VAUDEVILLE EN UN ACTE ET EN DEUX TABLEAUX
Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 août 1829.
PRIX : 1 FR. 50 C.
1860.
PAR MM. CHARLES, ADOLPHE ET MASSON
PARIS, AU MAGASIN DE PIÈCES DE THÉATRE, CHEZ J.-N. BARBA, LIBRAIRE-ÉDITEUR, PALAIS-ROYAL, GALERIE DE CHARTRES, DERRIÈRE LE THEATRE-FRANÇAIS.
IMPRIMERIE DE DAVID, Boulevard Poissonnière, n. 6.
Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 août 1829.
Texte établi par Paul FIEVRE, novembre 2023
Publié par Paul FIEVRE, mai 2024
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:08.
AVIS
À MM. LES DIRECTEURS DES DÉPARTEMENS.
La première décoration ne doit tenir au plus que trois plans ; elle s'enlève à vue et la seconde peut être simplifiée ; elle représentera un jardin ; le garçon du tir donnera les pistolets par la coulisse à gauche de l'acteur, qui tirera de gauche à droite, en visant sur la plaque qui sera censée dans la coulisse à droite.
PERSONNAGES. ACTEURS.
DUCHÂTEL, employé dans un ministère. M. ARNAL.
JULIETTE, sa femme. Mlle BROHAN.
BLONDIN, ami et collègue de Duchâtel. M. BERNARD-LÉON.
MONSIEUR DUVIVIER, oncle de Madame Duchâtel. M. LEPEINTRE jeune.
MADEMOISELLE BERNARD, marchande lingère, cousine de Blondin. Mlle ÉLISA.
VIRGINIE, sa demoiselle de boutique. Mlle MARCHETTI.
SAINT-ÉLOY, jeune élégant. M. EMMANUEL.
MARTIN, garçon du tir. M. ARMAND.
JOSEPH, garçon de restaurant. M. ÉMILIEN.
AMATEURS.
GARÇONS DE RESTAURANT.
La scène est à Paris aux Champs-Élysées.
PREMIER TABLEAU.
Le théâtre représente une salle de restaurant ; au foud, porte principale ; à droite et à gauche, plusieurs portes de cabinets portant des numéros. Sur un côté de la scène, une table avec une serviette dessus, des chaises, etc.
SCÈNE PREMIÈRE.
Joseph, puis quatre Garçons.
Au lever du rideau, la scène est vide ; on entend deux coups de pistolet tirés à l'extérieur.
JOSEPH, entrant le premier.
Allons, vous autres, à l'ouvrage ! Voilà le tir qui commence.... Ça va nous amener du monde.
CHOEUR.
AIR de la Lune de Miel.
Accourons tous, mes amis, dépêchons ;
Voici pour nous le moment d'en découdre.
Ceux qui, là bas, font éclater la poudre,
Viendront ici fair' sauter les bouchons.
JOSEPH.
5 | L'goût du plaisir, chez nous fait refluer |
Ces tireurs que la gloire enivre ;
En apprenant à se faire tuer,
On n' renonce pas à bien vivre.
Parlé.
Aussi le voisin va-t-il bientôt nous envoyer des pratiques... Visitez les cabinets, époussetez partout et frappez le Champagne pour rafraîchir les braves.
CHOEUR DES GARÇONS, sortant à droite.
Courons partout, mes amis, dépêchons.
10 | Voici pour nous le moment d'en découdre. |
Ceux qui, là bas, font éclater la poudre,
Viendront ici fair' sauter les bouchons.
SCÈNE II.
Joseph, puis Martin.
JOSEPH.
Ah ! Enfin, les voilà à la besogne... En faut-il de la tête quand on est premier garçon de restaurant... quatre hommes sous mes ordres, juste autant qu'un caporal.
MARTIN, entrant.
Hé ! Joseph!
JOSEPH.
Voilà !... Tiens, c'est Martin.
MARTIN.
Vite un couvert pour quatre, de la part de Monsieur Blondin, qui est au tir.
JOSEPH.
Ah ! Ah ! C'est encore sans doute une partie fine.... Ce farceur de Monsieur Blondin, il aime joliment le beau sexe.
MARTIN.
C'est possible ; quoiqu'ça je doute qu'il vise les coeurs aussi bien que la plaque... C'est un fameux malin à ce jeu là... numéro un.
AIR Restez, restez, troupe jolie.
D' son coup d 'oeil j'connais la justesse,
C'est notre plus fort amateur ;
15 | Mais il peut, malgré son adresse, |
Ne pas savoir toucher un coeur.
Y n' sait p't-êtr' pas toucher un coeur.
Ce but- là, dit-on, embarrasse
Plus que le nôtre... et je l' croirais ;
20 | La plaque, au moins, ça reste en place; |
L' coeur d'un' femm' n'y reste jamais.
JOSEPH.
C'est drôle, un employé qui tire si bien au pistolet !... Il n'a pourtant personne à tuer... que le temps... Ah ! Ça y a-t-il bien du monde chez vous ?
MARTIN.
Pardine ! Un jour comme celui-ci, que les boutiques sont fermées, les jeunes gens n'ont rien de mieux à faire qu'à être braves.
AIR de Turenne.
J'trouv'rais qu' c'est un coup d 'oeil superbe,
Si ça m' donnait moins d'embarras,
De voir tous ces héros en herbe,
25 | Le nez au vent, le pistolet au bras, |
Avec fierté, m'surer les vingt-cinq pas.
Ayant aujourd'hui carte blanche,
Ils s'empressent d' montrer du coeur,
Et ne quitteront leur valeur
30 | Qu'avec leurs habits du dimanche. |
Ah ! Ça, v'là ma commission faite ; je retourne à mon poste maintenant.
Il va pour sortir.
JOSEPH, l'arrêtant.
Dis donc, Martin, est-ce que tu ne voudrais pas auparavant achever une bouteille ensemble ?
MARTIN.
Ma foi, ce n'est pas de refus ; j'ai le gosier plein de poudre comme un canon de pistolet.
JOSEPH, à la cantonnade.
Eh ! François ! Étienne !
Deux garçons entrent.
Débarrassez bien vite le nº 14... Ah ! Diable, il est occupé par ce vieux monsieur, notre habitué.... C'est égal, mettez le couvert ici pour quatre, ils seront aussi bien.
À Martin.
AIR de la Mazourka.
Allons,
Partons,
Dépêchons,
Courons vite,
35 | À trinquer je t'invite. |
Vous, d' votr' côté, messieurs, travaillez bien...
Faisant le geste de boire.
J' vas travailler du mien.
ENSEMBLE.
MARTIN et JOSEPH.
Allons,
Partons,
40 | Dépêchons, |
Courons vite,
À trinquer je t'invite.
Vous, d' votr' côté, messieurs, travaillez bien...
LES GARÇONS.
Allons,
45 | Partons, |
Dépêchons,
Courons vite,
Où l' devoir nous invite.
De notr' côté, quand nous travaillons bien,
50 | Lui travaille du sien. |
Martin et Joseph sortent à droite, les garçons les suivent.
SCÈNE III.
Juliette, Duchâtel, arrivant par le fond ; il porte une boite à pistolets.
JULIETTE.
Voyons, Monsieur Duchâtel, arrivez donc... N'avez-vous pas peur qu'on vous voie entrer ici ?... Est-ce qu'une partie fine avec votre femme vous effraie ?
DUCHÂTEL.
Ne te fâche pas, Juliette, j'aime beaucoup les parties fines, avec toi surtout.
JULIETTE.
Et avec les autres, vous êtes gauche, timide, embarrassé.
DUCHÂTEL, très froidement.
Oh ! Je commence à me dégourdir joliment, depuis un mois qu'il t'a pris fantaisie de me former.
JULIETTE.
Il le fallait bien, toutes mes amies se moquaient de vous, et c'était humiliant... pour moi ; je veux, au contraire, les rendre jalouses... Si personne n'envie mon bonheur, il n'y a plus de plaisir... Allons, posez là vos pistolets et écoutez-moi.
DUCHÂTEL, posant ses pistolets sur une chaise.
Tu sais bien que j'écoute toujours.
JULIETTE.
C'est ce qui fait dire à tout le monde que vous n'avez pas l'esprit d'entretenir une conversation, à votre bureau surtout.
DUCHÂTEL.
À mon bureau ?... Je les enfonce tous... À l'ouvrage.
JULIETTE.
Oui, je sais, vous êtes assidu, laborieux ; on vous trouve déplacé partout, excepté au travail... Enfin, cela changera peut-être, votre éducation est en bonnes mains ; d'abord, nous allons déjeuner ici en tête à tête.
DUCHÂTEL.
C'est bien agréable !
À part.
Quand on n'a pas d'autres projets.
JULIETTE.
Après le déjeuner, nous irons au tir, je vous donnerai une leçon...
DUCHÂTEL.
Ah ! Oui, tu es forte au pistolet, toi.
JULIETTE.
Certainement.
AIR du Baiser au Porteur.
Je suis l'élève de mon père,
Qui m'instruisait à sa façon ;
Aussi, dans mon humeur guerrière,
Je ne crains rien... De sa leçon
55 | J'ai profité vraiment comme un garçon. |
De jeux hardis, dès l'enfance occupée,
Des armes étaient mes hochets,
Si je touchais une poupée,
C'était à coups de pistolets.
Aussi, ne sois jamais infidèle... Je serais capable de me battre avec toi.
DUCHÂTEL.
Vous battre avec le père de vos enfants.... futurs !.... Ma femme, vous êtes trop crâne.
JULIETTE.
Et vous, vous ne l'êtes pas assez.
DUCHÂTEL.
Bah ! La bravoure dans nos bureaux, c'est un objet de luxe, du moins, à ce que prétend votre oncle Duvivier, l'inspecteur des travaux à la barrière de l Étoile.
JULIETTE.
Oh ! Lui, ça ne m'étonne pas, on ne l'a jamais appelé que Monsieur Duvivier le pacifique ; mais je ne veux pas que mon mari lui ressemble. Ne peut-on pas vous insulter ?... Hier, par exemple, ne m'avez-vous pas dit que vous aviez eu une querelle ?....
DUCHÂTEL.
Où je me suis joliment montré, je m'en vante ; j'ai dit à mon adversaire : Monsieur, nous nous reverrons.... et je te réponds que si je le revois jamais....
JULIETTE.
Eh ! Que feriez-vous ? Maladroit comme vous êtes ?... Il faut que vous soyez en état de vous défendre, de me protéger même.
DUCHÂTEL.
Et c'est pour cela que tu veux me mener au tir ?.. Ah ! Je conçois...
AIR : Connaissez mieux le grand Eugène.
60 | Dans cet endroit, chacun assure |
Qu'à bon marché la bravoure se vend,
Et qu'on apprend à faire une blessure,
Même à tuer pour son argent.
Aussi le sang y bouillonne aisément.
65 | Là, pour un rien, on se fâche, on s'emporte ; |
Et quelquefois le moins vaillant,
Laisse, en entrant, sa frayeur à la porte...
Quitte à la reprendre en sortant.
Dieu ! Que je serai heureux quand je serai aussi fort au pistolet que mon ami Blondin.
JULIETTE.
Monsieur Blondin !... Ce mauvais sujet qui travaille avec vous et dont vous me parlez si souvent !... J'espère que vous ne le fréquentez qu'au ministère, car on m'en a dit sur son compte.
DUCHÂTEL.
Oh ! Ce n'est qu'une amitié de bureau ; nous nous estimons de neuf à quatre heures inclusivement.
À part.
Si elle savait...
JULIETTE.
À la bonne heure... Ah ! Ça, occupe-toi du déjeuner ; pendant ce temps là, je vais choisir un cabinet qui donne sur les Champs-Élysées.
AIR : Valse de Robin des Bois.
Vite en personne,
70 | Dispose, ordonne, |
Point d'embarras ni de frayeur,
De l'assurance
Et de l'aisance,
Il faut ici me faire honneur.
DUCHÂTEL.
75 | Je serai bien gauche, peut-être. |
JULIETTE.
Sachez donc vous faire servir ;
Prenez enfin le ton d'un maître.
DUCHÂTEL.
Ma femme, je vais t'obéir.
ENSEMBLE.
Puisqu'en personne,
80 | Ici j'ordonne, |
Point d'embarras ni de frayeur.
De l'assurance
Et de l'aisance,
Il faut que je lui fasse honneur.
JULIETTE.
85 | Vite en personne, |
Ici j'ordonne,
Point d'embarras ni de frayeur.
De l'assurance
Et de l'aisance,
90 | Il faut que je lui fasse honneur. |
Juliette sort par la droite.
SCÈNE IV.
DUCHÂTEL, seul.
Comme c'est amusant un déjeuner d'éducation !... Quand je devais en faire un si joli avec Blondin et ces demoiselles... mais je ne peux pas avouer cela à Juliette ; elle se fâcherait, et cependant comme ce serait injuste...
AIR de la Robe et les Bottes.
Elle a résolu de m'instruire,
De me rendre aimable et galant ;
Et les douceurs qu'aux femmes je dois dire,
C'est elle qui me les apprend.
95 | Mais à quoi bon travailler avec zèle ? |
Ai-je besoin d'en savoir aussi long,
Si je ne puis, avec une autre belle,
Pour m'essayer, répéter ma leçon ?
SCÈNE V.
Duchâtel, Blondin.
BLONDIN, en dehors.
Vous enverrez la société au numéro 14.
DUCHÂTEL, écoutant.
Tiens, c'est Blondin.
BLONDIN, entrant, une poupée à la main.
AIR : Alerte !
Victoire !
bis.
100 | Honneur et gloire, |
À mon talent !
Victoire !
bis.
Quel coup brillant !
Parlé.
Ah ! Ah ! Te voilà déjà au poste, toi !
Lui montrant sa poupée.
Tiens, vois-tu ?
Je t'apporte une demoiselle,
105 | Que mon coup d 'oeil, toujours fidèle, |
Renversa de son piédestal...
Oui, partout mon art, sans égal,
Au beau sexe est fatal !...
Pan ! C'est mon seul coup de pistolet... Ils disaient là-bas que c'était un coup de vent qui l'avait jetée par terre, et qu'elle s'était cassé la jambe... Jalousie !... Pure jalousie !
Victoire !
bis.
110 | Honneur et gloire, |
À mon talent !
Victoire !
bis.
Quel coup brillant !
DUCHÂTEL.
Chut ! chut ! chut !
BLONDIN.
Eh bien ! Qu'est-ce qu'il a donc celui-là avec ses chut ?..... Ah ! Ça, il paraît que tu as reçu mon petit mot, puisque te voilà.
DUCHÂTEL.
Je n'ai rien reçu du tout ; mais tais- toi, je suis en tête à tête....
BLONDIN.
Déjà !... Voyez-vous ce petit farceur, avec son air timide !
DUCHÂTEL.
En tête à tête... avec ma femme.
BLONDIN.
Ta femme !... Quelle bêtise !... Et ces demoiselles qui comptent sur toi, qui vont arriver tout à l heure.
DUCHÂTEL.
Comment ici ?... Il me semble que ça devait être à Belleville
BLONDIN.
J'ai changé d'avis, et c'est pour cela que je t'avais écrit ce matin ; je suis bien aise de montrer à ma cousine, Mademoiselle Bernard, comme je casse les poupées à vingt-cinq pas : j'y mets de l'amour-propre.
DUCHÂTEL.
Et sa demoiselle de boutique ?
BLONDIN.
La petite Virginie ? Elle est aussi des nôtres.
DUCHÂTEL.
Ah ! Mon Dieu ! Quel malheur !... J'aurais pu faire aujourd'hui tant de progrès !...
BLONDIN.
Eh bien ! Est-ce que tu ne peux pas te débarrasser de ta femme ?
DUCHÂTEL.
Dame, à moins que je ne lui demande la permission...
BLONDIN.
Par exemple !... Ne va pas t'aviser.... Cherche un prétexte, un moyen adroit..... Un homme d'esprit en trouve toujours.
DUCHÂTEL.
Oui, un homme d'esprit...
BLONDIN.
Je t'ai annoncé, et ces dames t'en voudraient beaucoup ; d'ailleurs il y a longtemps que nous devons aller au tir, et je veux aujourd'hui te donner une leçon.
AIR : Vaudeville de la Somnambule.
115 | Je te montrerai la manière |
De casser un bras lestement.
DUCHÂTEL.
Ma femme, pour la même affaire,
M'amenait ici justement ;
Car de tout elle veut m'instruire.
BLONDIN.
120 | C'est peut -être aujourd'hui son goût ; |
Plus tard, madame, on peut te le prédire,
Se gardera de t'instruire de tout.
DUCHÂTEL.
Cette leçon là ne pouvait pas me manquer : tiens, vois-tu mes pistolets ?... Ils sont tout neufs d'hier.
BLONDIN.
Il ouvre la bolte.
Des pistolets neufs !.... Je veux les étrenner et voir s'ilS sont justes...... mais il faut que j'aille presser le service ; je suis aujourd'hui le grand-maître des cérémonies.
En ce moment Juliette paraît et s'arrête sur le seuil de la porte.
Ainsi voilà qui est bien entendu, il s'agit de deux choses essentielles éloigner Madame Duchâtel et être ici à onze heures précises avec les pistolets.
À lui-même en s'en allant.
Pan ! pan !... Je vais lui donner une fameuse leçon.
Il sort à gauche.
SCÈNE VI.
Duchâtel, Juliette.
JULIETTE, à part.
Ah ! Mon Dieu ! Qu'est- ce que j'entends ?... Serait-ce....
DUCHÂTEL, se retournant.
Hein !... Ah ! C'est toi, Juliette... Tu m'as fait peur.
JULIETTE.
Qu'as-tu donc ? Tu ne parais pas tranquille ?...
DUCHÂTEL.
Oui, en effet... Je ne parais pas... Mais c'est égal, il ne faut pas croire...
JULIETTE, à part.
Plus de doute... Ce monsieur, sa querelle d'hier... Mes reproches contre son peu de courage... C'est un duel !...
DUCHÂTEL, à part.
Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quel moyen imaginer ?...
Haut.
Tiens, Juliette, je suis contrarié !... Si tu savais...
JULIETTE, avec intention.
Je devine.
DUCHÂTEL.
Du tout... du tout... Ce n'est pas ça... C'est une affaire...
JULIETTE.
Une affaire !...
DUCHÂTEL.
Oui... Oui... Très pressée, et qu'il faut que j'expédie à mon bureau, avant midi...
JULIETTE.
Ah !... C'est singulier... Tu ne m'en avais pas parlé.
DUCHÂTEL.
Je l'avais oublié ; heureusement que je viens de m'en souvenir encore à temps.
AIR : Un homme pour faire un tableau.
Il faut, sans tarder d'un instant,
Que je me rende au ministère...
JULIETTE.
125 | Mais pourrais-tu me dire avant, |
Q[u]elle est cette importante affaire ?
DUCHÂTEL, parlant.
Ce que c'est ?
À part.
Ah ! Mon Dieu ! C'est égal... La première chose venue.
Suite de l'air.
Ça concerne le dey d 'Alger... [ 1 Dey : Titre du chef barbaresque qui gouvernait la régence d'Alger. [L]]
On veut régler, cette semaine,
Le compte de cet étranger...
130 | Car voilà longtemps que ça traîne. |
Ça m'ennuie assez, va, à cause de notre déjeuner ; mais le devoir avant tout.
À part.
Ce n'est pas trop bête pour un commençant.
JULIETTE, à part.
Allons, il ne veut rien m'avouer.
DUCHÂTEL.
C'est bien vrai, Juliette, ce que je te dis-là... Tu me crois, n'est- ce pas ?
JULIETTE.
Certainement.
DUCHÂTEL, à part.
Il me semble qu'elle y met de la bonne volonté, car je n'ai pas l'air de me croire moi-même.
Haut.
Ainsi je vais te reconduire chez nous ; j'ai le temps.
JULIETTE, lui prenant la main, d'un ton solennel.
Duchâtel, je suis contente de toi ; ta conduite me fait plaisir, et tu as désormais toute mon estime.
DUCHÂTEL, étonné, à part.
Son estime !... Ah ! Mon Dieu ! On dirait qu'elle soupçonne mon rendez-vous féminin.
JULIETTE, à part.
Il est plus brave que je ne croyais... Mais si quelqu'un se bat aujourd'hui, ce ne sera pas lui... Le rendez-vous est pour onze heures... C'est bien.
AIR de la Maison de Plaisance.
Hâtons-nous,
bis.
Le devoir nous appelle,
Il faut être fidèle
À votre rendez-vous...
JULIETTE, à part.
135 | Je ne puis croire que l'on blâme |
Le projet que je forme ici ;
C'est un devoir pour une femme,
De tout braver pour son mari.
DUCHÂTEL, à part.
C'est bien mal, ce que je vais faire,
140 | Et je rougis de mon amour secret... |
JULIETTE, à part.
Son ennemi peut-être le tuerait...
DUCHÂTEL, à part.
Mais j'en guérirai, je l'espère.
ENSEMBLE.
Hâtons-nous,
Le devoir vous appelle,
145 | Le plaisir nous appelle, |
Il faut être fidèle
À votre rendez-vous.
À notre rendez-vous.
Ils sortent par le fond.
SCÈNE VII.
Blondin, suivi de Joseph et de deux garçons.
BLONDIN.
Par ici, garçons, par ici, et dépêchons-nous.
Descendant la scène pendant que les garçons sortent.
C'est vraiment fort agréable une partie carrée ; par exemple, ça se renouvelle bien souvent, et c'est un peu cher pour un commis à 1800 francs. Mais c'est égal ; la cause première de mes prodigalités, mon aimable cousine, Mademoiselle Bernard est là pour réparer le déficit... Charmant fonds de lingerie à épouser, et je l'épouserai quand ça me plaira, c'est-à-dire quand je serai à sec.
AIR : Amis, voici la riante semaine.
En attendant, joyeux célibataire,
150 | Continuons à me bien amuser ! |
En courtisant celle à qui je veux plaire,
Ne pensons pas que je dois l'épouser.
Avec transport, jusqu'à mon mariage,
Du plaisir seul, je veux suivre la loi,
155 | J'aurai le temps de me mettre en ménage, |
Quand le plaisir ne voudra plus de moi.
En se retournant, il aperçoit Joseph qui apporte une pile d'assiettes et qui s'occupe à ranger.
Eh bien ! Qu'est-ce que c'est que ça ?
JOSEPH.
C'est votre couvert, monsieur.
BLONDIN.
Comment ici !... Est-ce que tu te moques de moi ?... Numéro 14 ; c'est toujours là que je déjeune... Mademoiselle Bernard n'aime que ce cabinet-là.
JOSEPH.
Ah ! Bien, oui ; mais le Numéro 14 est occupé aujourd'hui.
BLONDIN.
Occupé !... Par qui ?
JOSEPH.
Par un monsieur... Un de nos habitués.
BLONDIN.
Par exemple !... Nous allons voir ça.
JOSEPH.
Doucement... Prenez garde ; c'est un fonctionnaire.
BLONDIN.
Un fonctionnaire ! Je m'en moque pas mal...
AIR : Simple soldat.
Je veux ma place, ou cet usurpateur,
S'il me résiste, en sera la victime ;
Il faut montrer que j'ai du coeur,
160 | Pour soutenir un droit bien légitime. |
C'est par routine, apparemment,
Que de ma place il a fait la conquête ;
À table ici, monsieur se croit vraiment
À ces dîners, où si facilement
165 | On les enlève à la fourchette. |
Frappant à la porte du cabinet n°_14.
Monsieur ! Monsieur...
JOSEPH, sortant.
Ma foi, faites comme vous voudrez, je m'en lave les mains.
BLONDIN, frappant de nouveau.
Monsieur ! Monsieur ! Ouvrez donc, s'il vous plaît.
SCÈNE VIII.
Blondin, Duvivier, ouvrant.
Il a un biscuit à la main et une serviette à la boutonnière.
DUVIVIER, sur la porte.
Qu'il y a-t-il pour votre service ?
BLONDIN.
Monsieur, je suis désespéré de vous déranger, mais ce cabinet m'appartient.
DUVIVIER.
C'est possible ; mais pas pour ce moment, puisque j'y déjeune.
BLONDIN, à part.
Oh ! Oh ! Est-ce qu'il voudrait faire le récalcitrant, ce brave homme là... Ce serait du nouveau pour moi.
Haut.
Monsieur, je dois vous prévenir d'une chose ; je suis Blondin.
DUVIVIER.
Vous êtes blondin ?... Je le vois bien... Moi, monsieur, je suis Duvivier, inspecteur des travaux, à la Barrière de l Étoile. [ 3 Blondin : Fig. et familièrement, un jeune homme qui fait le beau, qui courtise le beau sexe. [L]]
BLONDIN.
Eh bien, Monsieur Duvivier... Monsieur l inspecteur, vous feriez bien mieux de retourner à votre affaire.
DUVIVIER.
Du tout... Je ne suis pas pressé. J'ai le temps... Et je vais achever mon déjeuner.
BLONDIN, à part.
Il est sans gêne.
Haut.
Mais, monsieur... Je vous répète que je suis Blondin... J'attends des dames, ce cabinet est à moi, et je veux y déjeuner.
DUVIVIER, descendant la scène.
Alors, Monsieur, je va[i]s me dépêcher ; il sera vacant dans une couple d'heures.
BLONDIN, l'arrêtant par le bras.
Un instant... J'en ai besoin tout de suite...
DUVIVIER.
Monsieur ! Est-ce que vous voudriez me faire violence ?... C'est que, tout pacifique que je suis, je ne souffrirais pas...
BLONDIN, voulant passer.
Laissez donc, mon brave homme...
DUVIVIER, mettant une chaise devant la porte et s'asseyant.
Vous n'entrerez pas, à moins que vous ne me passiez sur corps, que vous ne me fouliez aux pieds.
BLONDIN, tirant une carte de sa poche.
En ce cas, monsieur, ne faisons pas de bruit, voilà mon adresse ; demain matin, à six heures, je vous attends.
À part.
Je suis tranquille, ce n'est pas une figure à venir.
DUVIVIER, se levant.
Vous m'attendez ?... Est-ce que vous auriez un arc de triomphe à construire ?...
BLONDIN, sérieusement.
Non... non... Monsieur.
DUVIVIER.
Alors, pourquoi faire ?
BLONDIN.
Pour nous battre au pistolet ; et je vous montrerai ce que je sais faire... Je pratique depuis l'âge de quinze ans.
DUVIVIER.
Et vous en avez ?...
BLONDIN.
Trente-cinq !
DUVIVIER.
Bien... Ça fait vingt ans d'exercice. Alors, pour qu'il y ait égalité entre nous, je prendrai aujourd'hui ma première leçon, et nous nous battrons ensemble dans vingt ans d'ici.
BLONDIN.
Comment, Monsieur !
DUVIVIER, rentrant.
Soyez tranquille ; je va[i]s inscrire cette affaire-là sur mon agenda pour le 15 août 1849.
BLONDIN.
Par exemple !... Voilà un fier original... Monsieur !...
DUVIVIER, entr'ouvrant la porte et passant la tête.
À propos, toujours pour six heures du matin...
Il ferme la porte.
SCÈNE IX.
Blondin, Duchâtel.
BLONDIN.
Poltron !... Il a bien fait de rentrer.... sans cela.... mais je ne trouverai donc jamais un brave capable de me tenir tête... Je ne sais pas comment cela se fait, je manque tous mes duels, je suis pourtant bien en train aujourd'hui.
Marchant d'un air agité.
Ah !... Ah !... Ah!
DUCHÂTEL, arrivant avec précipitation.
Me voilà.
Reculant vivement.
Eh bien ! Qu'est-ce qu'il t'arrive donc ?
BLONDIN.
Rien... C'est une petite querelle que je viens d'avoir avec un particulier que j'ai fait filer comme les autres, et cependant il avait des éperons et des moustaches longues comme ça....
DUCHÂTEL.
Ah ! Des moustaches.... C'est donc un militaire ?
BLONDIN.
Bah ! Ça ne dit rien... Tout le monde en a aujourd'hui des moustaches, voilà pourquoi je n'en ai pas.
AIR des Amazones.
Combien de fats portent cette parure,
Pour ajouter à leur mince valeur ;
Même souvent, derrière une voiture,
On aperçoit un belliqueux chasseur,
170 | Dont, sur ma foi, les moustaches font peur. |
Loin d'en orner une pareille face,
J'aimerais mieux, moi, les mettre au cocher.
Elles seraient là du moins à leur place,
C'est en avant qu'elles doivent marcher.
Mais à propos, ta femme, qu'est-ce que tu en as fait ?
DUCHÂTEL.
Elle est chez elle.... Ah ! Mon ami, tu ne sais pas ce que c'est que de tromper sa femme.
BLONDIN.
Pas encore, mais cela ne tardera pas ; incessamment j'épouse ma cousine... Ah ! Ça ne pensons plus à Madame Duchâtel, et occupons-nous de faire la carte du déjeuner.
DUCHÂTEL.
Ah ! Oui, faisons la carte.... Il faut nous distinguer aujourd'hui.
BLONDIN.
As-tu de l'argent ?
DUCHÂTEL, s'asseyant.
De l'argent !... Il y en a bien dans le sac de Juliette, mais dans ma poche....
BLONDIN.
Diable !... J'ai pourtant un peu compté sur toi... Mais bah ! J'ai encore 32 francs 50 à manger sur mes appointements... du mois prochain.... Allons, écris le menu.
DUCHÂTEL.
C'est ça, tant pis, il faut s'en donner... Quel vin prenons nous ? Du Champagne ?...
BLONDIN.
Du Champagne ?... Fi donc !.... Vin usé... vin rococo... et puis c'est trop cher.
DUCHÂTEL.
Ah ! Voilà une considération.
BLONDIN.
Du Tavel, à la bonne heure ; c'est un vin chaud, stomachique, à 2 francs la bouteille... C'est encore une considération.
DUCHÂTEL, écrivant.
Allons, va pour du Tavel. [ 4 Tavel : vin rosé du Pays du Gard.]
BLONDIN, lisant la carte.
Hors d 'oeuvre : huîtres d 'Ostende.
DUCHÂTEL.
Ah ! C'est fameux les huîtres d 'Ostende.... Demandons-en.
BLONDIN.
Laisse donc !... De pauvres petites huîtres qui valent la moitié des autres en grosseur et le triple en numéraire, c'est abusif....
DUCHÂTEL.
Alors demandons des huîtres de Paris.
BLONDIN.
Tu veux dire de Dieppe ou du Havre... mais nous sommes bien bons de chercher si longtemps ; donne-moi la plume, je vais écrire au hasard.
DUCHÂTEL, se levant.
Oui, les choses que tout le monde aime.
BLONDIN, s'asseyant.
Les choses les plus naturelles.
DUCHÂTEL, pendant que Blondin écrit.
Dieu ! Comme sa plume court !
BLONDIN.
Parbleu ! C'est tout simple.
AIR du Premier Prix.
175 | Habile expéditionnaire, |
J'écris currente calamo. [ 5 Currente calamo : Expression adverbiale signifiant au courant de la plume, c'est-à-dire qu'on écrit rapidement et sans soigner son style. [L]]
Aussi maint pétitionnaire
Vient-il assiéger mon bureau.
Si j'avais, quand il m'en arrive,
180 | Au lieu de plume, un pistolet, |
Combien ma main expéditive,
Dans une heure en expédierait.
Voilà ce que c'est.
DUCHÂTEL.
Voyons.
Lisant par-dessus l'épaule de Blondin.
Eh bien ? Moi, il m'aurait fallu deux jours pour trouver tout cela.
BLONDIN, se levant.
Oh ! C'est que tu n'as pas encore l'habitude comme moi.
DUCHÂTEL.
Dame ! Quand je suis avec Juliette, c'est toujours elle qui commande.
BLONDIN.
Pauvre garçon ! Il paraît décidément que c'est ta femme qui porte les...
DUCHÂTEL.
Tu crois plaisanter.... Oui, elle les porte, et joliment encore ! Si tu la voyais sous son habit d'homme...
BLONDIN.
Bah ! Elle se met en homme ?... C'est donc une amazone ?
DUCHÂTEL.
Tout à fait.
AIR : Ah ! demandez à mon mari.
Elle a, comme un preux d'autrefois,
Et bravoure et galanterie ;
185 | Au temps de la chevalerie, |
Elle eut brillé dans un tournoi.
bis.
Loin de voir en elle une dame,
Sous son costume favori,
Je la craindrais près de ma femme...
190 | Si je n'étais pas son mari. |
bis.
BLONDIN.
Diable ! C'est un excellent professeur pour toi, cette petite femme là.
Regardant à sa montre.
Mais il est bientôt onze heures, va au-devant de nos aimables convives, dans l'allée des Veuves... C'est par là que viennent toujours ces demoiselles. [ 6 Allée des Veuves : ancien nom de l'Avenue Montaigne à Paris.]
DUCHÂTEL.
Donne-moi la carte, je vais la descendre en même temps.
Il va pour sortir à gauche.
Ah ! Dis donc, ma boîte à pistolets ?... Bon ! La voilà... C'est que ma femme me gronderait...
BLONDIN.
Sois tranquille, je veille dessus.
Lui montrant la gauche.
Par ici ! Par ici !... Tu descends six marches, le comptoir est à droite.
SCÈNE X.
Blondin, puis Juliette, en
BLONDIN.
Voyons donc un peu ces fameux pistolets.
Ouvrant la boîte.
C'est sans doute encore sa femme qui les a achetés... Je suis curieux de voir si elle s'y connaît.
Prenant un des pistolets.
Ma foi oui, voilà une arme excellente.... avec cela, il est impossible de manquer son homme.
JULIETTE, entrant et à part.
Ah ! Ah !... J'arrive à temps.
BLONDIN, apercevant Juliette.
Tiens, qu'est-ce que demande ce petit jeune homme ?
JULIETTE.
Pardon, Monsieur, n'est-ce pas vous qui attendez Monsieur Duchâtel ?
BLONDIN.
Oui, Monsieur ; pourrai-je savoir à qui j'ai l'honneur de parler ?
JULIETTE.
Au cousin de Monsieur Duchâtel, à son meilleur ami... Je suis instruit de tout.
BLONDIN.
Ah ! Il vous a mis au courant ?... Il fallait donc dire ça tout de suite... Alors je vois ce que c'est... Vous voulez être de la partie ?
JULIETTE.
Vous l'avez dit, je veux en être, et c'est ensemble que nous commencerons.... Vous avez des armes ? Oui, oui... En voilà de fameuses...
À part.
Il a l'air assez décidé, ce petit monsieur.
Haut.
Ah ! Ça jeune homme, vous voulez donc jouter avec moi au pistolet ?
JULIETTE.
Pourquoi pas ?
BLONDIN.
C'est que je suis de première force, j'ai déjà cassé une jambe ce matin...
Montrant la poupée
à cette petite dame que voilà.
JULIETTE.
C'est-à-dire que vous êtes allé d'avance au tir.
BLONDIN.
Pour m'essayer et voir si ma main ne tremblait pas.
JULIETTE.
Monsieur, votre conduite est peu loyale.
BLONDIN.
Tiens, qu'est-ce qui vous prend donc ?
JULIETTE.
Lorsqu'on a un duel...
BLONDIN, reculant vivement
Hein !... comment ?... Un duel, moi !
JULIETTE.
Je suis bien sûr que votre adversaire, Monsieur Duchâtel...
BLONDIN.
Duchâtel, mon adversaire ! Par exemple ! Vous voulez rire... C'est mon ami intime, nous allons déjeuner ensemble.
JULIETTE.
L'affaire est donc arrangée ?
BLONDIN.
Arrangée ?... Depuis dimanche dernier.
JULIETTE.
Je croyais que la dispute était d'hier.
BLONDIN.
Quelle dispute ?
JULIETTE.
Ne deviez-vous pas vous battre avec mon cousin ?
BLONDIN.
Nous battre.... à la fourchette !
AIR : Au temps heureux de la chevalerie.
Ce cher ami, quelle idée effroyable...
Lorsqu'en ces lieux nous nous réunissons,
Pour champ d'honneur, nous avons une table ;
Pour sang versé, la liqueur des flacons.
195 | Nul de nous ne se trouve à plaindre ; |
Car de nos provocations,
S'il est des suites qu'il faut craindre,
Ce sont, mon cher, les indigestions.
JULIETTE.
Comment ! C'est un déjeuner d'amis ? Eh bien ! Tant mieux, je suis bien aise d'apprendre que mon mar... mon cousin commence à voir le monde, à se former... Il n'est plus si sauvage qu'autrefois.
BLONDIN.
Oh ! Il s'en faut de beaucoup.... C'est déjà presque un vaurien.
JULIETTE.
Comment, un vaurien ?
BLONDIN.
Oui, oui, grâce à sa femme et à moi.... Il a dû vous parler de Blondin, son cher collègue.
JULIETTE.
Ah ! C'est vous.
BLONDIN. ·
Moi-même, un bon vivant, un luron de première classe.... Vous m'avez l'air aussi d'un petit farceur, vous... Voulez-vous être des nôtres aujourd'hui, nous ferons des bamboches.
À part.
Je ne serais pas fâché de l'essayer au tir, ce petit bonhomme là ; malgré son assurance, il ne me fait pas l'effet d'être malin.
Haut.
Par exemple, je dois vous prévenir d'une chose, nous n'avons que deux dames.
JULIETTE, vivement.
Des dames !
BLONDIN.
Oui, chacun sa chacune.... C'est égal vous ferez la cour à la belle de Duchâtel, vous tâcherez de la lui souffler, ça nous amusera, et puis ça achèvera de le former ; mais n'en dites rien à sa femme au moins.
AIR : Mon galoubet.
Soyez discret,
bis.
200 | Avec elle, quoi qu'il arrive, |
Gardez le plus profond secret ;
Et si la lingère naïve,
Charme ici votre âme un peu vive,
Soyez discret.
4 fois.
JULIETTE, à part.
Je n'en reviens pas.... tourmentez-vous donc pour instruire un mari... Je m'aperçois que le mien a plus de facilité que je ne croyais.
BLONDIN, qui s'est approché de la porte du fond.
Tenez, tenez, le voilà ah ! Le gaillard, comme il tient sa Virginie sous le bras, il ne semble pas disposé à la céder.
JULIETTE, à part, en gagnant la droite.
Ah ! C'est comme cela qu'il s'occupe du dey d 'Alger !.. C'est bon, nous allons voir... C'est surtout ce Monsieur Blondin qui me le paiera, car Duchâtel n'aurait jamais eu cette idée là tout seul.
SCÈNE XI.
Juliette, Virginie, Duchâtel, donnant le bras aux dames, Mademoiselle Bernard, BLONDIN, puis deux Garçons.
CHOEUR.
AIR : Contredanse de la Muette.
205 | Enfin pourtant nous voilà tous |
Au lieu du rendez-vous
Qui nous rassemble
Ensemble.
Beau jour, puisses-tu revenir
210 | Souvent nous réunir |
À la voix du plaisir !
BLONDIN.
Bonjour, belles dames, bonjour... À propos, Duchâtel, voilà ton petit cousin qui vient aussi déjeuner avec nous... Un garçon fort aimable, ma foi.
DUCHÂTEL, étonné.
Comment ! Mon cousin !...
Reconnaissant sa femme.
Ah !... C'est toi...
JULIETTE, s'approchant.
Oui, cousin, c'est moi... Tu n'es pas fâché que je me sois fait inviter...
BLONDIN.
Fâché, au contraire.
AIR : De l'Artiste.
Ton cousin nous seconde
En venant s'inviter.
On voit, avec le monde,
215 | L'appétit s'augmenter. |
DUCHÂTEL, à part.
Auprès de maint convive
J'ai pu croire cela.
Mais quand ma femme arrive
Mon appétit s'en va.
Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que je va[i]s devenir à présent ?... Comment a-t-elle pu savoir ?...
BLONDIN.
Joseph un couvert de plus.
À Duchâtel, en s'approchant de lui.
Figure-toi que monsieur s'imaginait, je ne sais pourquoi, que nous voulions nous battre...
VIRGINIE.
Par exemple ! J'espère bien que Monsieur Duchâtel ne se battra jamais, sans cela je me fâcherais avec lui.
DUCHÂTEL, à part.
Elle avait bien besoin de parler, celle-là.
MADEMOISELLE BERNARD.
Eh bien ! Se met-on à table ?
Deux garçons entrent par le fond avec une table toute servie.
JOSEPH.
Oui, Madame, à l'instant.
DUCHÂTEL, bas à Juliette.
Ma chère amie, tu crois peut-être...
JULIETTE, méme jeu.
Taisez-vous, Monsieur, et gardez-vous bien de me faire connaître, sinon !...
DUCHÂTEL.
Ça suffit.
BLONDIN.
Allons, Duchâtel, à table ; Mademoiselle Virginie attend son cavalier.
JULIETTE, offrant la main à Virginie.
Mademoiselle en aura deux aujourd'hui.
DUCHÂTEL, à part, s'asseyant.
C'est fini... C'est fini, je vas m'évanouir...
REPRISE DU CHOEUR.
220 | Enfin pourtant nous voilà tous |
Au lieu du rendez -vous,
Etc., etc.
Tout le monde se place, les garçons sortent.
SCÈNE XII.
Duchâtel, Virginie,
Juliette, Mademoiselle Bernard, Blondin.
BLONDIN, repassant deux couteaux.
Allons, allons, en fonctions !... C'est moi qui découpe... Voyez, belles dames, j'ai la main aussi sûre à table qu'au tir... C'est comme cela qu'on fait son chemin dans les bureaux.
À Mademoiselle Bernard, en lui offrant quelque chose.
Cousine, pourrais-je avoir l'honneur de vous offrir ?...
Se retournant vers Duchâtel.
Eh bien ! Eh bien ! Duchâtel, qu'est-ce que tu as donc à regarder sous la table ?... Tu oublies ta voisine...
DUCHÂTEL.
Ah !... C'est juste.
Il prend une carafe d'eau et va pour en offrir à Virginie.
VIRGINIE, à Juliette, qui lui passe une assiette.
Merci, Monsieur.
BLONDIN, à Duchâtel.
Dis donc, prends garde ; je crois que le petit cousin veut t'enlever le coeur de la charmante Virginie.
VIRGINIE.
Ne dites-donc pas de ces bêtises-là, Monsieur Blondin, ça me rend honteuse.
MADEMOISELLE BERNARD.
C'est vrai, mon cousin, vous n'avez pas de retenue... Voyez Monsieur Duchâtel, comme il est respectueux avec celle qu'il doit épouser...
JULIETTE.
Épouser !
DUCHÂTEL, à part.
Allons, il ne manquait plus que ça ; maudite langue, va !
JULIETTE, à son mari.
Ah ! Cousin, je t'en veux ; tu ne m'avais pas encore parlé de cette noce-là.
DUCHÂTEL, troublé.
Oh ! C'est une plaisanterie !
VIRGINIE.
Comment, Monsieur, une plaisanterie ?
DUCHÂTEL.
Non... Non, je voulais dire... que c'était une plaisanterie.
MADEMOISELLE BERNARD.
Ce n'est pas bien, Monsieur Duchâtel, ce que vous dites-là... Si Monsieur Blondin ne m'avait pas assuré que vos intentions étaient honnêtes...
JULIETTE.
Honnêtes !... Mais elles ne peuvent pas l'être... Et c'est vous, Monsieur Blondin !... Vous n'avez pas craint d'abuser l'innocence !... La vertu la plus pure !.. (A Virginie. ) N'est- ce pas, Mademoiselle, que vous êtes la vertu la plus pure ?...
DUCHÂTEL, à sa femme.
Je t'en prie... Tais-toi...
JULIETTE.
Je veux parler.
DUCHÂTEL.
C'est différent.
JULIETTE.
Monsieur a besoin d'une leçon.
BLONDIN.
Monsieur !
MADEMOISELLE BERNARD.
Ah ! Mon Dieu ! Une affaire, nous voilà compromises !
VIRGINIE.
Si on se dispute, moi d'abord je m'en va[i]s.
BLONDIN, à Juliette.
Ah ça ! Au fait, Monsieur, qu'est-ce que vous voulez ?
JULIETTE.
Ce que je veux ? Vous dire que votre conduite est affreuse.
À mademoiselle Bernard.
Monsieur Blondin vous trompe ; et vous aussi, Mademoiselle, en vous flattant de l'espoir d'épouser Duchâtel : ce mariage est impossible... Mon cousin est marié !
On se lève de table, les garçons emportent la table.
MESDEMOISELLES BERNARD ET VIRGINIE.
Marié !!!
AIR du Siège de Corinthe.
Ah ! Quel outrage !
C'est une indignité !
Montrer à son âge
225 | Tant d'immoralité ! |
BLONDIN, à Juliette.
Ce n'est qu'un bavardage...
Monsieur, étiez -vous là
Témoin au mariage ?
JULIETTE.
J'étais mieux que cela !...
JULIETTE, MESDEMOISELLES BERNARD ET VIRGINIE.
ENSEMBLE.
Ah ! Quel outrage !
230 | C'est une indignité ! |
Montrer à son âge
Tant d'immoralité !
BLONDIN.
Ah ! Quel tapage !
C'est une indignité !
Désignant Juliette.
235 | Montrer à son âge |
Tant de méchanceté !
MADEMOISELLE BERNARD.
Ah ! Mon Dieu ! Quel scandale pour la lingerie.
BLONDIN.
Mademoiselle Bernard, je vous prie de croire...
JULIETTE, à Duchâtel.
Cousin, je t'invite à me démentir, si ce que je dis n'est vrai... Es-tu marié, oui ou non ?
DUCHÂTEL, dans le plus grand trouble.
Oui, oui...
JULIETTE.
N'as-tu pas une petite femme aimable, bonne, fidèle ?...
DUCHÂTEL, même jeu.
Oui, oui...
BLONDIN.
Et qui le tyrannise !
DUCHÂTEL, même jeu.
Oui, oui.
JULIETTE.
Comment, Monsieur ?...
DUCHÂTEL.
Non, non.... Je me trompe...
JULIETTE.
À la bonne heure.
À Blondin.
Sachez que Madame Duchâtel est incapable d'imposer des lois à son mari ; il a trop de caractère... N'est-il pas vrai, cousin ?
DUCHÂTEL.
Certainement, j'ai du caractère?..
JULIETTE.
Il fait tout ce qu'il veut chez lui ; il y est maître absolu.
DUCHÂTEL.
C'est vrai, je suis maître absolu !... Chez ma femme... Chez moi...
JULIETTE.
Vous voyez, je ne le lui fais pas dire...
BLONDIN.
Laissez donc ; il me dit le contraire du matin au soir.
DUCHÂTEL.
Par exemple, mon cher Blondin, tu as tort...
JULIETTE, bas à son mari.
Taisez-vous !...
DUCHÂTEL.
Je me tais...
BLONDIN.
Au reste, de quoi vous mêlez-vous, Monsieur ? Si j'ai voulu arracher mon ami au joug conjugal, ça ne vous regarde pas, et je pourrais vous demander raison...
JULIETTE.
C'est ce que je voulais ; je suis prêt à vous répondre...
DUCHÂTEL, effrayé.
Ah ! Mon Dieu ! Est-ce que tu voudrais te battre sérieusement ?
JULIETTE, bas.
Si vous dites un mot, je ne vous pardonnerai de ma vie.
BLONDIN, s'animant.
Eh bien ! Monsieur, comme il vous plaira...
MESDEMOISELLES BERNARD ET VIRGINIE.
Messieurs ! Messieurs !
BLONDIN.
Je n'écoute rien ! Voilà assez longtemps qu'il m'impatiente, et c'est au pistolet...
En ce moment on entend un coup de pistolet en dehors.
Ah !
À Juliette.
Entendez-vous, jeune homme, voilà le signal précurseur de mon triomphe...
JULIETTE.
Ou peut-être du mien ; vous pourrez trouver votre maître.
BLONDIN, avec ironie.
Je ne crois pas. Mais, comme je n'abuse jamais de ma supériorité, je veux, avant de nous battre, vous montrer ma force au pistolet...
À part.
et connaître la sienne.
Haut.
Allons au tir.
À part.
Ça pourra l'effrayer.
JULIETTE.
Au tir... C'est là seulement que vous êtes brave.
MADEMOISELLE BERNARD.
Nous saurons bien vous forcer à faire la paix.
BLONDIN, bas à mademoiselle Bernard.
Soyez tranquille, il filera... Ils filent tous avec moi.
TOUS.
Au tir... Au tir !...
BLONDIN.
AIR Répondons à ces cris de victoire. (Siège de Corinthe.)
Venez tous admirer mon adresse,
À demain, ajournons nos débats ;
Mes amis vous savez que, sans cesse,
240 | Je suis prêt à braver le trépas ; |
Mais jamais en sortant d'un repas.
CHOEUR.
Allons tous admirer son adresse,
À demain, ajournez vos débats,
Oui vraiment nous savons que, sans cesse,
245 | Il est prêt à braver le trépas ; |
Mais jamais en sortant d'un repas.
Pendant le choeur, Joseph et les garçons entrent et emportent les chaises. Tout le monde sort.
DEUXIÈME TABLEAU.
Le théâtre change ; il représente le jardin du tir. À gauche, au fond, la plaque qui sert de but ; à droite, sur le devant, le pavillon où se placent les tireurs. Un groupe d'amateurs entoure le pavillon ; Saint-Eloy et d'autres examinent la plaque et semblent vérifier un coup.
SCÈNE XIII.
Martin, Saint-Éloy, Amateurs.
SAINT-ÉLOY.
Messieurs, je vous demande bien pardon, c'est mon coup...
UN AMATEUR.
C'est le mien ; j'en appelle à la galerie.
UN AUTRE.
Messieurs, il n'est à aucun de vous deux ; il est à moi.
TOUS.
Du tout, du tout !...
CHOEUR.
AIR de Fernand Cortèz : Partons, suivons les pas.
C'est moi, c'est moi, c'est moi !
J'en reconnais la trace,
Ma parole fait loi,
250 | Le coup est bien à moi ! |
SCÈNE XIV.
Les mêmes, Duvivier.
DUVIVIER.
Eh bien ! Eh bien ! On se dispute par ici... C'est comme moi... J'ai eu une querelle... Où faut-il s'adresser pour prendre une leçon ?...
MARTIN, dans le pavillon.
Par ici, Monsieur, par ici...
TOUS.
Voyons, voyons ; ce sera drôle.
DUVIVIER.
Ne vous moquez pas, messieurs ; j'ai eu un frère qui était très brave, et j'ai une nièce qui l'est encore... Allons, dépêchez-vous de me rendre adroit... Je suis pressé... J'ai un duel... dans vingt ans...
MARTIN.
Ce ne sera pas long.
Lui présentant un pistolet.
Attention ! Vous prenez d'abord le pistolet de la main droite.
DUVIVIER.
Un instant ! Si ça vous est égal, je le prendrai de la main gauche.
MARTIN.
Mais, Monsieur, c'est l'usage.
DUVIVIER.
L'usage ne fait rien ; je suis gaucher.
MARTIN.
Ah ! Excusez...
DUVIVIER, prenant le pistolet.
Parbleu, m'y voilà ; c'est bien plus commode pour moi.
MARTIN, lui plaçant le bras.
Maintenant, vous étendez le bras horizontalement à la hauteur de l'oeil gauche, et vous fermez le droit pour ajuster.
DUVIVIER.
Ah ! Alors j'irai de confiance.
MARTIN.
Oh ! Vous pouvez être tranquille ; je démontre par principes...
DUVIVIER.
Vous ne m'entendez pas... Je dis que j'irai de confiance, attendu que pour viser il faut y voir ; et comme j'ai précisément une taie sur l'oeil gauche...
Tout le monde rit.
MARTIN.
Ma foi, Monsieur, si vous êtes manchot du bras droit et borgne de l'oeil gauche, je ne sais pas comment je ferai...
DUVIVIER.
Attendez, attendez. En tournant un peu la tête...
Il prend une posture très gênée.
C'est cela, je suis à mon aise maintenant ; par exemple, je crois que je n'irai jamais si loin : vous devriez rapprocher le but.
MARTIN.
C'est la distance ordinaire. Attention !
Lui touchant le doigt.
Vous appuyez l'index sur la détente.
DUVIVIER.
Aie ! Doucement ! Je suis blessé de ce doigt-là... Je va[i]s me servir du médium, ça reviendra toujours au même.
MARTIN, pendant que Duvivier vise la plaque.
Allons, faites comme vous voudrez, car avec vous je finirais par perdre la tête.
DUVIVIER, visant.
Suivez le coup, je lâche le chien...
Il tire et rate.
C'est dommage, il me semble que j'aurais fait un beau coup.
MARTIN, à Duvivier, qui arme de nouveau son pistolet.
Mais, Monsieur, prenez donc garde ; est-ce qu'on arme comme ça son pistolet sous le nez du monde ?
DUVIVIER.
Il n'y a pas de danger, puisqu'il rate...
SCÈNE XV.
Duchâtel, Juliette, Blondin, Mademoiselle Bernard, Virginie, Martin, Duvivier, Saint Eloy, Amateurs.
Il tire le coup ne part pas.
BLONDIN.
AIR de Léocadie.
Allons
ter.
il faut suivre ses pas,
Et ne retardons pas,
Un plaisir plein d'appas !
Oui je vais à l'instant,
255 | Prouver par mon talent, |
Que de cet art chéri,
Je suis le favori.
TOUS.
Allons
ter.
il faut suivre ses pas,
Et ne retardons pas,
260 | Un plaisir plein d'appas ! |
Il espère à l'instant,
Prouver par son talent,
Que de cet art chéri,
Il est le favori.
BLONDIN.
Martin ! Des pistolets !...
SAINT-ÉLOY.
Ah ! C'est Blondin !... J'en suis... Nous allons nous distinguer...
MARTIN, présentant un pistolet.
Voyons, Messieurs, qu'est- ce qui commence ?
SAINT-ÉLOY, à Blondin.
Allons, mon cher, à vous l'honneur.
BLONDIN.
Du tout, je suis ici chez moi ; et puis d'ailleurs il faut garder les beaux coups pour les derniers.
Offrant le pistolet à Juliette.
À vous, jeune homme ! Martin, va placer une poupée.
JULIETTE, prenant le pistolet et allant au pavillon.
Une poupée ! Fi donc ! C'est trop facile !... La mouche, à la bonne heure !
BLONDIN, à part.
Petit fat ! A-t-il de l'amour-propre ?...
À mi-voix.
Venez voir, je suis sûr que c'est une mazette. Nous allons rire.
DUCHÂTEL, courant à sa femme.
Dis donc, prends bien garde de te blesser.
MARTIN, aux spectateurs.
En arrière, messieurs, en arrière !
BLONDIN, pendant que Juliette ajuste la plaque.
Oh ! Voyez-donc, se place-t- il mal.... Je suis sûr que sa balle va passer à deux pieds de la plaque... Mazette !... Archimazette ! [ 7 Mazette : Personne inhabile à quelque jeu qui demande de la combinaison ou de l'adresse. [L]]
TOUS.
Pavillon ! Pavillon !
Juliette tire et fait pavillon.
CHOEUR.
AIR C'est notre ami Blondel.
265 | Bravo ! Bravo ! Bravo ! |
Ah ! Que le coup est beau !
Bravo ! Bravo !
bis.
BLONDIN, qui pendant le choeur est allé examiner la plaque, se rapprochant de Juliette.
Ma foi, je n'aurais pas mieux fait. Jeune homme, réparation d'honneur, nous sommes de force égale.
JULIETTE.
C'est ce que nous verrons bientôt sur le terrain.
BLONDIN.
Par exemple ! Des gens comme nous sont faits pour s'estimer... Allons, la paix et embrassons-nous.
Il va pour embrasser Juliette.
DUCHÂTEL, vivement.
Du tout, du tout, je ne veux pas, moi.
JULIETTE, à Blondin.
Voulez-vous bien finir.
BLONDIN.
Mauvaise tête ! Allons donc, petit farceur, je suis un bon enfant.
Il prend Juliette par la taille.
JULIETTE.
Insolent !
Elle lui donne un soufflet.
TOUS.
Un soufflet !
MADEMOISELLE BERNARD.
Ah ! Je vais me trouver mal !
DUCHÂTEL.
C'est bien fait ! Ça lui apprendra...
BLONDIN, la main sur sa joue.
Pour le coup, c'est trop fort ! Vous allez me rendre raison sur-le-champ.
SAINT-ÉLOY.
Oui, oui, c'est une affaire épouvantable.... Ça ne peut pas s'arranger... Blondin, je suis votre second.
DUVIVIER, perçant la foule.
Messieurs... messieurs...
Reconnaissant Blondin.
Comment !... C'est encore mon adversaire de ce matin.... Vous êtes donc un duelliste de profession ?
BLONDIN.
Monsieur a porté la main sur ma joue.
DUVIVIER, à Juliette.
Ah ! C'est différent... Jeune homme, vous avez tort..... Que vois-je ?...
JULIETTE.
Mon oncle Duvivier !
DUVIVIER.
Le jeune homme est ma nièce !...
TOUS.
Sa nièce !
DUCHÂTEL.
Ah !... Enfin, je puis reprendre mon rang... et ma femme.
BLONDIN, à part.
Il se pourrait !... Et moi qui voulais me battre avec elle.... Ah ! Blondin, mon ami, quelle école !
S'approchant de Juliette avec galanterie.
AIR de Céline.
Madame, acceptez mon excuse,
Et pardonnez- moi mon erreur ?
270 | Vous me voyez l'âme confuse, |
J'ai méconnu votre sexe enchanteur ;
Pourtant, vous vous étiez trahie,
Par ces beaux yeux, par ce teint rose et frais,
Surtout par cette main jolie,
275 | Et si libérale en soufflets. |
Je vous prie de croire, belle dame, que d'une pareille main tout s'accepte.
DUCHÂTEL, à part.
C'est ce que je me dis quelquefois.
VIRGINIE, regardant Juliette.
C'est une femme.... Quel dommage !
DUVIVIER.
Ah ! Ça, qu'est-ce que tout ça veut dire, ma nièce ?
JULIETTE.
Mon oncle, je vous expliquerai plus tard.... qu'il vous suffise de savoir maintenant que monsieur...
Montrant Duchâtel.
... est un fort mauvais sujet, mais je vais mettre un terme à ses fredaines.
DUCHÂTEL.
Mes fredaines ?... Par exemple, si on peut dire.... [ 8 Fredaine : Écart de conduite par folie de jeunesse, de tempérament ou autrement. Il se dit, par extension, de ce qui est irrégulier, capricieux. [L]]
JULIETTE.
Silence, Monsieur.
À part.
Dans le fond, je le trouve mieux maintenant, mais il ne faut pas non plus qu'il aille trop loin...
BLONDIN.
Allons, allons, amnistie générale.
DUVIVIER.
Cependant, monsieur, je vous ai porté sur ma peau d 'âne pour 1849.
BLONDIN.
Eh bien ! Effacez-moi sur votre peau... et pour cimenter la paix, je propose une poule au pistolet.
DUCHÂTEL et SAINT-ÉLOY.
Ah ! Oui, la poule ! La poule !
DUCHÂTEL, bas à Juliette.
Veux-tu permettre, ma femme ?
Juliette fait signe que oui.
DUVIVIER.
Une poule !... Je veux en être... Ah ! Ça, on joue donc aussi la poule au pistolet ?
BLONDIN.
Certainement.
DUVIVIER.
C'est singulier, moi je ne l'avais jamais jouée qu'au loto.
BLONDIN.
AIR de la Sabotière.
Pan ! pan ! c'est la méthode,
Pan ! pan ! cela se fait,
Pan ! pan ! vive la mode,
Pan ! pan ! du pistolet.
Pendant ce quatrain, Martin a distribué les numéros pour la poule.
MARTIN, dans le pavillon, appelant et présentant des pistolets.
Numéro un.
BLONDIN, allant au pavillon.
Allons, cette fois ci, c'est moi qui commence.
280 | Lorsqu'un Anglais baille chez lui, |
Le pistolet vient à son aide ;
Regardez, voici le remède
Qu'il prend, pour calmer son ennui.
Il tire.
CHOEUR.
Pan ! pan ! c'est la méthode,
285 | Pan ! pan ! cela se fait, |
Pan ! pan ! suivez la mode,
Pan ! pan ! du pistolet.
MARTIN, même jeu.
Numéro deux.
SAINT-ÉLOY.
À moi maintenant :
Chez nous certain projet nouveau
Du duel devait bannir l'usage ;
290 | Pour et contre on s'est mis en nage, |
Le projet est tombé dans l'eau.
Il tire.
CHOEUR.
Pan ! pan ! c'est la méthode,
Pan ! pan ! cela se fait,
Pan ! pan ! suivez la mode,
295 | Pan ! pan ! du pistolet. |
MARTIN, même jeu.
Numéro trois.
JULIETTE.
Voyons, Monsieur Duchâtel, c'est à votre tour...
DUCHÂTEL.
Allons, tachons d'être malin ;
Pour lui plaire, montrons du zèle ;
Il faut donc toujours avec elle,
Avoir les armes à la main ?...
Il tire.
CHOEUR.
300 | Pan ! pan ! c'est la méthode, |
Pan ! pan ! cela se fait,
Pan ! pan ! suivez la mode,
Pan ! pan ! du pistolet.
MARTIN, même jeu.
Numéro quatre.
DUVIVIER.
Ah !... Nous allons voir...
Autrefois, d'un air menaçant,
305 | À mes rivaux cherchant querelle, |
J'étais fougueux pour une belle,
Ce n'est plus de même à présent...
CHOEUR.
Pan ! pan ! c'est la méthode,
Pan ! pan ! cela se fait,
310 | Pan ! pan ! suivez la mode, |
Pan ! pan ! du pistolet.
MARTIN, même jeu.
Numéro cinq.
JULIETTE, allant prendre un pistolet.
Donnez... Ah !... Un instant...
Au public, le pistolet à la main.
Messieurs, pour un petit tableau,
L'indulgence doit être grande....
DUCHÂTEL, s'approchant de Juliette et lui prenant le pistolet des mains.
Par la douceur, ça vaut mieux...
JULIETTE.
Vous savez ce qu'on vous demande,
315 | Avant de baisser le rideau. |
Pan ! pan ! c'est la méthode,
Pan ! pan ! cela se fait,
Pan ! pan ! suivez la mode,
Pan ! pan ! du pistolet.
CHOEUR GÉNÉRAL.
320 | Pan ! pan ! c'est la méthode, |
Pan ! pan ! cela se fait,
Pan ! pan ! suivez la mode,
Pan ! pan ! du pistolet.
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Notes
[1] Dey : Titre du chef barbaresque qui gouvernait la régence d'Alger. [L]
[2] La Barrière de l'étoile se situait tout en haut des champs éLysées et séparait Paris des communes de Neuilly et de Passy.
[3] Blondin : Fig. et familièrement, un jeune homme qui fait le beau, qui courtise le beau sexe. [L]
[4] Tavel : vin rosé du Pays du Gard.
[5] Currente calamo : Expression adverbiale signifiant au courant de la plume, c'est-à-dire qu'on écrit rapidement et sans soigner son style. [L]
[6] Allée des Veuves : ancien nom de l'Avenue Montaigne à Paris.
[7] Mazette : Personne inhabile à quelque jeu qui demande de la combinaison ou de l'adresse. [L]
[8] Fredaine : Écart de conduite par folie de jeunesse, de tempérament ou autrement. Il se dit, par extension, de ce qui est irrégulier, capricieux. [L]