrègent les journées

Et pourraient de beaucoup prolonger mes années.

Sus allons de bon coeur recevoir nos amis,

650   Et leur donnons le bal que je leur ai promis.

SCÈNE II.
Policaste, vestu en battelier, Agarite.

POLICASTE.

Nymphes ne trouvés point ce changement étrange,

Ce n'est qu'en vêtements que j'affecte le change,

Et puis je suis de ceux que vous favorisez,

Vos amoureux Bergers sont ainsi déguisés,

655   Et je crois que ceux-là ne savent pas leur monde,

Qui ne font le métier que je fais dessus l'onde,

Ici vos claires eaux me servent de miroir

Pour plaire à vos beautés que je suis venu voir,

Mais quoi sans y penser je caresse des Fées

660   Couvertes de roseaux et de saules coiffées,

Nymphes je m'en dédis je ne vous puis flatter,

Agarite croirait que je la veux quitter,

Elle en serait jalouse, et dirait à part elle,

Que je serais épris d'une flamme nouvelle,

665   Ou du moins que le feu qui me brûle en aimant

Se pourrait amortir dedans votre élément,

J'aime mieux vous laisser que de la mettre en peine,

Tandis courez toujours afin que je l'emmène,

Ou plutôt retenez pour un temps mon bateau,

670   Je m'en vais la trouver sur la rive de l'eau,

Dieux ! qu'il fait déjà noir, la campagne déserte

En un crêpe de deuil change sa robe verte :

Il fait clair dessus l'eau, mais ce petit faux jour

Ne me peut enseigner les chemins d'alentour.

675   Je rencontre à tâtons des murailles de brique,

C'est je pense la tour de ce clocher antique,

Où j'étais obligé de me rendre à ce soir ;

Voici les monuments où je me dois asseoir.

Tombeaux, où les défunts sont pourris de vermine,

680   Sépulcres démolis que la rivière mine,

Reliques du vieux Temps où les flots courroucez

Déterrent quelquefois les pauvres trépassés.

Piliers d'antiquités, vieilles poutres, masures :

Je vous remarquerai dedans mes aventures,

685   Et sur vos fondements j'élèverai des Tours,

Que l'on verra durer autant que mes amours,

Dans l'horreur de la nuit je vous rendrai célèbres

Et vous ferai paraître au milieu des ténèbres :

Vos pierres parleront de ma fidélité,

690   Je les ferai connaître à la postérité.

Et bien que leur hauteur ne surpasse les arbres,

Elles dureront plus que les Palais de marbres,

Mais qu'Agarite est longue à me venir trouver

Elle est cause qu'ici je m'amuse à rêver.

695   Ô Ciel ! Si les flambeaux ne percent le nuage

Qui s'étend sur la terre et te couvre d'ombrage,

Le moyen qu'elle vienne en ces lieux écartés ?

Toutefois si tes feux nous montraient leurs clartés

Quelqu'un la pourrait voir en passant dans les rues.

700   Donc ô flambeaux des Cieux ne dissipez les nues,

Ne chassez de la nuit que les spectres hideux,

Qui peuvent à présent nous effrayer tous deux.

Sorciers, allez bien loin allumer vos bougies,

Et courez autre part faire voir vos magies.

705   Vous fantômes errants qui n'avez point de corps,

N'en prenez point ici dans les bières des morts.

Et toi Dieu du repos et des songes nocturnes,

Afin de m'assoupir en ces lieux taciturnes,

Sur mes yeux languissants fais glisser le sommeil,

710   Et puis en t'en allant fais venir mon Soleil.

Las ! pour ce que la nuit est mère du silence,

Il semble qu'en parlant je lui fais violence,

Ou que je veux forcer cette fille de l'air,

Que les murs seulement peuvent faire parler.

715   Et bien, c'est pour le mieux que je vois toute chose

Se taire en ce quartier, afin que je repose.

Agarite en ce lieu je vais penser à toi.

Encore que déjà tu me manques de foi.

Je vois que tes serments se tournent en mensonge :

720   Mais je m'efforcerai de te baiser en songe.

Et si de ce tombeau je ne me lève pas,

Dis qu'au lieu du sommeil j'ai trouvé le trépas.

AGARITE.

On n'entend plus de bruit dans les places publiques,

Tous les gens de métiers ont fermé leurs boutiques.

725   Le Guet ne marche plus chacun est en repos.

Pouvais-je de chez nous sortir plus à propos ?

Non certes : mais pourtant une chose m'attriste,

À trouver les chemins ma Fortune consiste,

Et le Ciel est si plein de brouillards, que la nuit

730   En me favorisant de son ombre me nuit.

O Dieux ! que la campagne est pleine de ténèbres !

Que d'images affreux, et de songes funèbres !

J'ai peur à chaque pas de l'ombre qui me suit,

Et je crains en parlant de faire trop de bruit :

735   Si je ferme les yeux, mon âme est offensée,

De celle d'un défunt qui m'entre en la pensée.

Amour, vas-tu la nuit sans prendre ton flambeau ?

Vois-tu pas que la peur me va mettre au tombeau ?

Je te prie aide moi d'un rayon de lumière.

740   A ce coup je connais qu'il entend ma prière :

Ces petits feux ardents qui font un peu de jour,

Ne peuvent être nés que du flambeau d'amour :

On dit que ces feux-là mènent vers les rivières,

Quand pour se faire suivre ils charment nos paupières.

745   Mais je le saurai bien, je m'en vais l'éprouver

Sur la rive du fleuve, où je dois arriver.

Toutefois en suivant ces bluettes errantes,

Si je me laissais choir dans les ondes courantes,

Qui pourrait dedans l'eau me venir secourir ?

750   Ma flamme serait lors en danger de mourir,

Et l'on verrait ici tous les jours Polycaste,

Qui me reprocherait d'être morte si chaste.

Ne suivre point aussi le chemin où je suis,

Ce n'est pas m'éloigner de la mort que je fuis :

755   Puis que celui que j'aime est sur le bord des ondes,

Où me veulent mener ces flammes vagabondes,

Sans doute si je veux me rendre sur le port,

Je trouverai ma vie où je crains tant la mort.

Ha ! C'est trop consulter une affaire pressée,

760   La crainte que j'avais est à demi passée.

Mais j'entends sous mes pieds des os s'entrechoquer.

La mort en cet endroit me veut-elle attaquer ?

Je ne m'étonne point de son images blême,

Par les flèches d'amour elle meurt elle-même.

765   Cependant, quand j'y pense il semble que j'ai peur ?

Hélas ! c'est de trouver Policaste trompeur.

Qu'est-ce à dire ? Vraiment pourvu que je le trouve ;

De sa fidélité je ne veux autre preuve.

La Mort et le sommeil n'ont qu'un lit pour tous deux,

770   Auprès de quelque tombe il repose avec eux.

Il le faut appeler. Dieux ! Tout nous favorise

Et tous les éléments consultent de ma prise.

J'entends pour mon sujet les vents se quereller

A qui repoussera les injures de l'air.

775   Le Ciel en ma faveur est couvert d'un grand voile,

Il ne voit que d'un oeil, je ne vois qu'une étoile.

Les flots disent entre eux qu'ils me veulent servir,

Et la terre consent qu'ils me viennent ravir.

Paresseux es-tu sourd es-tu mort sur la rive

780   Si tu l'es, c'en est fait, il faut que je te suive.

Néanmoins un baiser te peut ressusciter.

POLICASTE.

La rivière s'arrête afin de l'écouter.

C'est elle mais je veux la tenir en haleine

Le plaisir est plus grand avec un peu de peine.

AGARITE.

785   Policaste, réponds tu n'es point endormi.

Ou pour le moins sans moi tu ne l'es qu'à demi[.]

POLICASTE.

Ingrate, déloyale, et cruelle maîtresse.

AGARITE.

He ! Mauvais à la fin j'ai tenu ma promesse.

POLICASTE.

Tu ne viens qu'en esprit et pour me faire peur.

AGARITE.

790   Je réduirai bientôt cette crainte en vapeur.

POLICASTE.

Tu visites les morts pour en croître le nombre.

AGARITE.

Rêveur, assurément, tu me prends pour une Ombre :

Mais je vais te heurter au rencontre si fort,

Que tu diras.

POLICASTE.

Hé Dieu ! Je croyais être mort.

AGARITE.

795   Au moins jusques ici tu ne m'as pas connue.

POLICASTE.

C'est que je n'ai pas cru que tu fusses venue.

AGARITE.

Et moi, bien que le jour ne soit pas arrivé,

J'ai connu Policaste et si je l'ai trouvé.

POLICASTE.

Il nous reste mon coeur de prévenir l'Aurore

800   Nous sommes assurés qu'elle sommeille encore.

AGARITE.

J'entends comme tu sais lui donner mes habits,

Et ne me veux laisser ni perles ni rubis.

POLICASTE.

Que le jour sera beau si l'Aurore se pare

Des habits somptueux d'une beauté si rare.

805   Mais laisse là ta coiffe et ton masque ennuyeux,

Cette nuit le serin ne fait point mal aux yeux.

AGARITE.

Puisque tu me préviens en ce louable office,

Aide à me dévêtir, mais ne songe malice.

POLICASTE.

Mon âme le moyen de t'aider à tâtons ?

810   La main en ce devoir est si près des tétons,

Qu'on ne peut.

AGARITE.

Laisse moi.

POLICASTE.

Pourquoi te laisserai-je ?

Miracle ! J'ai trouvé sur deux pommes de neige

Deux petits glands de feu.

AGARITE.

Sois sage.

POLICASTE.

En cet endroit.

Comme peux-tu sentir plus de chaud que de froid ?

AGARITE.

815   Mon Dieu ! Que faisons nous si long temps sur la rive,

J'appréhende le jour.

POLICASTE.

Ne crains point qu'il arrive.

AGARITE.

Les eaux ne coulent pas si vite que le temps.

POLICASTE.

Tu verras à la fin que nous serons contents.

AGARITE.

Dépêchons.

POLICASTE.

As-tu fait.

AGARITE.

Allons me voila prête.

POLICASTE.

820   Afin que le serin ne te nuise à la tête,

Entre dans la cabane et laisse-moi ramer.

AGARITE.

Au moins que ce bateau n'aille point dans la mer.

POLICASTE.

Peureuse nous n'irons que dans la place forte,

Où le vent est d'accord que ce fleuve nous porte.

AGARITE.

825   J'ai peur que cet accord ne tienne.

POLICASTE.

  Pour le moins

En le voulant passer ils ont pris deux témoins.

AGARITE.

Je meure... la rivière est bonne larronnesse.

POLICASTE.

Comment.

AGARITE.

Pour me ravir elle use de finesse,

Je n'entends plus le bruit de son flux et reflux.

POLICASTE.

830   Ayant ce qu'elle veut elle n'en parle plus.

SCÈNE III.
Medon, Lizene, Corintie.

En cette scène est représenté le Ballet des Quatre-vents, lequel est dansé pour faire tuer Lyzene le soir de ses noces par un stratagème inventé par Celidor.

MEDON.

Il faut voir ce ballet.

LIZENE.

Je commence d'entendre

Le son des instruments.

MEDON.

Prenons place mon Gendre.

CORINTIE.

Les voici j'entrevois la clarté d'un flambeau.

LIZENE.

Chacun dit que la Cour n'a rien vu de si beau.

MEDON.

835   À propos il faudrait appeler l'épousée.

LIZENE.

La mauvaise me fuit de peur d'être baisée.

CORINTIE.

Les Dames maintenant parlaient de la coucher.

MEDON.

Possible que pour rire elles la font cacher.

CORINTIE.

Prenez garde Monsieur ils sont tous à la porte.

MEDON.

840   N'ont-ils point de cartel.

LIZENE.

  Le voici qu'on l'apporte.

CORINTIE.

Mon frère je les vois.

MEDON.

Lyzene je ne puis

En faire la lecture à la place où je suis.

LIZENE.

Donnez-moi.

MEDON.

Quel plaisir en auraient les poètes

Si pour lire des vers je prenais mes lunettes.

LIZENE.

845   Des quatre coins de l'Univers,

Où chacun de nous quatre a choisi sa demeure,

D'habits tous différents et de plumes couverts,

Nous sommes venus dans une heure.

Par notre souffle seulement

850   Nous éprouvons en quoi notre force consiste,

Remuant toute chose aussi facilement

Que le moulin qui nous résiste.

En cette province arrivant,

Nous montrons que c'est nous qui possédons les dames,

855   Car puisque leurs esprits se tournent à tous Vents,

Nous pouvons tout dessus leurs âmes.

Pour nous garantir du trépas

Que nous pourraient causer leurs oeillades mortelles,

Nous n'allons que la nuit et pour ne les voir pas

860   Nous tuons toutes les chandelles.

Les pistolets que nous avons

Représentent l'éclair, la foudre et le tonnerre

Et nos vases pleins d'eau montrent que nous pouvons

Faire pleuvoir dessus la terre.

AUX DAMES.

865   Beaux sujets paraissez hardiment,

Les Vents que vous voyez n'enrhument point les Dames,

Ils les couvrent fort bien et soufflent seulement

Dans leur sein amoureux des soupirs et des flammes.

Ce sont les Quatre-vents que nous verrons danser,

MEDON.

870   C'est assez taisons-nous, car ils vont commencer.

Ici se danse le Ballet

Celidor masqué représentant l'un des Quatre-vents, le ballet fini dit les vers suivants.

Amis le coup est fait, avant qu'il ressuscite

Un autre jouira des amours d'Agarite.

Cependant sauvons-nous puisqu'on ne peut trouver

La belle qu'à ce soir je voulais enlever.

MEDON.

875   Ce ballet sur la fin me déplaît de ses feintes,

Quelqu'un rallumez nous les chandelles éteintes,

Ô Dieux ! ce n'est pas feinte.

CORINTIE.

Ô Ciel ! Tout est perdu,

Mon frère auprès de nous est tout raide étendu.

MEDON.

Ô scandaleuse danse !

CORINTIE.

Ô noce infortunée !

MEDON.

880   Ô malheureuse nuit !

CORINTIE.

  Ô funeste journée !

MEDON.

Hélas ! Je vais savoir.

CORINTIE.

Ha ! Je meurs de douleur.

MEDON.

Ce que l'on aura fait de ma fille.

CORINTIE.

Ô malheur !

Ou plutôt perfidie horrible à la mémoire !

Exécrable homicide et difficile à croire,

885   Mon frère ai-je perdu ce nom plein de douceur ?

Ne saurais-je pour tout m'appeler votre soeur ?

Mon frère encore un mot, un soupir, une oeillade.

Hé Dieu ! Peut-on mourir que l'on ne soit malade,

Ô Cieux ! L'horrible coup ! C'en est fait il est mort,

890   Ô coup de trahison ! Que tu me fais de tort.

MEDON.

Bons Dieux ! Que ferons nous ma fille est enlevée,

Las ! J'ai cherché partout et ne l'ai point trouvée.

CORINTIE.

Amis emportés nous dans un même cercueil,

Venez m'aider.

MEDON.

Allons nous revêtir de deuil.

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.
Les pêcheurs.

PREMIER PÊCHEUR.

895   Tant que dessus les eaux nous voyons la bonace,

Les poissons clairvoyants n'entrent point dans ma nasse,

Mais après que les vents ont troublé nos marais,

Et que l'égout du Ciel inondant nos guérets,

A coulé dans ce fleuve une épaisse lessive

900   C'est alors qu'il est bon de pêcher à la rive.

H[i]er soir il fit un temps qui coucha nos moissons.

Il aura dans l'eau trouble étourdi les poissons.

Prenons chacun un croc qui nous serve de sonde,

Pour trouver mon panier, jusques au fond de l'onde.

SECOND PÊCHEUR.

905   Faisons tout bellement pour le tirer dehors,

L'adresse fait autant que la force du corps.

PREMIER PÊCHEUR.

Sens-tu dans le profond notre nasse ?

SECOND PÊCHEUR.

Courage !

Nous allons voir bientôt des Anguilles en cage.

O la belle ! Compère apprêtez notre seau.

PREMIER PÊCHEUR.

910   Donne-moi ce poisson qui se bat hors de l'eau.

Il est froid comme glace, et luisant comme verre.

SECOND PÊCHEUR.

Prenez garde, il échappe à celui qui le serre.

PREMIER PÊCHEUR.

Méchante, je m'en vais te percer le gosier

Et passer à travers une branche d'osier.

SECOND PÊCHEUR.

915   L'autre jour en raillant, je disais qu'une anguille

Passerait aisément par le trou d'une aiguille,

Et ma femme disait qu'elle n'en croirait rien.

PREMIER PÊCHEUR.

Pauvre sot, tu devais la passer dans le sien.

SECOND PÊCHEUR.

Je vous prie allons boire, et changeons de langage.

PREMIER PÊCHEUR.

920   Je le veux, allons voir l'hôtesse du village.

Tu mangeras ta part de la pêche[.]

SECOND PÊCHEUR.

Vraiment

Je l'entends bien ainsi mon Parrain, autrement,

PREMIER PÊCHEUR.

Garçon, voici de quoi s'étonner[.]

SECOND PÊCHEUR.

Au contraire

Il se faut réjouir d'une si bonne affaire.

PREMIER PÊCHEUR.

925   Ces habits que tu vois si riches et si beaux,

Me font appréhender sur la rive des eaux

Quelque Dame imbécile ou d'amour transportée

Pour finir ses ennuis dans les flots s'est jetée.

SECOND PÊCHEUR.

Et quoi ! Laisserons-nous ces vêtements tous neufs ?

930   Ils nous vaudront l'argent de vingt paires de boeufs,

Prenons les.

PREMIER PÊCHEUR.

Si tu veux que l'on te mène pendre.

SECOND PÊCHEUR.

Ho ! Ho ! que dites vous je ne veux pas les prendre.

PREMIER PÊCHEUR.

Sais-tu que nous ferons, retourne à la maison.

SECOND PÊCHEUR.

Il vaut mieux s'y tenir que d'aller en prison.

PREMIER PÊCHEUR.

935   Cependant.

SECOND PÊCHEUR.

  N'ayez peur que l'on m'en divertisse.

PREMIER PÊCHEUR.

Je m'en vais de ce cas avertir la justice.

SCÈNE II.
Le Roi, Celidor, Medon, Phénice, le Pescheur.

LE ROI.

Un désir violent me presse de la voir,

Où crois-tu qu'elle soit ?

CELIDOR.

On ne le peut savoir.

LE ROI.

Je l'aurai morte ou vive, ou ma juste colère

940   Dans le fonds d'un cachot fera mourir son père.

Qu'on le fasse venir se voyant mal traité,

Il saura bien trouver cette jeune beauté.

CELIDOR.

Sire, si je savais ce qu'elle est devenue.

LE ROI.

Ta bonne volonté ne m'est que trop connue,

945   Il faut que ce vieillard qui la fit esquiver

En quel lieu qu'elle soit me la fasse trouver.

Écoutons ces raisons, le voici. Misérable.

Est-il vrai que tu sois de deux meurtres coupable ?

Pour celui de ton gendre il n'en faut plus douter

950   Sur un autre plus grand je te veux écouter,

Qu'as-tu fait de ta fille ?

MEDON.

Ô noire calomnie !

LE ROI.

On n'est pas déchargé des crimes que l'on nie :

Confesse qu'elle est morte ou me la fais venir,

Autrement ton bon droit ne se peut soutenir.

MEDON.

955   Ô Cieux ! De quel forfait l'innocence est chargée.

LE ROI.

Barbare je connais que tu l'as égorgée,

N'osant venir au point qui te presse le plus

Tu nous veux abuser de propos superflus.

MEDON.

Sire, pour me purger d'une telle imposture

960   Il ne faudrait qu'ouïr la voix de la nature.

On a ravi ma fille et fait un assassin

Mais je n'ai point trempé dans ce mauvais dessein.

LE ROI.

C'est trop dissimuler, qu'on le mène au supplice,

Toutefois attendez, que j'écoute Phénice,

965   C'est peut être un témoin qu'il nous amène ici,

Afin que sur le tout je sois mieux éclairci.

PHÉNICE.

Sire, ce bon pêcheur sur une conjecture

Désire vous conter une étrange aventure.

LE ROI.

Dépêche, que veux-tu nous dire de nouveau.

LE PÊCHEUR.

970   Sire, que j'ai trouvé dessus le bord de l'eau

Des vêtements.

LE ROI.

Voici de mauvaises nouvelles.

LE PÊCHEUR.

Tels qu'on en voit porter aux jeunes Damoiselles.

MEDON.

Las, peut-être ma fille, haïssant son époux

Au soir pour se noyer se déroba de nous.

LE ROI.

975   Je suspends ma colère et veux que la justice

Examine à son tour de plus près cet indice,

Pêcheur viens nous mener au rivage.

MEDON.

Les Cieux

N'influent dessus moi que la haine des Dieux.

SCÈNE III.
Policaste, Agarite.

POLICASTE.

Encore qu'en ce lieu tu sois en ma puissance,

980   Je crains de te parler avec trop de licence,

J'ai peur de te déplaire, et crois faire un larcin

De toucher seulement l'albâtre de ton sein.

Je n'ose mesurer cette main à la mienne.

Ma bouche n'ose prendre un baiser sur la tienne,

985   Il semble que je sors des bornes du devoir

Depuis que je conseille à mes yeux de te voir.

Enfin dirais-tu pas en cet amour extrême

Que je suis trop discret ou jaloux de moi-même.

AGARITE.

Si tes déportements ressemblent tes discours

990   Vraiment j'aurai sujet de le dire toujours,

Et jamais avec toi je n'aurai de divorce.

POLICASTE.

Mon âme, le moyen que je prenne par force

Des faveurs que l'honneur me permet librement.

AGARITE.

Que tu sais obtenir un baiser finement,

POLICASTE.

995   Agarite, j'entends demeurer un quart d'heure

Sur cette belle gorge.

AGARITE.

Ha ! Tu veux que je meure,

C'est trop en voilà plus que je ne t'ai promis.

POLICASTE.

Dieux ! que ne m'en as-tu davantage permis ?

Pourquoi ne passons-nous jusqu'à la jouissance.

AGARITE.

1000   Amour ne serait plus à l'âge d'innocence.

POLICASTE.

Étant comme je suis à l'âge de raison,

Il ne te pourrait faire aucune trahison.

AGARITE.

Les amants font toujours tant de belles promesses.

POLICASTE.

Je ne suis point de ceux qui changent de maîtresses.

1005   Si tu veux en ce point des marques de ma foi,

Je ne t'en puis montrer autre part que chez moi.

Considère ces Tours dont l'assiette guerrière,

Résiste fortement au cours de la rivière,

Et de grâce dis moi, si tu vois ce château

1010   Se bouger tant soit peu pour la vague de l'eau.

Quand les flots raviront cette forte muraille,

Tout ainsi qu'ils feraient une loge de paille,

Jure que Policaste est un esprit léger,

Et dis que pour un[e] autre il t'a voulu changer.

AGARITE.

1015   Lorsqu'on demandera cette roche perdue,

Comme si dans ce fleuve elle s'était fondue,

Appelle-moi volage, et sur le bord de l'eau

Accuse d'inconstance un débile cerveau.

POLICASTE.

Bien que nous ayons tous le cerveau fort humide,

1020   Amour n'a point en moi de siège plus solide :

Et pourtant je n'obtiens que le simple baiser

Que même aux inconstants on ne peut refuser.

AGARITE.

C'est tout ce que je puis te donner à cette heure,

En attendant toujours quelque saison meilleure.

POLICASTE.

1025   Ainsi nous espérons que les fleurs du Printemps

Feront naître des fruits au bout de quelque temps.

AGARITE.

Les Dieux nous aideront, allons je te supplie

Passer en quelque lieu notre mélancolie.

POLICASTE.

Dans ce parc où les daims se promènent parfois

1030   Nous pouvons faire un tour à l'ombrage des bois.

SCÈNE IV.
Le Roi, Medon, Phénice, le Pescheur.

LE ROI.

Nous voici sur le lieu.

MEDON.

Ha ! Je connais ma perte.

De ces mêmes habits ma fille était couverte :

Amis soutenez-moi, je tombe en pâmoison.

PHÉNICE.

La douleur en ce corps fait l'effet du poison,

1035   Pêcheur cours vitement au bord de la rivière,

Tes mains en un besoin te serviront d'aiguière.

LE PÊCHEUR.

Tenez voila de l'eau tant qu'il en peut tenir

Dans le creux de ma main.

PHÉNICE.

Faisons-le revenir.

LE ROI.

Oiseaux qui vous cachez dans les vieilles masures,

1040   Et cherchez votre vie auprès des sépultures,

Quittez ces monuments. Venez tristes hiboux

Sur la rive des eaux vous plaindre comme nous :

Agarite est perdue et les Ondes coupables

M'ont privé de l'objet de ses beautés aimables ;

1045   J'espérais de la voir au lever du Soleil,

Et l'horreur de la nuit m'a caché son bel oeil.

Ô Ciel ! Ô Terre ! Ô Mer ! Ô Ciel devais-tu luire

De tant d'astres malins ce soir-là pour me nuire ?

Ô Terre devais-tu priver de monument

1050   Celle que je demande à ce traître élément ?

Ô Mer ! devais-tu pas engloutir tout ce fleuve

Qui d'un si beau sujet fait la nature veuve.

Et vous tristes Rochers d'où naissent les ruisseaux,

Qui vont perdre leur nom dans l'abîme des eaux,

1055   Pourquoi d'un frein glacé n'arrêtiez-vous leurs courses,

Ou ne les faisiez-vous remonter à leurs sources ?

Ha ! c'est qu'en cette nuit si pleine de malheurs

Vous n'aviez pas moyen de retenir vos pleurs,

Même il semble à présent que votre deuil redouble,

1060   Et que de vos torrents la rivière se trouble.

Mais ce n'est pas à vous, ô Rochers ! de pleurer,

Et ce n'est pas à vous, ô Vents de soupirer,

La tristesse n'agit qu'en un sujet passible  [ 1 Passible : Capable d'éprouver la douleur ou le plaisir. [L]]

Et c'est aux hommes seuls que le mal est sensible.

1065   Qu'on ne me peigne plus Amour comme un oiseau,

Depuis cet accident il nage dessous l'eau,

Si jadis il sortit d'une conque marine

Il est allé trouver sa première origine.

Et dans ce désespoir se jetant sous les joncs

1070   Il a voulu donner ses ailes aux plongeons.

Pêcheur en cet endroit ne jette plus ta ligne :

Purge plutôt les eaux de toute herbe maligne,

Et crois que les poissons qui vivent dans leurs cours

Désormais en ce lieu seront autant d'amours,

1075   Pour toi n'afflige point ce vieillard davantage,

Ne baigne plus son front de l'eau de ce rivage,

Oblige moi Phénice : Ha ! tu le fais mourir.

Si sa fille en est morte on ne peut le guérir.

Ô riches vêtements ! dont l'ornement superbe

1080   De honte et de regret se cache dessous l'herbe.

Je veux qu'à mon exemple on arrose de pleurs

Ce fertile gazon qui vous couvre de fleurs.

Je vous tiendrai toujours ainsi que des reliques,

Et vous ferai montrer en nos fêtes publiques,

1085   Je vous enchâsserai dans un riche métal,

Et vous ferai baiser à travers un cristal.

Qu'on prenne ces habits qu'on les parfume d'ambre,

Et que tout de ce pas on les porte en ma chambre,

J'y veux voir Agarite, et là de tous côtés,

1090   En sa belle effigie adorer ses beautés.

Je veux que l'on lui dresse un beau lit de parade,

Où de deuil et d'ennui je devienne malade :

Mais le pauvre Medon est enfin revenu.

Dieux que ce mal de coeur vous a long temps tenu ?

MEDON.

1095   Ha ! Sire, commandez s'il vous plaît qu'on m'emporte.

LE ROI.

Qu'on l'emmène, pour moi la douleur me transporte.

SCÈNE V.
Corintie vêtue en deuil, Celidor en pèlerin.

CORINTIE.

Quel jour peut amener le Soleil qui nous luit

Qui ne soit obscurci de l'ombre de la nuit ?

L'air peut-il être calme où mes pleurs continues

1100   Versent plus de torrents qu'il n'en tombe des nues ?

Le moyen qu'en ce lieu s'exhalent mes soupirs

Sans troubler à l entour le rire des zéphyrs,

Les champs qui sont ailleurs tapissez de verdure,

Souffrent ici leur part des peines que j'endure,

1105   Et les fleurs que mes yeux regardent par mépris,

Contractent la couleur des atours que j'ai pris.

Ce bocage attristé du crêpe que je porte,

D'un vêtement de deuil couvre sa feuille morte.

La mort d'un voile obscur ombrage les buissons,

1110   Et pare les chemins de ses noirs écussons :

En quel lieu je passe une image tremblante

Me fait voir comme en songe une tête sanglante,

Aux champs et dans la ville un Esprit me poursuit

Lizene massacré m'apparaît chaque nuit

1115   Et sachant que l'amour a commis cette offense

Contre mon propre sang, j'excuse son enfance.

Triste deuil fallait-il que ta noire couleur

Accusât un Amant d'avoir fait ce malheur ?

Si d'un drap si pesant je n'eusse été chargée

1120   Celidor là dessus ne m'eut interrogée.

Et je n'eusse pas su le crime qu'il a fait.

Crime, hélas ! dont ses yeux m'ont plus que satisfait.

Il faudrait qu'il eût eu la poitrine de Roche

Pour tuer celui-là qui m'était le plus proche.

1125   Mais jamais par malheur il ne l'avait connu,

Encore que chez nous il fut souvent venu.

Pour ce que ma beauté lui fut toujours si chère,

Qu'il semblait acheter l'absence de mon frère.

Or bien que l'ignorance excuse tout péché,

1130   Il pense que le sien ne peut être caché.

Sachant que les amants ne souffrent qu'en l'absence,

Il veut aller bien loin en faire pénitence.

Hé Dieu ! n'est-ce pas lui, qui tenant un bourdon,

Vient encore une fois me demander pardon ?

1135   En fin ce dessein est d'aller en Terre sainte.

CELIDOR.

C'est là que j'ai conclu d'aller cueillir l'absinthe

Qui par son amertume efface les péchés.

CORINTIE.

Ha ! Je vous retiendrai.

CELIDOR.

Hélas ! Ne me touchez

Que je ne sois purgé d'un meurtre détestable.

CORINTIE.

1140   L'ignorance et l'amour l'ont rendu pardonnable.

CELIDOR.

Toujours est-ce commettre un énorme forfait

De rompre le saint voeu qu'une personne a fait.

CORINTIE.

Accomplir celui-ci c'est un crime bien pire.

CELIDOR.

Ne blâmes le conseil qu'un bon Ange m'inspire.

CORINTIE.

1145   S'il faut que sur l'amour un Ange soit vainqueur,

Vous ferez donc encore un meurtre dans mon coeur.

CELIDOR.

Cet Archer qui naguère y faisait quelques brèches,

Par dessous mon habit ne tire plus de flèches,

CORINTIE.

Ce Chasseur qui souvent m'est venu visiter,

1150   Encore par les champs se fait-il redouter.

CELIDOR.

Croyez-moi ce Bourdon que j'ai pour toutes armes

Ne me sert qu'à passer les ruisseaux de mes larmes.

CORINTIE.

Les miennes que vous seul pouvez faire cesser,

Font ici des Torrents que l'on ne peut passer.

CELIDOR.

1155   Adieu, vous ne pouvez m'empêcher le passage,

Me dussé-je noyer commençant mon voyage.

CORINTIE.

Tu n'iras guère loin sans m'avoir près de toi,

Ton remords ne saurait te séparer de moi.

Cruel ! Pourrais-tu faire une plus grande offense

1160   Que me priver ainsi de ta chère présence ?

Ne crois pas que je veuille attendre ton retour,

Je me saurai servir des conseils de l'amour.

Si je me déguisais ? Dieux comme les pensées,

Nous viennent promptement aux affaires pressées.

1165   Je recevrai dans l'âme un plaisir singulier

De le suivre par tout en jeune cavalier,

J'éveillerai par fois son humeur solitaire,

Et puis en temps et lieu je lui dirai l'affaire,

C'est le meilleur moyen que je puisse trouver :

1170   Au reste d'accident il n'en peut arriver :

Je puis en peu de temps dresser mon équipage,

Et sans être connue entreprendre un voyage.

Allons, je me résous de partir promptement,

Et ne veux différer ce dessein d'un moment.

SCÈNE VI.

LE ROI, furieux.

1175   Traîtres sortez d'ici, mes fureurs, et mes rages

Me servent-elles pas d'Officiers et de pages ?

Voulez-vous par dépit irriter votre Roi ?

Laissez faire l'amour, je ne suis plus à moi.

Je déteste, j'enrage. Ha ! Dieux ! Je désespère,

1180   Que le Ciel contre moi ne se met en colère ?

Que la Terre ne s'ouvre, et qu'au bruit de mes cris

Je ne fais soulever tous les malins Esprits ?

Engeance de Sorciers ! Fantômes effroyables,

Qui nous faites haïr les objets plus aimables,

1185   Venez m'empoisonner de fiel et de rancoeur,

Et chassez le Tyran qui règne dans mon coeur.

Faites moi confesser en l'ardeur qui m'enflamme,

Que je n'ai plus d'amour qui ne soit tout de flamme !

Démons, ouvrez le sein d'un Monarque amoureux,

1190   Et faites y l'Enfer d'un Prince malheureux.

Tenez, le voilà prêt, accourez je vous prie ;

Mais ces Monstres cruels ont peur de ma furie.

Foudre, grêles, éclairs, Quoi ! N'êtes vous là haut,

Que pour faire combattre et le froid et le chaud ?

1195   N'osez-vous me frapper ? Faut-il que mes blasphèmes,

Et mes cris insolents irritent les Dieux mêmes ?

Faux Dieux que les Mortels ont formé de leurs doigts

Là haut comme ici bas ils vous ont fait de bois.

Puisque pas un de vous n'est sensible à l'outrage

1200   Que vomit contre lui ma furie et ma rage...

Ha ! c'est ici le trône où la Divinité

Ne souffre que je vive avec impunité.

Mais, ô sainte Beauté, que seule je réclame,

Contente toi du corps, et ne puni mon âme.

1205   Hélas ! Que te sert-il de me voir insensé,

Te suffirait-il pas de me voir trépassé,

Si du mal que je sens tu n'es pas satisfaite,

Puni, puni de mort la faute que j'ai faite

Traite moi, je te prie, avec plus de rigueur,

1210   Et ne me laisse plus si long temps en langueur.

Las ! je me plains en vain, celle que je regrette,

Animerait plutôt cette idole muette,

Et je verrais plutôt son corps ressuscité

Que je ne fléchirais son esprit irrité.

1215   Cruelle, si faut-il que je te témoigne encore,

Quel pouvoir a sur moi ton ombre que j'adore,

Ma bouche baisera ce chef-d'oeuvre parfait,

Et bénira la main de l'ouvrier qui l'a fait :

Mes yeux contempleront cette belle effigie,

1220   Où l'art semble avoir fait quelques traits de magie,

Figurant ma Déesse avec tant de rapport

Qu'on croit même de près que c'est elle qui dort.

O divine Beauté ! depuis que tu reposes

On n'a point vu mourir les oeillets ni les roses,

1225   Ton front majestueux, ton visage vermeil

Conservent leur beau teint en dépit du sommeil,

Et je crois que l'amour n'a fermé ses paupières

Que pour mieux éviter leurs oeillades meurtrières,

Quand ma belle perdit la lumière des Cieux

1230   Il fit cette figure agréable à mes yeux,

Croyant que son idée empreinte en cette image

Pourrait aucunement réparer ce dommage.

Autre qu'Amour n'a fait un ouvrage si beau,

Il suivit tout exprès Agarite sous l'eau,

1235   Afin de rapporter sa chevelure blonde,

Que naguère en plongeant il a sauvé de l'onde.

Beaux cheveux qui saurait que vous fûtes jadis

Les cheveux du Soleil croirait ce que je dis,

Qui verrait en ce lieu comme je vous adore,

1240   Verrait idolâtrer les atours de l'Aurore,

Il serait amoureux de tout ce que je vois,

Mais ce mol entretien est indigne d'un Roi,

O paroles de femme, un homme de courage

Se dut-il échapper a tenir ce langage ?

1245   Brise là ce discours et montre que tu peux

Disposer ta raison à tout ce que tu veux.

Ne souffre ce tyran qui règne sur la terre

Et tâche désormais de lui faire la guerre.

Pauvre Prince déjà ton courage abattu

1250   Pour complaire à l'amour a trahi ta vertu.

Tu n'avais dans l'esprit qu'une bonne pensée

Et le meilleur remède à ton âme blessée,

C'est de perdre le soin de venir tous les jours

T'entretenir ici de tes folles amours.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.
Policaste, Agarite, en Page, Phénice, Amelise.

POLICASTE.

1255   Tant de braves Seigneurs que le Roi tient à gages,

Et que l'on voit suivis d'une troupe de Pages,

Ne s'imaginent pas, me voyant à la Cour,

Que je mène avec toi la prudence et l'amour,

Si mon dessein était seulement de paraître,

1260   La sottise et l'orgueil me feraient mieux connaître,

Le vice a plus de train que non pas la vertu,

Chacun de ses couleurs désire être vêtu,

Tel pour faire le brave en bonne compagnie,

Engage sa Noblesse et vend sa Baronnie,

1265   Et souvent la plus part de tous ceux que tu vois

Se vient faire de fête à la suite des Rois :

Mais c'est pitié de voir que tant de volontaires,

Au lieu de s'avancer y font mal leurs affaires,

Je ne m'étonne pas si le monde s'en rit,

1270   Il n'est parmi les grands que d'avoir de l'esprit,

J'ai partout des ressorts dont je fais des merveilles,

Et si je ne fais rien que tu ne me conseilles.

Amour en soit loué, c'est lui qui dans tes yeux

Me montre les moyens de passer en tous lieux,

1275   Naguère qu' avec toi j'étais à la Campagne,

Dedans ce beau château, que la rivière bagne,

Le Dieu que nous servons me montrait les détours,

Et les chemins secrets pour sortir de nos tours.

Il m'a dit le premier cette nouvelle heureuse,

1280   Que le Roi languissait d'une fièvre amoureuse,

Et m'a fait espérer, qu'en lui donnant secours,

Je verrais à la fin réussir mes amours :

Tant est que j'ai songé cette noble furie,

Par quelque beau secret pouvoir être guérie.

1285   J'ai pensé qu'arrivant dans la chambre du Roi,

Il nous pourra tous deux regarder sans effroi,

Et qu'il perdra l'amour d'une muette idole,

Si je puis seulement lui dire une parole.

Qu'en dis-tu ? Si je puis le remettre en santé.

AGARITE.

1290   Vous serez plus heureux que vous n'avez été.

POLICASTE.

La plus grande faveur que le Roi me peut faire,

Dépend de t'épouser.

AGARITE.

C'est le juste salaire

Que j'attends d'un Seigneur de votre qualité.

POLICASTE.

Page, vous m'alléguez votre fidélité.

1295   Quoique le vermillon vous monte sur la face,

Encore en ce discours vous avez bonne grâce.

AGARITE.

Me voulez-vous longtemps gausser de la façon

À cause qu'à présent je ressemble un garçon.

POLICASTE.

Agarite, chacun fait l'amour à sa guise,

1300   Et l'on doit trouver bon qu'ainsi je te déguise.

AGARITE.

Mais direz-vous au Roi qui je suis ?

POLICASTE.

Je dirai,

Si je m'y vois contraint, ce que j'aviserai.

Ce pendant je voudrais avoir trouvé Phénice,

Je suis bien assuré que sachant l'artifice

1305   Dont je me veux servir, il nous ferait entrer.

AGARITE.

Cet honnête écuyer nous le pourra montrer.

POLICASTE.

Dieux ! Faites réussir cette haute entreprise.

C'est lui-même, il conduit la Princesse Amelise :

Allons le saluer.

AGARITE.

Je vous suis.

POLICASTE.

Monseigneur.

1310   J'interprète déjà ce rencontre à bonheur,

En ce Palais-Royal, le dessein qui m'amène,

Est de guérir le Roi, vous donnant une Reine

PHÉNICE.

Si vous avez moyen de le désabuser,

Voici bien la Beauté qu'il pourrait épouser,

1315   On ne saurait trouver un parti plus sortable

Pour un Roi si puissant, mais, chose épouvantable !

Il est si furieux qu'on ne le peut tenir.

POLICASTE.

Dites-moi, s'il vous plaît, d'où son mal peut venir.

PHÉNICE.

D'un amour déréglé, maudite rêverie,

1320   Qui par aucun secret ne peut être guérie.

POLICASTE.

Cet amour déréglé, qui lui passe en fureur,

D'ordinaire provient d'une divine erreur,

Et ne se guérit point comme une maladie,

Dont l'assoupissement rend notre âme étourdie.

1325   Les fièvres, dans nos corps, s'engendrent des humeurs,

Mais telles passions s'engendrent de nos moeurs :

De sorte que ce mal, que vous nommez furie,

Procède d'une belle, et noble intempérie.

Et jamais il ne faut estimer insensé

1330   Celui-là que l'amour de ses traits a blessé.

Vu qu'un mal qui provient d'une cause divine

Comme un bien souverain, porte sa médecine.

PHÉNICE.

Si le Roi vous oyait quelque temps discourir,

Pour le sûr vos raisons le pourraient bien guérir.

AMELISE.

1335   Encore pour venir à bout de cette cure,

Quel secret savez-vous en toute la Nature ?

PHÉNICE.

Il nous le pourra dire en un lieu moins suspect,

Où nous le traiterons avec plus de respect.

On ne saurait ici recevoir la Noblesse,

1340   Selon qu'elle mérite, à cause de la presse.

Entrons dans le Palais.

AMELISE.

Venez m'entretenir,

Du louable dessein qui vous a fait venir.

SCÈNE II.
Corintie, en cavalier, Celidor, en pélerin.

CORINTIE.

Mon amant doit passer au coin de ce bocage,

En ce lieu je pourrai le guetter au passage,

1345   Cet ormeau que je vois, de lambruches couvert,  [ 2 Lambruche : Nom vulgaire donné, dans quelques cantons du midi de la France, à des ceps de vigne croissant spontanément et sauvages. [L]]

Me peut mettre à l'abri de son feuillage vert.

CELIDOR.

En fin, m'accoutumant à baiser les fontaines,

J'étancherai ma soif de leurs eaux souveraines.

Et me désaltérant de leur fraîche liqueur,

1350   J'amortirai le feu que je sens dans le coeur.

Je me trompe, les eaux n'augmentent que ma braise,

Et mon amour renaît des Nymphes que je baise.

CORINTIE.

Demeure, Pèlerin, dans ce bois écarté,

Un jeune homme se plaint que tu l'as maltraité.

CELIDOR.

1355   Généreux Cavalier, à tort on me soupçonne,

Croyez-moi, dans ce bois je n'ai trouvé personne.

CORINTIE.

Je te crois, Celidor, et je te parle ainsi,

Afin tant seulement, de t'arrêter ici.

Ne fais pas l'étonné, tu chéris Corintie,

1360   Ta flamme dans cette eau ne s'est point amortie,

Tu ne t'en peux dédire.

CELIDOR.

Il est vrai, je l'ai dit

À l'écho.

CORINTIE.

Tu voulais qu'elle te répondit,

Mais en cet entretien ma voix l'a prévenue.

CELIDOR.

Hélas ! Pourquoi dès lors ne vous ai-je connue ?

CORINTIE.

1365   Pourvu que je t'emmène, il n'importe.

CELIDOR.

  Vraiment.

Je vous suivrai par tout en qualité d'Amant,

CORINTIE.

Ainsi j'ai le pouvoir de rompre ce voyage,

Où tu voulais passer le meilleur de ton âge :

Tu confesses qu'Amour n'exauce point de voeux

1370   Contraires à celui que nous fîmes tous deux.

CELIDOR.

Que vous m'avez surpris d'une façon étrange,

Il faut que mon humeur à la vôtre se range,

Un pauvre pèlerin ne peut aller plus loin,

Voyant un cavalier qui vient l'épée au poing.

CORINTIE.

1375   Ta volonté suffit, les Dieux pour une offense,

Sont déjà satisfaits aussitôt qu'on y pense.

CELIDOR.

Hélas ! vous dites vrai, les Dieux ont eu pitié,

Et de notre fortune, et de notre amitié :

Mais que vous me plaisez d'être ainsi déguisée.

CORINTIE.

1380   Pour rompre ton dessein, je me suis avisée

D'errer à l'aventure, ainsi que ces guerriers

Que nos vieux Amadis couronnent de lauriers.

CELIDOR.

Donc pour les imiter, ici tout nous convie

De goûter les douceurs d'une paisible vie :

1385   Sans passer plus avant il nous faut reposer,

Et prendre l'un de l'autre un amoureux baiser :

Ha ! Que je sens de mal en cette solitude !

CORINTIE.

Tout ce mal ne sera qu'un peu de lassitude,

Vous avez bu trop chaud, vous avez trop marché,

1390   Mais vous ne serez pas demie-heure couché,

Que vous serez guéri.

CELIDOR.

Soutenez-moi, je pâme.

CORINTIE.

Hé, Dieux ! entre mes bras voulez-vous rendre l'âme.

Il ne tient pas à moi de vous bien secourir,

Pourquoi, sans me tuer, vous laissez-vous mourir ?

CELIDOR.

1395   Ne vous effrayez point.

CORINTIE.

  D'où vient cette faiblesse,

Qui vous rend si défait ?

CELIDOR.

Peu de chose me blesse,

Et toutefois mes sens me vont abandonner,

Si je n'ai le plaisir de vous déboutonner.

CORINTIE.

Je vous entends, vos yeux meurent de jalousie.

CELIDOR.

1400   Pour ne vous point mentir, j'ai dans la fantaisie

De vous prendre au collet, et d'ouvrir ce pourpoint

Pour voir à découvert ce que je ne vois point.

CORINTIE.

Est-ce que vous doutez que je sois Corintie ?

CELIDOR.

Non, mais vous m'en cachez la plus saine partie.

CORINTIE.

1405   Pèlerin, je connais quel est votre dessein.

CELIDOR.

Suis-je pas bien dévot, d'aimer tant votre sein ?

CORINTIE.

Alors qu'il sera temps d'entrer en jouissance,

Des biens que la Nature a mis en ma puissance,

Et lors qu'en même lit on nous fera coucher,

1410   Je t'abandonnerai ce que j'ai de plus cher,

Ce pendant aimons-nous.

CELIDOR.

Ha ! que ce temps me dure ?

Et qu'il fait bon ici nous coucher sur la dure.

CORINTIE.

Nous n'avons point de droit sur les terres d'autrui.

Debout, il nous faut rendre à la Cour aujourd'hui.

CELIDOR.

1415   Las ! Sans vous obéir, le moyen que je vive ?

Allons, puisqu'il vous plaît, il faut que je vous suive.

CORINTIE.

Sans toi, mon cher amant, je pourrais m'égarer,

Avec toi le chemin ne me saurait durer.

SCÈNE DERNIÈRE.
Le Roi, Policaste, Amelise, Phénice, Agarite, Medon, l'exempt, Celidor, Corintie.

LE ROI.

Enfin cette beauté, dont je suis idolâtre,

1420   A changé ma fureur en une humeur folâtre,

Je ne sens plus en moi ce transport furieux,

Qui me venait de voir son portrait glorieux,

Ma passion n'est plus dans la mélancolie,

Et mon amour n'est plus qu'une douce folie,

1425   Qui porte mon esprit à parler seulement,

A des choses qui n'ont, ni sens, ni mouvement.

Ainsi dessus ce lit mon âme s'imagine

Qu'elle adore en essence une Beauté divine,

Et tout autour de moi je ne vois point d'objet,

1430   Que pour m'entretenir sur un si beau sujet.

Ô Divine effigie, où l'humaine industrie

A fait ce qu'elle a pu pour mon idolâtrie,

Trouve bon qu'un pêcheur, et qu'un pauvre Mortel

T'élève sur ce lit, comme sur un Autel.

1435   Et toi, divin Esprit, belle âme que j'honore,

Puissance que je crains, Déesse que j'adore,

Cependant qu'à genoux j'admire ton portrait,

Fais que d'aucun des miens je ne sois point distrait.

Ici puisse le Ciel répandre tant de Baume,

1440   Qu'il soit en Orient p[l]us cher qu'en mon Royaume :

Ici brûle toujours tant de Myrrhe et d'Encens,

Que l'on flaire du Ciel les odeurs que je sens,

Comme si l'on avait parfumé toutes choses

De l'essence des lys, et de celle des roses.

1445   O beau visage aimé d'un Prince malheureux,

Ha ! vraiment ton bel oeil ne m'est plus rigoureux.

Je te trouve aujourd'hui plus beau que de coutume ;

Une plus noble flamme en mon âme s'allume,

Et mon coeur est épris de tant de Majesté

1450   Que je vois sur le front d'une Divinité.

En toi je ne crois plus adorer une idole :

Et si tu me réponds une seule parole,

Je croirai qu'à ce coup, pour m'ôter de souci,

Une belle Déesse est descendue ici.

1455   Je croirai que l'Amour anime cet albâtre,

Et n'invoquerai plus une image de plâtre.

Ha ! Si tu me disais un seul mot, je pourrais

M'en prévaloir beaucoup dessus les autres Rois :

Mais, hélas ! T'en prier, c'est faire une insolence,

1460   Ta Majesté veut être adorée en silence.

POLICASTE.

Il est temps de paraître.

PHÉNICE.

Allons l'entretenir.

LE ROI.

Ô Dieux ! Elle se lève, elle me veut punir,

Méchant ! J'ai profané ce beau lit de parade.

POLICASTE.

Quoi ! Sire, craignez-vous de mourir d'une oeillade,

1465   Où courez-vous ainsi ? Cette chaste beauté

Ne dut pas faire peur à votre Majesté.

AMELISE.

Sire, me voici prête à tout ce que votre âme

Peut jamais désirer d'une pudique Dame.

POLICASTE.

L'image que vos yeux adoraient ci-devant,

1470   Fut-il jamais si beau que ce portrait vivant ?

LE ROI.

Confus d'étonnement, et ravi de merveille,

Je ressemble à celui qui d'un songe s'éveille :

Ha ! Quand elle dormait, je disais bien alors

Que la grâce et l'amour animaient ce beau corps.

AMELISE.

1475   Après l'événement d'une feinte subtile,

Celle qui sur un lit paraissait immobile,

A repris la parole, et vous offre à présent

Ce que le coeur disait, la langue se taisant.

PHÉNICE.

Sire, qu'en dites-vous, de pareilles Princesses

1480   Feraient-elles pas honte aux plus belles Déesses ?

LE ROI.

Phénice, as-tu trouvé ce merveilleux secret

Pour chasser de mon coeur un amour indiscret,

Et pour éteindre en moi cette flamme illicite

Qui n'a pu s'amortir en la mort d'Agarite ?

PHÉNICE.

1485   Sire, ce Gentilhomme a lui-même trouvé

Le secret que sur vous nous avons éprouvé :

Mais afin de vous dire encore mieux sa feinte,

Pour vous ôter l'amour d'une figure peinte,

Et pour vous faire aimer Amelise en son lieu,

1490   Il a fait ce qu'à peine aurait pu faire un Dieu :

Il nous a conseillez de vous faire connaître

Qu'il ne faut se troubler de ce qui ne peut être ;

Et vous me permettrez de vous représenter,

Qu'Agarite ici bas ne peut ressusciter :

1495   Même pour ne frustrer cette amour excessive

Qui vous est demeurée en l'imaginative,

Nous avons trouvé bon de surprendre vos yeux

Par un autre sujet qui vous plaît déjà mieux.

Sire, pensez à vous, et quand bien Agarite

1500   Retournerait au monde avec plus de mérite,

Songez que sur vous-même il faut être absolu

Pour éteindre le feu d'un amour dissolu.

En fin, puis qu'on a mis Amelise en sa place,

Avec autant d'appas, avec autant de grâce,

1505   Ne l'éconduisez point par un honteux refus.

LE ROI.

Las ! Tu m'en as trop dit pour me rendre confus,

Je reconnais ma faute, et j'en porte la peine,

De n'oser voir en face une si belle Reine :

Car, à ne point mentir, j'ai dû considérer

1510   Qu'aux plus belles du monde on la doit préférer ;

De ma part je consens que la foi mutuelle

Confirme l'amitié que je noue avec elle.

PHÉNICE.

C'est le commun souhait de tous les gens de bien,

Les Dieux veuillent unir votre coeur et le mien.

LE ROI.

1515   Madame, le parti vous est-il agréable,

Pour moi je n'en sais point qui me soit plus sortable.

AMELISE.

Sire, le bon plaisir de votre Majesté

Agit absolument dessus ma volonté.

LE ROI.

Ha ! Que cette parole a de grâce en la bouche

1520   D'une belle Princesse, et digne de ma couche.

Peuple, réjouis toi, l'allégresse, et la paix

Font un noeud que la mort ne défera jamais

Pour toi, qui m'as guéri, je te donne parole,

Mais parole d'un Roi plus ferme que le pôle,

1525   De te récompenser ainsi que tu voudras,

Et mêmes si tu veux un Sceptre, tu l'auras.

POLICASTE.

De charges, et d'honneurs, mon âme est assouvie,

Je voudrais contenter mon amoureuse envie.

LE ROI.

Parle donc, et choisi quelque noble parti :

1530   On passera partout où j'aurai consenti.

POLICASTE.

Si quelqu'un d'entre nous vous montrait tout à l'heure

Cette jeune beauté que tout le monde pleure,

En qualité d'époux, la pourrait-il avoir.

LE ROI.

Il faudrait que les Dieux nous la fissent revoir.

POLICASTE.

1535   Cette affaire pourtant, n'est pas fort malaisée :

Car la belle Agarite est ainsi déguisée.

LE ROI.

O Cieux ! Qu'auparavant ne m'en suis-je aperçu ?

Toutefois je me suis heureusement déçu,

Et je me réjouis qu'une amitié si forte,

1540   Face ressusciter une personne morte.

AGARITE.

Sire, je le chéris d'un amour conjugal,

Et lui ne trouve point de parti plus égal.

LE ROI.

O merveille d'Amour ! ô joyeuse nouvelle !

Le Ciel veuille bénir votre couple fidèle.

1545   Finissez avec moi vos amoureux tourments,

Jouissant du repos qu'attendent les amants.

Qu'on appelle Medon, que mon peuple la voie,

Et que toute la ville en fasse feu de joie.

Ha ! Vraiment dans ma Cour il n'est point de Seigneur,

1550   Qui ne voulut avoir un tel Page d'honneur.

POLICASTE.

Sire, je vous promets qu'elle fut toujours sage,

Et qu'elle l'est encore en cet habit de Page :

Cent fois entre ses bras j'ai demeuré vaincu !

Mais le frère et la soeur n'auraient pas mieux vécu.

LE ROI.

1555   Agarite en sera davantage estimée,

En cela tu fais voir comme tu l'as aimée.

Un amour débauché ne saurait prospérer,

Les plaisirs dissolus ne peuvent pas durer,

Et sont comme des fruits que par force l'on cueille,

1560   Ou que le vent abat auparavant la feuille ;

Au contraire l'amour qui cède à la raison,

Ne craint point la rigueur de l'arrière saison,

Semblable à l'oranger, dont la feuille ne tremble

Que pour donner des fleurs, et des fruits tout ensemble.

MEDON.

1565   Ha ! Sire, montrez-moi ma fille.

LE ROI.

  La voici.

AGARITE.

Hé ! Mon père, prenez votre fille à merci.

MEDON.

Mon Enfant, lève-toi, j'excuse ta jeunesse,

Qu'a voulu gouverner mon avare vieillesse.

LE ROI.

Ce n'est pas tout, il faut la pourvoir promptement,

1570   Ce brave gentilhomme est son fidèle amant.

MEDON.

Les Dieux en soient loués.

POLICASTE.

Je meurs d'impatience,

De passer avec vous cette heureuse alliance.

LE ROI.

J'approuve cet accord, mais je pense toujours

Aux effets arrivez dans vos longues amours,

1575   Ami, je m'en étonne, il faut que je médite

Sur ce qu'ont fait les Dieux pour l'Amour d'Agarite.

Je veux penser comment nous fûmes tous déçus ;

Laissez-moi quelque temps ruminer là dessus.

L'EXEMPT.

Je pense que ces gens qui heurtent à la porte,

1580   Sont de ceux qui croyaient qu'Agarite fut morte.

CORINTIE.

Étrangers, nous venons pour voir sa Majesté.

L'EXEMPT.

Entrez, et vous tenez seulement à côté.

CELIDOR.

Il nous faut demeurer en un profond silence.

LE ROI.

La fortune et l'amour sont en juste balance,

1585   Je ne sais que juger de tant d'événements

Qui traversent ainsi les plaisirs des amants,

Pourtant, puis que je vois que les Dieux nous bénissent,

Et que pour même fin nos volontés s'unissent,

Ma Reine, derechef je vous donne ma foi.

AMELISE.

1590   Sire, dessus mon coeur vous serez toujours Roi.

LE ROI.

Dites qu'en vos beautés je conquête un Empire,

Et qu'en terre il n'est plus de Couronne où j'aspire.

Écoute voyageur, possible tu verras

Tout ce que l'océan renferme de ses bras,

1595   Quand tu feras le tour de la terre et de l'onde,

Vante toi d'avoir vu le plus grand Roi du monde.

CELIDOR.

Sire, pardonnez-moi, je serai près de vous,

Celidor se plaît trop en un règne si doux.

LE ROI.

Ravi d'étonnement, croirai-je ce miracle,

1600   Ai-je ouï Celidor, ou la voix d'un Oracle ?

Hé, Dieux ! En quel habit te viens-tu présenter ?

CELIDOR.

Je serais trop long temps à vous le raconter,

Vous saurez à loisir toutes mes aventures,

Cependant, si je suis entre vos créatures,

1605   Celui que dessus tous vous avez plus chéri,

Donnez ce cavalier à votre favori.

CORINTIE.

Sire, sous tel habit vous voyez une Amante.

LE ROI.

Dieux ! Mon étonnement de plus en plus s'augmente,

Je crois qu'en ma faveur le Ciel fait tout ceci,

1610   Et que tous les amants se trouveront ici.

CORINTIE.

Que votre Majesté, s'il lui plaît, me permette

D'épouser aujourd'hui celui que je souhaite.

LE ROI.

Approche, Cavalier. Pèlerin, le saint-noeud

Que je fais entre vous, t'excuse de ton voeu.

1615   Or sus, que tout mon peuple, et toute ma Noblesse

Prépare un carrousel à ma belle Princesse,

Que l'on nous mène tous dans un char triomphant,

Où l'amour soit assis, non pas comme un enfant :

Mais comme un jeune Roi que la presse environne,

1620   Lors qu'en cérémonie on lui met la Couronne.

 


PRIVILEGE DU ROY.

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, A nos âmés et féaux Conseillers les Gens tenant nos Cours de Parlement de Paris, Roüen, Tholoze, Bordeaux, Rennes, Aix, Dijon, Grenoble, Metz, prévôt dudit Paris, Sénéchaux de Lyon, Poitou, Anjou, Baillifs, prevôts et tous autres nos justiciers et Officiers qu'il appartiendra, Salut. Notre bien amé François Targa, Marchand Libraire de notre bonne ville de Paris, nous a fait remontrer qu'il a nouvellement recouvré un Livre, intitulé, Agarite, Tragi-Comedie, faite par le sieur Durval, lequel il désirerait imprimer et mettre en vente. Mais il craint qu'après les frais qu'il a déjà faits, et qu'il lui convient faire pour la perfection dudit Livre, quelques autres Imprimeurs et Libraires ne se voulussent ingérer de l'imprimer, et mettre en vente, et le frustrer par ce moyen du fruit qu'il espère de son travail, Nous requérant très humblement nos Lettres à ce nécessaires. A ces causes, Nous avons audit exposant, permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre, et distribuer ledit Livre pendant le temps et espace de six années à compter du jour qu'il sera parachevé d'imprimer. Pendant lequel temps Nous avons fait très expresses inhibitions et défenses à tous Imprimeurs et Libraires de notre Royaume, et à toutes autres personnes, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre, ou distribuer ledit Livre, sans le congé de l'exposant, Sur peine aux contrevenants, de cinq cents livres d'amende, et confiscation des exemplaires qui se trouveront imprimés, et mis en vente au préjudice des présentes. Voulons en outre qu'en mettant au commencement, ou à la fin de chacun desdits livres autant de cesdites présentes, ou l'extrait d'icelles, qu'elles soient tenues pour signifiées et venues à la connaissance de tous. À la charge de mettre deux exemplaires de chacun dudit livre en notre Bibliothèque, gardée aux Cordeliers de notre bonne ville de Paris, et une autre es mains de notre très cher et féal le Sieur Séguier, Chevalier, Garde des Sceaux de France, avant les exposer en vente, à peine d'être déchu du présent privilège. SI VOUS MANDONS que de ces présentes vous ayez à faire jouir pleinement, et paisiblement ledit exposant, et au premier notre Huissier, ou Sergent sur ce requis, faire pour l'exécution desdites présentes, tous exploits requis et nécessaires sans pour ce demander aucun congé et permission et nonobstant Clameur de Haro, Chartes Normande, prise à partie, et lettres à ce contraires. Car tel est notre plaisir. Donné à Paris, le treizième jour de Mars, l'an de grâce mil six cens trente cinq, et de notre règne le vingt-cinquième.

Par le Roi en son Conseil.

Signé FARDOIL.

Achevé d'imprimer le deuxième jour de juin mil six cens trente-six. Les Exemplaires ont été fournis en la Bibliothèque du Roi, et à Monseigneur le Chancelier. Les exemplaires ont été fournis.


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Notes

[1] Passible : Capable d'éprouver la douleur ou le plaisir. [L]

[2] Lambruche : Nom vulgaire donné, dans quelques cantons du midi de la France, à des ceps de vigne croissant spontanément et sauvages. [L]

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