CAMILLE, REINE DES VOLSQUES

TRAGÉDIE

Représentée pour le première fois par l'Académie Royale de Musique le mardi 9 novembre 1717.

Le prix est de trente sols.

M. DCC XVII. Avec Approbation et Privilège du Roi.

À PARIS, Chez PIERRE RIBOU, seul Libraire de l'Académie Royale de Musique, Quai des Augustins, à la Descente du Pont-Neuf, à l'image Saint_Louis.

De l'Imprimerie de JEAN-BAPTISTE LAMESLE, rue du Foin, à la Minerve. 1717.

Répesentée pour la première fois par L'Académie Royale de Musique le Mardi neuf Novembre 1717.


Texte établi par Paul FIEVRE, Novembre 2023

publié par Paul FIEVRE, Décembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:56:16.


AVERTISSEMENT

Le Portrait de Camille est un des plus beaux Ornements de l'Enéide, Virgile toujours admirable par les Images vives qu'il met sous les yeux et qui seules, au sentiment des plus grands maîtres, constituent la véritable Poésie, commence des le septième Livre a ébaucher le caractère de cette fameuse Reine des Volsques : il la met au nombre des guerriers qu'il conduit au secours de Turnus ; la présente à la tête d'une brillante troupe de cavalerie ; un manteau de pourpre éclate sur ses épaules, ses cheveux sont attachés par une agrafe d'or, un carquois a la Licienne quelle préfère aux vains ornements de la mollesse, une javeline de myrthe dont elle arme sa main, tout fait connaître qu'elle s'est élevée au dessus de son sexe et que, loin de s'appliquer aux faibles exercices de Minerve, elles s'est endurcie aux pénibles travaux de la mort. La Jeunesse sort de la ville et se répand dans la campagne pour courir au devant d'une Princesse qui joint les grâces les plus touchantes à la plus noble perte : les Dames sur les terrasses de leurs maisons s'assemblent en foule pour la voir et l'air retentit d'applaudissements. C'est ainsi que Virgile annonce son héroïne ; mais dans le onzième livre, il emploie toutes les couleurs et tous les traits de son art pour achever son tableau : avant que de montrer Camille au milieu des effrayantes occasions de la guerre, il raconte avec quels soins elle y tut préparée dès le temps de son enfance et, comme le sujet de cette tragédie est fondé sur les premiers événements de la vie de Camille, j'ai cru devoir traduire une partie du récit que Diane en fait à une de ces nymphes.

Virgile Enéide, Livre II.

Metabus Roi des Volsques chassé de son trône fut contraint d'abandonner l'ancienne ville de Priverne, il fuyait une armée ennemie et emportait avec lui sa fille encore enfant, qu'il appela Camille en changeant une partie du nom de Camille sa femme. Ce roi fugitif tenait dans son sein l'infortunée compagne de son exil et, pour la dérober à la fureur de ceux qui le poursuivaient, il cherchait un asile dans les forêts sombres et solitaires. Devenu farouche par ses malheurs, il n'habita plus de maisons et prit en horreur le séjour des villes, il se retira sur des montagnes désertes parmi des bergers ; il y nourrissait sa fille par le secours d'une jument sauvage, dont il faisait couler le lait sur les lèvres de la jeune Camille. À peine pouvait-elle se soutenir, que son père lui mit un javelot a la main, un arc et un„ carquois sur les épaules : l'or ne servait point à la parure de ses cheveux, elle avait pour toute mante une peau de Tigre : dès lors elle exerçait son bras à lancer des traits proportionnes à ses forces.

Voila ce qui m a fourni l'actiòn de ma tragédie et le caractère de Camille : l'auteur de l'Eneïde s'est borné à tracer les périls de son enfance et les occupations de ses premières années ; il la montre ensuite sur le trône de son père, sans découvrir les degrés qui l'y avaient élevée. Un si long détail ne convenait point à son sujet et aurait rendu son épisode défectueux ; j'ai saisi ce moment pour établir la fable de mon poème. J'ai cru qu'une Amazone obligée, pour venger la mort de son père, d'immoler celui de son amant, était un objet capable d'attacher le spectateur ; les devoirs de Camille a l'égard de Metabus, sa reconnaissance pour Almon qui lui a sauvé la vie ; sa haine pour un tyran qu'elle déteste, et ses sentiments pour un Prince qui mérite de l'estime, font naître des combats qui plaisent ordinairement sur la scène.

En conservant l'unité de l'action j'ai tâché d'y joindre la variété des spectacles et des fêtes que demande le théâtre de l'Opéra ; mais après tous mes efforts, j'attends la décision du public pour savoir si dans ma tragédie j'ai bien ou mal rempli un sujet dont le fond a paru si intéressant dans le poème épique.


ACTEURS et ACTRICES CHANTANTS dans tous les Choeurs du Prologue et de la Tragédie.

CÔTÉ DE LA REINE.

Mesdemoiselles Pasquier, Limbourg, Millon, Guillet, La Roche, Tettelette.

Messieurs Paris, Corbie, Lemire-L, Faussié, Dun le fils, Thomas, Dautrep, Houbeau, Duchesne.

CÔTÉ DU ROI.

Mesdemoiselles Constance, Tulou, La Garde, Veron, Charlard, Chevalier.

Messieurs Le Jeune, Boulley, Morand, Venec père, Alexandre, Deshais, Poste, Lebel, Duplessis.


ACTEURS et ACTRICES CHANTANTS dans tous les Choeurs du Prologue et de la Tragédie.

SUITE DE FLORE. Mademoiselle la Ferrière.

Mesdemoiselles Haran , Dupré , le Maire , Duval, le Roy-C.

SUITE DE ZEPHIRE. Messieurs Dumoulin L., Dupré, P. Dumoulin, Dangeville, Pecourt, Guyot.


ACTE QUATRIÈME

PEUPLES ET PRÊTRESSES.

Messieurs P. Dumoulin, Dangeville, Pecourt, Guyot, Dupré, Pierret.

Mademoiselle Guyot, Mesdemoiselles la Ferrière, Haran, Lemaire, le Roy, Mangot, Duval.


ACTE CINQUIÈME

VOLSQUES.

Monsieur D. Dumoulin.

Messieurs Blondy, Marcel.

Messieurs Pecourt, Dangeville , Pierret, Dupré.

Mesdemoiselles la Ferrière, Haran, Dupré, Duval.


ACTEURS DANSANTS DE LA TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

BERGERS ET BERGERES.

Monsieur D. Dumoulin. Mademoiselle Guyot.

Messieurs Dumoulin - L., Marcel, P. Dumoulin, Pecourt, Dangeville, Guyot.

Mesdemoiselles la Ferrière , Haran , Dupré } Lemaire, Mangot, Du val.

UN PÂTRE , Monsieur F. Dumoulin.

ACTE SECOND.

GUERR1ERS CONJURÉS.

Messieurs Dumoulin L., Marcel, Pierret, Dciprc j P. Dumoulin , Dangeville , Pecourt, Guyot.

ACTE TROISIÈME.

PEUPLES VOLSQUES.

Monsieur Blondy.

Messieurs Ferrand, Dumoulin - L., Marcel, Javilliers , Dupré, Pierret.

Mesdemoiselles Haran , la Ferrière , Dupré , Duval^, Lemaire, le Roy.


ACTEURS CHANTANTS DU PROLOGUE.

LA NYMPHE DE LA SEINE, Melle Antier.

FLORE, Melle Poussin.

ZÉPHIRE, M. Murayre.

LE DIEU MARS, M. Le Mire.

SUITE DE FLORE ET DE ZEPHIRE.

LES PEUPLES DE LA SEINE.

ACTEURS CHANTANTS DE LA TRAGÉDIE.

CAMILLE, fille de Metabus Roi des Volfques, Mademoiselle Jouraet.

ALMON, Prince Volsque, autrefois Chef des Armées de Metabus, et Père de Camille, M. Thevenard.

RUTILE, sujet fidèle de Metabus, M. Mantienne.

AUFIDE, tyran des Volsques, M. Hardouin.

CORITE, Fils d'Aufide, Amant de Camille. M. Cochereau.

EGERINE, suivante de Camille, Mlle Pasquier.

ACILIE, suivante de Camille, Mlle Tulou.

CHEF DE LA GARDE D'AUFIDE. M. le Mire.

DEUX BERGÈRES, Mlle Pousin, Mlle Antier.

UNE FEMME VOLSQUE, Mlle Poussin.

UN VOLSQUE. M. Murayre.

. Mlle Antier.

CHOEURS DE PRÊTRES ET DE PRÊTRESSES DE LA FORTUNE.

CHOEURS DE BERGERS ET DE BERGÈRES.

CHOEURS DE CONJURÉS.

CHOEURS DE PEUPLES.

La Scène est dans le Pays des Volfques puis la scène est à Trézène, ville du Péloponnèse.


PROLOGUE

Le Théâtre, représente dans le fond le Château des Thuileries, sur les côés les Arbres de la grande Allée ; les Peuples y font assis et la Nymphe de la Seine y paraît entourée de Naïades.

SCÈNE PREMIÈRE.
La Nymphe de la Seine, Choeurs des Peuples de la France, et Troupe de Naïades.

LA NYMPHE LA SEINE.

Que ces pompeux jardins, l'ornement de mes Rives

Reçoivent par nos soins mille nouveaux attraits,

Naïades, suspendez vos ondes fugitives,

Que l'Art et ces gazons les retiennent captives ;

5   Qu'elles rendent ces Bois plus riants et plus frais,

Ces fleurs plus belles et plus vives.

Que j'aime à voir ces lieux ! Une brillante Cour

Y vient rétablir son séjour.

Auprès de notre Roi hâtons-nous de nous rendre ;

10   Habitants de mes bords, venez de toutes parts,

À la douceur de ses regards,

Connaissez l'heureux sort que vous devez attendre.

CHOEURS DES PEUPLES.

Quel plaisir pour nos coeurs ! Quel charme pour nos yeux !

Nous jouissons de sa présence :

15   Nous voyons chaque jour dans ces aimables lieux

Croître avec lui notre espérance.

Flore et Zephire avec toute leur Suite entrent en dansant sur le Théâtre.

SCENE II.
Flore, Zephire, La Nymphe de la Seine, Choeurs de Peuples, Suite de Flore, Suite de Zephire;

LA NYMPHE DE LA SEINE.

Jeune Flore, tendre Zephire,

Habitez ce séjour, heureux :

Que sur vos pas tout y respire

20   L'Amour, les Plaisirs et les Jeux.

FLORE et ZEPHIRE ensemble.

Suivez Zephire et Flore,

Volez, régnez, tendres Amours,

Ce ne SOnt point les Fleurs que nous faisons éclore,

C'est vous qui formez les beaux jours.

Le Suite de Flore s'unit à la Suite de Zephire pour former ensemble le Divertissement.

ZEPHIRE.

25   L'Amour, qui des plus verts feuillages

Prend soin de parer ces bocages,

Les consacre aux tendres soupirs :

Contents ou chagrins de leurs chaînes,

Les amants y vont aux Zéphirs

30   Dire leurs plaisirs ou leurs peines.

FLORE.

Si vous voulez aimer ?

Pour vous laisser charmer

Venez ici vous rendre :

Mille objets à la fois

35   Cherchent à vous surprendre,

Et l'embarras du choix

Pourra seul vous défendre.

Le Divertissement continue.

FLORE.

Dans ce séjour que de beautés se rendent !

L'Amour les fuit et fait voler ses traits :

40   Jugez, Amants, du prix de leurs attraits,

C'est votre coeur que leurs yeux vous demandent.

On entend un bruit de Timbales et de Trompettes.

LA NYMPHE DE LA SEINE, FLORE ET ZEPHIRE.

Quels bruits font retentir les airs !

Mars voudrait-il troubler nos paisibles concerts ?

Pendant que la Nymphe de la Seine, Flore et Zephire chantent le Trio, le Dieu Mars descend environné de drapeaux, de lauriers et de palmes.

SCÈNE III.
Mars, La Nymphe la Seine, Choeurs de Peuples, Les acteurs de la scène précédente.

MARS.

Craignez-vous de me voir paraître ?

45   Toujours de mes faveurs j'ai comblé vos Guerriers,

LA NYMPHE DE LA SEINE.

Aux yeux de nôtre auguste maître,

N'offrez point ces drapeaux, ces palmes, ces lauriers.

Les Muses prennent soin d'élever son enfance,

De l'amour des beaux Arts laissez remplir son coeur,

50   Le sang dont il a pris naissance

Répond assez de sa valeur.

MARS.

Formé par le héros qui régit cet Empire,

Peut-il ne pas chérir Minerve et le Dieu Mars ?

Aux nobles ardeurs que j'inspire,

55   Il joindra l'amour des beaux Arts.

Au milieu des Plaisirs que la Paix vous ramène,

Souffrez qu'au moins j'embellisse vos Jeux,

Et que je prête à Melpomène

Des plus brillants exploits les exemples fameux.

60   Camille sur mes pas fit admirer sa gloire,

Apollon ma promis d'en retracer l'Histoire.

MARS ET LA NYMPHE DE LA SEINE.

Plaisirs, venez de toutes parts y

La Paix a banni les alarmes.

LA NYMPHE DE LA SEINE.

Après les fureurs du Dieu Mars,

65   Les Muses nous offrent leurs charmes.

TOUS DEUX.

Plaisirs, venez de toutes parts,

La Paix a banni les alarmes.

MARS.

Qu'un Peuple vainqueur par les armes,

Triomphe encor par les beaux Arts.

TOUS DEUX.

70   Plaisirs, venez de toutes parts ,

La Paix a banni les alarmes.

LA NYMPHE DE LA SEINE, FLORE ET LE CHOEUR DES PEUPLES.

Formons les plus aimables Jeux,

Trompettes, animez nos Fêtes,

Joignez vos nobles sons à nos chants amoureux ;

75   N'annoncez plus de Mars les combats dangereux,

Chantez l'Amour , célébrez ses conquêtes.

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente une Campagne agréable, et dans l'éloignement des collines ou sont percées diverses routes qui conduisent à des hameaux.

SCÈNE PREMIÈRE.
Camille, Acilie, Egerine.

ACILIE.

Nos paisibles hameaux charmez de votre gloire

Retentissent des plus doux chants,

On y célèbre une Victoire

80   Qui d'un Monstre cruel a délivré nos Champs.

EGERINE.

En vain, pour en dompter la rage,

Corite avait, armé son bras,

Sans l'effort de votre courage,

Ce Prince, en combattant, eut trouvé le trépas.

ACILIE.

85   Quoique fils d'un tyran, dont la rigueur extrême

Fit périr Metabus qui régnait en ces lieux,

Il est digne du diadème,

Sans cesse ses vertus se montrent à nos yeux.

EGERINE.

Avant que de ses jours vous prissiez la défense,

90   Vos yeux, belle Camille, avaient touché son coeur.

ACILIE et EGERINE.

L'Amour par sa reconnaissance

Doit prendre une nouvelle ardeur.

CAMILLE.

Lorsque ce Prince ici vint seconder nos armes

Pour dissiper l'effroi d'un Peuple malheureux,

95   Trop épris de mes faibles charmes

Il m'osa déclarer ses feux.

Pour le fuir, c'est assez de connaître sa flamme?

L'Amour doit-il toucher mon âme.

Almon qui me donna le jour,

100   Prit soin de m'affranchir d'une indigne mollesse.

Et dans les forêts d'alentour

Aux travaux de Diane élevant ma jeunesse,

Comme un Monstre terrible il me peignit l'amour.

ACILIE et EGERINE.

La déesse des Bois, dont vous êtes l'image,

105   Autrefois se laissa charmer :

Elle-même rendit hommage

Au Dieu qui fait aimer.

CAMILLE.

De ce Dieu trop puissant vous me vantez la gloire,

Finissez un discours qui doit m'être odieux.

ACILIE et EGERINE.

110   Nous allons nous unir aux bergers de ces lieux,

Pour publier votre victoire.

SCÈNE II.

CAMILLE, seule.

Quel bois assez épais pourrai-je rencontrer,

Pour cacher le trait qui me blesse ?

Aux yeux de ces Bergers devrais-je me montrer ?

115   Ils chantent ma valeur, je pleure ma faiblesse !

Camille, il est donc vrai, ta fierté se dément !

Le Prince allait perdre la vie,

Hélas ! En ce fatal moment,

J'ai cru que la pitié m'avait seule attendrie ;

120   Je soupire ! Et ses jours ne sont plus en danger !

Non, non, il n'est plus temps de m'abuser moi-même,

Je vois tous les malheurs où je cours m'engager,

Et je sens trop bien que je l'aime.

Mon Père paraît en ces lieux !

SCÈNE III.
Almon, Camille.

ALMON.

125   Je vois avec plaisir le succès de vos armes,

Ma fille, un monstre furieux

Dans nos champs désolés ne cause plus d'alarmes,

Et c'est à vous qu'on doit ce repos précieux ;

Mais votre courage invincible

130   Doit par de grands travaux encor se signaler ;

Il est dans ces climats un monstre plus terrible

Que notre bras doit immoler.

CAMILLE.

Si vous me l'ordonnez, je puis tout entreprendre?

Hâtez-vous seulement, hâtez-vous de m'apprendre

135   Quel monstre...

ALMON.

  Il n'est pas temps de vous le révéler :

À vos nobles efforts Corite doit la vie,

Il veut de ces déserts nous arracher tous deux.

CAMILLE.

Quel dessein ! Quel est son envie !

ALMON.

Il cherche à s'acquitter d'un secours généreux,

140   À la Cour de son père il prétend nous conduire.

CAMILLE.

Aufide est un tyran, pourrez-vous consentir ?...

ALMON.

De toutes mes raisons je saurai vous instruire,

Mais préparez-vous à partir.

CAMILLE.

Non, il est un secret que je ne dois plus taire,

145   De mes faibles appas le Prince est trop charmé[.]

ALMON.

De son amour naissant il m'a fait un mystère,

Mais je n'en suis point alarmé.

CAMILLE.

Ah ! Vous ne savez pas les troubles de mon âme !

ALMON.

De tous vos sentiments je dois être informé.

CAMILLE.

150   Avec une constante flamme .

Corite m'a paru trop digne d'être aimé[.]

Du pouvoir de l'Amour vous devez me défendre,

Je ne vous réponds point d'un coeur infortuné ;

À son penchant fatal s'il est abandonné,

155   Je tremble qu'il ne soit trop tendre.

ALMON.

Dieux ! Qu'entends-je ! N'importe, il faut suivre ma loi,

Votre vertu dissipe mon effroi ;

Consentez au départ que le Prince désire,

J'aurai des secrets à vous dire,

160   De tout votre destin reposez-vous sur moi.

Il sort.

CAMILLE.

Quels secrets importants aurait-il à m'apprendre !

Mais le Prince ici vient se rendre....

SCÈNE IV.
Corite, Camille.

CORITE.

Après un généreux secours,

Camille, Permettez à ma reconnaissance

165   De venir pour jamais vous consacrer des jours

Dont vous avez pris la défense ;

Vos attraits méritaient les hommages des Dieux :

Hélas ! Dans l'ardeur qui m'inspire,

Je ne puis offrir à vos yeux,

170   Que le don d'un coeur tendre, et l'espoir d'un Empire.

CAMILLE.

L'éclat du souverain pouvoir

Ne doit point flatter mon envie,

Si j'ai défendu votre vie,

Cette gloire est le prix que j'en veux recevoir.

CORITE.

175   Ne rejetez point mon hommage,

J'ose encor l'espérer d'un coeur si généreux ;

Vous conservez mes jours, achevez votre ouvrage,

Camille, rendez-les heureux[.]

Consentez que l'hymen, d'une chaîne éternelle

180   Unisse nos coeurs sous ses lois :

L'Amour ne vous forma si belle :

Que pour vous élever au sort des plus grands Rois[.]

CAMILLE.

De votre rang au mien je sais trop la distance ,

Et vous-même, êtes-vous maître de votre sort ?

CORITE.

185   Quand vous m'arrachez à la mort ;

Le Roi doit applaudir à ma reconnaissance.

CAMILLE.

Quels nobles sentiments ! Qu'ils doivent m'alarmer ?

CORITE.

De mes tendres ardeurs laissez-vous enflammer,

Cédez à votre tour, cédez a ma constance.

CAMILLE.

190   Hélas ! S'il est vrai que mes yeux

Prennent sur vous quelque puissance?

J'ose vous demander un effort glorieux...

CORITE.

Parlez, assurez-vous de mon obéissance[.]

CAMILLE.

Laissez-moi pour jamais dans ces sauvages lieux.

195   Au fond de ces déserts je serai plus constante

À suivre un sévère devoir,

J'y saurai ranimer ma fierté chancelante ;

Mon plus cruel danger, Seigneur, est de vous voir.

CORITE.

Ah ! Quel transport charmant ! Quel doux espoir m'enchante !

On entend une symphonie champêtre, les bergers descendent des coteaux, et viennent dans la plaine.

CAMILLE.

200   Je vois de toutes parts les bergers des hameaux,

Pour nous offrir leurs Jeux, venir sous ces ormeaux.

CORITE.

Quelle contrainte pour ma flamme !

Au plaisir que je sens, dois-je livrer mon âme ?

Adorable Camille ! Ah, daignez en ce jour

205   M'assurer d'un bonheur que je n'oserais croire.

CAMILLE.

J'en ai trop dit, je crains le pouvoir de l'Amour,

Jamais ce Dieu sans vous, n'aurait eu cette gloire.

Camille va se placer sur un des côté du théâtre pour regarder la fête qui lui est destinée. Corite demeure auprès d'elle.

SCÈNE V.

Les Bergers viennent célébrer la victoire de Camille, et lui rendre leurs hommages par des danses et des chants.

CHOEUR DE BERGERS.

Chantez, Oiseaux, que vos ramages

S'unissent à nos tendres voix ;

210   Amours volez dans ces bocages,

Volez au son de nos haut-bois,

Celle qui reçoit nos hommages,

Soumet tous les coeurs à vos lois.

UN BERGER avec sa musette conduisant des Bergères qui dansent autour de lui.

Venez, jeunes Bergères,

215   Sortez de vos Hameaux,

Dansez sur les fougères

À l'ombre des Ormeaux..

Nous célébrons sur nos musettes

L'Amour et ses appas,

220   Il inspire nos chansonnettes,

Qu'il anime vos pas.

Venez, jeunes Bergères,

Sortez de vos hameaux,

Dansez sur les fougères

225   À l'ombre des ormeaux.

Le Divertissement continue.

DEUX BERGÈRES.

La Paix tranquille

De cet asile

Plaît à l'Amour,

Flore et Zephire

230   Sous son Empire

Lui font la cour :

Allons lui rendre

L'hommage tendre

De nos soupirs,

235   Portons ses chaînes,

Pour quelques peines

Que de plaisirs !

UNE BERGÈRE.

Les fleurs nouvelles

Cessent d'être belles,

240   Les fleurs nouvelles

Brillent peu de jours ;

Leur beauté passe,

Leur éclat s'efface :

Tel est le cours

245   Des plaisirs etc des amours.

UNE AUTRE BERGÈRE.

Un vert bocage

Que l'hiver ravage,

Un vert bocage

Renaît au printemps :

250   Mais la Jeunesse

Sans espoir nous laisse :

De nos beaux ans

Ménageons tous les instants.

CORITE, à Camille.

Le soin de mon amour auprès du Roi m'appelle,

255   Je dois tout préparer pour vous y recevoir,

J'espère bientôt vous revoir :

Almon me l'a promis, il me sera fidèle[.]

Au Chef de sa Garde.

Rutile ne les quittez pas,

Avec pompe à la Cour accompagnez leurs pas.

ACTE SECOND

Théâtre représente une caverne environnée d'arbres et au milieu un tombeau rustique.

SCÈNE PREMIÈRE.
Almon, Rutile.

RUTILE.

260   Entrant dans ces lieux, je sens couler mes pleurs !

Ô vous, Mânes sacrés, que ce tombeau me cache,

Recevez le tribut que vôtre sort m'arrache,

Faible soulagement de mes vives douleur !

ALMON.

Rutile, je sais votre zèle ,

265   Metabus n'eut jamais un sujet plus fidèle,

Sitôt que vôtre nom m'a rappelé vos traits,

Je vous ai confié le plus grand des secrets.

RUTILE.

À mon tour, cher Almon, j'ai su vous reconnaître,

J'apprends avec transport votre fidélité.

ALMON.

270   Depuis vingt ans caché dans ce bois écarté,

Enfin je pourrai voir paraître

Le jour que j'ai tant souhaité.

TOUS DEUX.

Goûtons la flatteuse espérance,

Qui promet de combler nos voeux :

275   Que le plaisir de la vengeance

Est doux pour les coeurs malheureux !

ALMON.

J'ai pris soin d'attirer ceux que des lois cruelles

Écartaient de la Cour d'un tyran odieux.

RUTILE.

Il est temps de les joindre à des amis fidèles

280   Que j'ai retenus dans ces lieux.

ALMON.

Hâtez-vous, généreux Rutile,

Il faut leur découvrir un projet glorieux,

Au pied de ce tombeau laissez-moi voir Camille,

Et nous pourrons après la montrer à leurs yeux.

SCÈNE II.

ALMON, seul.

285   Je l'attends, je connais sa flamme,

De quels coups, juste ciel ! Je vais frapper son âme ?

Sombres forêts , antres affreux,

Noir séjour, redoublez l'horreur de vos ténèbres,

Offrez à ses regards les images funèbres

290   Des objets les plus douloureux.

Je vais rompre enfin le silence,

Je vais lui découvrir votre funeste sort,

Ombre errante en ces lieux, secondez mon effort,

Par vos gémissements pressez votre vengeance.

295   Sombres forêts, antres affreux,

Noir séjour, redoublez l'horreur de vos ténèbres,

Offrez à ses regards les images funèbres

Des objets les plus douloureux.

SCÈNE III.
Camille, Almon.

CAMILLE.

Où sois-je ! Quel spectacle à mes yeux se présente ?

300   Vous me voyez troublée, interdite, tremblante...

Quel est cet appareil nouveau ?

Dans le cours de mon premier âge,

Vous vous cachiez souvent dans cet antre sauvage.

ALMON.

Je venais y pleurer sur ce fatal tombeau[.]

CAMILLE.

305   Quel est donc ce mystère ? Est-il impénétrable ?

ALMON.

Ce rocher qui frappe vos yeux,

Leur dérobe un Roi mémorable,

Qui méritait, hélas ! Un sort plus glorieux ;

Un cruel ennemi lui déclara la guerre :

310   Pour punir son forfait, les Dieux, les justes Dieux

Devaient employer leur tonnerre,

Cependant le barbare en fut victorieux.

CAMILLE.

Ô Ciel ! N'êtes-vous plus l'appui de l'innocence !

À Almon.

Poursuivez,répondez à mon impatience.

ALMON.

315   Ce roi banni de ses États,

Victime d'un destin funeste,

Avec un seul enfant qu'il portait dans ses bras,

D'un sang si précieux unique et triste reste,

S'était venu cacher dans ces affreux climats :

320   Par l'ordre du tyran, un téméraire, un traître,

Sans respect du suprême rang,

Immola dans ce lieu son légitime maître ;

Et voilà le poignard encor teint de son sang.

Il présente un poignard aux yeux de Camille.

CAMILLE.

Qu'entends-je ! Mon coeur en frissonne !

ALMON.

325   L'Enfant seul fut sauvé de tant d'horribles coups,

Il est par sa vertu digne de la couronne.

CAMILLE.

Et quel est cet enfant ? Apprenez-moi, ....

ALMON.

C'est vous.

CAMILLE.

Moi ? De quelle terreur je me trouve saisie !

Et qui vous a rendu le maître de mon sort ?

ALMON.

330   J'avais suivi le Roi, je vous sauvai la vie.

CAMILLE.

Hélas ! Lorsque mon père est mort,

Que ne m'a-t'elle été ravie !

Mais je vois pour quels soins me réservent les Dieux.

Elle prend le poignard de la main d'Almon.

Donnez-moi ce poignard... Quel sang frappe mes yeux !

335   Fer fatal, c'est toi que j'atteste ;

Si tu n'immoles pas un barbare assassin,

Mon bras lavera dans mon sein

La trace du sang qui te reste ;

Hâtons-nous il faut nous venger :

340   Les moments nous sont chers, nommez-moi le perfide,

À me taire son nom qui peut vous engager ?

Ne différez point...

ALMON.

C'est Aufide[.]

CAMILLE.

Le Père de Corite ! Ô comble de malheurs !

Vous voyez à la fois et ma rage et mes pleurs.

ALMON.

345   Le tyran, sur un bruit que j'eus soin de répandre,

Crut que de Metabus un fils était resté,

Son erreur pourra vous défendre,

Et jusques dans sa Cour vous mettre en sûreté.

Moi-même après vingt ans j'y serai sans alarmes,

350   Ses yeux à peine m'ont-ils vu :

Allons : pour nous sauver, les Dieux prendront les armes,

Laissons-nous seulement guider par la vertu.

CAMILLE.

Malheureuse ! Que dois-je faire ?

Perdrai-je mon amant ? Trahirai-je mon père ?

355   De quels troubles cruels mon coeur est combattu !

ALMON.

Formons une noble entreprise,

Écoutons un juste courroux ;

Triomphez de l'Amour dont votre âme est éprise,

Votre sang l'exige de vous.

CAMILLE.

360   Cesse, Amour, d'attendrir mon âme,

Laisses-y régner la fureur ;

Dois-je encor ressentir ta flamme

Parmi tant de trouble et d'horreur !

Cesse, Amour, d'attendrir mon âme,

365   Laisses-y régner la fureur.

TOUS DEUX.

Qu'en ce jour, de nos coeurs la vengeance s'empare,

Viens, fureur, viens nous animer,

Courons punir un barbare,

Hâtons-nous de nous armer.

Rutile entre avec les conjurés.

SCÈNE IV.
Camille, Almon, Rutile, Conjurés

ALMON.

370   Voici les défenseurs que le Ciel vous destine,

Leur courage avec vous bravera les hasards.

CHOEUR.

O Ciel ! Quelle beauté divine !

Quel objet frappe nos regards !

Venez, vous serez satisfaite,

375   Venez, nous sommes prêts à venger vos malheurs.

CAMILLE.

Avant que de quitter cette sombre retraite,

Sur ce tombeau sacré laissons couler nos pleurs.

Tous les Conjurés viennent autour du tombeau rendre les honneurs funèbres et à la manière des anciens, jeter des fleurs sur l'urne qui conserve les cendres du Roi.

ALMON, RUTILE.

Mânes de notre auguste Maître,

Ombre du plus grand des Héros,

380   Puisse-tu dans ce lieu champêtre

Jouir d'un éternel repos.

ALMON, RUTILE, CAMILLE.

Tu vois nos fureurs légitimes,

Goûte l'espoir d'être vengé,

Le Ciel juste ennemi des crimes,

385   À servir nos efforts, est lui-même engagé.

ALMON.

Grands Dieux, les Rois sont votre image,

Qui les ose outrager, doit périr par vos coups :

Soutenez notre ardent courage,

Nous allons combattre pour vous.

CAMILLE.

390   Guerriers, pour venger notre outrage,

Vous êtes prêts à tout tenter ;

Approchez , que chacun s'engage

Par les affreux serments que je vais vous dicter.

Tous les conjurés s'assemblent autour du Tombeau de Metabus, et tenant l'épée nue d'une main, et s'appuyant de l'autre sur le tombeau, ils répètent le serment de Camille.

CAMILLE et LES CHOEURS.

Sur ce fatal tombeau, nous attestons la foudre,

395   L'effroi des parjures humains :

Grands Dieux, si le tyran ne meurt pas par nos mains,

Lancez sur nous vos traits, réduisez-nous en poudre.

ACTE TROISIEME

Le théâtre représente une Place publique de la Ville d'Antium ornée d'arcs de triomphe pour recevoir Camille.

SCÈNE PREMIÈRE.

CORITE, seul.

Unique plaisir de l'absence

Espoir, charmant espoir, soulagez ma langueur :

400   Loin de l'aimable objet qui captive mon coeur,

Que j'éprouve d'impatience !

Je ne saurais sans vous en souffrir la rigueur ;

Unique plaisir de l'absence

Espoir, charmant espoir, soulagez ma langueur.

405   Fuyez, chagrins, fuyez : Camille va paraître !

Mes pleurs y ont s'arrêter, mes plaintes vont finir,

Son éloignement vous fit naître,

Bientôt par sa présence elle doit vous bannir.

SCÈNE II.
Aufide, Corite.

AUFIDE.

Mon fils, calmez votre tristesse,

410   Camille approche de ces lieux ;

Au devant de ses pas tout le peuple s'empresse

D'aller rendre hommage à ses yeux :

Moi-même de mon rang je me plais à descendre,

Je veux faire pour vous éclater mon amour,

415   Impatient je viens attendre

Cet objet si charmant qui vous sauva le jour.

CORITE.

Ah ! Seigneur, vos bontés ont pénétré mon âme,

Camille pour jamais m'a soumis à ses lois,

Vous avez approuvé ma flamme,

420   C'est faire le bonheur des jours que je vous dois.

AUFIDE.

Elle a par ses attraits mérité le suffrage

De tous ceux qui suivaient vos pas :

CORITE.

Les Dieux voulaient en elle exprimer leur image ;

Ils ne pouvaient unir, en formant leur ouvrage,

425   Plus de vertus et plus d'appas.

Avec d'aimables charmes

Elle fait admirer un courage indompté :

Les monstres les plus fiers succombent sous ses armes,

Les plus farouches coeurs cèdent à sa beauté.

AUFIDE.

430   Ce courage, mon fils, peut m'être nécessaire :

Par les soins d'un guerrier qui brava mon courroux.

Un fils de Metabus s'est sauvé de mes coups ;

Il pourrait quelque jour vouloir venger son père ;

J'ignore son destin, mais Camille aujourd'hui

435   De mon trône avec vous est encore, un appui.

CORITE.

Malgré son obscure naissance,

Elle peut aspirer aux plus brillants honneurs.

AUFIDE.

Goûtez une douce espérance,

Vous l'aimez, et l'Amour égale tous les coeurs :

440   Aux efforts de mon bras je dois mon diadème,

Et le trône où je suis monté ;

Comme par la valeur, on peut par là beauté

S'élever jusqu'au rang suprême.

SCÈNE III.
Choeurs de Peuples, Aufide, Corite, Camille.

On entend les choeurs des peuples qui conduisent en triomphe Camille.

CHOEURS derrière le théâtre.

Régnez, sur tous les coeurs, régnez, beauté charmante,

445   Venez, par vos attraits embellissez ces lieux.

CORITE.

Le peuple amène ici Camille triomphante,

L'Amour va l'offrir à mes yeux !

Une Porte triomphale s'ouvre, et l'on voit paraître Camille dans un char traîné par des esclaves, et tous les peuples qui dansent autour d'elle et qui jouent de divers instruments.

CHOEURS.

Régnez, sur tous ses coeurs, régnez, beauté charmante,

Venez, par vos attraits embellissez ces lieux.

CORITE.

450   Belle Camille, enfin mon bonheur est extrême,

Ce jour me rend tout ce que j'aime !

Au Roi.

Si mes jours vous sont chers, que mon Père et mon Roi

Approuve les transports où se livre mon âme,

Seigneur, voilà le bras qui s'est armé pour moi,

455   Regardez tant d'attraits, et jugez de ma flamme.

AUFIDE, à Camille.

Camille, recevez l'hommage de ma Cour,

Je dois ce prix à l'effort de vos armes ;

Mon fils brûle pour vous, mais puis-je voir vos charmes,

Et ne pas approuver l'excès de son amour ?

CAMILLE.

460   Vos bontés doivent me confondre,

Seigneur, quand je veux y répondre,

Je ne puis exprimer ce que ressent mon coeur ;

Ces honneurs éclatants que vous daignez me rendre

M'inspirent une vive ardeur,

465   Qui, pour les mériter, pourra tout entreprendre.

AUFIDE.

Votre père en ces lieux ne s'offre point a moi !

À sa suite.

Allez, sans tarder davantage .

Qu'on l'amène :

À Camille.

Je veux qu'avec vous il partage

Tous les honneurs que je vous dois.

CORITE.

470   Chantez, Peuples, rendez hommage

À l'adorable objet qui me tient sous sa loi.

AUFIDE, CORITE.

Chantez, publiez sa victoire,

Tout cède à sa valeur, tout cède à ses appas,

Les Amours unis à la gloire

475   Volent sans cesse sur ses pas.

Les Peuples d'Antium répètent ces quatre vers et célèbrent le triomphe de Camille par des Danses.

UNE FEMME VOLSQUE.

À la douceur des Grâces

Elle joint la fierté de la Reine des Dieux,

L'Amour est timide à ses yeux,

Et se borne à suivre ses traces.

CORITE.

480   Les Nymphes des Forêts

La prennent pour Diane, à sa valeur extrême :

Aussitôt qu'elle quitte et son arc et ses traits,

Elle paraît Vénus aux yeux de l'Amour même.

UN VOLSQUE.

Offrons à la beauté l'hommage d'un coeur tendre,

485   C'est peu de chanter son pouvoir :

L'Amour est le tribut qu'elle doit recevoir,

C'est la louer, que de s'y rendre.

TOUS TROIS.

La beauté, par des traits vainqueurs,

Triomphe, sans effort, des plus superbes coeurs[.]

UNE VOLSQUE.

490   Elle a des droits suprêmes,

Elle sait asservir et la Terre et les Cieux.

CORITE.

C'est un présent des Dieux,

Qui les soumet eux-mêmes,

TOUS TROIS.

La beauté, par des traits vainqueurs,

495   Triomphe, sans effort, des plus superbes coeurs.

SCÈNE IV.
Aufide, Corite, Camille, Almon, Gardes, Choeurs de peuples.

AUFIDE.

Le père de Camille à mes yeux doit paraître[.]

CORITE, montrant Almon.

Vous le voyez, Seigneur[.]

AUFIDE.

Approche de ton Maître,

Viens, Mortel fortuné, jouir de mes bienfaits ;

Approche... est-ce une erreur que la crainte fait naître ?

500   C'est lui... Puis-je le méconnaître ?

Malgré les ans, je découvre ses traits !

Il détourne les yeux !... Je vois son trouble extrême !

Je n'en doute plus, c'est lui-même,

Perfide !

CAMILLE.

Ô Ciel !

CORITE.

Qu'entends-je ? Justes Dieux !

505   Quel courroux menaçant éclate dans vos yeux ?

AUFIDE.

Prince, vous ignorez quel est ce téméraire,

C'est ce même guerrier dont le fatal secours

Du fils de Metabus a conservé les jours.

À Almon.

Traître, romps enfin le silence.

ALMON.

510   De ces noms odieux cesse de m'accabler ;

J'ai rempli mon devoir, je brave ta vengeance

Respecte ma vertu, c'est à toi de trembler :

Du sang de Metabus j'embrassai la défense,

Je veux pour ton tourment cacher toujours son sort,

515   Éclate, venge-toi ; qui ne craint point la mort,

Méprise des tyrans la haine et la puissance.

AUFIDE.

Songe à bien soutenir cette fière constance,

Qu'on le charge de fers....

Les Gardes d'Aufide arrêtent Almom et le désarment.

CORITE et CAMILLE.

Que faites-vous, hélas !

AUFIDE.

Je dois à la Fortune offrir un sacrifice,

520   Il faut que ce traître périsse,

Je vais tout ordonner pour son juste trépas.

CORITE.

Implorons sa clémence, allons, suivons ses pas.

CAMILLE.

Ô Ciel ! J'implore ta justice,

Dans ce mortel danger je l'abandonne pas.

ACTE QUATRIÈME

Le Théâtre représente le Temple de la Fortune, si célèbre dans la Ville d'Antium.

SCÈNE PREMIÈRE.

CAMILLE, seule.

525   Fortune, fini mes alarmes,

Écoute mes tristes regrets :

Hélas ! Pour me frapper, te reste-t'il des traits,

Ne te lasses-tu point de voir couler mes larmes ?

Ne puis-je au moins dans mes douleurs

530   Sur ta légèreté fonder quelque espérance ?

Cruelle, tu n'as de constance

Que pour m'accabler de malheurs.

Fortune, fini mes alarmes,

Écoute mes tristes regrets :

535   Hélas ! Pour me frapper, te reste-t'il des traits,

Ne te lasses-tu point de voir couler mes larmes ?

SCÈNE II.
Camille, Rutile.

RUTILE.

La Fortune à nos voeux refuse son secours,

Princesse, éloignez-vous de ce temple funeste,

L'espoir de défendre vos jours,

540   Est le seul espoir qui me restes ;

Tandis que votre sort est encor ignoré,

Cherchez un asile assuré ;

Venez...

CAMILLE.

Almon est dans les chaînes,

RUTILE.

Corite a tout tenté pour terminer ses peines,

545   Mais ses efforts ont été vains,

Son Père ne veut plus l'entendre,

Et par des ordres souverains,

Au pied de ces autels lui défend de se rendre ;

Almon brave toujours un odieux pouvoir,

550   Le trépas n'a rien qui l'étonne,

Il ne craint que pour vous[.]

CAMILLE.

Il remplit son devoir.

Je sais ce que le mien m'ordonne ;

Songez à vous, Rutile, allez, et laissez-nous[.]

RUTILE.

Ah ! Si vous périssez, je péris avec vous.

SCÈNE III.
Aufide, Almon, Camille, Rutile, Des Licteurs armés de haches et faisceaux.
Choeurs de sacrificateurs et de prêtresses de la Fortune.

AUFIDE, à Almon.

555   Perfide, viens subir l'arrêt de ton supplice[.]

ALMON.

Tes barbares efforts ne pourront m'ébranler.

AUFIDE.

Montre moi l'ennemi que je dois immoler,

Explique-toi sans artifice,

Quoi ! Ta bouche s'obstine à le dissimuler !

À sa suite.

560   Hâtez-vous, achevez un sanglant sacrifice.

CAMILLE.

Arrêtez...

ALMON, apercevant Camille.

Que vois-je grands Dieux ?

Je frémis !... Est-ce vous ma fille ?

Pourquoi, lorsque je meurs, vous montrer à mes yeux ?

Unique espoir de ma famille,

565   Rentrez dans vos déserts, abandonnez ces lieux ;

Ma gloire m'engage au silence,

Fidèle à mon devoir, je suis prêt à périr.

AUFIDE.

Quels discours ! C'est trop les souffrir,

Venez, remplissez ma vengeance ;

570   La Fortune pour moi daigne s'intéresser

En me livrant ce téméraire,

Au pied de cet autel, hâtez-vous de verser

Un sang qu'exige ma colère

Frappez...

Les Ministres d'Aufide vont pour immoler Almon, Camille les arrête.

CAMILLE.

Ah ! Suspendez vos coups.

À Aufide.

575   Je connais sa vertu farouche ;

Il verra, sans pâlir, cet éclatant courroux,

Mais je fais comme lui le secret qui vous touche.

ALMON.

Je tremble....

AUFIDE, à Camille.

Hâtez-vous de me le découvrir...

Vous balancez ?... Il va périr...

CAMILLE.

580   J'en atteste, des Dieux la majesté suprême,

Si je ne vous livre moi-même

L'ennemi qui vous fait trembler ;

Puisse le maître du tonnerre

Entrouvrir sous mes pas les gouffres de la Terre,

585   Et de ses traits brûlants pour jamais m'accabler :

De mon Père captif faites cesser les peines,

Qu'il puisse du Palais sortir en liberté.

AUFIDE.

Rutile, qu'on brise ses chaînes,

Mais ne le quittez point.

ALMON.

Que je suis agité !

CAMILLE, à Almon.

590   La résistance est inutile[.]

ALMON.

Qu'allez-vous révéler ?

CAMILLE.

Allez, suivez Rutile,

Je dois vous donner du secours,

Je dois tout employer pour conserver vos jours.

Almon sort avec Rutile.

SCÈNE IV.
Aufide, Camille.

AUFIDE.

C'est de vous que dépend le repos de ma vie ;

595   Vôtre Père a bravé mon courroux menaçant ;

Mais vous, espérez tout d'un coeur reconnaissant,

Si vous contentez mon envie.

CAMILLE.

Enfin je l'ai promis : il veut vous découvrir

Cet objet de votre vengeance,

600   Lui-même, à vos regards s'il craignait de s'offrir,

Il croirait trahir sa naissance.

AUFIDE.

Ah ! Quel plaisir de me venger

Du fier ennemi qui m'outrage !

Ma main conduite par la rage

605   Dans son sang odieux brûle de se plonger :

Ah ! Quel plaisir de me venger

Du fier ennemi qui m'outrage !

Quel lieu peut le cacher ?

CAMILLE.

Ce Palais[.]

AUFIDE.

Justes Dieux !

Tout me jette en un trouble extrême,

610   Ici mon ennemi n'a point frappé mes yeux,

Je cherche vainement..

CAMILLE.

Tu le vois, c'est moi-même[.]

AUFIDE.

Vous ! Ô Ciel!

CAMILLE.

Ce Guerrier dont je sauve les jours,

Pour conserver les miens, me prêta son secours,

Pour mieux cacher mon sort et tromper ta furie,

615   Il publia qu'un Prince échappait à tes coups.

AUFIDE.

Le perfide ! Il ne peut éviter mon courroux ;

Venait-il en ces lieux attenter à ma vie ?

CAMILLE.

Au milieu des forêts il voulut me former,

De traits, de javelots, il prit soin de m'armer ;

620   Des tigres et des ours j'allais dompter la rage ;

À ces travaux sanglants j'osai m'accoutumer,

Pour punir les tyrans, j'essayais mon courage.

AUFIDE.

Le Ciel remplit mal tes souhaits...

CAMILLE.

Il est jaloux de sa victime,

625   Il veut réserver à ses traits

La gloire de punir ton crime ;

Achevé, il en est temps, rends-toi plus odieux,

Sans cesse à mon esprit mon père se présente,

Hâte-toi de m'unir à son ombre sanglante,

630   Hâte-toi d'irriter et ce peuple et les Dieux.

Elle sort.

AUFIDE, à sa suite.

Allez, que l'on s'assure d'elle,

Cherchons à prévenir leur fureur criminelle,

Fortune, seconde mes voeux ;

Ministres de son Temple, animez votre zèle,

635   Implorez son pouvoir, formez de nouveaux Jeux.

Les Prêtres et les Prêtresses de la Fortune viennent lui rendre leurs hommages, et célébrer son pouvoir.

SCÈNE V.

LA PRÊTRESSE DE LA FORTUNE, et les Grands Choeurs.

Fortune, ton suprême Empire

Embrasse le vaste Univers,

Tu te fais adorer de tout ce qui respire,

Tu règles les destins de la Terre et des Mers.

LA PRÊTRESSE ET LES PETITS CHOEURS.

Alternativement.

640   Le Matelot tremblant au milieu de l'orage

Implore ton secours ;

Le Soldat entraîné dans l'horreur du carnage

Te laisse le soin de ses jours.

La Victoire, ou la mort, les plaisirs, ou les peines,

645   Dépendent de tes lois ;

Les Sceptres, quand tu veux, se transforment en chaînes,

Tu saisies Captifs et les Rois.

La Prêtresse et les grands choeurs répètent les quatre premiers vers ; les peuples qui adorent la Fortune et les prêtresses célèbrent une fête par leurs danses et par leurs chants.

LA PRÊTRESSE.

Triomphe, joui de ta gloire,

Enchaîne à ton gré les mortels,

650   Dans le fond de leur coeur tu trouves des autels,

Les autres Dieux à peine occupent leur mémoire.

Le Divertissement commence.

Fortune, tu n'as qu'à paraître

Pour assembler tous les plaisirs ;

Sitôt que tu fuis, on voit naître

655   Et les chagrins et les soupirs ;

L'Amour de ses rapides ailes

Se plaît à voler sur tes pas ,

Et pour fléchir des coeurs rebelles,

Ce Dieu se sert de tes appas.

Le Divertissement continue.

660   Fortune, c'est ton seul caprice

Qui règle se sort des amants,

Et ta voix sévère ou propice

Fait leurs plaisirs ou leurs tourments :

Sans toi, le coeur le plus sincère

665   Ne peut espérer d'être heureux ;

Et souvent ton secours pour plaire,

Est plus sûr que de tendres feux.

À la fin du Divertissement Corite vient sur la Scène.

SCÈNE VI.
Aufide, Corite.

AUFIDE.

Quoi, Prince, malgré ma défense,

Vous osez paraître en ces lieux !

CORITE.

670   Aux frayeurs d'un amant pardonnez cette offense,

Ou je vais, en mourant, l'expier à vos yeux ;

Rien n'a pu m'arrêter : je tremble pour Camille ;

Ferai-je en sa faveur un effort inutile ?

J'embrasse vos genoux,

675   J'ose vous implorer pour elle et pour moi-même ;

C'est moi que menacent vos coups,

Vous perdez votre fils, si je perds ce que j'aime.

AUFIDE.

Votre coeur se doit-il partager entre nous ?

CORITE.

Je vous dois à tous deux la vie,

680   Je sais que je la tiens de vous,

Mais sans Camille, hélas ! Le sort me l'eût ravie.

Rendez-vous à mes pleurs.

Tout doit vous engager à finir mes malheurs.

Qu'un Hymen fortuné bannissant nos alarmes,

685   Affermisse le Trône où vous êtes monté.

AUFIDE.

Mon Trône !... Cet espoir, vos soupirs et vos larmes

Balancent les transports de mon coeur irrité.

Dans le coeur de Camille étouffez la vengeance,

C'est d'elle que dépend le succès de vos feux.

CORITE.

690   Amour, à mes efforts viens joindre ta puissance,

Et l'amant le plus tendre aide à combler les voeux.

Corite sort avec tous les Peuples et les Choeurs qui étaient dans le Temple.

SCÈNE VII.

AUFIDE, seul.

Va, goûte une vaine espérance,

J'emprunte d'un hymen la trompeuse apparence ;

Deux ennemis m'ont fait trembler,

695   Non, leur sang à mon gré ne peut trop tôt couler.

Venez, juste fureur, venez tout entreprendre :

Il ne me suffit pas du sang que j'ai versé,

Lorsqu'au suprême rang un mortel s'est placé,

Il doit perdre le jour avant que d'en descendre :

700   Venez, juste fureur, venez tout entreprendre.

ACTE CINQUIEME

Le Théâtre représente le Palais du Roi des Volsques.

SCÈNE PREMIÈRE.
Camille, Corite.

CORITE.

Non, votre coeur pour moi ne fut jamais

Le Roi prépare tout pour nous unir tous deux,

Il a laissé fléchir ce courroux si terrible

Qui m'ôtait l'espoir d'être heureux,

705   Vous seule toujours inflexible

Du plus fIdèle Amant vous rejetez les voeux !

Verrez-vous sans douleur mon destin déplorable ?

Si vous ne m'aimez plus, si je vous perds, je meurs.

CAMILLE.

Ah ! Dans le trouble qui m'accable,

710   Pourquoi me montrez-vous de si tendres ardeurs ?

Je sens une douleur mortelle

Je fais ce que je dois à l'auteur de mes jours,

Sans cesse je me le rappelle,

Et, malgré mon devoir, je vous aime toujours.

CORITE.

715   Votre coeur est toujours le même ;

Et vous, me condamnez au plus funeste fort !

CAMILLE.

Prince, n'en doutez point : ma tendresse est extrême.

Mais enfin mon devoir doit être encor plus fort.

Fille de Metabus, quelque amour qui m'anime,

720   Je ne puis d'un barbare oublier la fureur,

Non, toutes vos vertus n'effacent point un crime

Qui toujours me remplit d'horreur.

Victimes d'un devoir sévère,

Armons-nous, sens briser un si tendre lien :

725   Vous devez contre moi défendre votre père,

Et contre vous je dois venger le mien.

CORITE.

Ô Ciel impitoyable !

À quels malheurs nous réservaient les Dieux !

CAMILLE.

Je ressens tous vos maux, votre plainte m'accable,

730   Ô fils trop généreux d'un tyran trop coupable,

Laissez-moi par pitié m'éloigner de ces lieux.

CORITE.

Vous voulez me quitter !

CAMILLE.

Il le faut.

CORITE.

Loi barbare !

L'Amour nous unissait...

CAMILLE.

Le devoir nous sépare,

TOUS DEUX.

Amour, devoir, tyrans des coeurs

735   Que vous avez pour nous de cruelles rigueurs !

CORITE.

J'ai fait venir Almon : j'en ose tout attendre,

Près de vous l'amitié fera plus que l'amour ;

Il peut en sûreté paraître en ce séjour,

Je vais le presser de s'y rendre.

Il sort.

CAMILLE, seul.

740   Dieux, êtes-vous contenTs des efforts que je fais ?...

Mais Almon vient dans ce Palais.

SCÈNE II.
Almon, Camille.

ALMON.

Princesse, qu'ai-je vu ? Quel hymen se prépare ?

Le tyran dans ces lieux fait assembler sa Cour,

Avez-vous oublié le crime d'un Barbare ?

745   Quoi ! De son fils vous couronnez l'Amour !

CAMILLE.

Quel outrage ! Est-ce ainsi qu'Almon doit me connaître ?

J'ai vu couler les pleurs d'un Prince malheureux,

Fidèle à mes devoirs et rebelle à ses feux,

Quelle rigueur pour lui, n'ai-je pas fait paraître !

ALMON.

750   Ah ! Je connais en vous le vrai sang de mon Maître !

Venez contre un tyran seconder mon dessein,

Le Ciel m'offre un instant pour lui percer le sein,

Tandis que de l'hymen il ordonne la fête,

Nos Conjurés sont dans ces lieux,

755   Et Rutile avec nous s'apprête

À venger à la fois votre père et les Dieux :

Remplissons ce séjour d'horreur et de carnage,

Que le fer, que le feu servent notre courroux,

Que les cris des mourants accablés de nos coups

760   Percent le ténébreux rivage ;

Que l'ombre d'un Roi malheureux

Attentive à ces cris affreux,

S'applaudisse de notre rage.

CAMILLE.

Hélas !

ALMON.

De ce soupir que je suis étonné !

765   Armez-vous de votre courage.

CAMILLE.

Que mon sort est infortuné !

Cher Prince !...

ALMON.

Ses vertus me forcent à le plaindre,

Sauvons-le, s'il se peut ; mais quel que soit son sort,

C'est assez pour vous de le craindre,

770   De l'auteur de vos jours, il faut venger la mort.

CAMILLE.

Que je sens de rudes alarmes !

Mon père et mon amant partagent tous mes voeux,

Sans oser décider entre eux.

Je ne fais que verser des larmes.

ALMON.

775   Prévenons un sort rigoureux.

Des desseins du tyran, Rutile a su m'instruire,

Il a feint notre hymen, pour nous perdre tous deux,

Renversons son espoir, que lui-même il expire.

Venez, ne tardons plus, de fidèles sujets

780   Ont armé pour vous leur audace ;

Si nous n'achevons nos projets,

Songez au coup qui nous menace ;

Des serments que vous avez faits

Se peut-il qu'un instant le souvenir s'efface ?

CAMILLE.

785   Ah ! Ç'en est trop, allons, je rougis de mes pleurs,

Pardonnez-les à mes malheurs.

TOUS DEUX.

Dans les coeurs formés pour la Gloire,

L'Amour n'exerce point un souverain pouvoir :

Il peut bien quelque temps balancer le devoir,

790   Mais il ne peut jamais remporter la Victoire.

ALMON.

Le Peuple vient, éloignons-nous,

Venez Joindre Rutile, il n'attend plus que vous.

SCÈNE III.

Les Peuples s'assemblent dans le Palais pour célébrer la Fête de l'Hymen.

AUFIDE.

Peuples, vous devez tous applaudir à mon choix ;

Camille est le sang de nos Rois,

795   Et la main de mon fils l'élève au rang suprême.

Pour chanter leur bonheur extrême

Venez unir vos voix.

Célébrez l'hymen qui s'apprête,

Que vos voeux, que vos chants en augmentent la fête.

CHOEUR DE PEUPLES.

800   Célébrons l'hymen qui s'apprête,

Que nos voeux, que nos chants en augmentent la fête.

Le Divertissement commence.

UNE FEMME DE LA FÊTE.

Rassemblez-vous, aimables Jeux,

Triomphez avec tous vos charmes.

L'Amour cherche à nous rendre heureux,

805   Les Plaisirs lui prêtent des armes ;

Rassemblez-vous, aimables Jeux,

Triomphez avec tous vos charmes.

Le Divertissement continue.

UN HOMME DE LA FÊTE.

Règne, hymen, dans un jour si beau,

Fais briller ton flambeau

810   D'une flamme plus vive :

Qu'avec les plus charmants appas

L'Amour vole devant tes pas,

Et que la constance les suive.

SCÈNE IV.
Aufide, le Chef de la Garde, Choeur de peuples.

LE CHEF DE LA GARDE.

Seigneur !...

AUFIDE.

Quelles sont tes alarmes !

LE CHEF DE LA GARDE.

815   Rutile vous trahit, Rutile a pris les armes

Suivi d'un peuple audacieux,

Avec le fier Almon il vient forcer ces lieux,

Camille les a joins, redoutez leur courage,

Votre fils vainement s'oppose à leur passage.

AUFIDE.

820   Courons dans un si grand danger

Ranimer mes soldats, périr, ou nous venger.

CHOEURS DE PEUPLES.

Quel succès devons-nous attendre !

Déjà les combattants paraissent à nos yeux,

Nous vous implorons, justes Dieux !

825   C'est le sang de nos Rois que vous devez défendre.

Les combattants des deux partis traversent le théâtre en se disputant l'avantage, tandis que le choeur des peuples forme des voeux pour le véritable sang de leurs Rois.

SCÈNE DERNIÈRE.
Corite, Camille, Almon

CORITE, désarmé par les Conjurés.

Vous m'avez désarmés, cruels, immolez-moi,

Je m'offre à vos coups... Ah ! Princesse,

Quel sang a teint ce fer qu'en vos mains j'aperçois ?

CAMILLE, armée de sonJavelot.

Corite, plains mon fort, non toute ma tendresse

830   N'a pu vaincre un devoir dont j'ai suivi la loi :

J'ai calmé, j'ai vengé les mânes de mon père,

Le même soin doit t'animer.

CORITE.

Hélas ! Contre une main si chère

La mienne peut-elle s'armer ?

CAMILLE.

835   À ton tour arme-toi, que rien ne te retienne,

J'ai rempli ma vengeance, il faut remplir la tienne ;

Après tant de malheurs je ne dois plus te voir,

Tu ne peux être à moi, sois tout à ton devoir.

Imite-moi cruelle[.]

CORITE.

Ah ! Qu'osez-vous prétendre ?.

Il prend le Javelot de la main de Camille et se tue.

840   Donnez, voilà le sang que ma main doit répandre.

CAMILLE.

Ô Ciel ! Je te perds pour toujours !

Ah ! De ce même fer empruntons le secours.

Elle veut prendre le javelot dont Corite s'est frappé, Almon qui arrive sur le Théâtre la retient.

ALMON.

Princesse, quel dessein !

CAMILLE.

Quelle pitié cruelle !

Vous prolongez mes jours !

ALMON.

Ils ne sont plus à vous

845   Ils sont à ce peuple fidèle,

Venez le rendre heureux, venez régner sur nous.

CHOEURS DES PEUPLES.

Venez nous rendre heureux, venez régner sur nous.

• Almon, Rutile et tous les Volsques entourent Camille et l'emmènent.

 



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