Monologue en vers.
Prix : 50 centimes.
1886
par PAUL CROISET
PARIS E. GOBERT, ÉDITEUR, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 9.
IMP. F. JOURDAN, 36, 38, rue de la Goutte d'Or, PARIS/
Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2023
Publié par Paul FIEVRE, août 2023
© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:56:17.
PERSONNAGES.
LE NARRATEUR.
L'AIR DE LA MER
J'dis à Hortense, un' veill' de fête :
- La bourgeois', j' t'emmèn' voir la mer.
D'puis longtemps ça m' trott' dans la tête :
En train d' plaisir, c'est pas si cher !
5 | Avec l' goss' j'allons, dimanche. |
Prendr' gar' du Nord.
Un aller et r'tour sur la planche
Pour Le Tréport.
Avant l'aube, j'réveille Hortense,
10 | Je charg' de provisions l' moutard. |
Nous arrivons une heur' d'avance
À la gare d' peur d'être en r'tard...
On se bouscule, on s'précipite
Pour prendre les coins.
15 | - Arthur, Hortens', marchez plus vite ! |
Jouez des poings !
Je r'luque une plac' près d'la portière
Oùsqu'y traînait un pardessus :
Un' bonne aubain' pour not' derrière !
20 | Avec Hortense j' m'assieds d'ssus. |
Un bourgeois survient, qui m'engueule :
- Gard' ton tapis !
Que j'crie en tirant mon brûl'-gueule...
Et j'rends l'fourbis.
25 | Mais croyez-vous qu'il a l'audace |
D'vouloir me fair' descendr' sur l'quai,
M'disant qu'il a r'tenu la place :
- Plus qu'moi, bourgeois, t'as pas casqué !
C'train-là, c'est c'lui du prolétaire.
30 | De quoi qu'tu t' plains ? |
Pas d' privilège, ici ! Faut faire
Comm' les copains !
Le train siffle. Nous v'là en route !
Arthur a peur qu' ça dur' longtemps :
35 | - Patience ! on va casser un' croûte, |
Pour fair' passer plus vit' le temps.
J' dégote l'panier à Hortense,
J' tir' l' saucisson :
- Tiens ! Arthur, voilà ta pitance !
40 | Pass' la boisson ! |
- Douc'ment, gamin, mang' pas tant, peste !
T'as donc l'estomac comme un four ?
Laisse du veau : faut qu'il en reste
Pour ce soir, dans l'train de retour.
45 | Pour boulotter, pas d' danger qu' j'aille |
M' fair' monter l'coup,
Comm' dans les gargot' de Versailles
Et de Saint-Cloud !
Le train filait pas pour de rire !
50 | C't'égal ! Quatre heur' dans l' chemin d' fer, |
C'est long, quand on a rien à s'dire...
La mer ! Quand verra-t-on la mer ?...
J'entends soudain crier derrière :
Des mâts, un port !
55 | Tout l' mond' met l'nez à la portière. |
C'est Le Tréport !
Là-bas, la mer, la mer paisible !
J'peux pas cont'nir mon émotion.
- Que d'eau ! Que d'eau ! C'est-y possible !
60 | Que j'm' écri' comm' Napoléon. |
L'épat'ment d'Hortense est sans bornes.
Arthur rest'là...
L'vent souffle à fair' sauter les cornes
À qui qu'en a !
65 | Y a qu'une chos', moi qui m'agace, |
C'est d'voir des Saint' Vierg's aux carr'fours.
Des bons Dieux tout neufs sur chaqu' place :
L' clêricaliss' vit donc toujours?
J'croyais que d'puis la République
70 | 11 était mort : |
Ferry, pour un grand politique,
Tu n'es pas fort :
J'entr'aperçois sur la colline
Quelque chos' comme un mat d' vaisseau.
75 | J'interroge une gosseline : [ 1 Gosseline : Jeune enfant, petit gar?on ou petite fille. [CNRTL]] |
- Est-ce qu'ell' mont' si haut qu'ça, l'eau ?
- Non, m'sicu, qu'ell' dit, c'est l' sémaphore?..
Je suis outré !
C'est ma faut', c'est ma très grand' faute !.... [ 2 C'est ma faute : parole du la pri?re catholique Confiteor ]
80 | Ça sent l'curé !... |
Tant pis s'y a du sex' sur la plage !
Puisque j'ai pris mon cal'çon d' bain
Faut qu' j'aille à la mer et que j'nage !
- Viens ! Déshabillons-nous, bambin !
85 | - Papa, qu'il dit, je m' baign' nature. |
J'ai pas d' cal'con.
- Vlà mon mouchoir. Cach' ta figure,
Mon p'tit garçon !
La vague arrive. J' m'y renverse
90 | Et je pataug' comme un canard, |
Ou bien si doucement l'eau m',berce.
Que je m' croirais dans mon plumard. [ 3 Plumard : Pop. Lit. Synon. pop. et arg. pageot, pieu, plume, pucier. [CNRTL]]
Arthur non plus n'se sent pas d'aise ;
- Regard' mon fils :
95 | Les homm's là-haut, sur la falaise, |
Comme ils sont p'tits !
Ça m'enthousiasm' moi, les voyages !
Et c'est déjà l'heure d' r'venir !
Hortens' ramass' des coquillages
100 | Pour rapporter comm' souvenir... |
Tous les trois, nous gagnons la gare :
Pour s'mettre en train,
J' paie un verre, j'fume un cigare.
En rout' le train !
105 | Au retour cett' nuit-là, Hortense |
M'a prouvé qu'ell' m'aimait vraiment :
Ell' m'a donné sa confiance
Comme si qu' j[']étais son amant...
Vive la mer qui rend la femme
110 | À nos amours, |
Qui rallume dans l'homm' la flamme
Des premiers jours !
Hélas ! À présent, la bourgeoise
N'est plus la mêm' du tout, du tout.
115 | Pour un rien, ell' me cherche noise : |
Mieux vaudrait vivre à Tombouctou !
C'est qu' not' voyage... ell' me l' reproche :
Ça coût' trop cher !...
Dans six mois, j' s'rai pèr' d'un s'cond mioche
120 | L'air de la mer... |
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Notes
[1] Gosseline : Jeune enfant, petit garçon ou petite fille. [CNRTL]
[2] C'est ma faute : parole du la prière catholique Confiteor
[3] Plumard : Pop. Lit. Synon. pop. et arg. pageot, pieu, plume, pucier. [CNRTL]