LE MOUCHOIR DE CHAPUZOT

MONOLOGUE

dit par M. CHAUTARD (du théâtre de l'Odéon)

Prix 50 centimes

1890.

JEAN DRAULT

PARIS, VICTOR LECOFFRE, ÉDITEUR, 90 rue Bonaparte, 90

Paris. - Imprimerie de Charles Noblet, 13, rue Cujas.


Teste établi par Paul FIEVRE, mai 2024.

Publié par Paul FIEVRE, juillet 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:00.


PERSONNAGES

CHAPUZOT.

La Scène est à Rome.


LE MOUCHOIR DE CHAPUZOT

Chapuzot, en tenue de corvée, le képi en arrière, un balai sur l'épaule, entre en scène, salue le public d'un air gauche.

CHAPUZOT.

C'est moi que je m'appelle Chapuzot !... Tel que vous me voyez, je balaye la cour de la caserne. C'est la seule distraction que le règlement me fasse cadeau pour le moment, vu que je suis à la salle de police... Oui, le caporal de garde vient de me faire sortir de la boîte, et je balaye ; dans dix minutes, je serai réintégré avec Jules, et, demain matin, je ressortirai pour rebalayer !... Et comme ça pendant huit jours !...

Il s'arrête et écoute avec inquiétude en regardant du côté par où il est venu.

Rien !... C'est rien !... J'avais peur, des fois, que ça serait le caporal de garde... Il serait bien capable de me faire rallonger de deux jours, s'il me voyait bavarder au lieu de frictionner les cailloux !... Et, dame, huit et deux, ça fait dix !... Huit jours, c'est déjà beaucoup pour ce que j'ai fait ; d'abord, j'ai rien fait, rien du tout !... Je suis ici pour avoir flanqué mon mouchoir dans la figure du chef de musique !... Quand je dis que c'est moi, c'est une façon de dire !... C'est moi, si vous voulez ; seulement, c'est pas moi !... C'est Fricotard qui a fait le coup !... Vous ne connaissez pas Fricotard ? C'est mon voisin de lit, un loustic qui est de la classe. Il profite de ce que je ne suis pas encore à la coule pour me jouer des tours, oh ! Mais des tours !... Seulement sa dernière farce, elle est tout de même trop carabinée !... On ne fait pas attraper comme ça huit jours de boîte à un copain !... Aussi, c'est fini nous deux ; moi qui avais toujours une pipe de tabac fin à lui donner, chaque fois qu'il me demandait du tabac, qu'il vienne un peu m'en redemander !...

Pour lors, voilà comment que ça s'est passé : il y a trois jours, il m'a pris une fantaisie d'entrer dans les clairons... J'aime la musique, c'est pas défendu !... Et j'ai été trouver le caporal clairon pour lui dire que je voulais être élève clairon. Il s'appelle Badernot, le caporal clairon... Oh ! C'est un lapin, allez !.. Faut l'entendre sonner la soupe !... Il vous trompette ça numéro un !... Il m'a tout de suite donné un instrument, et il m'a dit de souffler dedans un bon coup. Alors, moi, que je ne suis pas encore poitrinaire, j'enfle mes joues, et je pousse de l'air dans le machin... Paraît que ça a bien marché, parce que le caporal, il m'a dit comme ça : « Chapuzot !... C'est épatant !... N'y a que toi, dans tout le régiment, pour avoir des poumons comme les tiens !... Décidément, t'as du goût pour la chose. Seulement, pour faire encore plus de progrès, faut t'exercer le soir, en plus de l'école, dans ta chambrée. » Moi, j'ai rien répondu, seulement je m'ai dit : « Il est encore simplet, le caporal, s'il croit que les camarades, ils vont me laisser claironner comme ça tous les soirs dans leurs oreilles !... » J'ai tout de même essayé, et le soir, après la soupe, pendant que les camarades, ils causaient politique en fumant leurs pipes, j'attrape mon clairon, et je te trompette, je te trompette, je te trompette !... Oh ! Si vous les aviez entendus !... Ils m'ont traité de toutes sortes de noms que je peux pas répéter ici ; je rougirais !... Fromageon, entre autres, m'a gratifié d'une injure que je me rappellerai toute ma vie ; il m'a appelé « s'pèce d'andouillard » ! Aussi, Fromageon, encore un qui pourra venir me demander du tabac, quand il n'en aura plus !... Je lui ferai faire demi-tour par principe !... Fricotard, lui, n'a rien dit!... Ça m'a d'abord étonné qu'il ne crie pas après moi comme les autres ; mais ça ne m'a plus étonné quand il m'a demandé du tabac... J'ai remarqué qu'il me dit moins de gros mots, quand il n'a plus de tabac !... Moi, je lui en ai donné ; je ne sais jamais en refuser à personne !... Seulement, je ne lui en aurais pas donné, si j'avais su le tour qu'il mijotait dans sa cervelle... Pour lors, il bourre sa pipe et il l'allume. Moi, je me couche. J'avais plus que ça à faire, puisqu'on ne voulait pas me laisser claironner... La politique, c'est pas mon affaire ; j'aime mieux le clairon : chacun ses arts d'agrément, c'est-il pas vrai ?... N'y avait pas cinq minutes que j'étais couché, quand je vois Fricotard qui prend mon clairon, et qui se met à rire tout seul en manipulant je ne sais pas quoi avec. Mais moi, qu'est-ce que vous voulez ?... Je ne suis pas soupçonneux pour deux sous, j'ai cru simplement qu'il n'avait jamais vu un clairon de près, et qu'il voulait voir comment que c'était fait à l'intérieur !... Ça fait que, le lendemain matin, je ne m'aperçois de rien, ou plutôt, si, je m'aperçois que je suis enrhumé du cerveau. Je me dis : « Bon ! ce rhume-là, je l'attendais. » Faut vous dire que je couche à côté d'un carreau qui est cassé depuis deux mois... Je veux me moucher, et je ne trouve plus mon mouchoir ; et, dame, c'est très gênant, quand vous êtes soldat, de perdre votre mou choir, parce que vous n'en avez qu'un ; et le capitaine, au lieu de vous en donner un autre, il vous met à la salle de police pour vous apprendre qu'on ne doit pas le perdre... Je dis alors à Fricotard : « Fricotard, as-tu vu mon mouchoir ?...» Parce qu'il faut encore que vous sachiez que Fricotard, il se sert quelquefois de mon mouchoir pour économiser le sien... Il me répond : « Ton mouchoir ?... Je l'ai pas vu !... Est-ce que tu me l'as donné à garder, voyons !... » « C'est pas la peine de te fâcher, que je lui réponds. Puisque tu ne l'as pas, c'est bon, on s'en passera !... » Et je me mets à souffler dans mon clairon pour faire quelque chose !... Il était bouché !... Allons, bon ! Que je dis, v'là mon clairon qui est bouché ! Malheur de malheur !... J'aimerais ben mieux que ça serait mon nez qui serait bouché, et pas mon clairon !... Enfin, j'avais pas le choix... À sept heures, je m'en vas à l'école des clairons, et je dis au caporal Badernot : « Cap ral ! Je suis dans de beaux draps : mon clairon, il est bouché !... » « Bouché, votre clairon ?... » qu'il se met à hurler. « Un clairon tout neuf d'hier ?... Qu'est-ce que vous me fichez là ?... C'est vous qui êtes bouché !... » « Faites excuse, que je lui ré ponds, je voudrais bien que ça serait moi qui serait bouché, mais c'est pas moi, c'est mon clairon !... » « Ça me regarde pas ! qu'il répond, vous expliquerez votre cas au chef de musique; il doit passer l'inspection, ce matin. » « Bon ! Que je me dis... C'est tout de même pas de veine d'avoir son clairon bouché, un jour d'inspection! » Tout d'un coup, voilà le chef de musique qui arrive. Il commence l'inspection, puis il vient devant moi et me dit : « Soufflez-moi do, mi, sol, dans votre instrument, que je voie ce que vous pouvez faire .. » Alors, moi, je rectifie la position et je dis : « Je peux pas, m'n'officier !... Mon clairon, il est bouché !... » « Ça ne me regarde pas ! qu'il répond. Soufflez quand même !...» Alors, je souffle quand même, tant que je peux, à faire claquer mes joues... Tout d'un coup, vlan !... J'entends un couac, oh ! Mais, un couac !... Et puis je vois queuque chose qui sort de mon clairon, comme qui dirait z un boulet de canon, et qui s'en va taper en plein dans le nez du chef de musique !... C'était mon mouchoir !... C'était c't'animal de Fricotard qui avait fourré mon mouchoir dans mon clairon, histoire de le boucher ! Vous voyez la tête du chef d'ici !... Et la mienne, donc !... « Soldat Chapuzot !... qu'il me crie, vous êtes donc physicien, que vous faites sortir des mouchoirs de votre clairon ?... En tout cas !... Vous aurez huit jours de clou !... J'aime pas qu'on se fiche de moi !... » Le plus embêtant, c'est que le colonel, il voulait me faire passer au conseil de guerre, parce que j'avais flanqué mon mouchoir dans la trompette de mon supérieur. Seulement, on lui a expliqué comment que l'accident s'était produit, et il a ri comme un bossu. li a cru que je mettais d'habitude mon mouchoir dans mon clairon pour pas encombrer mes poches !...

Eh bien ! Vous voyez, hein !... C'est-il pas malheureux de récolter huit jours par la faut' d'un pignouf comme Fricotard ?... Aussi c'est fini, quand il me demandera du tabac en me disant : « Passe moi z en », je luis répondrai : « Oui mon vieux, passe toi z en ! » Et, surtout, jamais je ne lui prêterai mon mouchoir !... Il usera le sien, voilà tout !...

Regardant autour de lui.

Ah !... Bigre !... V'là le caporal !... Faut que je m'en aille !... Maintenant que la cour est balayée, il va me remettre sous les verrous !... Surtout, ne lui dites pas que j'ai rompu le silence en faisant ma corvée !... À demain matin !... Je reviendrai balayer la cour !...

Il sort, son balais sur l'épaule.

 



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