COMÉDIE
M. DC. XCII.
AVEC PRIVILÈGE DU ROI.
De Mr DANCOURT
Représentée pour la première fois le 30 Janvier 1692 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 22:59:39.
ACTEURS
MADAME THIBAUT, femme d'intrigues.
GRABILLLON, sa servante.
LA BRIE, Cousin de Gabrillon.
LA RAMÉE, fourbe, sous le nom de Cléante, son Capitaine.
JOLICOEUR, Soldat de Cléante.
LE MAÎTRE À CHANTER.
LE MAÎTRE À DANSER.
DORISE, Précieuse.
ANGÉLIQUE, fille déguisée en homme.
LE JEUNE COMTE.
MADEMOISELLE GOGO.
CHAMPAGNE, ami de la Ramée.
ÉRASTE, Officier.
ARAMINTE, prétendue femme d'Éraste.
LE CHEVALIER, Amant d'Araminte.
LE MARQUIS.
LE COCHER.
LÉANDRE, fils de Dorante.
DORANTE, Père de Léandre.
MÉLINDE, femme de Dorante.
MONSIEUR DU BOIS.
MONSIEUR DE LA PROTASE, Poète.
ORGON.
ARDALISE, sa femme.
LISETTE, leur servante.
LE PETIT DRAGON, neveu de Gabrillon.
MADAME TORQUETTE, marchande de marée.
CASCARET, laquais.
La Scène est à Paris.
Les personnages du jeune Comte et Mademoiselle Gogo n'appraissent pas dans la pièce.
ACTE I
SCÈNE I.
La Brie, Gabrillon.
GABRILLON.
Ah, vous voilà donc à la fin ! Bonjour, Monsieur de la Brie.
LA BRIE.
Bonjour, cousine : que me veut ta Maîtresse ? On m'a dit à l'auberge qu'elle avait envoyé me chercher. La besogne donne-t-elle ? Car, elle ne m'emploie que lorsqu'il y a ici des affaires à tout rompre.
GABRILLON.
Les grands génies ne se mettent pas à tous les jours.
LA BRIE.
Écoute, ne pense pas rire, tout homme qui travaille pour Madame Thibaut, ne doit pas être un sot. Malepeste ! Il se fait ici les plus belles affaires de Paris : voulez-vous des Charges, des Offices, des Emplois ? On vous en fera voir de tous les échantillons. Êtes-vous dans le goût de vous marier ? On vous y fournira des femmes de toutes tailles, de tous âges ; et si vous plaidez, vous y trouverez des Solliciteuses depuis une pistole jusqu'à trente : voilà ce qu'on appelle une bonne boutique ; il n'y a point ici de nenni. Mais, mon zèle l'emporte sur la curiosité : dis-moi donc, qui y a-t-il de nouveau. [ 2 Solliciteur : Qui poursuit une affaire, qui la recommende, qui fait tous les pas nécessaires pour la mettre en état. [F]]
GABRILLON.
Bien des affaires, ma foi. [ Nenni : Non. Il est bas, et n'a guère d'usage que dans la conversation, ou dans le style badin et comique. [T]]
LA BRIE.
Et dis-moi donc vite.
GABRILLON.
Elle se marie.
LA BRIE.
Elle se marie ! Et contre qui ?
GABRILLON.
Contre un homme qui aura un jour plus de vingt-cinq mille livres de rentes. Il s'appelle Cléante : il est Capitaine d'Infanterie. [ 4 Livre : Monnaie. 1 écu = 3 francs. 1 écu = 3 livres tournois. 1 livre tournois = 20 sols. 1 sol (sou)= 4 liards ou 12 deniers. 1 liard = 3 deniers. 1 pistole = 10 francs ou 10 livres tournois. 1 blanc = 5 deniers. 1 petit sesterce romain = 18 deniers tournois. 1 grand sesterce romain = 1.000 petis sesterces, (25 écus environ). 1 louis d'or = 11 livres. ]
LA BRIE.
Gentilhomme ?
GABRILLON.
Belle demande ! Il est Gascon : en vient-il d'autres de ce pays-là ?
LA BRIE.
Il est Gascon ?
GABRILLON.
Et ma maîtresse Normande.
LA BRIE.
Voilà de quoi faire un bon haras. Le Gascon et le Normand sont dans le monde, ce que le Singe et le Renard sont dans la fable. Mais que tu es extravagante de croire...
GABRILLON.
Je te dis, moi, qu'il donne tête baissée tout au travers de la noce, et que Madame Thibaut lui paraît un parti de douze mille livres de rente, et cela en attendant encore une succession de vingt mille écus.
LA BRIE.
Oh ! L'affaire change bien de face.
GABRILLON.
Il ne sait point qu'elle a demeuré au Marais, et il y a si peu qu'elle loge en ce quartier-ci, que personne ne s'est encore aperçu de la ruse que je vais t'apprendre. Ce logis a deux issues. Par la petite porte, elle est ce qu'elle a coutume d'être, elle se mêle d'intrigues, fait des mariages, prête sur gages ; et par la porte cochère, elle est veuve d'un Conseiller de Bretagne, qui depuis quelques jours est venue s'établir à Paris. Comme on lui donne à vendre des nippes de toutes parts, la magnificence des meubles, la richesse des pierreries, et l'abondance de vaisselle d'argent que le Capitaine voit dans ce logis, lui font paraître ma maîtresse un des meilleurs partis de la Robe.
LA BRIE.
La fine mouche ! Eh, dis-moi un peu ! Comment t'a-t-elle connue ?
GABRILLON.
Par aventure. Ne connaissons-nous pas tout le monde par aventure, nous autres ?
LA BRIE.
Mais encore, que veut-elle de mon petit ministère ?
GABRILLON.
Tu ne le sais pas ?
LA BRIE.
Qui me l'aurait dit ?
GABRILLON.
On ne t'a donc pas donné sa lettre ?
LA BRIE.
Non, vraiment ! On m'a dit simplement qu'elle voulait me parler.
GABRILLON.
Comment diantre ! Va vite te la faire rendre, et revient sur tes pas ; on pourrait la décacheter, et l'on y verrait trop le caractère de ma maîtresse, et le tien. [ 5 Diantre : Mot qu'on emploie par euphémisme pour diable. Il s'emploie comme une sorte d'exclamation ou de jurement. [L]]
LA BRIE.
Tu as raison, cela me décrierait à l'auberge. De quoi diantre s'avise-t-elle de confier ces choses au papier ?
GABRILLON.
Ne perds point de temps en réflexions, et songe à réparer la faute qu'elle a faite.
LA BRIE.
Je ferai diligence, ne te mets pas en peine.
GABRILLON.
Par où vas-tu ? Sors par la grande porte, tu abrégeras ton chemin de la moitié.
LA BRIE.
Fort bien.
SCÈNE II.
GABRILLON, seule.
Monsieur de la Brie est un trésor pour Madame Thibaut, et Madame Thibaut est un petit Pérou pour Monsieur de la Brie, et je ne sais comment ils pourraient se passer l'un de l'autre. La voici qui revient de la ville, quel équipage pour une femme qui couche en joue un parti de cent mille écus !
SCÈNE III.
Madame Thibaut, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
Je n'en puis plus, donne-moi une chaise.
GABRILLON.
Vous vous tuez.
MADAME THIBAUT, lui donne ses coiffes.
Ôte-moi cela.
GABRILLON.
Vous voilà toute en eau.
MADAME THIBAUT.
Porte ce paquet dans ma chambre. Prends garde à ce coulant, mets cette montre sur ma table, et surtout aie soin que ce collier ne s'égare point.
GABRILLON.
Mais où avez-vous donc dîné ? Il est quatre heures.
MADAME THIBAUT.
À peine ai-je eu le loisir de manger un morceau chez une de mes amies.
GABRILLON.
Hé, que ne quittez-vous ce gueux de métier ? C'est bien à vendre des hardes, ma foi, que vous gagnez le plus.
MADAME THIBAUT.
Ton cousin, Monsieur de la Brie, est-il venu ?
GABRILLON.
Oui, Madame, il s'en est retourné même.
MADAME THIBAUT.
Il s'en est retourné ! Il faut qu'il soit fou. Y a-t-il un moment à perdre ? Cléante revient aujourd'hui de Versailles. Quelques mesures que je prenne pour paraître à ses yeux ce que je ne suis pas, avec le temps tout se sait, et si je ne l'oblige pas à m'épouser avant qu'il soit deux jours, peut-être ne l'épouserai-je jamais.
GABRILLON.
Mon cousin va revenir, ne vous emportez pas.
MADAME THIBAUT.
Monsieur de la Brie devient furieusement libertin. A-t-on écrit les gens qui sont venus me demander ? [ 6 Libertin : Qui aime sa liberté, qui hait toute sorte de sujétion, de contrainte. [FC]]
GABRILLON.
Oui, Madame.
MADAME THIBAUT.
Qui sont-ils ?
GABRILLON, tirant de sa poche un Agenda.
Monsieur l'Abbé Castoret, qui a envoyé deux fois. [ 7 Agenda : Tablette, ou mémoire où on écrit ce qu'on a à faire durant le jour, pour s'en souvenir en allant par la ville. [F]]
MADAME THIBAUT.
L'Abbé ?
GABRILLON.
Monsieur l'Abbé Castoret.
MADAME THIBAUT.
Celui-là vous était recommandé, sans doute, puisque vous le nommez des premiers. Monsieur l'abbé Castoret vous aurait-il, par quelque petit bénéfice, mise dans ses intérêts ?
GABRILLON.
Lui, Madame ?
MADAME THIBAUT, lui arrachant son Agenda.
Donnez cela. L'Abbé Castoret, puisqu'il est tant de vos amis, dites-lui que le Prieur Coffard n'est pas dans la volonté de le mettre en possession de rien, qu'aux conditions qu'il sait. Ce Major de milice est-il venu ?
GABRILLON.
Oui, qui peste comme un beau diable de voir que rien n'avance.
MADAME THIBAUT.
Est-ce ma faute, si le Commis de qui dépend son affaire a révoqué sa maîtresse ? Qu'il prenne des mesures d'ailleurs : car pour moi je n'avais que ce canal-là. Comment mettez-vous là ? Cet homme tout nu.
GABRILLON.
Dame, je ne sais pas son nom : c'est ce grand homme tout déguenillé, à qui vous avez promis un emploi dans les Gabelles.
MADAME THIBAUT.
Qui, ce jeune fou qui a joué et mangé tout son bien ?
GABRILLON.
Justement.
MADAME THIBAUT.
Hé, a-t-il dit qu'il reviendrait ?
GABRILLON.
Oui.
MADAME THIBAUT.
Oui ? Hé bien, dites-lui qu'il n'y a rien à faire pour des Commissions qu'à l'autre bail, à moins qu'il n'épouse cette fille dont je lui ai parlé : encore faut-il que dès le lendemain des noces, il la laisse à Paris, pendant qu'il ira faire sa Commission au fond du Périgord.
GABRILLON.
Bon, comme s'il ne voudra pas l'emmener ?
MADAME THIBAUT.
Oh, je lui conseille d'avoir des volontés, Messieurs les Fermiers lui donneront des femmes pour les emmener ! Il n'a qu'à s'y attendre. Un homme pour un Privilège. Concernant quoi ce privilège ?
GABRILLON.
Je ne sais ce qu'il chante. Il dit qu'il a trouvé l'invention de faire un fard à l'épreuve de tous les temps, des couleurs qui une fois appliquées sur un teint, durent autant que la peau : en un mot, il se vante d'avoir trouvé le secret de farder un visage à fresque.
MADAME THIBAUT.
Oh, oh, celui-là va avoir bien de la pratique.
GABRILLON.
Vraiment il n'y saurait suffire à l'heure que je vous parle. Il a sept ou huit douzaines de visage à rendre avant qu'il soit la fin de la semaine.
MADAME THIBAUT.
Vous devriez bien écrire sa demeure.
GABRILLON.
Oh, que je m'en souviendrai bien ; c'est quelque part vers cette rue saint Martin : rien n'est plus facile que de le trouver ; il n'y a qu'à demander le Peintre sur cuir, ou la Manufacture des visages.
MADAME THIBAUT.
À propos de la rue saint Martin, vous êtes-vous souvenue d'aller à ce Messager de Rouen, savoir si ce quartier de veau de rivière, ce muid de cidre, ces pots de noix confites, et ces deux témoins sont arrivés. [ 8 Veau de rivière : veau engraissé aux environs de Rouen, dans des prairies qui bordent la Seine. [L]]
GABRILLON.
Il n'y a encore que les témoins de venus. Comme l'affaire presse, et qu'il faut du temps pour les instruire, on a cru...
MADAME THIBAUT.
Belle avance ! Comme si le Procureur voudra recevoir l'un sans l'autre. Je ne vois point ici que ce Maître à danser, ni ce Maître de musique soient venus ?
GABRILLON.
Voici le Maître à danser.
MADAME THIBAUT.
Va vite serrer toutes ces hardes pendant que je lui parlerai.
SCÈNE IV.
Madame Thibaut, Le Maître à danser.
MADAME THIBAUT.
Hé bien, avez-vous été chez cette petite personne ? Notre Financier attend la réponse avec impatience.
LE MAÎTRE À DANSER.
Je sors de chez elle.
MADAME THIBAUT.
Lui montrez-vous à danser ?
LE MAÎTRE À DANSER.
Non.
MADAME THIBAUT.
Vous n'avez donc pas dit à la mère que c'était vous qui montriez à cette Marquise de leur voisinage, qui à cinquante ans, danse le menuet aussi proprement qu'une fille de quinze ?
LE MAÎTRE À DANSER.
Pardonnez-moi, vraiment.
MADAME THIBAUT.
Sait-elle que c'est vous qui montrez la Sarabande au petit bichon de Madame la Maréchale ? [ 9 Bichon : Familièrement. Terme d'amitié qui se dit à un enfant ou d'un enfant. [L]]
LE MAÎTRE À DANSER.
Oui, mais tout cela ne sert à rien.
MADAME THIBAUT.
Et la raison, s'il vous plaît ?
LE MAÎTRE À DANSER.
La raison ? La raison est qu'ils ne veulent donner qu'un louis par mois.
MADAME THIBAUT.
Et c'est là ce qui vous arrête ? Avez-vous perdu l'esprit, dites-moi ? Quoi regarder à un louis quand il s'agit d'en gagner trente ! Avec cette belle conduite-là, je veux vous voir bientôt réduit à vendre le cheval que je vous ai fait donner par le Milord pour avoir... Ne me faites pas parler
LE MAÎTRE À DANSER.
Ne me faites pas parler vous-même ; et comptez, quoi qu'il puisse arriver, que je ne montrerai jamais pour une pistole, ce serait le moyen de me décrier.
MADAME THIBAUT.
Vraiment, mon petit ami, vous faites bien le renchéri depuis que je vous ai donné les moyens de vous faire un des Syndics de la danse. [ 10 Renchéri : Fig. et familièrement. Difficile, dédaigneux. [L]]
LE MAÎTRE À DANSER.
Ma foi, Madame, dans toutes les affaires que nous avons faites ensemble, vous avez gagné plus que moi, et je n'ai point rendu de billet dont vous ne vous soyez fait payer le port.
MADAME THIBAUT.
Voilà encore une veste et une cravate, que vous n'auriez jamais eues sans moi.
LE MAÎTRE À DANSER.
Oui, fort bien, vous me payez de vieilles nippes qui vous restent, et vous gardez l'argent comptant.
MADAME THIBAUT.
Monsieur le Maître à danser !
LE MAÎTRE À DANSER.
Madame la...
SCÈNE V.
Le Maître à chanter, Le Maître à danser, Madame Thibaut.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Qu'est-ce donc que tout ceci ? Vous voilà tous deux en colère ?
MADAME THIBAUT.
J'ai bien sujet d'y être ; et si la musique est aussi déraisonnable que la danse, je n'aurai qu'à pendre l'intrigue au croc.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Comment donc ? Lui est-il arrivé quelque disgrâce qui le dégoûte du commerce ? N'aurait-il su prendre le temps que son écolière était seule ? Un père serait-il survenu, un rival, un mari ?... Expliquez-vous donc si vous voulez ; à gens de notre profession, il ne peut guères arriver de pire accident, que je sache.
LE MAÎTRE À DANSER.
Si l'on voulait vous contraindre à montrer à chanter pour la moitié moins que vous n'avez coutume de prendre, de bonne foi le feriez-vous ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Oui, si je trouvais d'ailleurs quelque profit plus considérable.
MADAME THIBAUT.
Ne voilà-t-il pas ce que je dis ? Dans toutes les affaires dont je lui ai donné la conduite, je voudrais bien savoir s'il s'est tenu à une pistole.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Vous vous moquez, je crois.
MADAME THIBAUT.
Il n'a jamais fait de marché, seulement.
LE MAÎTRE À DANSER.
Est-ce avec les écoliers qu'on en fait ? C'est avec ceux qui nous les donnent.
MADAME THIBAUT.
Avez-vous parlé à ce vieux Commandeur pour cette petite marchande, dont la mère est si surveillante ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Oui, mais je ne lui montrerai point.
MADAME THIBAUT.
À l'autre. Ils ont tous deux résolu de me faire enrager, je pense.
LE MAÎTRE À DANSER.
Je suis ravi de n'être pas seul de mon sentiment.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Non, ce n'est point l'argent qui m'arrête.
MADAME THIBAUT.
Hé quelle raison pouvez-vous donc avoir ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Elle ne veut apprendre que des airs de l'Opéra.
MADAME THIBAUT.
Ne nous voilà pas mal.
LE MAÎTRE À CHANTER.
De quoi me servirait donc l'heureux génie que le Ciel m'a donné pour la composition ?
MADAME THIBAUT.
Il faut le laisser là, cet heureux génie, et s'accommoder au génie des autres.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je vous baise les mains : je fais de la musique, c'est mon métier ; et tous les Commandeurs du monde ne me feraient pas montrer à de petites filles qui ne veulent point apprendre de mes airs, et les trouver plus beaux que ceux de l'Opéra même.
MADAME THIBAUT.
Voilà un étrange entêtement !
LE MAÎTRE À CHANTER.
Et moi, je verrais crever tous les Financiers du Royaume, plutôt que d'apprendre à danser à leurs Maîtresses pour une pistole.
MADAME THIBAUT.
Quelle extravagance !
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je trouve qu'il est de fort bon sens, moi.
LE MAÎTRE À DANSER.
Vous me paraissez avoir grande raison.
MADAME THIBAUT.
Diantre soit des impertinents ; mais, finissons. Vous y perdez tous deux plus que qui que ce soit. Çà, cette lettre ?
LE MAÎTRE À DANSER.
La voilà.
MADAME THIBAUT.
Le portrait, vous ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Le voici.
MADAME THIBAUT.
Cette bourse ?
LE MAÎTRE À DANSER.
Tout à l'heure.
MADAME THIBAUT.
Cette attache de diamants ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je vous la vais donner.
MADAME THIBAUT, reprenant la bourse.
Au moins, le compte y est ?
LE MAÎTRE À DANSER.
Pour qui me prenez-vous ?
MADAME THIBAUT.
Hé, je vous connais, vous ne seriez pas le premier du métier, qui ayant ordre de faire un présent à une Dame, aurait en homme habile partagé le différend par la moitié.
LE MAÎTRE À DANSER.
Vous êtes en colère, serviteur.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je n'ai plus rien à vous que ce petit enfant sans père, dont la mère est morte il y a quinze jours. La nourrice doit le rapporter, vous trouverez bon que je vous l'envoie.
MADAME THIBAUT.
Oh, pour ce bijou-là, vous n'avez qu'à le garder, c'est le fruit d'une intrigue où vous avez eu plus de part que moi.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Nous verrons pourtant à qui il demeurera. Je ne vous dit pas adieu.
MADAME THIBAUT.
Peste soit de la danse et de la musique. Sans les travers qu'ont ces gens-là, quelle fortune ne pourraient-ils point faire !
SCÈNE VI.
Madame Thibaut, La Brie.
MADAME THIBAUT.
Hé bien, Monsieur de la Brie, vous savez les services dont j'ai besoin ?
LA BRIE.
J'ai vu tout cela d'un coup d'oeil.
MADAME THIBAUT.
Hé, que vous en semble ?
LA BRIE.
Cela est bon, cela réussira, nous en viendront à bout.
MADAME THIBAUT.
Il y a cent pistoles à gagner.
LA BRIE.
Cent pistoles ! Ce n'est guères. Il y a ouvrage et ouvrage, voyez-vous. Si nous n'avions qu'un Bourgeois à duper, ce ne serait pas une grosse affaire : j'en entreprendrai, moi qui vous parle, à dix pistoles pièce, tant que vous voudrez ; mais, lorsqu'il s'agit de tromper un Capitaine, c'est une besogne diablement vétilleuse. [ 11 Vétilleux : Qui exige des soins minutieux, une grande attention. [L]]
MADAME THIBAUT.
Combien voudriez-vous donc, Monsieur de la Brie ?
LA BRIE.
Vous-même je vous en fais juge. Tenez, le seul personnage de Notaire, si je ne le faisais pas moi-même, me reviendrait à moi, sans les buvettes, à plus de cent pistoles. Malepeste, on ne vient pas à bout des gens de cette profession à si bon marché que vous le croiriez bien.
MADAME THIBAUT.
Vous serez content de moi, Monsieur de la Brie.
LA BRIE.
Je vais donc me préparer.
MADAME THIBAUT.
Allez.
SCÈNE VII.
Dorise, Madame Thibaut.
DORISE.
Il y a quinze jours, Madame, que j'épie l'occasion de pouvoir vous entretenir en particulier, ce que je n'ai pu trouver jusqu'aujourd'hui. [ 12 Précieuse : Femme qui est affectée dans son air, dans ses manières, et principalement dans son langage. [Ac. 1762]]
MADAME THIBAUT.
Vous prenez encore bien mal votre temps, Madame.
DORISE.
Je n'ai que deux mots à vous dire.
MADAME THIBAUT.
Voyons donc vite, de quoi s'agit-il ?
DORISE.
D'un brevet de bel esprit, Madame. Cela vous surprend !
MADAME THIBAUT.
Je vous avoue, Madame, qu'avant que d'avoir eu l'honneur de vous voir, je n'avais point encore ouï dire qu'il y eût de beaux esprits à brevets.
DORISE.
C'est que pour m'exprimer à vous, Madame, d'une manière plus élégante, je me suis servi du figuré ; mais, à parler au propre, cela veut dire que je postule une place à l'Académie.
MADAME THIBAUT.
Vous, Madame, une place à l'Académie ! Oh, je crois que vous dites cela au figuré.
DORISE.
Pourquoi pas, Madame, une place à l'Académie ? Parce que je suis femme, peut-être ? Oh, si vous le prenez là, c'est notre vrai ballot que les ouvrages de langues.
MADAME THIBAUT.
Des femmes à l'Académie ! Oh, il faudrait donc du moins se garder de leur donner des jetons ; car, au lieu de travailler au Dictionnaire, elles joueraient à l'hombre ou à la Bassette. [ 14 Bassette : Jeu de cartes assez semblable au lansquenet.]
DORISE.
S'il est besoin de faire preuve de beau génie, grâces au Ciel, il court dans le monde des Sonnets et des Madrigaux de ma façon, qui ont fait dire à plus d'un connaisseur, qu'en matière de Poésie je ne pouvais manquer d'être bel esprit à la première promotion.
MADAME THIBAUT, à part.
La folle !
DORISE.
Pour la Prose, c'est en quoi j'excelle. Je travaille à mettre en beau langage le Code, le Protocole des Notaires, et le Praticien Français.
MADAME THIBAUT, à part.
Qu'elle est divertissante !
DORISE.
Par mon moyen, on parlera dorénavant au Palais comme on parle à la Cour.
MADAME THIBAUT.
Fort bien.
DORISE.
Les exploits, les ajournements personnels, les décrets et les sentences de mort, seront écrits de ce petit style gai, coupé, enjoué et fleuri, dont on écrit les historiettes et les Romans. [ 16 Ajournement : Terme de prtique. Assignation. On apprlle ajournement personnel, une ssignation donnée à quelqu'un à comparaître en perosnne, pour répondre sur les faits dont il est accusé. [Ac. 1762]]
MADAME THIBAUT, à part.
Vous verrez que c'est cette précieuse dont on me parla hier.
DORISE.
Il n'y aura point de bel esprit qui ne veuille avoir vingt Procès, et l'on plaidera moins à l'avenir par nécessité, que par galanterie.
MADAME THIBAUT.
Le merveilleux génie de femme !
DORISE.
Croiriez-vous bien, Madame, que je ne me suis fait séparer de corps et de bien d'avec mon pénultième mari, que parce qu'il m'étourdissait tous les jours de quelques barbarisme du Palais.
MADAME THIBAUT.
Votre pénultième mari, Madame ! Vous avez donc été marié bien des fois ?
DORISE.
J'en suis à ma cinquième édition.
MADAME THIBAUT.
Oh, que vous n'en demeurerez pas là : belle et jeune comme vous êtes, pour peu que votre mari soit vieux, vous serez bientôt réimprimée.
DORISE.
Adieu, Madame. Vous qui connaissez tant de gens, faites, je vous prie, qu'on glisse dans le monde quelques mots en faveur de mes ouvrages, pour me procurer la place que je souhaite.
MADAME THIBAUT.
Fort bien. Fut-il jamais une plus extravagante créature. Mais apparemment, Cléante ne peut pas tarder à venir ; allons changer d'habit, et donner ordre à ce qu'il faut, pour le recevoir en veuve de qualité.
ACTE II
SCÈNE I.
La Ramée, Jolicoeur.
LA RAMÉE.
Présentement que nous sommes seuls, viens, que je t'embrasse mon pauvre Jolicoeur.
JOLICOEUR.
Quoi ! C'est là la Ramée ?
LA RAMÉE.
Lui-même.
JOLICOEUR.
La Ramée, Sergent dans la Compagnie de Cléante ?
LA RAMÉE.
C'est lui-même, te dis-je, reculeras-tu toujours,
JOLICOEUR.
Hé qui diable t'aurait reconnu ? Tu sors d'un carrosse magnifique, et tu es vêtu comme un Colonel.
LA RAMÉE.
J'ai mes raisons.
JOLICOEUR.
Oh, je n'en doute pas. Mais enfin, que fais-tu à Paris, aurais-tu déserté ?
LA RAMÉE.
Toi-même, que faisais-tu devant la porte de ce logis ? Lorsque je t'ai vu, je mourais de peur que ne m'allasses donner du la Ramée devant mes gens ; c'est pourquoi, je t'ai promptement entraîné ici. J'ai pris le nom de notre Capitaine, je me fais appeler Cléante, et je suis Gascon comme lui.
JOLICOEUR.
Me crois-tu assez indiscret pour appeler la Ramée, un homme qui a un carrosse et quatre laquais ? Combien y a-t-il de gens à Paris, qui, comme toi, ont un bon équipage, et qui seraient bien fâchés qu'on les appelât par leur premier nom ?
LA RAMÉE.
Que dis-tu de ce logis ?
JOLICOEUR.
Pourquoi me demandes-tu cela ?
LA RAMÉE.
Quand tu voudras, ce sera ton auberge.
JOLICOEUR.
Comment donc !
LA RAMÉE.
J'en épouse la maîtresse.
JOLICOEUR.
Tout de bon !
LA RAMÉE.
La trouves-tu passablement logée ?
JOLICOEUR.
Comment diable ! Voilà une chambre magnifique.
LA RAMÉE.
Qu'appelles-tu, une chambre ? Ce n'est qu'une salle à breland pour les laquais : la maîtresse de ce logis est une femme de qualité, veuve d'un Conseiller de Bretagne, qui a amassé des biens considérables, et qui, de crainte de dépenser un sou, s'est laissé mourir de faim. Que je vais faire honneur aux acquêts du défunt ! Je veux par ma magnificence immortaliser à jamais cette humeur sobre et laborieuse, dont il était doué. [ 17 Brelan : le premier de ces mots est le meilleur. Sorte de jeu de cartes qu'on joue à 2, à 3, à 4, ou à 5 ; donnant 2 cartes à chacun après en avoir oté les petites jusqu'aux septs inclusivement.]
JOLICOEUR.
Hé comment as-tu fait cette connaissance ?
LA RAMÉE.
Ma foi, mon pauvre Jolicoeur, j'ai tenté fortune. Prévenu que pour prendre une femme, un carrosse est un merveilleux trébuchet, j'ai donné dans l'équipage, et je me suis jeté dans le grand monde. Après quelques aventures, mon bonheur m'a conduit ici, et il ne s'est peut-être pas encore vu un plus beau coup de sympathie. Crois-tu qu'à la première conversation, la Dame me trouvant de l'esprit, elle se sentie toute émue de tendresse pour moi ; et moi la voyant riche et toute brillante de pierreries, je me trouvai pour elle tout de flamme. [ 18 Trébuchet : Petit balance fort juste et fort délicate, que le moindre poids fait trébucher. Est aussi une petite cage qui sert à atraper les oiseaux. [F]]
JOLICOEUR.
Mais de ton équipage, qui en fait la dépense ?
LA RAMÉE.
Notre Capitaine, sans le savoir.
JOLICOEUR.
T'aurait-il envoyé en recrue ? [ 19 Recrue : Levée de gens de guerre pour augmenter une compagnie ou remplacer des soldats qui ont déserté, ou qui sont morts. [T]]
LA RAMÉE.
Tu l'as dit.
JOLICOEUR.
Combien t'a-t-il donné ?
LA RAMÉE.
Deux mille écus.
JOLICOEUR.
Combien en as-tu déjà dépensé pour toi ?
LA RAMÉE.
Près de sept cent pistoles.
JOLICOEUR.
Sur six cent pistoles, en dépenser sept cents, voilà une belle économie.
LA RAMÉE.
Cela te surprend ? Et tu verras que rien n'est plus facile quand tu sauras la chose. Premièrement, je dois faire douze soldats, je n'en ferai point.
JOLICOEUR.
Voilà déjà un gain assez considérable sur le premier article.
LA RAMÉE.
Je devais payer pour lui quatre cents pistoles à son Drapier, je n'en ferai encore rien.
JOLICOEUR.
Oh ! Il y a là-dessus plus de la moitié de profit.
LA RAMÉE.
J'ai ordre de lui faire faire deux habits par son Tailleur, de les payer comptant ; je les prends à crédit, et je m'en sers.
JOLICOEUR.
Oh, pour celui-là, il y a de l'usure.
LA RAMÉE.
Il ne faut point être scrupuleux, Jolicoeur, quand on veut faire sa fortune.
JOLICOEUR.
Oh, tu es comme il faut être.
LA RAMÉE.
Mon ami, ce n'est pas là mon coup d'essai.
JOLICOEUR.
Il y paraît.
LA RAMÉE.
Je n'ai pas toujours été soldat, et tel que tu me vois, j'ai fait rouler pendant cinq ou six ans un fort bon carrosse à Paris.
JOLICOEUR.
Je t'ai vu un temps que tu n'en avais pas de fort beaux restes.
LA RAMÉE.
Que veux-tu ? Les gens qui ne vivent que par machines sont sujets à ces sortes de revers. Mon adresse et mon savoir-faire m'avaient mis dans le monde dans une assez belle situation : mais mon bonheur m'y fit des jaloux, on me suscita des affaires, je m'enrôlai pour me garantir des brutalités de la Justice.
JOLICOEUR.
Parle bas, quelqu'un vient.
LA RAMÉE.
Fais-toi mener chez moi par un de mes laquais. Je veux prendre de tes conseils pour m'assurer cette fortune.
SCÈNE II.
Me Thibaut, La Ramée, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
Quoi ! Vous êtes ici, Cléante, et je n'en suis pas avertie.
LA RAMÉE.
Je donnais des ordres à un de mes Sergents, et regardais la beauté de votre salle.
MADAME THIBAUT.
Vous me trouvez donc meublée à votre goût ?
LA RAMÉE.
Je n'ai encore rien vu de mieux entendu, de plus riche, ni de plus superbe que votre appartement.
MADAME THIBAUT.
Oh, pour superbe, non, cela n'est que propre. En faut-il tant pour une veuve ? Qu'est-ce, Gabrillon ?
GABRILLON.
Votre Notaire, Madame, qui vous apporte des papiers à signer.
MADAME THIBAUT.
Oh, dites-lui qu'il vienne une autre fois.
LA RAMÉE.
Hé, Madame, que je ne sois pas cause...
GABRILLON.
Bon, le voilà qui entre.
SCÈNE III.
Madame Thibaut, La Ramée, Gabrillon, La Brie.
MADAME THIBAUT.
Hé Monsieur, vous prenez bien mal votre temps.
LA BRIE, au Notaire.
Quel temps faut-il donc prendre, Madame ? Ou vous êtes en compagnie, ou vous êtes en affaires.
MADAME THIBAUT.
Croiriez-vous bien, Monsieur, que cet homme-là donne cinquante mille écus à ses enfants ? Aussi il gagne tout ce qu'il veut.
LA BRIE.
Tout ce que je veux, Madame, cela était bon autrefois ; mais aujourd'hui pour épargner les frais d'un Contrat, la plupart des gens se marient sous seing privé.
GABRILLON.
Pour moi, je ne serai pas à la peine de frauder le Notariat ; car vous m'avez promis que vous ferez mon Contrat de mariage gratis.
LA BRIE.
Çà commencerons-nous, Madame ?
MADAME THIBAUT.
Croyez-moi, remettons la chose à une autre fois.
LA BRIE.
Nous aurons fait dans un moment. Monsieur voudra bien...
LA RAMÉE.
Madame me désobligerait de...
LA BRIE.
Il n'y a que quatre baux, cinq quittances, et deux Contrats de constitution : en voulez-vous le lecture ?
MADAME THIBAUT.
Le Ciel m'en préserve !
LA RAMEE, à part.
Deux Contrats de constitution !
LA BRIE.
À propos, je trouve à placer vos deux mille pistoles sur un jeune homme de famille, qui les emploiera à se faire un bon équipage pour donner dans la vue à la veuve d'un partisan. Nous ferons mention dans le Contrat de l'emploi des deniers. Cela est bon, mon Clerc est venu vous le dire. [ 20 Partisan : Celui qui s'est rangé du parti de quelqu'un, qui a épousé ses intérêts, qui le défend de toute sa force, soit par les armes soit par la dispute. Est aussi un financier, qui homme qui fait des traités, des partis avec le roi, ui prend ses revenus à ferme, le recouvrement des impôts, qui en donne aussi les avis et les mémoires.]
MADAME THIBAUT.
J'ai changé de sentiment. On me doit faire un remplacement de douze mille francs, je veux placer le tout ensemble.
LA RAMÉE.
Ce sont trente deux mille livres ; j'ai des gens en main qui s'en accommoderont.
LA BRIE.
J'ai votre fait aussi, Madame, et notre pis aller sera de les prêter pour un nouvel établissement d'Opéra. Autrefois qu'ils ne donnaient qu'une pièce en tout un an, je ne l'aurais pas conseiller : et fi ! Ils ne gagnaient pas de l'eau. Mais présentement qu'ils en donnent tous les mois, quand vous seriez ma soeur, je ne pourrais en conscience vous indiquer une meilleure hypothèque. [ 21 Fi : particule qui sert à faire une explcamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose.]
LA RAMÉE.
Selon. Il faut savoir qui fait la musique, premièrement, et que quelque riche négociant mette son nom et son paraphe au bas du Contrat de constitution.
MADAME THIBAUT.
Nous parlerons de cela quand on m'aura envoyé mon argent : mais aujourd'hui que faut-il faire pour me débarrasser de vous ?
LA BRIE.
Signer tous ces papiers, Madame.
MADAME THIBAUT.
Passons donc dans mon cabinet.
À la Ramée.
Au moins voulez-vous bien me permettre...
LA RAMÉE.
Madame...
MADAME THIBAUT.
Entrez dans ma chambre : je vous rejoins dans un moment.
LA RAMÉE.
Non, Madame, je n'ai point été chez moi depuis mon retour de Versailles, j'ai quelques ordres à donner.
MADAME THIBAUT.
Qu'on vous revoie donc bientôt, je vous prie.
LA RAMÉE.
Le plutôt qu'il me sera possible.
À part.
Je suis plus pressé de conclure qu'elle ne pense.
SCÈNE IV.
Madame Thibaut, La Brie.
MADAME THIBAUT.
Monsieur le Capitaine a pris l'hameçon, il ne faut pas lui donner le temps de se reconnaître.
LA BRIE.
Laissez-moi faire, tout ira bien. N'ai-je pas fait le Notaire à merveille ?
MADAME THIBAUT.
Assurément.
LA BRIE.
Il ne me manque que la Charge, car j'ai d'ailleurs toutes les parties nécessaires pour faire un parfait habile homme.
MADAME THIBAUT.
Voici quelqu'un, laisse-nous.
SCÈNE V.
Gabrillon, Madame Thibaut.
GABRILLON.
On vous demande, là-bas.
MADAME THIBAUT.
Qui ?
GABRILLON.
Une Dame, qui veut acheter le carrosse qui est sous votre remise.
MADAME THIBAUT.
Comment ! Va lui dire qu'il n'est pas à vendre : ne vois-tu pas qu'il me fait honneur, et que Cléante le prend pour être à moi ? Écoute si cette Maîtresse des Comptes à qui il appartient venait ici, ne va pas lui dire qu'on le marchande ?
GABRILLON.
Oui. Mais ce jeune Officier qui a déjà les chevaux, et qui n'attend plus qu'après l'argent du carrosse pour achever son équipage, s'accommodera-t-il de cela ?
MADAME THIBAUT.
Qu'il s'en accommode s'il veut. Ne voudrais-tu pas que j'allasse préférer ses intérêts aux miens ? Va, va, te dis-je... Mais que me voudrait ce Gentilhomme ?
SCÈNE VI.
Madame Thibaut, Angélique en homme.
ANGÉLIQUE.
Bonjour, Madame.
MADAME THIBAUT.
Monsieur, votre servante.
ANGÉLIQUE.
Touchez-là.
MADAME THIBAUT.
Monsieur ?
ANGÉLIQUE.
Touchez-là, vous dis-je, je veux faire amitié avec vous.
MADAME THIBAUT.
Ce me serait bien de l'honneur.
ANGÉLIQUE.
Et à moi bien du profit. Comment, diable ! On dit que la fortune et vous, vous êtes les deux doigts de la main, qu'elle vous met à même des emplois, et que vous rendrez heureux qui bon vous semble ?
MADAME THIBAUT.
Je ne ferai jamais tant de bien, que je souhaiterais d'en faire.
ANGÉLIQUE.
Il ne tiendra qu'à vous que je n'en fasse l'épreuve. Vous voyez un jeune homme tout frais sorti de l'Académie, qui cherche à entrer dans le monde : mais qui aimerais mieux n'y mettre jamais le pied, que de n'y pas entrer par une belle porte.
MADAME THIBAUT.
Il y en a plusieurs : il ne s'agit là-dessus que de consulter votre inclination. Voulez-vous être de robe ou d'épée ? [ 23 Robe : Les gens de robe, se disait de tous ceux qui portaient la robe. Le gens de robe sont ou des écclésiastiques ou officiers d justice, de finance et de police [L]]
ANGÉLIQUE.
De robe ! Regardez-moi bien, ai-je l'air d'un écolier en Droit ? D'épée, morbleu, d'épée s'il en fut jamais ; on a toujours porté les armes dans ma famille. [ 24 Morbleu : Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. [L]]
MADAME THIBAUT.
Si c'est dans le service que vous souhaitez d'entrer, je ne puis rien pour vous.
ANGÉLIQUE.
Vous ne pouvez rien faire pour moi ?
MADAME THIBAUT.
Pas cela. Les emplois de la guerre ne sortent pas de ma boutique. J'en suis fâchée, quoiqu'au fond c'est bien dommage qu'un joli homme comme vous aille à l'armée.
ANGÉLIQUE.
Lorsqu'on est né l'épée au côté, je crois que partout ailleurs un homme de mon âge fait une sotte figure.
MADAME THIBAUT.
Vous êtes riche ?
ANGÉLIQUE.
Je suis tout l'opposé.
MADAME THIBAUT.
Tant pis.
ANGÉLIQUE.
Bon, bon, tant pis ; quand on a de la naissance et de la valeur, le service donne le reste.
MADAME THIBAUT.
Oui, mais pas toujours. Croyez-moi, mon beau Gentilhomme, ne méprisez point mes conseils ; il y a tant de femmes qui ne s'appliquent uniquement qu'à réparer dans une jeunesse indigente le tort que lui fait la fortune : tâchez de vous associer avec quelque riche veuve. Quand un équipage est en désordre, il vaut mieux, pour le remettre, avoir recours à sa femme qu'à l'usurier.
ANGÉLIQUE.
Moi ! Prendre une femme ! Hé, qu'en ferais-je ?
MADAME THIBAUT.
Ce que tous les autres jeunes gens qui épousent des femmes déjà surannées en font, leurs Intendantes et leurs Fermières. Si vous voulez, avant qu'il soit deux jours, je vous livre la veuve d'un Marchand de marée, qui me persécute pour lui trouver un joli mari. Si le parti vous accommode, elle vous mettra à la tête de vingt-cinq mille livres de rente.
ANGÉLIQUE.
Une femme de vingt-cinq mille livres de rente, le joli poste pour un jeune homme, si cela n'obligeait point à résidence !
MADAME THIBAUT.
Qu'appelez-vous résidence ? Un homme de votre qualité est-il pour passer ses jours comme un Bourgeois cousu aux jupes de sa femme ? On passe six mois à l'armée, de là l'on revient à Paris. Madame y est-elle, on va à la Cour : vient-elle à la Cour, on retourne à Paris ; de manière qu'en tout un an, un mari n'aura pas donné quarante jours à sa femme. Est-il, à le bien prendre, une plus douce condition ? Où trouverez-vous encore un métier dont le travail de six semaines suffise pour vous défrayer de toute l'année ?
ANGÉLIQUE.
Six semaines auprès d'une femme ! Ne comptez-vous cela pour rien ?
MADAME THIBAUT.
Ouais, vous êtes donc bien libertin ?
ANGÉLIQUE.
Que voulez-vous ? Chacun a son faible, et celui-là n'est pas le mien.
MADAME THIBAUT.
Vous ne voyez donc pas une femme ?
ANGÉLIQUE.
Je les verrais toutes, si elles étaient toutes faites comme toi.
MADAME THIBAUT.
Hé, Monsieur, vous n'y pensez pas.
ANGÉLIQUE.
La folle, qui ne reconnaît pas Angélique.
MADAME THIBAUT.
Mademoiselle Angélique ! Et qui vous reconnaîtrait dans cet équipage ? Allez-vous courir le bal ?
ANGÉLIQUE.
Une affaire bien plus sérieuse me met en campagne.
MADAME THIBAUT.
Une affaire sérieuse ! Cela ne m'a point encore paru.
ANGÉLIQUE.
Si j'ai dit des folies, et que je ne me sois pas d'abord fait connaître à toi, ce n'était que pour faire l'épreuve de mon déguisement ; s'il a pu te tromper, il pourra bien en tromper d'autres.
MADAME THIBAUT.
Vous avez l'air tout à fait Cavalier. Mais, quelle affaire ?...
ANGÉLIQUE.
Une affaire de jalousie !
MADAME THIBAUT.
Une affaire de jalousie ?
ANGÉLIQUE.
Je ne suis jalouse que de la bonne sorte, et je te jure que c'est sans être amoureuse moi-même.
MADAME THIBAUT.
Je le veux croire ; mais pourtant ce déguisement.
ANGÉLIQUE.
Je ne l'ai pris que pour m'introduire dans une maison où mon perfide de Chevalier donne des rendez-vous à ma rivale. Il me dit tous les jours qu'il ne la voit point ; et sous prétexte d'aller jouer, ils se trouvent ensemble dans le logis en question. J'y vais ce soir à la faveur de cet habit : je les observerai de près, j'étudierai jusqu'à leurs moindres gestes ; et si le coeur m'en dit, je les frotterai tous deux comme tous les diables.
MADAME THIBAUT.
Et tout cela sans être amoureuse ?
ANGÉLIQUE.
Oui, je te jure ; mon dessein n'est que de décrier ma rivale par une aventure d'éclat.
MADAME THIBAUT.
Vous ferez aussi parler de vous. Êtes-vous folle, dites-moi ?
ANGÉLIQUE.
Non. D'accord, je ne suis pas trop sage ; mais je serais fâchée de l'être assez pour changer de résolution.
MADAME THIBAUT.
Le Chevalier ne vous le pardonnera jamais, et voilà le vrai moyen de rompre tout à fait avec lui.
ANGÉLIQUE.
La rupture est certaine de manière ou d'autre ; et il me semble qu'un finissant une intrigue, c'est une espèce de consolation, que de gourmer un infidèle. [ 25 Gourmer : Se battre à coups de poings. [F]]
MADAME THIBAUT.
Mais...
ANGÉLIQUE.
Mais... Tes discours sont inutiles, je ne suis point ici pour prendre de tes conseils, j'y viens pour te demander de l'argent.
MADAME THIBAUT.
De l'argent à moi !
ANGÉLIQUE.
Oui, mon enfant. À moins que de jouer dans la maison de rendez-vous, on y fait mauvaise figure, et je prétends la faire bonne.
MADAME THIBAUT.
Vous allez y briller, je vous en réponds.
ANGÉLIQUE.
Voilà un diamant de cent pistoles, prête-m'en cinquante, je te prie, je t'en paierai bien l'intérêt.
MADAME THIBAUT.
Vous vous moquez ; je crois : il y a heureusement cinquante pistoles dans ma bourse.
ANGÉLIQUE.
Je te suis obligée. Quand je devrais les perdre, je ferai beau bruit pour mon argent, et tu entendras parler de moi.
MADAME THIBAUT.
Adieu mon beau Cavalier, adieu.
SCÈNE VII.
Madame Thibaut, Gabrillon.
GABRILLON.
Madame ?
MADAME THIBAUT.
Qu'est-ce qu'il y a ?
GABRILLON.
J'attendais que ce jeune Monsieur fût sorti, pour vous dire que cette Nourrice est là-bas, qui fait un vacarme enragé, et qui veut à toute force que nous reprenions cet enfant.
MADAME THIBAUT.
Et pourquoi la laisser entrer ? La porte n'était-elle pas fermée ?
GABRILLON.
Tant de gens vont et viennent...
MADAME THIBAUT.
Viens, viens, suis-moi. Madame la Nourrice n'a qu'à se bien tenir, elle trouvera à qui parler.
ACTE III
SCÈNE I.
Madame Thibaut, Gabrillon.
GABRILLON.
Ma foi, Madame, il n'est rien tel que de faire du bruit, et d'avoir bonne tête. La pauvre Nourrice, étourdie de vos discours, et intimidée de vos menaces, reporte l'enfant au Maître de Musique, et je crois que nous en sommes tout à fait débarrassées.
MADAME THIBAUT.
Je ne sais : le Maître de Musique est un mutin qui me fera peut-être assigner pour le reprendre : mais au pis-aller, j'ai des amis, et je me tirerai bien d'affaire.
GABRILLON.
Vraiment, vous tenez toute la Justice dans votre manche ; et voilà un nouvel appui que vous allez avoir au Palais.
MADAME THIBAUT.
Qui ? Ce fou d'Éraste, qui pour se raccommoder avec sa famille, a quitté l'épée pour la robe, et d'Officier, s'est fait apprentif Magistrat ? C'est un homme d'un grand poids ! [ 26 Apprentif : celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]]
GABRILLON.
Il deviendra comme les autres. Oh, diantre, Madame, il va vivre désormais en honnête homme, son laquais dit qu'il se va marier.
MADAME THIBAUT.
C'est donc pour cela qu'il cherche une toilette ?
GABRILLON.
Apparemment.
MADAME THIBAUT.
Il faut aller chez cette Marquise, qui mourut dernièrement ; savoir quand on fera son inventaire.
GABRILLON.
Il n'y aura point de toilette à cet inventaire, Madame, et je ne crois pas qu'on fasse d'inventaire, même.
MADAME THIBAUT.
Et la raison ?
GABRILLON.
Cette Marquise a tout donné pendant sa vie. Il faut entendre là-dessus ses héritiers, ils ne délabrent pas mal sa réputation.
MADAME THIBAUT.
Ce sont de bons impertinents, de la vouloir noircir : une femme qui ne s'est occupée pendant tout le cours de sa vie, qu'à fonder des carrosses à perpétuité à de jeunes gens de naissance, que la nécessité mettait hors d'état d'en avoir. Ah ! Gabrillon, l'étrange chose que le monde ! Quelque bien que l'on puisse faire aux uns, on est presque toujours blâmé par les autres. Voici Cléante : qu'on dise à tout le monde que je n'y suis pas.
SCÈNE II.
Madame Thibaut, La Ramée, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
N'avez-vous plus d'ordre à donner, et peut-on s'assurer de vous posséder autant de temps qu'on le souhaite ?
LA RAMÉE.
Je vous consacre tous les moments de ma vie, Madame ; et si les affaires du Régiment m'empêchaient d'être tout à vous, je me casse moi-même, et je remets ma Compagnie.
MADAME THIBAUT.
Il me semble qu'on parle du départ.
LA RAMÉE.
Que fait cela, Madame ? Homme de Cour et de qualité comme je suis, je ne pars que quand il me plaît. Je passe à Paris des demi Étés incognito Je joins l'armée le jour d'une action ; cela fini, je reviens triomphant mettre à vos pieds toute ma gloire, et vous sacrifier ma fortune.
MADAME THIBAUT.
Je ne crains rien tant que votre éloignement.
LA RAMÉE.
Ah ! Ma Princesse, que je suis heureux si ma présence...
MADAME THIBAUT, à Gabrillon.
Que veut-on ? Ne vous avais-je pas dit de ne laisser entrer personne ?
GABRILLON.
Ce n'est pas vous, Madame, qu'on demande, c'est un essoufflé qui veut parler à Monsieur.
LA RAMÉE.
Un essoufflé ? Que veut-elle dire ?
GABRILLON.
C'est une façon de Courier, qui arrive de votre garnison, peut-être.
LA RAMÉE.
Un Courier, moi ? Cela ne se peut. Qui lui aurait dit que je suis chez vous, Madame ?
GABRILLON.
C'est pourtant bien vous qu'il demande. C'est un de vos laquais qu'il a trouvé à votre logis, qui l'a amené ici. Tenez, le voilà. Le reconnaissez-vous ?
SCÈNE III.
La Ramée, Me Thibaut, Gabrillon, Champagne.
LA RAMÉE.
Hé, cadédis, c'est Champagne, le valet de chambre de mon père. Que viens-tu m'annoncer, mon pauvre diable ?
CHAMPAGNE.
Je suis mort, Monsieur.
LA RAMÉE.
Apprends-moi vite...
CHAMPAGNE.
De Bourdeaux à Paris en deux jours ! Le diable, tout diable qu'il est, n'a jamais fait une telle diligence.
LA RAMÉE.
Tu ne veux pas me dire...
CHAMPAGNE.
Votre père.
LA RAMÉE.
Hé bien, mon père est-il blessé, est-il mort ?
CHAMPAGNE.
Rien de tout cela. Il n'entre point de mortalité dans mon message ; au contraire, je suis un porteur de nouvelles toutes tissues d'allégresse ; c'est pour votre mariage qu'on m'envoie.
LA RAMÉE.
Mon mariage ? Ah ! Madame, mon père saurait-il nos affaires ?
CHAMPAGNE.
Comment donc vos affaires avec Madame ? Vous alliez donc prendre une femme jusqu'à nouvel ordre ?
LA RAMÉE.
Insolent, voudrais-tu bien te taire ?
CHAMPAGNE.
Et vous, voudriez-vous bien venir vous botter ? Les jours sont courts pour un homme qu'on attend à souper à cent cinquante lieues d'ici, il n'y a pas un moment à perdre.
LA RAMÉE.
Veux-tu toujours me parler énigme.
CHAMPAGNE.
Vous parler de souper, c'est vous parler énigme ? Il faut n'avoir ni faim ni soif pour n'entendre pas cela. Tenez, voyons si vous comprenez mieux les choses par écrit.
LA RAMÉE.
Tu as une lettre ?
CHAMPAGNE.
Oui, Monsieur.
LA RAMÉE.
Hé, que ne me la donnes-tu donc ? Fais vite. Que me voudrait mon père ?
MADAME THIBAUT, bas.
J'en suis plus en peine que lui.
GABRILLON, bas.
Je tremble.
LA RAMÉE, lit.
Mon Fils, je ne saurais vous donner de plus fortes preuves de mon amitié, qu'en vous donnant Ismène pour épouse.
MADAME THIBAUT, bas.
Qu'entends-je ?
GABRILLON, bas.
Madame !
LA RAMÉE, continuant.
J'espère qu'après que vous l'aurez vue, vous avouerez comme moi que les cent mille livres qu'elle vous apporte en mariage, sont moins à estimer que sa beauté.
MADAME THIBAUT, bas.
Ah, Ciel !
GABRILLON, bas.
Quel contretemps !
LA RAMÉE, poursuit.
Prenez la poste dès qu'on vous aura rendu ma lettre, et comptez que quelque diligence que vous fassiez, vous aurez peine à satisfaire l'impatience de ceux qui vous attendent.
Votre affectionné père, Le Marquis de Cléante.
LA RAMÉE, après avoir lu.
Madame, quel coup de foudre !
CHAMPAGNE.
Cela rompt vos mesures ; mais, il faut suivre l'ordre.
MADAME THIBAUT.
Hé bien, Cléante, qu'allez-vous faire ?
LA RAMÉE.
Renvoyer cet homme à mon père, Madame, lui promettre tout, et revenir sur mes pas ; me mettre, si vous voulez, hors d'état de faire ce qu'on veut de moi.
SCÈNE IV.
Me Thibaut, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
C'en est fait, Gabrillon, toutes nos précautions vont peut-être devenir inutiles.
GABRILLON.
Diantre soit du maudit Courier. Si j'avais su cela, je me serais bien gardée de le faire entrer. Mais, voici votre nouvel appui du Palais.
SCÈNE V.
Madame Thibaut, Éraste, Gabrillon.
ÉRASTE.
Bonjour, ma chère Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Hé, comme vous voilà bâti, quelle métamorphose !
ÉRASTE.
Est-ce que tu ne trouves pas que j'aie bon air en manteau.
MADAME THIBAUT.
Ma foi non. Vous êtes trop sérieux, et je trouve qu'un plumet était mieux votre fait qu'un rabat. [ 28 Rabat : Ce qui est rabattu ; s'est dit primitivement d'un col garni de dentelles ou même sans garniture, qui laissait le cou des hommes tout à fait découvert. Le rabat blanc est porté par la magistrature, le barreau, le parquet. [L]]
ÉRASTE.
Je n'y renonce pas tout à fait, et je le reprendrai quelquefois.
MADAME THIBAUT.
Pourquoi donc vous défaire de vos nippes ? Que voulez-vous que je fasse de ces deux écharpes, que votre laquais m'a apportées ce matin ?
ÉRASTE.
Je veux les vendre ou les troquer. J'ai besoin d'une belle toilette, et je prétends que mes écharpes m'indemnisent de cette dépense.
MADAME THIBAUT.
Vous vous sentez déjà des mauvaises impressions de l'habit bourgeois. Vous devenez ménager.
ÉRASTE.
Je m'en avise un peu tard, ma pauvre Madame Thibaut, et ma foi, ce n'est qu'à mon corps défendant ; mais, j'ai fait tant de dépenses, que sans le bien de ma vieille tante, je me trouverais aujourd'hui fort embarrassé.
MADAME THIBAUT.
C'est elle qui vous marie, apparemment ?
ÉRASTE.
Tu l'as deviné ?
MADAME THIBAUT.
Mais, je vous trouve bien hardi de prendre une femme sans me consulter ?
ÉRASTE.
Sans ma Tante, je n'en aurais pris une que de ta main.
MADAME THIBAUT.
Quand épousez-vous ?
ÉRASTE.
Dès demain.
MADAME THIBAUT.
Et vous ne tremblez pas ?
ÉRASTE.
Pourquoi trembler ? C'est une veuve des plus modestes ; et la conduite que tout le monde sait qu'elle a eue avec son premier mari, m'est caution de celle qu'elle aura avec moi.
MADAME THIBAUT.
Voilà de fort bons préjugés.
ÉRASTE.
Songe donc à mes écharpes ?
MADAME THIBAUT.
Pour vos écharpes, j'en attends réponse ; je les ai envoyées chez une Provinciale qui s'en accommodera, je pense. Je ne sais quelle inclination elle a pour ces sortes de nippes ; mais elle achète plus d'écharpes et de noeuds d'épée, que de coiffes et d'éventails.
GABRILLON.
Madame, voilà ces deux écharpes qu'on renvoie, Madame la Baronne n'en achète plus. Elle s'est jetée depuis quelques jours dans le goût des petits collets. [ 29 Petit collet : Le petit collet, la profession ecclésiastique. En mauvaise part, celui qui affectait de porter un petit collet et de se donner des manières dévotes. [L]]
MADAME THIBAUT.
Nous ne lui vendrons donc plus que de la batiste ? [ 30 Batiste : Toile de lin, très fine.Etym., nom du premier fabricant de cette toile, de baptistés, preproment le baptisteur. Sa statue est à Cambrai.]
ÉRASTE.
Comment ferons-nous pour la toilette ?
MADAME THIBAUT.
Si nous trouvions moyen d'en faire une de ces deux écharpes : déploie un peu cela, Gabrillon.
ÉRASTE.
Comment ?
MADAME THIBAUT.
Attendez, j'ai là-dedans une étoffe d'or qui vient parfaitement avec ce point d'Espagne ; je vais la chercher. [ 31 Point : Certains ouvrages de broderie ou de tapisserie à l'aiguille, distingués les uns des autres par le déterminatif qui accompagne le mot point. Point à carreaux. Point à la turque. Point d'Angleterre. [L] ]
GABRILLON.
Madame est une femme qui s'entend à tout.
ÉRASTE.
Elle a des talents admirables.
GABRILLON.
Vous le savez par expérience. Mais quelqu'un monte ici, et Madame n'y veut pas être ; il faut que j'aille dire qu'elle est sortie.
SCÈNE VI.
ÉRASTE, seul.
Je suis le plus trompé du monde, si ce n'est ma Maîtresse avec un jeune homme. Que vient-elle faire ici. Voici un endroit propre pour me cacher, je ne tarderai pas à en être éclairci.
SCÈNE VII.
Araminte, Gabrillon, Le Chevalier, Éraste caché.
GABRILLON.
Mais, Madame, ma Maîtresse n'y est pas, vous dis-je.
ARAMINTE.
Tu te moques de moi, ma bonne ; si elle n-y est pas, elle reviendra, et nous avons tout le loisir de l'attendre.
ÉRASTE, à part.
Je ne me trompais pas, c'est elle-même.
GABRILLON.
Puisque vous voulez attendre, je vais le dire à la Maîtresse.
ARAMINTE.
Nous ne la tiendrons guères : dis-lui seulement qu'une Dame lui veut parler. Si je vous avais cru, Chevalier, il m'aurait fallu attendre seule, et vous seriez demeuré dans le carrosse.
LE CHEVALIER.
Ces sortes de femmes connaissent toute la terre : sait-on ce qui peut arriver ?
ARAMINTE.
Ah ! Chevalier, que peut-il m'arriver de plus fâcheux, que de n'être pas avec vous autant de temps que j'en ai l'occasion ?
ÉRASTE, à part.
Ce début n'est pas mal.
SCÈNE VIII.
Madame Thibaut, Araminte, Le Chevalier, Éraste.
MADAME THIBAUT.
Qu'y a-t-il pour votre service, Madame ?
ARAMINTE.
On m'a dit, ma bonne, que tu savais quelquefois des carrosses à vendre.
MADAME THIBAUT.
Quelle sorte de carrosse voudriez-vous, Madame ?
ARAMINTE.
Un petit carrosse coupé.
MADAME THIBAUT.
Pour Monsieur, peut-être ?
LE CHEVALIER.
Justement : en sauriez-vous un ?
MADAME THIBAUT.
Si vous n'en étiez pas si pressé, je connais un jeune homme qui s'est brouillé depuis peu avec la femme d'un Banquier : s'ils ne se raccommodent pas ; son carrosse sera bien votre fait.
ARAMINTE.
Que tient-elle là ? Une écharpe ! Elle est belle, vraiment ; cela servira bien à m'acquitter de la discrétion que vous me gagnâtes hier, Chevalier.
ÉRASTE.
Mon écharpe !
LE CHEVALIER.
Je ne prétends pas cela, Madame.
ARAMINTE.
Et moi je le prétends : elle est à vendre apparemment ?
LE CHEVALIER.
Non, je n'y consentirai jamais.
ARAMINTE.
Hé, mon frère, que vous faites le badin ?
ÉRASTE.
Son frère ! Et de quel côté ?
ARAMINTE.
Je le veux, vous dis-je, ne me la donneras-tu pas bien pour quinze pistoles ?
ÉRASTE.
Madame, l'écharpe est à moi, vous en donnerez ce qu'il vous plaira.
ARAMINTE.
Ah Ciel !
ÉRASTE.
Adieu, Madame. Je vais remercier ma Tante et l'informer que vous avez un frère, que toute votre famille ne savait pas que vous eussiez.
MADAME THIBAUT.
Je crois, Dieu me pardonne, que c'est la veuve qui a si bien vécu avec son premier mari.
LE CHEVALIER.
Je ne comprends rien à tout ceci, Madame.
ARAMINTE.
Ah ! Chevalier, il y a pour en mourir. Un homme que je devais épouser demain, de qui la Tante faisait ma fortune.
LE CHEVALIER.
Quoi ! C'est là cet Éraste ? J'avais raison de vouloir demeurer dans le carrosse.
ARAMINTE.
Ah ! Je n'en puis plus.
MADAME THIBAUT.
Passez dans ma chambre, Madame, pour vous reposer un moment.
SCÈNE IX.
Le Marquis, Gabrillon.
LE MARQUIS.
Bonjour, la belle enfant, pourrait-on dire un mot à votre maîtresse.
GABRILLON.
Elle est empêchée.
LE MARQUIS.
Il faut pourtant que je lui parle.
GABRILLON.
Ce ne sera pas de longtemps, du moins.
LE MARQUIS.
Quand je devrais l'attendre jusqu'à minuit.
GABRILLON.
Vous attendrez tant qu'il vous plaira, vous êtes le maître.
LE MARQUIS.
Voilà une fille qui me parle bien cavalièrement. Est-il possible qu'elle ne reconnaisse pas à mes allures que je suis homme de qualité ?
SCÈNE X.
Le Marquis, Le Cocher.
LE COCHER.
Par votre permission, Monsieur, n'est-il point monté ici un Monsieur et une Madame ?
LE MARQUIS.
Ah, mon enfant ! C'est toi qui m'as mené cette nuit au bal, je pense ; pourquoi n'es-tu pas venu me reprendre ?
LE COCHER.
Ah ! Serviteur, mon Prince : ma foi je vous demande pardon, ce n'est pas ma faute. Ces deux grosses femmes que vous me dites de voiturer m'ont fait courir jusqu'à dix heures du matin, et encore ne m'ont-elles rien baillé pour boire.
LE MARQUIS.
Mon valet de chambre t'a payé ?
LE COCHER.
Je ne lui demande rien.
LE MARQUIS.
Et où as-tu remené ces Dames ?
LE COCHER.
Ces Dames, Monsieur ? J'ai mis l'une au bout d'une rue dans le marais, et l'autre à la porte des grands Augustins. Il y a comme çà des espèces de Dames qu'on ne remène jamais jusques chez elles, et je menons plus celles-là que des autres.
LE MARQUIS.
Cela ne fait pas honneur à vos voitures.
LE COCHER.
Bon, de l'honneur, qu'en ons-je affaire, pourvu que je trouvions notre compte ? On a morbleu biau dire ! Tant que j'aurons des glaces de bois, et qu'on ne verra le jour que par une lucarne, je ne manquerons pas d'être employés.
LE MARQUIS.
Ah ! Que tu sens le vin.
LE COCHER.
C'est que j'en ai bu.
LE MARQUIS.
N'as-tu point de honte ; au lieu de t'enivrer, ne vaudrait-il pas mieux t'acheter un habit ?
LE COCHER.
Cela ne dépend pas de moi.
LE MARQUIS.
Comment donc ?
LE COCHER.
Q'un honnête homme, pour m'engager au secret, me donne quelque argent, ne dit-il pas : Tiens, mon enfant, voilà pour boire ?
LE MARQUIS.
Hé bien ?
LE COCHER.
Je ne puis pas en conscience aller contre l'intention du fondateur, il faut que je boive d'obligation. Si vous me voulez fonder chopine, par exemple,...
LE MARQUIS.
De tout mon coeur, tu m'assez diverti pour bouteille.
LE COCHER.
Grand merci, Monsieur, grand bien vous fasse.
SCÈNE XI.
Le Marquis, Gabrillon, Le Cocher.
GABRILLON.
Que fais-tu ici, Maroufle ? Tes gens attendent là-bas après toi, on te cherche dans tous les cabarets de la rue. [ 32 Maroufle : Terme de mépris qui se dit d'un homme grossier. [L]]
LE COCHER.
Je vais m'y rendre, afin qu'on m'y trouve.
GABRILLON.
Ma maîtresse va venir tout à l'heure, Monsieur.
LE MARQUIS.
Qu'elle tarde tant qu'il lui plaira ; tiens-moi seulement compagnie, je l'attendrai sans impatience.
GABRILLON.
Vous êtes trop honnête, Monsieur.
LE MARQUIS.
Non, Dieu me damne. Dieu me damne. Je m'accommode de tout, moi. Ce Cocher même m'a réjoui, et ta conversation vaut bien la sienne.
GABRILLON.
Voici Madame.
SCÈNE XII.
Me Thibaut, Le Marquis
LE MARQUIS.
Serviteur, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Monsieur, je suis votre très humble servante.
LE MARQUIS.
Savez-vous que le bruit de votre réputation a percé jusqu'à la Cour, et qu'il a pénétré jusqu'à moi ?
MADAME THIBAUT.
Qu'y a-t-il, Monsieur, pour votre service ?
LE MARQUIS.
Vous ne le devinerez jamais.
MADAME THIBAUT.
Mais encore ?
LE MARQUIS.
Je viens vous prier... je vois qu'il faut franchir le mot, de m'aider à faire une sottise.
MADAME THIBAUT.
Vous me faites bien de l'honneur.
LE MARQUIS.
Quatre Marquis de mes amis, que vous avez ennocés, m'ont mis en goût d'en faire autant. À la vérité les épouses que vous leur avez données, ne sont pas belles : mais mort de ma vie, elles sont bonnes, la plus gueuse a... [ 34 Gueux : Qui est nécessiteux, réduit à mendier. [L]]
MADAME THIBAUT.
Je vous entends, vous voudriez une douairière, peut-être ? [ 35 Douairière : Veuve qui jouit de son douaire. Il ne se dit que des dames de la première qualité. [F]]
LE MARQUIS.
Vous l'avez dit. Souvent on a pour rien ce qu'un autre a payé bien cher. Vous me regardez ?
MADAME THIBAUT.
Je crois avoir l'honneur de vous connaître.
LE MARQUIS, bas.
Cela se peut.
MADAME THIBAUT.
Je vous ai vu quelque part.
LE MARQUIS.
Les gens de ma qualité se voient partout.
MADAME THIBAUT.
Je ne saurais dire où.
LE MARQUIS.
À l'Armée peut-être ?
MADAME THIBAUT.
À l'Armée, moi ?
LE MARQUIS.
C'est donc à la Cour ?
MADAME THIBAUT.
À la Cour ! Non ; je ne vais guères dans ce pays-là.
LE MARQUIS.
Ah ! J'y suis, Madame Thibaut, vous m'avez vu dans mon carrosse ? Il est remarquable, oui, mon carrosse ; et je suis autant connu de tout Paris par mon équipage, qu'estimé de la Cour par mes manières.
MADAME THIBAUT.
Vous avez raison, je rappelle mes idées : c'est dans votre carrosse que je vous ai vu.
LE MARQUIS.
En avez-vous remarqué la beauté ?
MADAME THIBAUT.
Il n'est rien de mieux entendu.
LE MARQUIS.
Je donne toujours dans le beau : j'ai des chevaux, morbleu, qui tourneraient sur la pointe d'une épée, un Cocher qui a du poitrail, et pour le moins une once et demi de barbe ; pour moi, j'ai toujours aimé cela. Un Cocher qui remplit bien son siège, et qui a tous ses crins, donne un merveilleux relief à la surface d'un équipage.
MADAME THIBAUT.
Surtout quand le reste y répond.
LE MARQUIS.
Hé, mais, j'ai deux grisons, un coureur et quatre autres laquais : ce ne sont pas des géants à la vérité ; mais de larges bassets qui ne meublent pas trop mal le derrière d'un carrosse : pour le dedans, c'est moi qui l'occupe. Je me sais si je suis d'une tournure à faire dire que le poisson dément la coquille. [ 37 Coureur : Valet qui accompagne à pied la voiture. [L]]
MADAME THIBAUT.
Bien loin de cela, vous m'avez tout l'air de bien jouer le premier rôle d'un équipage. Voilà une jolie tabatière. [ Basset : Chien de chasse, qui a les jambes fort courtes et tortues. Se dit aussi dans la conversation, en parlant d'Un petit homme dont les jambes et les cuisses sont trop courtes par rapport à sa taille. [Ac. 1762]]
LE MARQUIS.
Il n'y a pas encore vingt-quatre heures qu'elle était boîte à mouche. Je l'ai prise ce matin sur la toilette d'une Duchesse, avec qui je suis en pourparler de faveurs.
MADAME THIBAUT.
Elle est magnifique, vraiment. Mais, çà voyons, puisqu'il s'agit de vous marier, peut-on savoir, Monsieur le Marquis, à combien peut monter votre revenu ?
LE MARQUIS.
Si mon Intendant était là ; car nous autres gens de qualité, nous ne nous piquons guères de savoir ce que nous avons de bien, cela est trop bourgeois.
MADAME THIBAUT.
Mais encore à peu près ?
LE MARQUIS.
Hé ! Mais, il me reste du côté de ma mère assez considérablement de bien ; mais comme mon père m'a laissé encore plus considérablement de dettes, je ne vous ferai le détail que de mon revenu le plus liquide.
MADAME THIBAUT.
C'est bien dit.
LE MARQUIS.
Premièrement il n'y a point d'année, quelque mauvaise qu'elle soit, que je ne touche sept à huit cents pistoles par les mains de Gautier, cela en étoffes : mais qu'est-ce que cela fait ; ne faut-il pas s'habiller ?
MADAME THIBAUT.
Sans doute.
LE MARQUIS.
De la Picarde, cela peut monter aux environs de deux mille écus, sept mille francs, tantôt plus, tantôt moins.
MADAME THIBAUT.
En toiles et en dentelles ?
LE MARQUIS.
Oui, cela l'accommode et moi aussi. A-t-on jamais trop de linge ?
MADAME THIBAUT.
Bien loin de cela.
LE MARQUIS.
Croiriez-vous qu'à Jame et à Bequet, tant en chevaux de selle que de carrosse...
MADAME THIBAUT.
C'est-à-dire, Monsieur le Marquis, que tout votre revenu est en fonds de crédit.
LE MARQUIS.
Fonds de terre, ou fonds de crédit, qu'est-ce que cela fait ? Ne touché-je pas cela tous les ans ?
MADAME THIBAUT.
C'est quasi la même chose.
LE MARQUIS.
Mais à quoi rêvez-vous tant, s'il vous plaît ?
MADAME THIBAUT.
Je songe à vous bien assortir. Vous êtes un petit maître, et il y a bien de petites maîtresses en ce pays-ci. Si je vous allais donner une femme, dont le revenu fût comme le vôtre tout en étoffes, la cuisine serait bien mal fondée. [ 39 Fonder : signifie aussi, Donner un fonds suffisant pour l'établissement, pour la subsistance d'une Église, d'une Communauté, etc. On dit communément et par manière de plaisanterie, Fonder la cuisine, pour dire, établir de quoi vivre. [Ac. 1762]]
LE MARQUIS.
Vous avez raison. Comme j'ai grands fonds de crédit, moi, il faudrait pour diversifier les choses, que la Dame eût grands fonds de terre.
MADAME THIBAUT.
Je connais une certaine veuve de marchand de marée, qui a plus de quatre cent bonnes mille livres, si vous vouliez vous en accommodez ?
LE MARQUIS.
Si je le veux ? Quatre cent mille livres ! Où loge-t-elle ? Je veux qu'elle me voie dans mon carrosse.
MADAME THIBAUT.
Elle a soixante ans, Monsieur le Marquis.
LE MARQUIS.
Vous moquez-vous ? Je prends garde à l'argent, et non pas aux années. Soixante ans ! Je la trouve jeune, et si quelque chose me chagrine, c'est qu'elle n'en ait pas quatre-vingt ; quand la peut-on voir ?
MADAME THIBAUT.
Je vais tout à l'heure envoyer chez elle. Passez ici demain, je vous rendrai réponse.
LE MARQUIS.
À demain matin, soit. Serviteur, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Adieu, Monsieur le Marquis.
LE MARQUIS.
Si je deviens marchand de marée, tu peux compter sur trois cents pistoles.
SCÈNE XIII.
MADAME THIBAUT, seule.
La fatigante chose que le métier dont je me mêle ! Si j'étais bien sûre de Cléante, je prendrais le parti d'y renoncer ; mais dans l'incertitude de pouvoir réussir dans mes affaires, il est toujours bon de continuer à me mêler de celles de tout le monde.
ACTE IV
SCÈNE I.
Madame Thibaut Le Maître à chanter, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
Ah, ah ! C'est vous, Monsieur, je vous trouve bien hardi de m'avoir renvoyé cette Nourrice, et de revenir encore chez moi ?
LE MAÎTRE À CHANTER.
Ah ! Qu'un ton de colère vous sied mal, Madame Thibaud ; si votre voix ne peut aller jusques là.
MADAME THIBAUT.
Écoutez, ne me faites pas prendre mon sérieux là-dessus, je vous prie, j'ai des amis qui...
LE MAÎTRE À CHANTER.
Il ne s'agit plus de cette affaire. La Nourrice est contente, et je vous réponds que vous n'en entendrez plus parler.
MADAME THIBAUT.
Je suis bien aise de vous voir raisonnable.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je le suis devenu de plus d'une manière, et je sens tout le tort que j'avais de me vouloir brouiller avec vous.
MADAME THIBAUT.
Cela n'est rien, puisque vous revenez de bonne foi.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je suis raccommodé avec Monsieur le Commandeur, je montrerai à sa petite Marchande.
MADAME THIBAUT.
Vous prenez le bon parti.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Ils se sont mis à la raison, enfin.
MADAME THIBAUT.
Elle apprendra de vos airs préférablement à ceux de l'Opéra.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Monsieur le commandeur est entré dans ce goût-là, et je dois lui faire entendre ici dès aujourd'hui un petit concert de ma composition, qui, à ce que je me persuade, achèvera de le déterminer. Vous voulez bien nous prêter votre logis ?
MADAME THIBAUT.
Vous savez bien que je suis toute au service de Monsieur le Commandeur.
LE MAÎTRE À CHANTER.
J'ai si fort compté là-dessus, que j'ai déjà donné ordre qu'on apportât tous les instruments de musique dont nous aurons besoin.
MADAME THIBAUT.
Vous avez fort bien fait.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Vous serez charmée de ma musique.
MADAME THIBAUT.
J'en suis persuadée.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Je veux que vous en entendiez par avance un petit échantillon.
MADAME THIBAUT.
Je sais ce que vous savez faire, il n'est pas besoin.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Parbleu, vous l'entendrez en faveur de notre raccommodement. [ 40 Parbleu : interj. Sorte de jurement. [L]]
MADAME THIBAUT.
Dépêchez-vous donc, j'ai quelques ordres à donner avant le concert.
LE MAÎTRE À CHANTER.
La, la, la, la.
Quel objet charmant à mes yeux
Qu'une campagne où tout abonde ?
Sur un coteau délicieux
Une Vigne fertile enchante tout le monde.
5 | L'abondance plaît en tous lieux. |
Mais, il n'est rien de plus fâcheux
Qu'une Maîtresse féconde.
Hé bien, ce petit couplet, que vous en semble ?
MADAME THIBAUT.
Il est fort joli, vraiment.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Et fort vrai, Madame Thibaut. Vous le savez ; qui ne peut mais de la fécondité, en a souvent tout l'embarras.
MADAME THIBAUT.
Ne parlons plus de cela, je vous prie.
LE MAÎTRE À CHANTER.
Jusqu'à tantôt, je ne vous dis pas adieu.
SCÈNE II.
MADAME THIBAUT, seule.
Je ne suis pas fâchée de son retour, et si mon mariage avec Cléante ne réussit pas, j'ai intérêt de ne point perdre mes créatures. Qu'y a-t-il, Gabrillon ?
SCÈNE III.
Madame Thibaut, Gabrillon.
GABRILLON.
C'est ce jeune Officier pour cette vaisselle d'argent.
MADAME THIBAUT.
Si Cléante venait par hasard, fais-le monter dans ma chambre par cet escalier dérobé. Je ne voudrais pas qu'il vît tout ce commerce.
GABRILLON.
Ne vous mettez pas en peine.
SCÈNE I.
.
Madame Thibaut, Léandre.
LÉANDRE.
À la fin, je t'amène mon père.
MADAME THIBAUT.
À quoi songez-vous donc ? Avez-vous perdu l'esprit ? Vous m'envoyez de la vaisselle avec ordre de ne la vendre qu'à lui, sans m'avertir de ce qu'il faut dire.
LÉANDRE.
Mon père va venir, ma chère Madame Thibaut. Nous étions ensemble, il a rencontré son Procureur à ta porte, il cause avec lui dans son carrosse.
MADAME THIBAUT.
Apprenez-moi donc vite ce que c'est que cette vaisselle, d'où elle vient, sur quel pied il faut la lui vendre, et ce que vous voulez que je fasse de l'argent ?
LÉANDRE.
Je m'en vais t'en instruire en deux mots. Cette vaisselle est celle de ma mère : tu sais bien que mon père et elle se sont volontairement séparés, parce que ma mère n'est pas bonne, et que mon père s'est ennuyé d'être trop bon.
MADAME THIBAUT.
Hé vite, vite, finissons, je sais tout cela.
LÉANDRE.
Mais tu ne sais pas que depuis la séparation, ma mère a pris le temps que mon père était à la campagne, pour faire enlever de chez lui pour sept à huit cents pistoles de vieille vaisselle, que depuis trois jours elle a troquée pour de la neuve.
MADAME THIBAUT.
C'est donc une maîtresse femme, à ce que je vois ?
LÉANDRE.
Moi, qui suis aussi séparé de mon père et de ma mère : car il y a terriblement de séparations dans notre famille.
MADAME THIBAUT.
Cela n'en est quelquefois pas plus mal.
LÉANDRE.
Je n'en suis pas fâché, je te l'avoue.
MADAME THIBAUT.
Dépêchez-vous donc de venir au fait.
LÉANDRE.
M'y voici. Irrité de l'injustice de ma mère, comme je suis de profession à savoir ce que c'est que le droit de représailles, j'ai pris le temps que la bonne Dame était au bal, j'ai enlevé la vaisselle neuve, je l'ai fait apporter ici. Mon père en veut acheter, tu vas la lui vendre, et par ce moyen il l'aura à bon marché. La conscience de ma mère ne sera plus chargée de rien, et j'aurai de l'argent pour faire ma Compagnie.
MADAME THIBAUT.
Mais si l'affaire vient à être sue, à quoi m'exposez-vous ?
LÉANDRE.
Je prends tout sur moi, ne te mets pas en peine. Il a sur lui trois cents pistoles, qu'il faut toujours prendre à bon compte.
MADAME THIBAUT.
Laissez-moi faire, vous pouvez compter ces trois cents pistoles dans votre poche.
LÉANDRE.
Il en entrera quelques-unes dans la tienne. Mais voici mon père.
SCÈNE V.
Dorante, Léandre, Madame Thibaut, Gabrillon.
DORANTE.
Hé bien, Monsieur le Capitaine, est-ce Madame qui me doit faire si bon marché ?
MADAME THIBAUT.
Que vous avez-là un honnête Gentilhomme de fils, mon cher Monsieur ! Je lui suis vraiment bien obligée de me faire l'honneur de vous amener chez moi.
DORANTE.
D'où vient votre connaissance, Madame ?
MADAME THIBAUT.
Je connais tout ce qu'il y a d'honnêtes gens, Monsieur.
DORANTE.
C'est un compère qui me dépense bien de l'argent : il est Capitaine de Dragons, et il vit comme un Colonel.
LÉANDRE.
Madame Thibaut le sait mieux qu'une autre. Voulez-vous que nous voyions la vaisselle ?
DORANTE.
Je ne viens que pour cela, voyons.
MADAME THIBAUT.
Elle est là-dedans ; nous y passerons si vous voulez.
DORANTE.
Très volontiers, allons.
MADAME THIBAUT, à Gabrillon.
Demeure-là, toi, et amuse Cléante en cas qu'il vienne.
SCÈNE VI.
Lisette, Gabrillon.
LISETTE.
Ma pauvre Gabrillon, ne sais-tu point ce qu'est devenu ce petit Dragon que tu as donné à Madame ?
GABRILLON.
Non, vraiment : mais c'est mon neveu. S'il a fait quelque sottise...
LISETTE.
Il a jasé mal à propos ; on lui a voulu donner le fouet, il s'en est enfui.
GABRILLON.
Ah le petit coquin !
LISETTE.
Ne t'inquiète point, Madame le fera chercher.
GABRILLON.
S'il vient ici, je le ramènerai par les oreilles. Mais à propos, il y a longtemps qu'on n'a fait de présents à ta maîtresse ; car il y a pour le moins quinze jours que nous ne t'avons vue.
LISETTE.
En voici un de fraîche date ?
GABRILLON.
Ah la belle garniture, Lisette !
LISETTE.
Madame Thibaut est-elle ici ?
GABRILLON.
Tu n'as qu'à dire les intentions de ta maîtresse.
LISETTE.
Elle doit venir tantôt ici avec son mari : elle lui a fait croire que vous aviez un très beau bureau à vendre.
GABRILLON.
Hé bien, que faudra-t-il faire ?
LISETTE.
Hé, mais comme de coutume, montrer ces dentelles, dire qu'elles sont de hasard.
GABRILLON.
Lui viennent-elles du même Marchand dont elle a eu ces beaux habits, ce collier, ces bijoux, et cent autres choses dont nous avons fait si bon marché à son mari ?
LISETTE.
Oh, vraiment non.
GABRILLON.
Elle se fournit donc à plusieurs boutiques ?
LISETTE.
Si l'on ne prenait que chez un Marchand, on serait souvent mal assortie.
GABRILLON.
À combien les faudra-t-il laisser ?
LISETTE.
Pour huit ou dix pistoles : car vois-tu, pour obliger Monsieur à les prendre...
GABRILLON.
Qu'il est heureux de trouver de ces hardes-là pour entretenir sa femme à si bon compte ! Il faut assurément qu'il soit né coiffé. [ 41 Né coiffé : Né coiffé, né avec la coiffe sur la tête, circonstance fortuite à laquelle la superstition attribua de singulières vertus. Fig. Être très heureux. [L]]
LISETTE.
N'est-il pas vrai ?
GABRILLON.
La bonne conduite de femme ! Des dentelles de l'un, des bijoux de l'autre : comme la dépense se partage ! Cela ne ruine personne, et avec le temps on ne laisse pas d'être des mieux nippées.
LISETTE.
Voici justement ton petit neveu.
SCÈNE VII.
Le petit Dragon, Lisette, Gabrillon.
GABRILLON.
Ah, ah, petit coquin, que venez-vous faire ici ? D'où vient que vous pleurez ?
LE PETIT DRAGON.
Hin, hin, hin, hin.
LISETTE.
Parlerez-vous, petit garçon ?
LE PETIT DRAGON.
Laissez-moi là, s'il vous plaît.
GABRILLON.
À qui en a-t-il donc ?
LE PETIT DRAGON.
C'est elle, ma tante, qui me fait toujours gronder par Madame.
GABRILLON.
Vous avez fait quelque sottise ?
LE PETIT DRAGON.
Hé bien, ne voilà-t-il pas ? Elle vous a déjà fait accroire que c'est moi qui ai dit à Monsieur, que Madame se faisait descendre tous les jours de carrosse dans la cour neuve du Palais, et puis qu'elle allait trouver Monsieur le Chevalier, qui l'attendait vis-à-vis saint Barthélemy dans un Fiacre.
LISETTE.
Entendez-vous ce petit coquin ?
LE PETIT DRAGON.
Hé bien, cela est vrai. Mais je ne l'ai pas dit, et si pourtant on me veut faire donner le fouet.
GABRILLON.
Qui, Madame ?
LE PETIT DRAGON.
Non, son petit mari.
GABRILLON.
Monsieur ?
LE PETIT DRAGON.
Non.
GABRILLON.
Qui donc ?
LE PETIT DRAGON.
Hé, ce vilain Chevalier.
LISETTE.
Ce sera fort bien fait de vous étriller un peu, pour vous apprendre à causer une autre fois.
LE PETIT DRAGON.
Hin, il s'en repentira.
LISETTE.
Qu'est-ce que vous dites ?
LE PETIT DRAGON.
Il verra, il verra, si je ne dis pas qu'il a mordu Madame à l'oeil.
GABRILLON.
Et moi il me prend envie pour vous apprendre à parler, de vous donner le fouet ici avant que de vous remener.
LE PETIT DRAGON.
Ma bonne tante, mettez-moi autre part.
LISETTE.
Oui, il faut le mettre auprès d'une gueuse qui lui fera porter des sabots.
LE PETIT DRAGON.
Je me soucie bien où, pourvu que ce soit avec une femme qui n'ait qu'un mari.
GABRILLON.
Paix, petit coquin, Allons qu'on s'en retourne tout à l'heure, et qu'on ne me le fasse pas dire deux fois. Hé bien ne voilà-t-il pas encore qui va pleurer ?
LE PETIT DRAGON.
Monsieur dit qu'il veut que je lui dise tout ce que Madame fait, et Madame dit qu'elle ne veut pas que je lui dise.
LISETTE.
N'êtes-vous pas à Madame ?
LE PETIT DRAGON.
Hé bien, qu'est-ce que cela fait ?
GABRILLON.
Ce que cela fait ? Il faut obéir à Madame, et ne faire rien de tout ce que Monsieur vous commande.
LE PETIT DRAGON.
Oui-da, cela est bien aisé à dire, vraiment. Si je n'obéis pas à Monsieur, il me donnera le fouet : et si je lui obéis, Madame me le donnera. Le moyen de ne pas l'avoir ?
GABRILLON.
Ma pauvre Lisette, remène-le, je te prie, il nous tiendrait ici jusqu'à demain.
LISETTE.
Allons tout à l'heure au logis.
LE PETIT DRAGON.
Non, là, je n'irai pas.
LISETTE.
Vous y viendrez.
LE PETIT DRAGON.
Hé bien, si vous m'y menez de force, j'irai ; mais vous verrai si je ne dis pas à Madame que toutes les fois que Picard entre dans votre chambre, vous ne m'envoyez pas quelque part.
GABRILLON.
Voilà un méchant petit fripon !
LE PETIT DRAGON.
J'aurai le fouet, mais je vous ferai bien enrager.
LISETTE.
Je reviendrai peut-être tantôt avec Madame.
SCÈNE VIII.
GABRILLON, seule.
Quelle imprudence à des femmes de se faire servir par des enfants, avec leurs petits dragons ! Je m'étonne que la mode en ait tant duré ? Mais que veut cette Dame ? Elle paraît bien effarée.
SCÈNE IX.
Mélinde, Gabrillon, Dorante.
MÉLINDE.
Ma mie, ce Monsieur dont le carrosse est là-bas, ne serait-il point ici.
GABRILLON.
Je ne sais pas, Madame. Il y a un Monsieur là-dedans... Ah ! Tenez le voilà qui sort.
MÉLINDE, à Dorante.
Ah ! Monsieur, j'allais chez vous...
DORANTE, à part.
Ma femme dans cette maison !
MÉLINDE.
Mais voyant là-bas votre carrosse...
DORANTE, à part.
Qu'y voudrait-elle faire ?
MÉLINDE.
J'ai fait arrêter le mien.
DORANTE.
Hé bien, qu'y a-t-il ?
MÉLINDE.
Votre fils, Monsieur... votre fils.
DORANTE.
Hé bien, mon fils, Madame, qu'a-t-il fait ?
MÉLINDE.
Il m'a volé cette nuit pour deux mille écus de vaisselle neuve.
DORANTE.
De vaisselle neuve ! Ah le fripon ! Il vous l'a volée, et me l'a vendue.
MÉLINDE.
Vous avez ma vaisselle, Monsieur ?
DORANTE.
Oui, Madame, j'ai la vôtre neuve, et vous m'avez pris ma vieille ; et mon coquin de fils a mon argent sans doute, car je ne le vois plus. Holà, quelqu'un ?
GABRILLON, revenant.
Que vous plaît-il, Monsieur ?
DORANTE.
Où est mon fils ?
GABRILLON.
Ce jeune Monsieur qui était avec vous ? Le voilà qui descend les montées quatre à quatre. Je ne sais à qui il en a.
DORANTE.
Ah, scélérate ! On s'entend ici avec lui pour me fourber : Mais je te ferai pendre, et ta maîtresse aussi, sur ma parole. [ 42 Fourber : Tromper adroitement, finement. Ceux qui agissent avec sincerité, sont ceux qu'on fourbe le plus aisément. [F]]
GABRILLON.
Je m'en vais l'avertir de vos bonnes intentions, Monsieur.
DORANTE.
Morbleu, Madame, voilà les fruits de votre belle conduite.
MÉLINDE.
Fort bien. Votre fils m'a volée, et vous vous prenez encore à moi de son dérèglement.
DORANTE.
Oui, Madame, vous en êtes cause. Serait-il à la peine de vous voler, si nous étions ensemble, comme nous devrions être ? Mais le père d'un côté, la mère de l'autre ; vous me volez ma vaisselle, il vous prend la vôtre, il ne pêche que par exemple.
MÉLINDE.
Oui, je lui ai donné l'exemple, et c'est peut-être vous qui lui avez dit de le suivre.
DORANTE.
Hé, Madame ! Revenez avec moi, c'est le seul moyen de le mettre dans son devoir.
MÉLINDE.
Moi, Monsieur, demeurer avec vous ?
DORANTE.
Je sais les moyens de vous y forcer quand il me plaira.
MÉLINDE.
Je sais vos vues. De concert avec mes parents, vous voulez me contraindre à retourner avec vous, ou à choisir un Couvent.
DORANTE.
Assurément.
MÉLINDE.
Et quel parti croyez-vous que je prendrai, Monsieur ?
DORANTE.
Celui du Couvent : votre bizarrerie et vos travers ne me permettent pas d'en douter.
MÉLINDE.
Tout au contraire.
DORANTE.
Comment, vous reviendrez avec moi ?
MÉLINDE.
Avec vous.
DORANTE.
Avec moi !
MÉLINDE.
Oui, avec vous, avec vous ; mais, pour vous faire enrager plus que jamais. Je crierai nuit et jour, je chasserai vos valets, j'engagerai vos meubles, je déchirerai vos papiers, je mettrai le feu dans votre logis, et peut-être je ferai pis encore. Voilà sur quel pied, Monsieur, je veux retourner avec vous.
DORANTE.
Le Ciel m'en préserve ; demeurons plutôt comme nous sommes.
MÉLINDE.
Non, Monsieur, j'y retournerai si vous ne me rendez ma vaisselle.
DORANTE.
Et la mienne, qui me la rendra ?
MÉLINDE.
Si je ne l'ai pas dans deux heures, je fais porter ce soir ma toilette chez vous, et j'y couche.
DORANTE.
Ne vous en avisez pas, j'aime mieux vous renvoyer la vaisselle.
MÉLINDE.
Vous ferez bien : n'y manquez pas, ou vous m'aurez bientôt à vos trousses.
SCÈNE X.
DORANTE, seul.
L'esprit du Diable est-il pire que celui-là ? M'en voilà pour mes trois cents pistoles. Il faut pourtant que la coquine qui a aidé à me tromper... Ouf. La voici avec un homme d'épée ; de peur de quelque inconvénient, allons faire mes plaintes chez un Commissaire.
SCÈNE XI.
Madame Thibaut, La Ramée.
MADAME THIBAUT.
Quoi, Cléante, je vous revois ! Est-il bien vrai que vous me sacrifiez ainsi votre fortune ?
LA RAMÉE.
Vous le voyez. Tout ce que je crains, c'est que quelques parents de conséquence que j'ai malheureusement à la Cour, ne cherchent à traverser la passion que j'ai pour vous. Ce coquin de valet de chambre de mon père est un vieux domestique, espèce de Pédagogue, il m'a menacé d'un oncle, dont je redoute la conversation : Je suis amoureux, mais je suis timide. Au nom de notre amour, Madame, brusquons les noces, je vous prie, pour ne plus dire non.
MADAME THIBAUT.
Je veux tout ce que vous voulez ; mais ne vous repentirez-vous point de ce que vous faites pour moi ?
LA RAMÉE.
M'en repentir ? Si vous me connaissiez, Madame, je me donne au diable, vous n'auriez pas cette pensée.
Un porteur d'instruments de musique paraît.
MADAME THIBAUT.
Que veut-on ?
LA RAMÉE.
Comment sandis ! C'est tout un Orchestre que cet homme a sur ses épaules.
MADAME THIBAUT.
Je voulais vous surprendre par un concert que je donne ici ce soir ; mais vous en voyez les apprêts malgré moi. Qu'on mette ces instruments là-dedans.
LA RAMÉE.
Voulez-vous que je vous dise, Madame ? Vous vous amusez à la bagatelle ; ce n'est point un concert, c'est un bon contrat qu'il nous faut : votre Notaire est un habile homme.
MADAME THIBAUT.
Mon Notaire, Monsieur ? Ah, gardons-nous bien de lui rien dire de nos affaires ! C'est lui qui fait toutes les affaires de notre famille, et j'ai des raisons qui m'obligent à vous épouser en secret.
LA RAMÉE.
Je vous demande la même chose : point d'éclat, je vous en conjure.
SCÈNE XII.
Madame Thibaut, La Ramée, Gabrillon, un Laquais.
GABRILLON.
Ah ! Madame, vous êtes volée.
LA RAMÉE.
Que veut-elle dire ?
MADAME THIBAUT.
Je suis volée !
GABRILLON.
N'ont-ils rien pris ici ?
MADAME THIBAUT.
Que m'aurait-on pris ? Es-tu folle ?
GABRILLON.
Je ne sais ce que c'est ; mais je viens de rencontrer deux hommes qui descendent vos degrés comme si le diable les emportait.
LA RAMÉE.
Ce sont ces bardauts d'Opéra qui ont porté le concert ; ils galopent, parce qu'ils s'en retourne à vide. [ 43 Bardot : ou bardaut, Petit mulet. Figurément, celui sur lequel les autres se déchargent de l'ouvrage.]
GABRILLON.
À voir comme ils courraient, j'aurais cru...
UN LAQUAIS.
Madame, il y a un enfant qui crie dans cette basse de viole qu'on vient d'apporter.
LA RAMÉE.
Un enfant !...
GABRILLON.
Voilà un instrument qui vous coûtera bien à entretenir.
MADAME THIBAUT, bas.
Ah ! Le traître de musicien.
LA RAMÉE.
Cadédis, le concert accouche ?
MADAME THIBAUT.
Le fourbe ! Qui l'eût cru, Gabrillon ?
GABRILLON.
Que cela ne vous embarrasse pas. Dès qu'il fera nuit, j'ai bien la mine d'envoyer ce petit instrument-là donner une sérénade à la porte d'un de nos voisins.
MADAME THIBAUT.
Voilà à quoi le veuvage m'expose : quel affront !
LA RAMÉE.
Il vous faut un mari, Madame, absolument ; vous avez raison.
MADAME THIBAUT.
Hâtez-vous donc de le devenir, Cléante.
LA RAMÉE.
Vous n'avez qu'à parler, Madame, je cours au Notaire comme au feu.
MADAME THIBAUT.
Prenez le premier venu, Cléante ; faites-lui dresser les articles tels qu'il vous plaira, nous remplirons les noms et qualités quand le contrat sera dressé.
LA RAMÉE.
Ordre charmant ! Commission toute adorable ! Je vole où vos ordres m'appellent, et je reviens promptement ici procéder au reste.
MADAME THIBAUT.
Hé bien, Gabrillon, que dis-tu de l'insolence de ce coquin de Maître à chanter ?
GABRILLON.
Moi, Madame ? Que je lui pardonne en faveur de l'invention.
MADAME THIBAUT.
Je me vengerai du tour qu'il me fait.
UN LAQUAIS.
Cet homme veuf qui presse si fort pour l'agrément de cette Charge.
MADAME THIBAUT.
Qu'on le fasse monter. Quoique je n'aie plus guères besoin de pratiques, il est toujours bon d'expédier les vieilles ; quelque profession que l'on quitte, il en faut sortir avec honneur.
SCÈNE XIII.
Monsieur Dubois, Madame Thibaut, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
Hé, bonjour, Monsieur Dubois, vous me paraissez bien affligé ?
MONSIEUR DUBOIS.
Je me meurs de chagrin, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Hé, fi donc, vous n'y songez pas. Après six semaines de veuvage, est-il seulement permis de se souvenir de sa femme, que pour se réjouir de n'en plus avoir ?
MONSIEUR DUBOIS.
Vous me soupçonnez de pleurer ma femme ? Vous vous moquez de moi, je pense, ma douleur est bien plus raisonnable.
MADAME THIBAUT.
Hé ! Qui diantre la peut causer ? Tout vous rit, la Charge est à vous, je suis sûre de l'agrément.
MONSIEUR DUBOIS.
Il n'est plus temps. Je suis ruiné, Madame Thibaut ; ma petite fille vient de mourir entre mes bras, d'une convulsion qui lui a pris tout d'un coup sans apparence même de maladie.
MADAME THIBAUT.
Ah, quel malheur ! Il faudra donc que vous rendiez le mariage de votre femme à sa famille.
MONSIEUR DUBOIS.
Vous voyez bien qu'il n'est plus question de la Charge ; et quand cette mort sera sue...
MADAME THIBAUT.
Elle ne l'est donc pas encore ?
MONSIEUR DUBOIS.
Il n'y avait avec moi que la nourrice, à qui j'ai donné vingt pistoles, pour l'engager à ne point parler que je n'aie mis ordre à mes affaires ?
MADAME THIBAUT.
Cela est fort prudent. Et quel âge avait la petite fille ?
MONSIEUR DUBOIS.
Cinq mois et demi.
GABRILLON, bas à Madame Thibaut.
Madame ?
MADAME THIBAUT, bas à Gabrillon.
Paix.
GABRILLON, bas.
Voilà à peu près l'âge de notre basse de viole.
MADAME THIBAUT, bas
Tais-toi donc, sotte ?
MONSIEUR DUBOIS.
Que dites-vous, Madame Thibaut ?
MADAME THIBAUT.
Je songe à vous rendre un bon office.
MONSIEUR DUBOIS.
Comment ?
MADAME THIBAUT.
Cette femme n'y consentira jamais, Gabrillon ?
GABRILLON.
Que fait-on ?
MONSIEUR DUBOIS.
Quelle est votre idée ?
MADAME THIBAUT.
Laissez-nous faire. Elle est pauvre ; mais elle aime ses enfants.
GABRILLON.
Il n'y a que le prix qu'on y voudra mettre.
MONSIEUR DUBOIS.
Mais, que je sache...
MADAME THIBAUT.
Elle me fait souvenir d'une pauvre diablesse qui demeure à deux pas d'ici. Elle a une petite fille à peu près comme était la vôtre. Si l'on pouvait à force d'argent... Je ne sais si vous m'entendez ?
GABRILLON.
Si je vous entends ! En supposant cette petite fille au lieu de la mienne, je pourrais acheter la Charge. Voyez, parlez, Madame Thibaut, je sacrifierai volontiers mille écus pour cette affaire.
MADAME THIBAUT.
Comment, mille écus ! C'est trop de la moitié. Vous autres hommes, vous jetez l'argent par les fenêtres, laissez-moi ménager la chose. Gabrillon, faites-moi venir cette femme ?
GABRILLON.
J'y vais, Madame.
MADAME THIBAUT.
Attendez, il vaut mieux que j'aille lui parler chez elle, et que vous ne paraissiez point dans tout cela. Pour rendre l'affaire plus secrète, il est bon qu'on ne connaisse pas seulement votre visage.
MONSIEUR DUBOIS.
Que vous avez d'esprit, Madame Thibaut ! Par quel bonheur ? Si elle vient à bout de son entreprise !
SCÈNE XIV.
Monsieur Dubois, Gabrillon.
GABRILLON.
Elle y réussira, je vous en réponds. C'est la première femme de Paris pour toutes sortes d'affaires.
MONSIEUR DUBOIS.
Tu es heureuse de faire ton apprentissage sous une si habile personne.
GABRILLON.
Comme Madame est dans le goût de quitter, je vais bientôt me mettre en boutique.
MONSIEUR DUBOIS.
Elle doit être à son aise, Madame Thibaut ?
GABRILLON.
Pas tant qu'on s'imagine, Monsieur, elle a fait de grandes pertes.
MONSIEUR DUBOIS.
Comment donc ?
GABRILLON.
La Justice lui a volé plus de la moitié de ses profits en amendes, en frais de Procureurs, droits de clercs, présents forcés, petites pensions involontaires à d'honnêtes personnes dans le besoin. Cela monte au bout d'une année ; et ceux qui se donnent le plus de peine, ne sont pas ceux qui gagnent le plus.
MONSIEUR DUBOIS.
Ta Maîtresse n'a pas lieu de se plaindre ; elle fait souvent de bonnes affaires, dont tous les revenants-bons sont pour elle. [ 44 Revenant-bon : C'est ainsi qu'on appelle les deniers qui restent entre les mains d'un Comptable. Il se dit aussi au figuré De toutes sortes de profits et d'avantages qui viennent par une espèce de hasard. [Ac. 1762]]
GABRILLON.
Tout lui coûte, Monsieur, et vous ne sauriez croire combien de gens elle tient à ses gages. Elle a douze Savoyards premièrement.
MONSIEUR DUBOIS.
De ces frotteurs ? [ 45 Frotteur : Celui qui frotte. Il faut donner tant par mois aux frotteurs pour entretenir les planchers. Frotteur est employé ici au figuré, c'est celui qui prépare le terrain pour une affaire. [F]]
GABRILLON.
Oui, Monsieur, ce sont des émissaires admirables. Ces gens-là savent tous les tenants et les aboutissants des familles ; et nous en tirons de bons services. Nous avons outre cela près de trois douzaines de filles de chambre, une trentaine de cochers, et plus de cent laquais. [ 46 Aboutissant : On dit figurément, savoir tous les tenants et aboutissans d'une affaire, d'une entreprise, pour dire, en connaître parfaitement le secret, en savoir le fort et le faible... [F]]
MONSIEUR DUBOIS.
Voilà un grand équipage.
GABRILLON.
Nous les plaçons différemment dans les maisons où nous voulons avoir affaire, et il faut de petits gages particuliers à ces sortes de Messieurs-là.
MONSIEUR DUBOIS.
Ils les gagnent bien.
GABRILLON.
Voici Madame.
SCÈNE XV.
Monsieur Dubois, Madame Thibaut, Gabrillon.
MONSIEUR DUBOIS.
Hé bien, ma chère Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Laissez-moi un moment, je vous prie, j'ai le coeur si serré que je ne puis parler.
MONSIEUR DUBOIS.
Qu'y a-t-il donc ?
MADAME THIBAUT.
Ce que c'est que la tendresse d'une mère.
MONSIEUR DUBOIS.
Notre affaire ne se fera point ?
GABRILLON.
C'est une femme qui aime sa petite fille au-delà de l'imagination.
MADAME THIBAUT.
Ah ; Gabrillon ! On a beau prêcher de l'intérêt, la nature est toujours la plus forte.
GABRILLON.
Cette pauvre mère, je lui sais bon gré d'être si sensible.
MONSIEUR DUBOIS.
Mais, ne lui avez-vous rien offert ?
MADAME THIBAUT.
Pardonnez-moi vraiment ; cinq cent écus d'abord, puis deux cents pistoles.
MONSIEUR DUBOIS.
Je vous avais dit d'aller jusqu'à mille écus.
MADAME THIBAUT.
C'est ce que j'ai fait.
MONSIEUR DUBOIS.
Hé bien ?
MADAME THIBAUT.
M'a-t-elle écoutée ?
MONSIEUR DUBOIS.
Ah, Ciel !
MADAME THIBAUT.
Vous ne m'aviez point donné ordre de passer cette somme ; mais pourtant, voici comme j'ai raisonné.
MONSIEUR DUBOIS.
Que je suis à plaindre !
MADAME THIBAUT.
Si Monsieur Dubois n'a cet enfant pour remplir le vide que la petite fille défunte laisse dans sa famille, il sera obligé de rendre tout le bien de sa femme.
MONSIEUR DUBOIS.
Il m'en coûtera plus de dix mille écus du mien, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Je m'en suis bien doutée ; aussi, je n'ai point hésité d'offrir encore un sac de mille francs.
MONSIEUR DUBOIS.
Hé bien ?
MADAME THIBAUT.
Elle est sourde. Autre sac de mille francs ; car voyez-vous, dans une affaire de cette conséquence, il n'est que d'aller vite en besogne.
MONSIEUR DUBOIS.
Cinq cent pistoles !
MADAME THIBAUT.
Comme si je n'avais point parlé.
GABRILLON.
Voilà une femme qui a bien du naturel, Monsieur.
MONSIEUR DUBOIS.
J'en suis au désespoir
MADAME THIBAUT.
Ne vous désespérez point. Deux mille écus l'ont émue, les sept mille francs l'ont ébranlée, et les huit cent pistoles ont achevé de la déterminer
MONSIEUR DUBOIS.
Huit mille francs, Madame Thibaut !
MADAME THIBAUT.
Dans le besoin pressant où vous en êtes, entre nous, Monsieur, c'est marché donné.
GABRILLON.
Assurément.
MADAME THIBAUT.
Allez vite prendre de l'argent, il n'y a point de temps à perdre.
MONSIEUR DUBOIS.
Sans aller chez moi, Madame Thibaut, voilà trois billets payables au porteur, les trois ensemble font quatre cent vingt livres plus que la somme.
MADAME THIBAUT.
Ah ! Que vous êtes adroit, Monsieur Dubois, vous prétendez que pour mes épingles je me contente de ce petit surplus ; mais, Gabrillon ? [ 47 Epingle : Petit brin de fer ou de laiton qui sert à attacher, à coiffer, et à d'autres usages. Épingles se dit de ce qu'on donne à une servante pour le service qu'elle a rendu, et de ce qu'on stipule avec un mari en faveur de la femme. [FC]]
MONSIEUR DUBOIS.
Voilà pour elle un diamant de quinze pistoles ; mais qu'elle prenne garde...
MADAME THIBAUT.
Ne craignez rien, je vous réponds d'elle.
GABRILLON.
Et moi, je suis caution de Madame.
MADAME THIBAUT.
Adieu, retournez chez vous comme si de rien n'était, engagez la nourrice à se taire ; et quand il sera nuit, envoyez-moi votre carrosse, je vous porterai l'enfant moi-même.
MONSIEUR DUBOIS.
Adieu, Madame Thibaut. Je n'aurais jamais cru que des enfants fussent un e si chère marchandise.
SCÈNE XVI.
Gabrillon, Me Thibaut.
GABRILLON.
Ma foi, Madame, voilà la meilleure aubaine que vous ayez jamais eue.
MADAME THIBAUT.
Le Maître à chanter ne s'en serait pas défait à si bon compte.
GABRILLON.
En faveur des huit cents pistoles, vous devriez bien lui renvoyer son étui.
ACTE V
SCÈNE I.
Lisette, Gabrillon.
LISETTE.
Madame sera bientôt ici : on mettait les chevaux au carrosse quand je suis sortie du logis. Son bonhomme de mari est plus amoureux d'elle qu'il ne l'a jamais été : il faut savoir toutes les excuses qu'il lui a faites, d'avoir cru ton petit neveu. Enfin, tous deux ensemble vont venir ici dans la meilleure intelligence du monde. Madame Thibaut est-elle avertie ?
GABRILLON.
Ne te mets point en peine de rien : quoiqu'elle soit à la veille d'une grosse fortune, et prête à me remettre ses pratiques, elle fera encore cette affaire pour ta Maîtresse. Qu'elle vienne quand il lui plaira.
LISETTE.
Madame a besoin de ces dix pistoles, pour payer cet Ingénieur qui a pratiqué cette trappe dans son alcôve.
GABRILLON.
Il est bien juste que ce soit le mari qui fasse ces frais-là.
LISETTE.
Assurément, ce sont des améliorations qu'on fait à sa maison.
GABRILLON.
Voici quelqu'un.
LISETTE.
Adieu.
SCÈNE II.
Monsieur de la Protase, Gabrillon.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Peut-on voir Madame Thibaut ?
GABRILLON.
Elle est empêchée.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
J'aurais bien voulu lui parler.
GABRILLON.
Pour quelque habit de rencontre, peut-être ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Pour qui me prenez-vous ?
GABRILLON.
Monsieur !...
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Savez-vous que vous parlez au premier homme du monde pour le Dramatique, à un bel esprit, à un Auteur du premier ordre.
GABRILLON.
Vous êtes un bel esprit, Monsieur ? Oh, je ne m'étonne plus de vous voir si déguenillé, un habit en lambeaux est le justaucorps à brevet du Parnasse.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Ce que vous dites-là ne sont pas des vers à la louange de la fortune ; néanmoins, il n'est que trop vrai que c'est assez d'être bel esprit pour être mal avec elle.
GABRILLON.
Oh, sur ce pied-là, il faut que vous soyez plus bel esprit qu'un autre ; car, il paraît qu'elle vous traite plus mal que pas un. J'ai bien vu des Auteurs ; mais tout franc, je n'en ai point encore vu de si mal relié que vous.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Patience.
GABRILLON.
Et fi, à le bien prendre, il vous en devrait coûter moins qu'à qui que ce soit ; car, votre taille ne peut passer tout au plus que pour un In-douze. [ 48 In-douze : Terme de librairie, Se dit de la feuille pliée en douze et qui détermine la taille d'un ouvrage. [Ac. 1762] C'est à dire, petit. ]
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Laissez faire, si je puis parvenir à mettre une pièce sur le théâtre sans être sifflée, on me verra aussi bien étoffé qu'un autre.
GABRILLON.
Comment sifflée ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
J'ai ce malheur-là : je fais les meilleures pièces du monde, elles charment tous ceux à qui je les lis ; mais, à peine passent-elles dans la bouche des Comédiens, qu'on les siffle à faux-bourdon. [ 49 Faux-bourdon : Musique dont toutes les parties se chantent note contre note. [L]]
GABRILLON.
Il y a de certaines pièces comme cela, que les représentations gâtent. Si j'étais de vous, puisqu'elles réussissent si bien sur le papier, je me ferais apporter un fauteuil, et je les lirais moi-même en plein Théâtre.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
J'ai un bien meilleur expédient que cela.
GABRILLON.
Qui est ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
D'aller directement au Roi.
GABRILLON.
Au Roi !
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Oui da, au Roi : ce n'est point son intention qu'on siffle personne, et c'est dans cette vue-là que je viens faire un accommodement avec ta Maîtresse. Elle connaît toute la Cour. Voici un Placet : Qu'elle le fasse présenter par qui elle voudra, et je lui promets un quart de part dans toutes les pièces qu'on jouera dorénavant de moi, où l'on ne sifflera pas.
GABRILLON.
Voilà pour elle un profit tout clair. Un Placet ? Pourrait-on en voir la lecture ?
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Pourquoi non ? Il n'est fait que pour être vu. Nous verrons, nous verrons, Messieurs du Parterre, si vous sifflerez à l'avenir les Auteurs et les Comédiens, comme on siffle les linottes et les perroquets. Placet au Roi. Comme je ne puis faire pour moi, que je ne fasse en même temps pour trous les autres Poètes mes confrères, j'ai trouvé qu'il était à propos d'adresser mon Placet au nom de toute ma communauté des Auteurs, de Paris s'entend. [ 50 Placet : Tabouret, petit siège de femme, ou d'enfant, qui n'a ni bras, ni dossier. [F]]
GABRILLON.
Oh, c'est l'entendre.
MONSIEUR DE LA PROTASE, lit.
Au Roi.
Sire,
Les auteurs modernes en dramatique, tant en vers qu'en prose, de votre bonne ville et faubourgs de Paris, remontrent très humblement à votre Majesté, qu'après avoir sacrifié leurs soins et leurs veilles aux plaisirs du public, leur zèle serait tous les jours mal reconnu par certains quidams indiscrets, qui, de dessein prémédité, se transportant journellement ès lieux où lesdits auteurs font représenter leurs ouvrages, avec des appeaux à perdrix, des sifflets de chaudronniers, et autres armes offensives, desquelles ils chargent sans miséricorde tout ce qui ose paraître d'Acteurs sur le Théâtre, avec tant de fureur, que le comédien le plus intrépide est souvent contraint de lâcher pied, et de se retirer le coeur meurtri et tout percé de coups de sifflets. [ 51 Appeau : est aussi un sifflet d'oiseleur, avec lequel il attrape les oiseaux en contrefaisant le son de leur voix. [F]]
GABRILLON.
Malepeste, voilà un style bien concis.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Toutes mes pièces étaient écrites de cette locution-là. [ 52 Locution : expression, phrase, façon de parler. [Ac. 1762]]
GABRILLON.
Et on les sifflait ?
MONSIEUR DE LA PROTASE, poursuit de lire.
Écoutez, écoutez ceci.
Ah, SIRE, souffrirez-vous que le théâtre, qui est le symbole de la joie, devienne celui de la douleur ! Je ne doute point, SIRE, que les ennemis de la science ne représentent à Votre Majesté que nous exigeons d'Elle une chose impossible ; qu'il est naturel au Parterre de siffler, comme à nous de parler. Je n'ignore pas non plus qu'eux, SIRE, que Pline le Naturaliste dans son Traité des Animaux, au Chapitre du mouvement vocal, dit que l'homme parle, que le Cerf brame, que le lion rugit, que le taureau beugle, que l'âne brait, et que le Parterre siffle ; je sais, dis-je, tout cela comme eux, SIRE ; mais Votre Majesté fait tous les jours des choses si incroyables, que nous osons espérer, etc.
Qu'en dis-tu ?
GABRILLON.
Oh, pour le coup, voilà les siffleurs pris pour dupes, et les marchants de sifflets ruinés.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Je le crois comme cela. Adieu, je te laisse mon Placet, fais-le voir à ta Maîtresse. Si elle réussit, et que tu sois en goût de Comédies, tu n'as qu'à te renommer à la porte, Monsieur de la Protase, mon nom est le passe-partout du Théâtre.
GABRILLON.
Cela n'est pas de refus. Adieu, Monsieur de la Protase.
MONSIEUR DE LA PROTASE.
Adieu, ma fille, adieu.
GABRILLON.
Ah, ah, ah, l'extravagant personnage ! Ce Monsieur de la Protase-là m'a la mine de n'être pas le moins fou de la communauté.
SCÈNE III.
Gabrillon, Éraste.
ÉRASTE.
Bonjour, ma chère Gabrillon.
GABRILLON.
Ah, ah, c'est vous, Monsieur, je vous reconnais à présent. Vous voilà dans votre naturel, je vais vous apporter une de vos écharpes.
ÉRASTE.
Demeure, folle : où est ta Maîtresse ?
GABRILLON.
La voici tout à propos, comme si nous l'avions mandée.
SCÈNE IV.
Madame Thibaut, Éraste, Gabrillon.
MADAME THIBAUT.
Quoi, c'est vous, Monsieur le Conseiller, vous voilà redevenu Officier.
ÉRASTE.
L'habit bourgeois me portait malheur, Madame Thibaut ; je ne l'ai porté que vingt-quatre heures, il a pensé m'en coûter cher, je me suis remis dans mon centre.
MADAME THIBAUT.
Vous avez fort bien fait, le plumet vaut mille fois mieux que la robe.
ÉRASTE.
Le diable m'emporte si je le quitte. Je trouverai par ton moyen, peut-être, quelque femme qui n'aura point de frère.
MADAME THIBAUT.
Vos affaires sont en mauvais état.
ÉRASTE.
J'ai cent mille francs de bien, je dois dix mille écus ; faute d'un peu d'argent comptant, je suis ruiné.
MADAME THIBAUT.
Vous comptez deux fois le fonds, et vous oubliez la moitié des dettes.
ÉRASTE.
Non, je ne me flatte point, te dis-je ? Mais avec cela, je suis obéré. [ 53 Obéré : Ce mot vient du Latin obaeratus, et il signifie endetté, accablé de dettes, mais il n'est point usité dans le beau langage. [R]]
MADAME THIBAUT.
En vérité, c'est grand dommage ; et si vous disiez vrai, je me ferais une vraie affaire d'accommoder toutes les vôtres, et de vous marier avantageusement même.
ÉRASTE.
Tu plaisantes peut-être, Madame Thibaut ; mais je t'aurais plus d'obligation qu'à ma famille, et je n'en serais pas ingrat, sur mon honneur.
MADAME THIBAUT.
Vos manières m'ont gagné l'âme. Entrez là-dedans, faites un mémoire de votre bien, et de vos dettes surtout ; mais qu'il soit fidèle ; je me fais fort de trouver moyen de vous tirer de l'embarras où vous êtes.
ÉRASTE.
Tu es une femme adorable.
MADAME THIBAUT.
Entrez là-dedans, vous dis-je, voilà des gens qui ont affaire à moi ; quand j'aurai fini avec eux, je vous en dirai davantage.
SCÈNE V.
Madame Thibaut, Ardalise, Orgon, Gabrillon.
GABRILLON, bas.
C'est la Maîtresse de Lisette, Madame.
MADAME THIBAUT, bas.
Songe à m'apporter ces dentelles.
ARDALISE.
Ma pauvre Madame Thibaut, je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Je ne puis me lasser de te venir voir.
MADAME THIBAUT.
Vous me faites bien de l'honneur, Madame.
ORGON.
Il est vrai que toutes les fois qu'elle sort, c'est toujours pour aller au Palais, ou chez Madame Thibaut. Si j'étais d'un tempérament jaloux...
MADAME THIBAUT.
D'un tempérament jaloux ! Fi, Monsieur, vous êtes pour cela une trop bonne pâte d'homme.
ARDALISE.
Lui ? Croirais-tu bien, Madame Thibaut, qu'il a eu aujourd'hui la cruauté de me mettre de mauvaise humeur ?
MADAME THIBAUT.
Ah ! Quel meurtre, Monsieur.
ORGON.
Je lui ai demandé pardon, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Ah ? Madame, il n'y a rien à dire.
ARDALISE.
Vous pensez donc en être quitte ? Vous savez la peine que je vous ai imposée.
MADAME THIBAUT.
Comment ?
ARDALISE.
Quand il me fâche, je le mets à l'amende, et tu profites toujours de cet argent-là, toi.
ORGON.
Elle fait de moi tout ce qu'elle veut : pour l'affaire d'aujourd'hui, elle m'a taxé à lui donner un bureau. Çà, voyons, ma petite femme, on t'a dit que Madame Thibaut en avait un, n'est-ce pas ?
MADAME THIBAUT.
On ne me l'a point encore apporté, je ne l'attends que dans deux jours.
ARDALISE.
Voilà nos pas perdus, je suis au désespoir.
ORGON.
Ne te chagrine donc point, mignonne, tu te feras malade.
ARDALISE.
Cela vous est bien facile à dire, et vous vous croyez par là dégagé de payer l'amende.
ORGON.
Non, je suis prêt à consigner, tu n'as qu'à vouloir.
GABRILLON, revenant.
Madame, voilà cette garniture qu'on vous renvoie.
ARDALISE.
Qu'est-ce, Madame Thibaut ? Voyons cette garniture, elle est à vendre ?
MADAME THIBAUT.
Vous qui êtes un si bon mari, Monsieur, vous devriez bien acheter cela pour Madame.
ORGON.
Elle a tant de dentelles, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
Elle n'en a point de si belles, sur ma parole.
ORGON.
Ah : fi, voilà un dessein bien brouillé.
ARDALISE.
Ah ! Mon fils, vous n'y songez pas, il n'y a point du tout de confusion dans cet ouvrage.
ORGON.
Non, mais les fleurs sont trop détachées, elles courent trop les unes après les autres.
ARDALISE.
Que dites-vous ? C'est ce qui en ait la beauté, et pour moi, je n'ai jamais rien vu de plus agréable.
MADAME THIBAUT.
Vous êtes de fort bon goût, Madame.
ARDALISE.
Je ne puis me lasser de les voir.
ORGON.
Repliez, repliez cela, Madame Thibaut : crois-moi, mignonne, rien n'use tant la vue que de regarder fixement des dentelles.
GABRILLON.
Celle qui les a achetées est bien fâchée de ne les pouvoir porter.
ARDALISE.
Et qui l'en empêche ?
GABRILLON.
Son mari est mort subitement ; il n'y a que trois jours qu'il est enterré.
ARDALISE.
Ah !
ORGON.
Mignonne, comme tu cries.
ARDALISE.
Ah ! Mon fils, pour peu qu'une femme aime son époux, peut-elle entendre parler de la mort d'un mari, sans mourir elle-même de douleur ?
ORGON.
Voilà une femme qui m'aime bien, Madame Thibaut ?
MADAME THIBAUT.
Assurément.
ARDALISE.
Ah, Ciel ! Que t'ont fait les maris, pour être sujets à la mort comme les autres hommes ?
ORGON.
Là, ma mie, là, je ne mourrai point : tiens, va, je te le promets.
ARDALISE.
Je ne sais comme vous l'entendez ; mais pour moi, cher petit mari, je prétends mourir la première.
ORGON.
Hé bien, oui, ma mie, tout ce que tu voudras. Elle avait bien affaire de lui parler de mort et d'enterrement.
MADAME THIBAUT.
C'est une sotte qui ne sait pas la conséquence des choses qu'elle dit.
GABRILLON.
Dame, qui va deviner qu'une femme aime de cette force-là ?
ORGON.
Cela n'est pas concevable.
ARDALISE.
Je serais bien injuste de ne pas vous aimer, un mari qui ne m'a jamais refusé la moindre chose.
ORGON.
Pour cela non, elle n'a qu'à souhaiter, Madame Thibaut.
MADAME THIBAUT.
À qui le dites-vous ? Je le sais mieux que personne. Voilà un habit que je lui ai vendu, par exemple, elle le trouvait trop cher ; n'est-ce pas vous qui le lui avez fait prendre malgré elle ?
ARDALISE.
En fait-il d'autres ?
ORGON.
Je ne m'en repends point ; cet habit-là lui a fait honneur.
GABRILLON.
Et à vous aussi, Monsieur.
ORGON.
Et si vous ne me l'avez fait payer que treize pistoles en treize pièces.
MADAME THIBAUT.
Je donne tout pour rien : ces dentelles ne sont que de dix pistoles encore.
ORGON.
Dix pistoles, mignonne, dix pistoles ! Ah ! Je les donne de tout mon coeur.
ARDALISE.
Non, mon petit ami, croyez-moi, n'allez point mettre là de l'argent : je vous fais faire d'ailleurs tant de dépenses inutiles.
ORGON.
Tais-toi, mignonne, c'est avoir les choses pour rien. Tenez, Madame Thibaut, voilà dix louis d'or, la passe est pour le vin du marché.
MADAME THIBAUT.
Vous faites trop bien les choses, Monsieur.
ORGON.
Mais à condition que vous avertirez ma petite femme quand il vous viendra de ces rencontres-là.
MADAME THIBAUT.
Oh, Monsieur, je n'ai garde d'y manquer. Cascaret, portez cela dans le carrosse de Madame.
ARDALISE.
Au moins, mon fils, c'est sans préjudice de l'amende.
ORGON.
Quand ce bureau sera venu, que nous le sachions, au moins.
MADAME THIBAUT, bas.
Que ferai-je de cet argent ?
ARDALISE.
Tu donneras cent francs à Lisette, le reste est pour toi.
ORGON.
Allons mamour, allons essayer la garniture. Je meurs d'impatience de voir si cela te siéra bien. [ 54 Mamour : Diminutif, mon amour]
ARDALISE.
Adieu, Madame Thibaut.
SCÈNE VI.
Madame Thibaut, Gabrillon.
GABRILLON.
Par ma foi, voilà un bon homme, et une habile femme.
MADAME THIBAUT.
Mais Éraste est longtemps après son mémoire, la liste de ses dettes est un peu longue. Ah, ah, voici notre vieille Marchande de marée : elle veut un mari à toute force, je ne sais pas qui voudra l'être. Va dire à Éraste qu'il se dépêche.
SCÈNE VII.
Madamee Torquette, Madamee Thibaut.
MADAME TORQUETTE.
Hum hum. Avez-vous songé à moi, ma chère Madame Thibaut ? Vous avez tant d'affaires...
MADAME THIBAUT.
Si j'y ai songé, Madame Torquette ? J'ai un magasin de maris à vous offrir. Vous n'avez qu'à me dire comme il vous le faut ; car nous ne nous sommes point encore assez expliquées.
MADAME TORQUETTE.
Comme il me le faut ? Hélas ! Ma pauvre Madame Thibaut, j'aurai beau chercher, je n'en trouverai jamais qui vaille le défunt.
MADAME THIBAUT.
Hé ! Qui vous contraint d'en chercher ? Voilà de nos veuves ! Le mari meurt à Pâques, portion de lit à louer pour la Saint Jean.
MADAME TORQUETTE.
Comment voulez-vous que je fasse ? Si vous saviez le peu de cas que l'on fait d'une veuve ? J'ai des enfants qui me manquent de respect, des fermiers qui ne me paient point, des créanciers qui me persécutent : il n'y a pas jusqu'à un fripon d'apothicaire, qui, comme je sortais de chez moi, a eu l'insolence de me donner ses parties en présence de dix personnes. Hum, hum. [ 56 Partie : Au plur. Un mémoire où sont énumérés tous les articles faits, fournis ou vendus (vieilli en ce sens). [L]]
MADAME THIBAUT.
Voilà une mauvaise toux, Madame Torquette.
MADAME TORQUETTE.
Je ne l'ai que par habitude.
MADAME THIBAUT.
Mais vraiment, cela m'étonne que vous soyez ainsi persécutée. Vous êtes si riche.
MADAME TORQUETTE.
J'aurai, mes comptes faits, plus de quatre cent et tant de mille livres : mais comme il n'y a que cinq semaines et trois jours que le pauvre Monsieur Torquette est défunt, nos affaires ne sont point encore réglées, mes enfants me font enrager ; et un mari, Madame Thibaut m'est absolument nécessaire. Hum, hum.
MADAME THIBAUT.
Je vous entends, vous ne vous mariez simplement que pour avoir un appui.
MADAME TORQUETTE.
Justement.
MADAME THIBAUT.
Ainsi vous ne vous souciez pas fort d'avoir un jeune homme ?
MADAME TORQUETTE.
Un jeune homme ! Ah ; l'horreur ! Il serait beau qu'on me prît pour la grand'mère de mon mari, comme il est arrivé à des femmes de ma connaissance.
MADAME THIBAUT.
Oui, mais il me faut pas aussi qu'il soit si vieux ? Car enfin, quelle protection pourriez-vous attendre d'un homme de soixante ans, par exemple ?
MADAME TORQUETTE.
Ah ! Soixante ans, fi.
MADAME THIBAUT.
Hé bien, cinquante-cinq ?
MADAME TORQUETTE.
Mais, Madame Thibaut, vous n'y songez pas. Qui est l'homme qui songe à se marier à cet âge-là ? Hum.
MADAME THIBAUT.
Et un de cinquante ?
MADAME TORQUETTE.
Quelle est la femme qui en voudrait ?
MADAME THIBAUT.
C'est-à-dire, que vous butez à un de quarante ?
MADAME TORQUETTE.
Voulez-vous que je vous parle à coeur ouvert ?
MADAME THIBAUT.
Vraiment, c'est plus votre affaire que la mienne.
MADAME TORQUETTE.
C'est que comme mes enfants sont jeunes, pour les tenir plus longtemps dans leur devoir, ils auraient besoin d'un beau-père qui ne vieillit pas si tôt.
MADAME THIBAUT.
Et vous dites que vous ne voulez pas d'un jeune homme ?
MADAME TORQUETTE.
Hé, mais ! Un homme est-il si jeune à vingt-sept ou vingt-huit ans, par exemple ? Le sais bien ce que je fais, voyez-vous.
MADAME THIBAUT.
On le voit bien.
MADAME TORQUETTE.
Plus j'aurai d'enfants de ce mariage, et plus ce sera me venger des enfants du premier lit.
MADAME THIBAUT.
Vous avez du fiel, Madame Torquette, vous aimez les vengeances qui durent.
MADAME TORQUETTE.
Ce sont des coquins que je ne saurais trop punir.
MADAME THIBAUT.
Tenez, voilà peut-être l'homme de Paris le plus propre à vous venger de vos enfants.
MADAME TORQUETTE.
Ah ! Que voilà bien ce qu'il me faudrait.
MADAME THIBAUT.
Gardez-vous bien de tousser, au moins.
MADAME TORQUETTE.
Je me retiendrai, laissez-moi faire.
SCÈNE VIII.
Madame Thibaut, Madame Torquette, Éraste.
ÉRASTE.
Tiens, ma chère Madame Thibaut, voilà le mémoire de mes dettes aussi fidèle que tu me l'as demandé.
MADAME THIBAUT, à Éraste.
Paix, remettez ce papier dans votre poche. Voilà une riche veuve que je prétends vous faire épouser.
MADAME TORQUETTE.
Hem, hem, hem.
ÉRASTE, bas.
Voilà une riche veuve qui a un vilain rhume.
MADAME THIBAUT, bas.
Hé, tant mieux. Combien de maris voudraient que leurs femmes en eussent un semblable !
ÉRASTE, bas.
Mais, tu vois bien...
MADAME THIBAUT, bas.
Serrez ce papier, vous dis-je, et retournez dans ma chambre, j'ai à vous parler.
MADAME TORQUETTE.
Comme il me regarde, ma physionomie lui revient sans doute.
MADAME THIBAUT, à Madame Torquette.
Je vais sonder un peu ses sentiments, et je reviendrai dans un moment vous en rendre compte.
SCÈNE IX.
MADAME TORQUETTE, seule.
Oui, oui, faites. Ah, le beau jeune homme ! Il s'en faut bien, ma foi, que Monsieur Torquette fut coupé de ce sens-là. Mais, qu'est-ce qui est tombé de ses poches ? Ne serait-ce point quelque lettre de galanterie ? Voyons un peu cela. La jeunesse est sujette à caution quelquefois.
Elle lit.
Mémoire de ce que je dois.
Oh, oh, voici de quoi me rendre savante.
Premièrement, huit cents pistoles au Chevalier Codile, pour argent du jeu.
Ah, ah ! C'est donc un joueur !
À la Touprix, pour façon de jupes et de manteaux, trois mille livres.
Oui da, je me doutais bien qu'il y avait ici du cotillon.
À Forel, tant de bouteilles de vin, que pour des repas portés en ville.
Il est ivrogne par-dessus le marché.
À la Frenaye...
Voyons le total, je n'aurais jamais fait. Où donc est-il ? La légende est longue.
Somme totale, vingt-neuf mille livres.
Et je voudrais après cela de ce Damoiseau ? Hem, hem. À quelque chose le malheur est bon ; je n'ai qu'à tousser tout à mon aise.
SCÈNE X.
Madame Thibaut, Madame Torquette, Éraste.
MADAME THIBAUT.
Notre affaire va le mieux du monde.
MADAME TORQUETTE.
Hem, hem, hem.
MADAME THIBAUT.
Hé, fi donc, vous n'y songez pas.
MADAME TORQUETTE.
Laissez-moi tousser, l'affaire est rompue.
MADAME THIBAUT.
Comment donc ?
ÉRASTE, revenant.
Vous voilà terriblement enrhumée, Madame.
MADAME TORQUETTE.
Vous voyez, Monsieur.
ÉRASTE.
Il est cruel qu'une aussi aimable personne...
MADAME TORQUETTE.
Croyez-moi, Monsieur, ne faites point de dépense en compliments : je ne suis point d'humeur à payer pour vous ni Forel, ni le Chevalier Codile.
MADAME THIBAUT.
En voici bien d'une autre.
ÉRASTE.
Que veut dire ceci ? Aurais-je...
MADAME TORQUETTE.
Il faut vous tirer de peine, Monsieur. Tenez, voilà ce qui m'en a tant appris.
MADAME THIBAUT.
À Madame Torquette.
Vous jouez de bonheur.
À Éraste.
Quelle étourderie ?
ÉRASTE, lit.
Du septième Octobre. Quatre francs pour une médecine. Vous me donnez des parties d'apothicaire, Madame.
MADAME TORQUETTE.
Pardon, Monsieur, j'ai pris un papier pour l'autre.
ÉRASTE.
Non pas, s'il vous plaît. Vous avez vu mon mémoire, je profiterai de la méprise.
MADAME TORQUETTE.
Cela ne se fait point.
ÉRASTE.
Mémoire des drogues et médicaments qui ont été fournis pour l'entretenement de la santé de Madame Torquette. [ 57 Entretenement : Dépense qu'on fait pour les choses nécessaires à la vie. [F]]
MADAME TORQUETTE.
Mais, Monsieur ?
ÉRASTE.
Doucement, s'il vous plaît, Madame Torquette. Premièrement, pour avoir pendant quinze jours étudié le tempérament de Madame deux cent cinquante livres. Oh, je ne croyais pas que les Apothicaires fissent payer leurs spéculations.
MADAME TORQUETTE.
Vous me poussez furieusement, Monsieur. Hem, hem.
ÉRASTE.
Donnez-vous patience, Madame Torquette. Pour avoir trois fois la semaine, pendant un an, remonté de filasse neuve les pompes avec quoi Madame prend ses remèdes. Vous vous faites pomper, Madame Torquette ?
MADAME TORQUETTE.
Mort de ma vie, rendez-moi mes parties ; on ne les a pas faites pour vous divertir.
ÉRASTE.
En donnant, donnant, Madame Torquette : rendez-moi mon mémoire, ce n'est pas pour vous que je l'ai dressé.
MADAME TORQUETTE.
Le voilà, Monsieur, votre mémoire.
ÉRASTE.
Et voilà vos parties, Madame.
MADAME TORQUETTE.
Ne me parlez jamais de mariage, Madame Thibaut : m'en voilà dégoûtée pour toute ma vie.
MADAME THIBAUT.
Si Monsieur ne vous accommode pas, je vous en ferai voir d'autres.
ÉRASTE.
La vieille folle !
SCÈNE XI.
Madame Thibaut, Éraste.
MADAME THIBAUT.
Vous l'avez un peu trop poussée : malgré votre mémoire, les choses auraient pu se faire encore.
ÉRASTE.
Moi, j'aurais épousé Madame Torquette, ma pauvre Madame Thibaut ? Voilà deux aventures dans le même jour qui me le persuadent : et malgré le désordre de mes affaires, j'aime mieux vivre garçon mal aisé, que d'avoir obligation à une vieille ou à une coquette. Adieu, je te laisse mon mémoire, si tu peux me rendre service, je n'en serai pas méconnaissant.
SCÈNE XII.
Madame Thibaut, Gabrillon.
GABRILLON.
J'attendais qu'il sortît pour laisser entrer Cléante.
MADAME THIBAUT.
Y a-t il longtemps qu'il est revenu ?
GABRILLON.
Il ne fait que d'arriver. Le voici.
SCÈNE XIII.
Madame Thibaut, La Ramée, Gabrillon, Cascaret.
LA RAMÉE.
Le Contrat est dressé, Madame, il ne manque plus rien à mon bonheur qu'un mot de votre belle main. Montons dans mon carrosse, Madame, et venez le mettre ce mot précieux, qui va m'assurer toute la félicité de ma vie.
MADAME THIBAUT.
Ce moment me fait trembler, Cléante, et la présence d'un Notaire...
CASCARET.
Madame, voilà un Monsieur le Commissaire, qui vient vous rendre visite en robe détroussée. [ 58 Détrousser : Fig. et par plaisanterie. Rendre visite en robe détroussée, rendre visite en grande cérémonie. [L]]
MADAME THIBAUT.
Ah, juste Ciel ! Que pourrait-ce être ?
LA RAMÉE.
Qu'est-ce, Madame ?
SCÈNE XIV.
Madame Thibaut, Le Commissaire, Dorante, La Ramée, Gabrillon.
LE COMMISSAIRE.
N'est-ce pas vous qu'on appelle Madame Thibaut, Madame.
MADAME THIBAUT.
Ne me perdez pas, Monsieur, je vous en conjure.
LA RAMÉE.
Ceci ne prend pas un bon train.
DORANTE.
Oui, Monsieur, c'est une coquine qui a recelé de la vaisselle que mon fils a volée à sa mère.
LA RAMÉE.
Messieurs, prenez garde à ce que vous faites, Madame est une femme de qualité.
DORANTE.
Point, Monsieur, mon fils m'a tout dit. C'est une malheureuse, qui sous prétexte de revendre des hardes, a mille nippes à un chacun, dont elle se fait honneur pour attraper quelque dupe. [ 60 Nippes : Tout ce qui sert à l'ajustement, surtout en linge. [L]]
LA RAMÉE.
Comment, Madame de Bretagne, vous vous jouez à un Gascon, et à un Gascon Capitaine ?
SCÈNE XV.
Madame Thibaut, Le Commissaire, Jolicoeur, Dorante, La Ramée.
LA RAMÉE.
Tu vois, mon pauvre Jolicoeur, le plus infortuné de tous les hommes.
JOLICOEUR.
Comment donc ? Sais-tu déjà que Cléante notre Capitaine est là-bas ?
LA RAMÉE.
Que me dis-tu ?
JOLICOEUR.
Que te voilà pris comme un sot. Le Guet à cheval est à la grande porte, et le Guet à pied à celle de derrière, regarde par où tu veux sortir ?
LA RAMÉE.
Moi, sortir ? Quelque sot. Je m'enfonce dans l'appartement ; s'ils ont affaire de moi, qu'ils y viennent.
MADAME THIBAUT.
Quoi, vous n'êtes donc pas Cléante ?
LA RAMÉE.
Ce ne sont plus là vos affaires. À fourbe, fourbe et demi ; Madame, finissez avec ces Messieurs, je vous le conseille.
MADAME THIBAUT.
Quelles aventures !
DORANTE.
Vous voyez bien, Monsieur, qu'on ne peut manquer de s'assurer de cette coquine-là.
MADAME THIBAUT.
Hé, point de bruit, Messieurs, je vous prie ; je rendrai la vaisselle et les trois cents pistoles. Passons là-dedans, et vous serez contents de moi.
LE COMMISSAIRE.
Allons, Monsieur, il faut que chacun vive.
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 606
Notes
[1] Malepeste : espèce d'interjection qui exprime la surprise. [L]
[2] Solliciteur : Qui poursuit une affaire, qui la recommende, qui fait tous les pas nécessaires pour la mettre en état. [F]
[3] Nenni : Non. Il est bas, et n'a guère d'usage que dans la conversation, ou dans le style badin et comique. [T]
[4] Livre : Monnaie. 1 écu = 3 francs. 1 écu = 3 livres tournois. 1 livre tournois = 20 sols. 1 sol (sou)= 4 liards ou 12 deniers. 1 liard = 3 deniers. 1 pistole = 10 francs ou 10 livres tournois. 1 blanc = 5 deniers. 1 petit sesterce romain = 18 deniers tournois. 1 grand sesterce romain = 1.000 petis sesterces, (25 écus environ). 1 louis d'or = 11 livres.
[5] Diantre : Mot qu'on emploie par euphémisme pour diable. Il s'emploie comme une sorte d'exclamation ou de jurement. [L]
[6] Libertin : Qui aime sa liberté, qui hait toute sorte de sujétion, de contrainte. [FC]
[7] Agenda : Tablette, ou mémoire où on écrit ce qu'on a à faire durant le jour, pour s'en souvenir en allant par la ville. [F]
[8] Veau de rivière : veau engraissé aux environs de Rouen, dans des prairies qui bordent la Seine. [L]
[9] Bichon : Familièrement. Terme d'amitié qui se dit à un enfant ou d'un enfant. [L]
[10] Renchéri : Fig. et familièrement. Difficile, dédaigneux. [L]
[11] Vétilleux : Qui exige des soins minutieux, une grande attention. [L]
[12] Précieuse : Femme qui est affectée dans son air, dans ses manières, et principalement dans son langage. [Ac. 1762]
[13] Hombre : Jeu de cartes pris des Espagnols qui se joue à deux, à trois, à quatre, à cinq personnes, avec 40 cartes, après avoir ôté du jeu les huit, les neuf et les dix, et avoir donné à chaque joueur neuf cartes trois à trois et par ordre. [L]
[14] Bassette : Jeu de cartes assez semblable au lansquenet.
[15] Exploit : Se dit aussi des actes et expéditions que font les sergents. Un exploit de sasie et d'exécution ; d'emprisonnement, d'offrs, de sommation. Les exploits doivent être signés du sergent et de deux records, et contrôlés. [T]
[16] Ajournement : Terme de prtique. Assignation. On apprlle ajournement personnel, une ssignation donnée à quelqu'un à comparaître en perosnne, pour répondre sur les faits dont il est accusé. [Ac. 1762]
[17] Brelan : le premier de ces mots est le meilleur. Sorte de jeu de cartes qu'on joue à 2, à 3, à 4, ou à 5 ; donnant 2 cartes à chacun après en avoir oté les petites jusqu'aux septs inclusivement.
[18] Trébuchet : Petit balance fort juste et fort délicate, que le moindre poids fait trébucher. Est aussi une petite cage qui sert à atraper les oiseaux. [F]
[19] Recrue : Levée de gens de guerre pour augmenter une compagnie ou remplacer des soldats qui ont déserté, ou qui sont morts. [T]
[20] Partisan : Celui qui s'est rangé du parti de quelqu'un, qui a épousé ses intérêts, qui le défend de toute sa force, soit par les armes soit par la dispute. Est aussi un financier, qui homme qui fait des traités, des partis avec le roi, ui prend ses revenus à ferme, le recouvrement des impôts, qui en donne aussi les avis et les mémoires.
[21] Fi : particule qui sert à faire une explcamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose.
[22] Homme d'épée : militaire.
[23] Robe : Les gens de robe, se disait de tous ceux qui portaient la robe. Le gens de robe sont ou des écclésiastiques ou officiers d justice, de finance et de police [L]
[24] Morbleu : Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. [L]
[25] Gourmer : Se battre à coups de poings. [F]
[26] Apprentif : celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]
[27] Plumet : Bouquet de plume que le militaires portent à leur chapeau, à meur casque etc. Vieux en ce sens. Collectivement le plumet, les gens de guerre. [L]
[28] Rabat : Ce qui est rabattu ; s'est dit primitivement d'un col garni de dentelles ou même sans garniture, qui laissait le cou des hommes tout à fait découvert. Le rabat blanc est porté par la magistrature, le barreau, le parquet. [L]
[29] Petit collet : Le petit collet, la profession ecclésiastique. En mauvaise part, celui qui affectait de porter un petit collet et de se donner des manières dévotes. [L]
[30] Batiste : Toile de lin, très fine.Etym., nom du premier fabricant de cette toile, de baptistés, preproment le baptisteur. Sa statue est à Cambrai.
[31] Point : Certains ouvrages de broderie ou de tapisserie à l'aiguille, distingués les uns des autres par le déterminatif qui accompagne le mot point. Point à carreaux. Point à la turque. Point d'Angleterre. [L]
[32] Maroufle : Terme de mépris qui se dit d'un homme grossier. [L]
[33] Ennocer : Barbarisme. marier, mettre en noces.
[34] Gueux : Qui est nécessiteux, réduit à mendier. [L]
[35] Douairière : Veuve qui jouit de son douaire. Il ne se dit que des dames de la première qualité. [F]
[36] Grison : Celui dont les cheveux commencent à blanchir. Il y a des gens qui sont grisons dés 25 ans. Se dit aussi par raillerie des laquais de gens de qualité qui ne portent point de couleurs, et qui leur servent d'espions ou de messagers secrets. [F]
[37] Coureur : Valet qui accompagne à pied la voiture. [L]
[38] Basset : Chien de chasse, qui a les jambes fort courtes et tortues. Se dit aussi dans la conversation, en parlant d'Un petit homme dont les jambes et les cuisses sont trop courtes par rapport à sa taille. [Ac. 1762]
[39] Fonder : signifie aussi, Donner un fonds suffisant pour l'établissement, pour la subsistance d'une Église, d'une Communauté, etc. On dit communément et par manière de plaisanterie, Fonder la cuisine, pour dire, établir de quoi vivre. [Ac. 1762]
[40] Parbleu : interj. Sorte de jurement. [L]
[41] Né coiffé : Né coiffé, né avec la coiffe sur la tête, circonstance fortuite à laquelle la superstition attribua de singulières vertus. Fig. Être très heureux. [L]
[42] Fourber : Tromper adroitement, finement. Ceux qui agissent avec sincerité, sont ceux qu'on fourbe le plus aisément. [F]
[43] Bardot : ou bardaut, Petit mulet. Figurément, celui sur lequel les autres se déchargent de l'ouvrage.
[44] Revenant-bon : C'est ainsi qu'on appelle les deniers qui restent entre les mains d'un Comptable. Il se dit aussi au figuré De toutes sortes de profits et d'avantages qui viennent par une espèce de hasard. [Ac. 1762]
[45] Frotteur : Celui qui frotte. Il faut donner tant par mois aux frotteurs pour entretenir les planchers. Frotteur est employé ici au figuré, c'est celui qui prépare le terrain pour une affaire. [F]
[46] Aboutissant : On dit figurément, savoir tous les tenants et aboutissans d'une affaire, d'une entreprise, pour dire, en connaître parfaitement le secret, en savoir le fort et le faible... [F]
[47] Epingle : Petit brin de fer ou de laiton qui sert à attacher, à coiffer, et à d'autres usages. Épingles se dit de ce qu'on donne à une servante pour le service qu'elle a rendu, et de ce qu'on stipule avec un mari en faveur de la femme. [FC]
[48] In-douze : Terme de librairie, Se dit de la feuille pliée en douze et qui détermine la taille d'un ouvrage. [Ac. 1762] C'est à dire, petit.
[49] Faux-bourdon : Musique dont toutes les parties se chantent note contre note. [L]
[50] Placet : Tabouret, petit siège de femme, ou d'enfant, qui n'a ni bras, ni dossier. [F]
[51] Appeau : est aussi un sifflet d'oiseleur, avec lequel il attrape les oiseaux en contrefaisant le son de leur voix. [F]
[52] Locution : expression, phrase, façon de parler. [Ac. 1762]
[53] Obéré : Ce mot vient du Latin obaeratus, et il signifie endetté, accablé de dettes, mais il n'est point usité dans le beau langage. [R]
[54] Mamour : Diminutif, mon amour
[55] Fermier : Celui à qui le souverain afferme le droit de lever certains impôts. [L]
[56] Partie : Au plur. Un mémoire où sont énumérés tous les articles faits, fournis ou vendus (vieilli en ce sens). [L]
[57] Entretenement : Dépense qu'on fait pour les choses nécessaires à la vie. [F]
[58] Détrousser : Fig. et par plaisanterie. Rendre visite en robe détroussée, rendre visite en grande cérémonie. [L]
[59] Hardes : Tout ce qui est d'un usage ordinaire pour l'habillement. [L]
[60] Nippes : Tout ce qui sert à l'ajustement, surtout en linge. [L]