MONSIEUR CAMBREFORT

1881.

de Louis DÉPRET


© Théâtre classique - Version du texte du 30/08/2024 à 07:21:01.


PERSONNAGES

LÉON. (30 ans.)

MADINIER. (60 ans.)

CAMBREFORT. (Même âge environ.)

L'action se passe dans un elégant appartement de garçon, entre neuf et dix heures du matin.

Tiré de "Théâtre de Campagne. Première-Huitième série. Troisième série", 1882. pp 189-209.


MONSIEUR CAMBREFORT

SCÈNE I.

LÉON, seul, écrivant.

«... J'ai eu tort de vous appeler vieil âne. Je déclare que le mot m'est échappé dans un mouvement de colère.

Parlé.

contre les baudets.

Écrivant.

Je retire le mot.

Parlé.

C'est tout ce que je puis faire, malheureusement.

Écrivant.

Les liens qui vont nous rapprocher, me rendent bien douce cette démarche... spontanée.

Parlé.

Ô vérité ! Qu'il fait froid dans ton puitS.

Écrivant.

Je suis, monsieur, etc. »

Parlé.

L'adresse maintenant.

Écrivant.

Monsieur Madinier.

Parlé.

Qualités : Ma foi, je ne lui en sais qu'une, c'est d'être l'oncle de Mathilde, et Mathilde n'a qu'un défaut, c'est d'être la nièce de Madinier, et de m'avoir ordonné d'écrire cette lettre d'excuses,

Il se lève et entrouvre une porte à gauche.

Pierre, portez cette lettre à son adresse, au grand galop. Vous dites ?... Vous êtes seul... personne pour ouvrir. Eh bien, j'ouvrirai, moi. Allez Vite... Vite...

Il referme la porte et parle en marchant.

L'hiver dernier, après des péripéties qui rempliraient un in-quarto, une charmante jeune fille que j'adorais de loin, daigna consentir à abréger la distance. Ce fut céleste... jusqu'au jour de mon admission comme prétendu. Je retrouvai mes dix-huit ans. avec les avantages do l'expérience et de la comparaison en plus. Mais, depuis six semaines, j'expie un bonheur immérité on me présente à la famille. La mère de Mathilde a des collatéraux dans toutes les communes avoisinant Paris. Aussi, je possède ma banlieue ! Hier, dimanche, jour de Chantilly, c'était le tour du parrain Boisseau. Chez le parrain Boisseau, ne voilà-t-il pas que je suis, pendant toute la fête, assailli des provocations d'un certain Madinier, qui, du potage aux cigares, se fit un jeu de me contredire. Ma foi, n'y tenant plus, j'intercalai dans ma riposte l'épithète de « vieil âne. » Madinier, qui semblait n'attendre que cela, et même le désirer un peu, se lève,

L'imitant.

se boutonne... jusqu'au plafond. « il suffit, Monsieur. » puis, bientôt il s'en va. Je ne songe plus, moi, qu'à finir gaîment la journée auprès de Mathilde. Au moment des adieux, elle médit, en l'air, comme cela: « À propos, n'oubliez pas ta petite lettre d'excuses. - Laquelle ? - Vous recevrez demain la visite de Monsieur Cambrefort, le témoin ordinaire de Monsieur Madinier. Ah! on va donc se battre ? Vous êtes fou. De vous, je crois bien ! Mettez-vous donc à ma place, s'il lui arrivait malheur. Parbleu ! J'aimerais mieux alors être à votre place qu'à la sienne. Charmant mais n'oubliez pas la petite lettre. Comment, c'est donc sérieux ? ? Je le veux. Mathilde finit toutefois par reconnaître que ce dernier argument n'est pas pur de tout sophisme. « Voyons, c'est un homme excellent, de plus c'est mon oncle. il a ses manies.vous ne le corrigerez pas. Du moins, avais-je raison ? On a toujours raison contre mon oncle. pourvu qu'on n'oublie pas la petite lettre. » - J'ai promis, et ce matin l'aurore aux doigts de rose m'a tendu cette plume. Par Minerve, il y a longtemps que je ne m'étais levé aussi tôt pour écrire ! Qu'en diraient les Ernestine, les Acacia, les Frédéric. et tous ceux qu'afflige ma décadence, s'ils apprenaient que j'en suis déjà à demander pardon.

On sonne.

Qui cela peut-il être ?... Eh bien, on n'ouvre pas... Ah ! J'oubliais, je suis seul à la maison.

Il disparaît un quart de seconde et rentre presque aussitôt suivi de Cambrefort.

Un monsieur petit, gros et rageur qui n'a affaire qu'à moi. Je l'ai prié de dire son nom, il n'a pas voulu sortir de ça - « je suis l'ami en question ; » c'est le plénipotentiaire de Madinier. Si Mathilde n'avait pas ma parole, ce diplomate serait bien reçu !

Entrée de Cambrefort.

SCÈNE II.
Léon, Cambrefort.

LÉON.

Veuillez vous asseoir, monsieur.

CAMBREFORT, très gourmé, après avoir failli céder.

Je ne dois pas m'asseoir, Monsieur.   [ 1 Gourmé : Fig. Être gourmé, être roide comme si on était tenu par une gourmette, présenter l'apparence de la roideur et de la présomption.[L]]

LÉON.

Vive la liberté ! Monsieur Cambrefort.

CAMBREFORT, sévère.

D'où savez-vous mon nom ?

LÉON, conciliant.

De la même bouche qui m'a appris quels nobles liens de coeur vous unissent à mon...

CAMBREFORT, l'interrompant du ton le plus sec.

À votre adversaire !

LÉON, encore aimable.

À mon adversaire, soit. (A part.) Il est raide.

CAMBREFORT.

On ne me voit pas, il est vrai, suivre Madinier dans ces réunions d'élite où il est si bien fait pour briller. Je ne suis pas l'ami des jours de soleil, Monsieur !

LÉON.

C'est prudent, quand on est sanguin, étoffé...

CAMBREFORT.

Mais que Madinier me cherche, il me trouve.

Avec une intention mauvaise.

Nous ne sommes pas de ce siècle... Monsieur.

LÉON.

Le dix-huitième avait du bon... Monsieur !

À part.

Sommes-nous assez Théâtre-Français !

CAMBREFORT.

Hier, Madinier insulté lâchement par.

Sur un geste de Léon, il s'arrête.

Voyons, le nom de vos amis, les armes, l'endroit ? Ce ne sera pas ma faute si les règles sont violées.

LÉON, froidement.

Vous ne faites que cela, violer tes règles, depuis votre entrée.

CAMBREFORT, ironique.

Je ne suis pas curieux... mais, je voudrais bien voir cela.

LÉON.

C'est très facile. Il me semble que malgré tous vos avantages, papa Cambrefort.

CAMBREFORT, irrité.

Pa... pa... pa... pa !

LÉON.

Pa... pardon, je reprends, il me semble que malgré tons vos avantages, vous êtes incomplet. J'ai lu dans les bons auteurs que vous deviez être deux à venir ici sanglés pour la bataille... deux à me regarder de travers, deux à refuser de vous asseoir.

CAMBREFORT, légèrement.

Le second témoin de Madinier ne pourra se joindre à moi que dans deux heures. Parlons de vos témoins à vous.

LÉON.

Coïncidence flatteuse ! Mon alter ego, mon Cambrefort, si j'ose dire, est absent de Paris ; il y rentrera bientôt, mais je ne sais pas quand, du moins à une heure ou à deux jours près.

CAMBREFORT, méprisant.

Mon pauvre monsieur, quel honnête dénouement prétendez-vous donner à l'affaire ?

LÉON.

Le plus honnête de tous, et contenu implicitement dans une petite note que j'ai fait parvenir à Monsieur Madinier.

CAMBREFORT, avec impatience.

Ah ! Mais... Ah ! Mais ! C'est toute une éducation à refaire, et je n'ai pas le temps. Apprenez donc que jusqu'à la minute précise où l'on croisera le fer, où l'on amorcera les pistolets. Madinier et vous, vous n'existez plus l'un pour l'autre que dans la personne de vos témoins.

LÉON.

Fort bien... Mais attendu que le fer ne sera pas croisé, et que les pistolets resteront au vestiaire. Je romps la chaîne des traditions, et j'accoste cet excellent Madinier.

CAMBREFORT.

Mais alors... Je crains d'avoir compris... C'est une lettre d'excuses ! Vous ne dites pas non.

Ricanement aigu.

Bravo ! C'est le chemin de la santé. On vit longtemps, jeune homme, avec ce régime ! Seulement, gare les froids de pied ! Ventre de biche ! Comme disait un de nos rois, vous n'êtes pas romanesque.

LÉON, avec une fausse douceur.

Monsieur Cambrefort vous sortez de votre mandat, je crois.

CAMBREFORT.

Qu'est-ce qu'il dit, le petit douillet ? Rassurez-vous : pas de duel, pas de témoin, n'est-ce pas ? Tu comprends ! Hein ? Pas de témoin, ergo... plus de mandat. C'est donc l'homme privé qui vous parle.

LÉON, redoublant de feinte douceur.

Alors désormais c'est donc aussi à l'homme privé que je m'adresse ?

CAMBREFORT, légèrement.

Sans l'ombre du plus léger doute...

LÉON, s'avançant ; et d'une voix très haute.

Eh bien, papa Cambrefort. Vous êtes un insolent.

CAMBREFORT, hors de lui.

Qu'est-ce qu'il dit ?... Insolent !...

LÉON.

In... so... lent, papa Cambrefort.

CAMBREFORT, suffoquant.

Mon col... J'étouffe. Tu vis encore!

LÉON.

À présent que nous nous sommes compris... Voyons... Calmez-vous... et puis après... Le grand air, mon brave... Autrement, tout cela finirait mal... J'en ai peur.

CAMBREFORT.

Ah ! Vous avez peur... Et vous avez raison d'avoir peur.

LÉON.

Regardez-vous donc... Il y a de quoi... Le grand air, je le répète.

CAMBREFORT, sortant en boulet de canon.

Tu vas avoir de mes nouvelles... toi.

LÉON.

Bon voyage... Gros vilain.

SCÈNE III.

LÉON, seul.

Bon voyage ! Ah ça ! Est-ce que j'ai le cauchemar, moi, ou bien est-ce Charenton qui déverse son trop plein dans mon entresol ? La plaisanterie a suffisamment duré, et je le ferai savoir à qui de droit. Pour ce qui est de l'imbécile qui me vaut cette algarade... Son compte est régie. Quand je serai le mari de Mathilde, et que j'aurai, comme on dit, l'oreille de la chambre, mon premier décret sera l'exclusion à vie de Madinier. Et l'on dit le droit chemin, la grande route du mariage. Grande route... soit... mais diantrement mal entretenue.

On sonne.

Cet animal de Pierre n'est pas encore rentré. Qui cela peut-il être? Sans doute, l'autre témoin de l'oncle de Mathilde. Décidément il tient trop de place dans ma vie, ce Madinier.

On va ouvrir.

À la bonne heure, cette fois c'est lui-même.

Il l'introduit.

SCÈNE IV.
Léon, Madinier, introdnit gracieusement par Léon.

LÉON, lui serrant la main.

Allons... Je suis enchanté que ce soit vous.

MADINIER, très-froid, très-magistrat.

J'ai reçu votre lettre, elle est d'un bon style, et m'a impressionné favorablement.

LÉON.

Allons... tant mieux... Vous déjeunez avec moi?

MADINIER, choqué.

Vous ne le pensez pas.

LÉON, très gracieux.

C'est de trop bonne heure pour vous ? Alors que diriez-vous, pour attendre, d'un biscuit et de quelques doigts de vieillissime porto ?

MADINIER, à part.

Oh ! Comme il me tente !

Haut, et se faisant violence.

Non... non.

LÉON.

Vous faites des cérémonies... mon oncle.

MADINIER.

Votre oncle. pas encore, ce me semble.

LÉON.

Pas ce matin sans doute... mais dans une quinzaine. Quelle figure sombre ! Il n'est rien arrivé de fâcheux à Mathilde ?

MADINIER.

Ce n'est pas pour elle... C'est pour vous qu'il faut trembler... Vous être mis à dos un pareil adversaire!1

LÉON.

Quel adversaire ? Vous et moi, ne sommes-nous pas amis ?

MADINIER.

Eh ! Qui parle de vous et de moi ? Moi, je suis conciliant, avec trois lignes d'excuse, on m'apaise, vous le savez. Mais Cambrefort n'est pas de ce caractère.

LÉON.

Eh ! Que m'importe son caractère ? Nous ne devons pas nous rencontrer souvent.

MADINIER, solennel.

Souvent... Non... Mais au moins une fois.

LÉON, gaiement.

Eh bien... Va pour une fois !

MADINIER.

Insensé ! Vous comptez peut-être sur le choix des armes ; mais Cambrefort se tient mordicus pour l'offensé.

LÉON, avec une irritation contenue.

Monsieur Madinier, un seul mot, je vous prie. Avant de vous connaître, je passais aux yeux du monde, et aux miens propres, pour avoir quelque suite dans les idées. Or, depuis hier, et un peu grâce à vous, je ne sais plus du tout, mais du tout, où j'en suis. Récapitulons, s'il vous plaît. Hier, vous ouvrez le feu contre moi, je riposte un peu vivement, je vous fais amende honorable votre main touche la mienne. Ça va bien... Pas mal et vous... i ni fini. Que me chantez-vous encore avec vos épées, vos pistolets, vos adversaires ?

MADINIER.

Mes adversaires ? Vous vous trompez... Il n'y en a qu'un, et malheureusement c'est Cambrefort que je représente.

LÉON.

Et c'est vous, mon ami, qui acceptez de pareilles missions ?

MADINIER.

Est-ce qu'il a hésité, lui !... Cette nuit même, n'est-il pas venu Me réveiller en sursaut, pour me rappeler qu'une des conditions de la réussite est une nuit de bon sommeil, qui nous fait arriver sur le terrain, plein de fraîcheur et de calme?.

LÉON.

Et je vous séparerais !... Non, non... Je lui pardonne.

MADINIER.

Riez toujours ! Pour ce que cela durera.

LÉON.

C'est donc sérieux... Eh bien, tant pis pour Cambrefort ! Je me sens en veine...

MADINIER.

Cambrefort a eu cinq duels. Il est encore là... Seul, il pourrait vous en faire le récit.

LÉON.

Comment ! Seul ! Il a donc mangé aussi les témoins !

MADINIER.

Je vous préviens que vous êtes sur une pente déplorable.

LÉON.

Alors, glissons-y gaiement.

À part.

Tiens... Une idée... Non, ce n'est pas une idée.

MADINIER.

Qui sait si en procédant avec une extrême douceur, il ne serait pas encore temps ?...

LÉON, avec explosion.

Une autre lettre d'excuses... Merci ! Passe encore lorsqu'il s'agissait de vous.

À part.

Je tiens mon idée.

Avec intention.

Bien que cela ne m'ait point paru être l'opinion de l'honnête Cambrefort.

Insistant.

De l'honnête et loyal Cambrefort.

MADINIER, pâlissant.

On dirait que vous voulez me troubler. Faites attention, Mathilde aime Cambrefort autant que moi-même. Ne vous acharnez donc pas contre lui.

LÉON, ironiquement.

contre l'honnête Cambrefort ! Ce serait dommage. Enfin, il vous plaît ainsi et il en abuse.

D'un ton enjoué.

À propos, vous a-t-il dit pourquoi il me provoque ?

MADINIER.

Vous auriez, paraît-il, poussé la folie jusqu'à le traiter d'insolent.

LÉON.

J'ai eu tort. j'aurais dû plutôt le traiter d'hypocrite!

MADINIER, anxieux.

Je vous arrête. Cambrefort n'est pas seulement pour moi un ami, c'est mon unique ami ; l'être que je respecte le plus au monde. Tandis que.

LÉON.

.... Tandis que moi, je ne suis rien pour vous, c'est entendu. Je reprends : aussi longtemps que votre unique ami Cambrefort se borna à me manquer personnellement dans l'exercice de son mandat, je demeurai patient et calme. Mais lorsqu'à la nouvelle de mes démarches auprès de vous, il se permit de ricaner. alors, je n'y tins plus. Son rire insultant signifiait si clairement des excuses à Madinier ! Quelle alliance de mots cocasse ! Comment cela s'épelle-t-il ? Vrai ! La chose ne s'est pas encore vue ! Le bonhomme même n'y voudra point croire.

À part.

Madinier se boutonne.

Haut.

Moi je vous honore et je l'ai appelé insolent.

MADINIER.

Un homme qui paraissait tant m'admirer ! À qui se fier, grands dieux !

LÉON, à part.

Allons ! Ferme !

MADINIER.

Mais il va me payer cela. Je serai votre témoin contre lui.

LÉON, à part.

Ah ! Mais non...

Haut.

et votre nièce Mathilde qui t'aime autant que vous-même.

MADINIER.

Je démasquerai le traître.

LÉON.

Il dira que vous vous battez par procuration.

MADINIER.

On ne le croira pas.

LÉON, à part.

Je me suis mis dedans... C'est à recommencer.

On sonne, Léon prête l'oreille.

Ah ! J'entends qu'on est allé ouvrir ; Pierre est rentré.

On entend le bruit d'une légère discussion près de la porte, discussion dominée par la voix de Cambrefort qui dit très haut : « C'est inutile de m'annoncer votre maître m'attend ; place, jeune homme. »

SCÈNE V.
Léon, Madinier, Cambrefort, entrant en coup de vent et allant droit à Madinier.

CAMBREFORT.

Madinier, tu te rouilles. Tu cribles de tricheries le noble jeu des armes... Tu ne devrais plus être ici.

MADINIER, lui tournant fo dos.

L'individu qui me parle semble ignorer que la journée n'est pas encore finie.

CAMBREFORT.

Madinier, je te trouve métaphysique... Tâche donc, une fois dans ta vie, d'être clair.

MADINIER.

Et vous, tâchez donc, maître Cambrefort, de parler une fois, dans votre vie, comme les gens bien élevés ! Sans doute, ce n'est pas votre faute, si l'éducation première.

CAMBREFORT.

Madinier... Restez-en là ! Je t'aime, tu le sais... mais dès que l'on touche à mes souvenirs d'enfance, je suis un baril de poudre.

MADINIER, content de son mot.

En effet, vous sautez facilement.

CAMBREFORT, il esquisse l'attitude préparatoire l'envoi d'un soufflet.

Madinier... Tu vas trop loin.

MADINIER.

Eh bien quoi ! Vous voyez qu'on peut être un homme d'une bravoure ordinaire, et vous défier.

CAMBREFORT.

Tu me dis : vous... Soit... Mais moi je veux te tutoyer une dernière fois pour te dire : Madinier, tu n'es qu'une vieille b...

LÉON, l'interrompant.

Monsieur ! Vous insultez mon oncle chez lui !

MADINIER.

Oui, noble coeur, tu l'as bien dit : chez moi car j'y viendrai demeurer.

LÉON, à part.

Ah ! Bien non, alors... Il faut qu'ils se battent.

CAMBREFORT, à Léon.

Vous, Monsieur, du moins, vous êtes dans votre bon sens, ne pourriez-vous décider entre nous ?

LÉON.

Pardon... Il me semble que nous avons d'abord un compte personnel à régler ensemble.

MADINIER, à part.

Pare celle-là si tu peux.

CAMBREFORT.

Réglons-le sur-le-champ. J'ai eu des torts envers vous, mais c'est la faute

S'adressant furieux à Madienier.

de cette vieille b...

MADINIER.

Léon, fais ton devoir, et choisis le sabre.

CAMBREFORT, à Léon.

Monsieur, nous sommes faits pour nous entendre.

MADINIER, provocant.

Monsieur voudrait accaparer mon neveu.

CAMBREFORT, ironiqne.

Pour un homme comblé des bienfaits de l'éducation première, Monsieur a des façons de s'exprimer !... Monsieur aurait tort d'ailleurs de croire qu'il est seul à avoir un neveu. J'ai un neveu aussi, moi... Norbert Demaury qui sera ici dans une heure.

LÉON, charmé.

Qu'est-ce que vous dites ? Vous êtes l'oncle de Norbert ?

CAMBREFORT.

Sans doute. Vous le connaissez?

LÉON.

C'est mon meilleur ami de collège, le témoin dont je vous parlais tantôt.

CAMBREFORT.

Sa dernière lettre me t'annonce pour un de ces jours-ci.

LÉON.

Je le sais... Il doit venir loger chez moi.

CAMBREFORT, flatteur.

Mon neveu place bien ses amitiés.

LÉON, les regardant tous deux

Et je vous laisserais vous battre !

MADINIER, tournant le dos à Cambrefort.

Cachez-moi ce traître je ne veux plus le voir.

LÉON.

Je ne vous ai rien fait... Moi, donnez-moi la main.

MADINIER.

À vous, très volontiers.

LÉON, à Cambrefort qui tourne aussi le dos à Madinier.

Et vous, Monsieur Cambrefort, refuserez-vous de me donner la main ?

CAMBREFORT.

À vous, je la donne de grand coeur.

LÉON, tenant la main de chacun d'eux.

Le moment est solennel, messieurs. Plus j'y réfléchis, plus il me paraît inévitable, qu'entre gens tels que vous, le différend soit tranché par les armes, et que ce soir, un seul de vous reste vivant. J'oserais même ajouter qu'il vaudrait mieux peut-être que tous deux... en même temps... Je n'affirme rien... Je crois... Ce n'est pas un conseil, ce n'est qu'une opinion, décidez vous-mêmes. Vous savez d'ailleurs, mes deux héros, qu'il ne s'agit point ici d'un billet pour Versailles, avec retour. Du pays où vous allez, personne, je vous dois cet aveu, n'est encore revenu.

À part.

Ils cherchent leurs mouchoirs, c'est le moment.

Il place la main de Cambrefort dans celle de Madinier, et les regarde avec complaisance se presser.

Ah ! Ma position est délicate ! Vous perdre au moment même où je sens que j'allais commencer à m'habituer à vous.

Profitant de leur extrême émotion, il disparaît sur la pointe des pieds par la porte du fond.

Je vais chercher Mathilde et sa mère pour les faire jouir de ce tableau. Après cela, si ma fiancée n'est pas contente.

Il sort.

SCÈNE VI.

MADINIER, croyant parler pour Léon.

Noble coeur ! Il a des appels irrésistibles !

CAMBREFORT, même jeo.

Si Madinier ne m'avait pas adressé de ces insultes. qui retentissent.

MADINIER.

Si Cambrefort n'avait pas levé le masque ! Ce qu'on ignore ne fait pas de mal, mais après ces lâches calomnies.

CAMBREFORT, se retournant.

Quelles calomnies ?

Découvrant la ruse.

Ah ! C'est trop fort.

MADINIER, même jeu.

Qu'est-ce qui est trop fort ?

Ils se retrouvent nez à nez la main dans la main.

CAMBREFORT.

Le conscrit s'est moqué de nous. Ce n'est pas la peine pour cela de nous tuer.

MADINIER.

Passe pour vous ! Mais moi je ne suis pas une girouette.

CAMBREFORT.

Comment ! Tu ne vois pas ?...

MADINIER, sévèrement.

Il est certain que je ne vois rien du même oeil que vous.

CAMBREFORT.

Madinier, diverses choses ressortent pour moi de tout ceci : la première et la seconde, c'est que l'on s'est moqué de nous, et que l'on a bien fait. La troisième et la dernière, c'est que nous devrions aller déjeuner. Nous nous sommes comportés, nous d'ordinaire si chevaliers, comme de simples rustres envers ce jeune homme... nous avons probablement retardé son premier repas.

MADINIER.

Je n'ai pas déjeuné plus que lui, ce me semble.

CAMBREFORT.

N'importe !... J'ai des remords. Nous avons été indiscrets, Madinier.

MADINIER.

Et tu crois qu'il a osé me donner une leçon !

CAMBREFORT.

Oh ! Non... Mais il a l'air de l'avoir osé.

MADINIER.

Tu vas lui demander raison de ses plats artifices en vue de nous désunir.

CAMBREFORT.

Non... mon brave... non... j'en ai assez.

MADINIER.

C'est bien, j'irai seul, jusqu'au bout.

CAMBREFORT.

Voyons... Sois donc raisonnable, c'est parce que l'estomac te tire, que tu dis cela.

MADINIER.

Il est vrai que je meurs de faim et de soif.

CAMBREFORT.

Je t'emmène... Mais qu'est-ce ceci?

La porte du fond s'ouvre à deux battants, et permet de voir une table à trois couverts, chargée de bouteilles de vin et de toute la figuration d'un déjeuner succulent.

MADINIER, tantalisé.

Ah ! Mon ami ! C'est cruel!

CAMBREFORT, animé par l'espoir.

Regarde, ami... trois couverts !

Entrée de Léon.

SCÈNE VII.
Léon, Madinier, Cambrefort.

LÉON, gaîmont.

C'est encore moi !

MADINIER, sévère.

Et d'où venez-vous, s'il vous plaît ?

CAMBREFORT, inquiet.

Madinier, tu sais de quoi nous sommes convenus... du liant, du moelleux, s'il vous plait !

LÉON, leur versant à boire.

En attendant les côtelettes, tâtez-moi ce Sauterne. Vous, demandez d'où je viens, je vais vous le dire. Mathilde et sa mère, impatientes de connaître les suites de notre petit... malentendu, ont fait arrêter leur voiture devant ma porte et m'ont demandé. La nouvelle de notre arrangement les a surprises de la façon la plus agréable.

À Madmior.

Diavolo, vous ne passez pas pour un monsieur commode aux yeux de votre famille.

À part.

J'ai eu beau faire, pas moyen de l'éviter à la noce.

MADINIER, faisant le plaissnt.

Mon neveu, ne fût-ce que pour ce cachet jaune, vous aurez souvent ma visite.

LÉON.

Je vous préviens loyalement qu'il ne m'en reste que deux bouteilles,

À part.

et si c'est comme ça, je te promets que nous les viderons aujourd'hui.

 



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Notes

[1] Gourmé : Fig. Être gourmé, être roide comme si on était tenu par une gourmette, présenter l'apparence de la roideur et de la présomption.[L]

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