TRAGÉDIE FRANÇAISE.
1603.
DE JACQUES DE CHAMP-REPUS. Dédiée à Monsieur Maistre Jean de Bregel, Conseiller du Roi et Lieutenant-général de la Baronnie de Fougères.
À ROUEN.
publié par Paul FIEVRE novembre 2016
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:22:09.
À Monsieur MAÎTRE, JEAN DE BREGEL, Sieur de la Gambretière, Conseiller du Roi et Lieutenant-général de la Baronnie de Fougères.
Monsieur, puisque le droit divin et humain nous semond d'aimer, chérir et honorer les magistrats comme ceux qui tiennent le gouvernail de la Justice, j'ai pensé être mon devoir de venir consacrer à l'autel de vos mérites ce mien petit ouvrage puisé de la fontaine des Muses, espérant que vous l'aurez agréable, venant se jeter aux pieds de votre autorité pour vous demander franchise (comme faisaient ces anciens esclaves) contre le bourrasque de la calomnie et médisance des Aristarques et censeurs du labeur d'autrui. Car je crois qu'il pourra voguer calmement sur le rocher d'assurance si vous lui servez de pilote, selon la louable coutume que vous avez d'autoriser et maintenir l'industrie de ceux qui tâchent par leurs travaux et longues veilles de profiter de quelque chose à la postérité. Ce que j'ai fait d'autant plus volontiers, que je sais que vous prenez quelquefois plaisir en la lecture des poètes, et en la diverse invention des plus gentils esprits, entre lesquels vous faites paraître le vol de vos conceptions, ainsi qu'un clair soleil entre les astres, non digne d'un âge de fer mais d'un règne de Saturne, non d'une cour subalterne, ains d'un auguste et sacré sénat. Vous qui, orné de tant de belles perfections, excellez au maniement de la chose publique par un langage disert, poli et accompagné d'un jugement si clair et si candide, que sans difficulté vous êtes l'ornement de la Bretagne, je ne crains point que ceux qui vous auront hanté m'estiment sortir de propos, attendu les beaux dons du corps et de l'esprit desquels le ciel vous a favorisé et rendu entre les hommes de ce siècle le mieux accompli. Recevez donc ce petit don, pour gage du service que je vous ai voué, et pour un arre du désir que j'ai de continuer cette bonne volonté jusques au dernier période de ma vie, de laquelle si vous désirez tirer preuve, à l'effet vous connaîtrez que mes paroles sont les images de mon coeur.
Avouez-le donc pour vôtre (non qu'il soit suffisant pour éterniser votre nom tant illustre et d'antique progénie, recommandable à ceux qui font profession des lettres en votre république), en attendant que le temps, père des occasions, m'apporte la commodité de mettre en lumière quelque chose qui vous donnera plus de contentement et ample témoignage de la fidèle et intime amitié que vos vertus ont gravée en mon âme, sans que je permette jamais que les ténèbres d'oubliance l'éteignent. Cependant je prierai Dieu le Créateur (Monsieur) de vous conserver en prospérité, accroissement d'honneur, et continuation de longue et heureuse vie.
Votre très affectionné serviteur,
Jacq. de Champ-repus.
ARGUMENT DE LA TRAGÉDIE.
Ulysse, fils de Laerte et d'Anticlée, eut pour femme Pénélope, de laquelle il eut un fils appelé Télémaque. Quelque temps après, les Barons et Princes de la Grèce allèrent assiéger Troie, par le commandement d'Agamemnon, afin de ravoir la belle Hélène, femme de son frère Ménélas, laquelle avait été ravie par Pâris. Ulysse fut contraint d'y aller avec eux, après avoir recherché toutes les inventions qu'il put excogiter pour s'en exempter. Il se porta si bien en cette guerre, qu'Homère n'appelle point Ajax, ni Achille, expugnateurs des villes, mais Ulysse. Car il avait en lui le savoir, la vaillance, l'autorité et l'heur qui sont les marques d'un sage et vaillant capitaine. Sa femme, durant l'espace de vingt ans qu'il fut absent, traversant les mers et rodant les terres pour connaître les diverses moeurs et conditions des hommes, amusa une troupe d'amoureux qui la recherchaient à mariage, leur promet tant ce qu'ils le lui demandaient quand la toile qu'elle avait entre les mains serait parachevée (or elle défaisait la nuit ce qu'elle avait tissu le jour), et en cette sorte les tint le bec en l'eau, jusques au retour de son mari : lequel étant averti de toute l'affaire par Pallas, à la persuasion d'icelle, il s'accoutra en habit de servant et revint en cette équipage à sa maison, où il observa longtemps la contenance et geste de cette gaillarde troupe qu'il passa au fil de l'épée. Ces choses étant faites, Circé qui avait eu de lui un fils nommé Télégon, s'avisa de lui envoyer, et lui bailla un coutelas empoisonné, afin de mieux venir au dessus de ceux qui voudraient entreprendre contre lui. À l'entrée du château d'Ithaque s'émeut quelque différent entre lui et les gardes, Ulysse, sortant au bruit, fut tué de son fils qui ensanglante la catastrophe de cette tragédie. Ceux qui en voudront voir davantage lisent l'Odyssée d'Homère d'où est pris le sujet.
ENTREPARLEURS.
ULYSSE, Roi d'Ithaque.
ARLANGIN, soldat.
PANARETE, soldat.
FLORIDAN, soldat.
PALLAS, Déesse.
TÉLÉMAQUE, fils d'Ulysse et de Pénélope.
EUMÉE.
PHILÈTE.
PÉNÉLOPE, femme d'Ulysse.
LAERTE, Père d'Ulysse.
UN MESSAGER.
TÉLÉGON, fils d'Ulysse et de Circé.
ACTE I
[I].
Ulysse, Arlangin, Panarete, Floridan, Pallas.
ULYSSE.
Hé ! Grands dieux, quel soleil chamarré de lumière
Vient sur mes yeux, brillant d'une rouge crinièr,
Et de neuf traverser les étages des cieux,
Me faisant voir encor ces miens champs gracieux,
5 | Et les rochers cambrés des montagnes d'Ithaque, |
Après avoir flotté sans esquif et sans barque.
Bien que j'aie passé un océan d'ennuis
À l'oeuvre de Bellone, et les jours et les nuits,
Cela ne m'est plus rien puisque mes terres croches
10 | Me soutiennent parmi de leurs plus hautes roches. |
Dieu vous gard donc, citer, bastilles et châteaux,
Dieu vous gard, ravelins, boulevard et créneaux. [ 2 Boulevard : Ouvrage de fortification extérieure d'une place forte, rempart de terre, terre-plein en avant d'un rempart. [L]] [ 1 Ravelin : Terme de fortification. Synonyme de demi-lune. [L]]
Je vous salue aussi, puissants dieux tutélaires,
Qui m'avez garanti des fatales misères.
15 | Sus, beau séjour natal, reçois ton nourrisson, |
Et autant que pourras fais retentir son nom.
Lui seul a mérité le vert chapeau d'olive,
Lui seul l'a conquêté, d'une main non oisive,
Et lui seul l'a reçu, pour avoir, plus rusé,
20 | Les Laomédontins a bravement abusé. [ 3 Laomédontins : Troyens, de Laomédon ancêtre de Priam.] |
Ni les murs d'Ilion artisés par Neptune, [ 4 Artisé : construit [Champrepus]]
Ni Simoïs enflé, ni son onde importune, [ 5 Simoïs : fleuve de Phrygie, proche de Troie.]
Ni les Troyens armés, ni Mars, ni sa rigueur,
Ni le bruit, ni le sang, n'ont tins son mâle-coeur.
25 | Maugré le vieil Priam, maugré tous ses gendarmes, |
Lances, épieux, boucliers, camisades, vacarmes,
Maugré Troïle, Hector, ai-je pas à leur dam [ 6 Dam : Dommage, préjudice (matériel ou moral) [L]]
Surpris et affronté Rhésus, et tout son camp ?
Comme quand un sanglier a l'oreille disposte,
30 | Oit tran-taner un cor, près sa relente grotte, |
Hérissonne son poil, vire, tourne ses pas
Vers la meute aboyante, et la culbute à bas,
Tout ainsi j'ai foulé leur tête acravantée [ 7 Acravanter : Écraser, anéantir en écrasant. [DMF]]
Sous mes pieds indomptés, semblable au fort Antée.
35 | Ce fils de Jupiter, ce vaillant Sarpedon, [ 8 Sarpedon : Fils de Jupiter, tué par Patrocle.] |
Chersidamas, Thoas, Alcandre, Ceranon,
Et tant d'autres guerriers, sentirent bien mes forces,
Quand le Palladion je ravi par amorces. [ 9 Palladion : Statue de Pallas [DMF]]
Si vous vîtes jamais un dogue Albionnois
40 | Guerroyer les chevreux par les sentes des bois [ 11 Sente : Synonyme populaire de sentier. [L]] [ 10 Chevreux : Ancienne forme de chevreuils.] |
Et les presser si fort, et de pied et de tête,
Qu'ils lui servent enfin de curée funeste,
Croyez qu'en cas pareil, j'ai d'un bras vigoureux
Cargué les Phrygiens, aux armes courageux. [ 12 Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]]
45 | Atterrés de mes mains, dessus la terre dure, |
Ils servaient aux corbeaux et aux chiens de pâture.
Combien de paladins qui princes, qui héros,
Allèrent rendre hommage à l'infernal Minos ?
Combien de cavaliers, favoris de Bellonne,
50 | Churent sous le ciseau de la parque félonne ? |
Car le nombre des morts fut si grand, si épais,
Que les poteaux d'enfer croulaient dessous le faix. [ 13 Faix : chose qui pèse, chose lourde. [DMF]]
Maintes fois je brossais entre les longues piques,
Frappant et renversant les phalanges Troïques, [ 14 Phalange : Nom que les Grecs donnaient à leur infanterie. Plus particulièrement, phalange macédonienne, bataillon formé de huit mille hommes armés de piques et de boucliers, qui se composait de seize files en profondeur ; les cinq premières files croisaient leurs piques, et les onze dernières appuyaient les leurs sur les épaules des hommes placés devant eux. [L]]
55 | Qu'on entendait partout les rages, les fureurs, |
Des gendarmes mourant sous le fer des vainqueurs,
Avec un tintamarre, et qui passait des grues
Et des oies au long col les criardes venues.
Ai-je pas fait paraître au fils de Télamon [ 15 Ajax est le fils de Télamon.]
60 | Que j'étais plus que lui en vertu et renom, |
Lorsque je remportais par mon docte langage
D'Achille Pelion le gentil équipage ?
Osant me prévaloir de science et de fait,
Que j'étais capitaine et orateur parfait :
65 | Dont Ajax fut confus devant les deux Atrides, [ 16 Atrides : Nom donné aux fils d'Atrée : Agamamnon et Ménélas.] |
Assistés des Barons et princes Argolides.
Après ces beaux exploits le siège étant levé,
Je m'abandonne au flot, à l'instant élevé.
J'aborde en Ciconie, et delà calant voile,
70 | Je m'en viens droit surgir, sans phare et sans étoile, |
Aux fins de la Sicile, et puis l'horrible port
De Circé me reçut, que parvenant au bord
De l'Océan chenu, je fais un sacrifice, [ 17 Chenu : Tout blanc de vieillesse. Fig. Couvert de neige. [L] Ici, l'écume.]
Je descend aux enfers, je reviens devers Circé,
75 | Circé qui transforma mes compagnons féaux |
De sa verge sorcière, en sales animaux,
Et pour les emphiltrer, marmonnait à voix basse
Plusieurs enchantements à l'entour de sa tasse.
La laissant, ô grands dieux ! connus-je pas les voix,
80 | Connus-je pas les chants des filles d'Achelois ? [ 18 Filles d'Achéloïs : sirènes.] |
Et lorsque ma cohorte offensa Phaetuse,
Saccageant ses troupeaux, las ! Fus-je pas (ô ruse)
Contraint de me sauver sur le mat du vaisseau,
Bouleversé, lassé des bourrasques de l'eau ?
85 | Tandis que Calipso me tint en Ogygie, |
Et voulut de nectar m'entretenir la vie.
Néanmoins tout cela, le Dieu olympien
N'eut plutôt envoyé l'oiseau Cyllénien,
Qu'un vent paisible et doux empoupa mon navire. [ 19 Empourper : Terme de marine. Prendre un vaisseau en poupe, en parlant du vent. [L]]
90 | Je traversais les mers, où la bouillonnante ire |
De Neptune j'endurai. Las ! c'était fait de moi,
Sinon que Leucothé, contemplant mon émoi,
Me présenta un ais, dessus lequel j'arrive
Calmement aux sablons de la Pheaque rive.
95 | De là, chers compagnons, vous m'avez amené. |
Voici, voici le port par les dieux ordonné,
Mais si jamais j'ai eu quelque désir (ma troupe)
Le premier c'est de voir ma femme Pénélope.
ARLANGIN.
Sire, après tant de maux que vous avez portés,
100 | Après tant de labeurs que vous avez domptés, |
Vous êtes en repos, vous avez récompense
D'avoir tant fatigué par une patience.
Ainsi toujours les vents ne font sauter la mer,
S'avoisinant des cieux, à force d'écumer,
105 | Et toujours Jupiter dardant son vite foudre, |
Les sourcilleuses tours ne veut réduire en poudre. [ 20 Sourcilleux : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]]
ULYSSE.
Tant que les fleuves tors en la mer rouleront, [ 21 Tors : Synonyme de tordu ; tors est l'ancien participe passé de tordre. [L]]
Que les pâles jumeaux les cercles porteront,
Soit qu'ailleurs, soit qu'ici tant soit peu je m'arrête,
110 | Toujours me souviendra de votre Reine Arète : [ 22 Arète : Reine des Phéaciens. Ceux-ci fournirent un navire à Ulysse pour retourner en Ithaque.] |
Mais quoi, est-ce Morphé qui coule lentement,
Attiré, d'aile d'or, en mon entendement ?
Est-ce point l'air marin qui fait que ma paupière
Baisote l'autre, ainsi que ma tête guerrière [ 23 Baisoter : Diminutif et fréquentatif de baiser. Familièrement. [L]]
115 | Se laisse ores gagner ? Hélas ! Combien de fois, |
Les armes sur le dos, j'ai résisté aux lois
De ce Dieu sommeilleux, et puisqu'à l'abordée
Il me rende pantois, dessus ma terre aimée,
En sorte qu'il me faut malgré moi reposer,
120 | Pour essayer un peu mes esprits accoiser. [ 24 Accoiser : Rendre coi, calme, tranquille. [L]] |
PANARETE.
Faut-il que l'Ithaquois, après tant de vacarmes,
D'escarmouches, d'assauts, de combats et d'alarmes,
Soit désormais dompté par un sommeil flateux ? [ 25 Flateux : variante ancienne et poétique de Flatueux : Terme de médecine. Qui cause des vents. Certains aliments sont flatueux.]
Faut-il que la vertu d'un prince belliqueux
125 | S'acasane si tôt, contre son fort courage, [ 26 Acasaner : Ne permet que leurs esprits s'abâtardissent ou s'acasanent en voluptés.] |
La terreur des Troyens, leur perte et leur dommage.
Voyez de quels ennuis sont férus les mortels, [ 27 Féru : Fig. Être féru d'une personne, d'une chose, en être très épris. ]
Avant que de porter sur les sacrés autels
Les palmes, les lauriers, qui les seigneurs des terres
130 | Haussent jusqu'au cristal des rayonnantes sphères. |
Pourtant je suis fâché que nous laissions cet homme
Sans qu'il soit éveillé de ce languide somme. [ 28 Languide : Qui est dans la langueur. [L]]
Mais voici son pays, aux coteaux raboteux : [ 29 Raboteux : Par analogie, il se dit d'une superficie inégale, et particulièrement du terrain, des chemins. [L]]
Il est en sûreté, c'est le vouloir des Dieux.
FLORIDAN.
135 | Soldats, avançons-nous, sortons de cette terre, |
Ulysse est garanti des hasards de la guerre,
Il sommeille à son aise, il prend le doux repos,
Sans crainte de Telephe et de tous ses suppôts.
En vain nous redoutons les rouaux de fortune, [ 30 Rouaux : roues.]
140 | Il est en son royaume où la paix est commune. |
Nous pouvons le laisser à la rade du port
Qu'il a tant souhaité. Donc, sans autre discord,
Rentrons dans les vaisseaux, voguons sur l'Amphitrite.
On connaît ce Grégeois, on connaît son mérite :
145 | Ne tardons en ce lieu, mettons la voile au vent. |
Je sais que désormais la Reine nous attend.
ARLANGIN.
C'est assez discouru, n'en parlons davantage,
Il est temps que chacun serre son équipage.
De cheminer plus outre il ne nous est permis :
150 | Car nous avons été tant seulement commis |
Pour le conduire ici, en son île d'Ithaque,
Où il sera reçu de son fils Télémaque
Et de tous ses sujets comme un roi généreux.
Il faut donc démarrer ; cinglons à qui mieux mieux.
PANARETE.
155 | Puisqu'ores il peut voir les montagnes Ithaques, |
Il nous faut rembarquer, pour tirer aux Pheaques.
FLORIDAN.
Adieu, la fleur des Grecs, or' adieu sa patrie,
Qu'il aime cent fois plus que la fertile Asie.
Vraiment, il est bien vrai que le pays natal
160 | À ne sais quel appât sur cet homme fatal. |
[II].
Pallas, Ulysse.
PALLAS.
Délaissant le séjour des tours Cecropiennes,
Mon peuple tant aimé, mes eaux Tritonniennes,
Je viens pour secourir Ulysse, mon mignon,
Pour lui donner moyen d'entrer en sa maison.
165 | Je veux comme je fis le menant chez Arete, |
Le faire ores entrer finement chez Laerte.
Mais hélas ! Je le vois de son long étendu. [ 31 Vers 167, aucun vers ne rime avec étendu.]
Quoi ! Quel morne sommeil harasse ta pensée ?
Dis moi, Dulychien, qui d'une âme assurée
170 | As rompu des Troyens les escadrons guerriers, |
Et devant tous les Grecs, remporté les lauriers,
Sans jamais succomber pour travail ni pour peine,
Dégouttant de sueur, et basane d'arène,
Le harnais endossé : mais ton coeur vigoureux
175 | Devient ores faitard, bizarre et paresseux. [ 32 Faitard : Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux. ] |
Sus, Dieu chasse-souci, sus, Dieu aux pieds de laine,
Cesse d'amignoter ce puissant capitaine, [ 33 Amignoter : Traiter avec tendresse une personne que l'on aime; tenter de s'attirer les faveurs de quelqu'un par la douceur. [TLFI]]
Repasse allégrement les hauts-baissés sillons,
Tour t'aller reposer sous tes doux pavillons.
180 | Ulysse, éveille-toi, Ulysse, qu'on s'éveille, |
Écoute mon discours, captive ton oreille.
T'ai-je fait revenir pour être fainéant,
Tour être un endormi, un homme de néant ?
Tu dors, et ta moitié, las ! Pour t'être fidèle,
185 | N'a point fermé les yeux, depuis que tu fis voile : |
N'ayant aucun repos d'un tas de damerets [ 34 Dameret : Homme dont la toilette et la galanterie ont de l'affectation. [L]]
Au poil adonisé, et la main tu n'y mets. [ 35 Adonisé : Paré avec une grande recherche. [L]]
Ceux de l'île de Same et de la haute Zante,
Même les Ithaquois, bande en luxe vivante,
190 | Polybus, Antinos, Pysandre, Damastor, |
Eurimaque, Eocles, le fils de Polictor,
Irus, Melanthius, les quels traîtres font rage
De gâter tes troupeaux avec ton héritage,
Possèdent ton palais, et tes biens rapinants, [ 36 Rapiner : Prendre injustement, en abusant des fonctions dont on est chargé. Ce fournisseur rapine sur tout ce qu'il achète. [L]]
195 | Sifflent, moquent ton fils et battent tes servants. |
Ils se jouent de toi, à leur grand avantage,
Accroissent leurs moyens de ta perte et dommage.
Montre-leur donc comment tu as de la valeur.
Émousse-moi leur chef, sus, venge ton malheur.
200 | Tout ainsi qu'un lion, aime-sang, aime-proie, |
Ne tient en son marcher aucun chemin ni voie,
Aussitôt qu'il se sent de la faim oppressé,
Il court, il rode, il voûte, au carnage pressé,
Afin de rencontrer, l'orée d'un bocage,
205 | Le bétail porte-corne allant au pâturage, |
Et le trouvant par sort, il lui donne l'assaut,
Et de ses pieds griffus, déchire d'un plein saut
Les taureaux ricanants par le long des planures [ 37 Planure : s'est dit au XVIe siècle pour une plaine. [L]]
Et lieux évaltonnés des secondes pâtures : [ 38 Évaltonner : Prendre un ton dégagé, s'émanciper, égaré, hagard pour une personne. Ici, un emploi.]
210 | Tout de même je veux qu'avant beaucoup de jours, |
Tu bornes de par moi leur vie et leurs amours.
ULYSSE.
Ha, Dame des combats, ma guerrière princesse,
Fille du haut-tonnant, guide de ma vieillesse, [ 39 Haut-tonnant : Jupiter ou Zeus.]
Que je baise tes pieds, ha ! Que je baise encor
215 | Ta lance, ton rudache et ce crin à fil d'or. [ 40 Rudache : arme.] |
Sainte race du ciel, hé ! Suis-je encor digne
D'apprendre de ta part d'où dépend ma ruine ?
Toi, la terreur de Mars, daignes-tu bien, et quoi !
Me venir consoler quand je suis en émoi ?
220 | Tout ainsi qu'on peut voir la nourrice qui garde |
Endormir son enfant, et soigneuse le garde
Qu'il ne soit offensé, ores d'un pareil soin
Tu te montres vers moi, m'assistant au besoin.
Vierge, combien de fois, en dépit de Neptune
225 | Et des vents orageux, j'ai vaincu la fortune ? |
Vierge, combien de fois ton assuré conseil
M'a été favorable, en danger tout pareil ?
Je sais que tu connais la fin de mes affaires,
Non par le drillement des étoiles plus claires, [ 41 Drillement : on dirait plutôt brillement.]
230 | Ni par le gazouillis des prophètes oiseaux, |
Ou te penchant dessus les consultés boyaux,
Ains d'un rare savoir et science parfaite. [ 42 Ains : mais.]
Tu me dis ce qu'on fait chez mon père Laerte,
Déesse, dis-moi donc, dis-moi donc la façon
235 | De tirer ces mignons de hors de ma maison. |
PALLAS.
Ôte-moi ces habits, cette pompe royale,
Ôte ce coutelas, prends un vieil habit sale,
Jains que tu veux servir, mais cependant il faut
Savoir bien endurer.
ULYSSE.
Madame, il ne m'en chaut.
240 | Plutôt j'endurerai cent mille bastonnades, |
Puisque me conseillez leur dresser embuscades.
PALLAS.
Aussi je te promets qu'en après tous ces maux
Que tu auras souffert, qu'après ces durs travaux,
Bravement tu feras broncher l'outrecuidance
245 | De ces sots qui voulaient ébranler la constance |
De ta chaste moitié : car entends-tu, je veux
Que choisissant le temps, tu te rues sur eux,
Et là je t'aiderai. Que si tu fais, Ulysse,
Tout ce que je t'ai dit, fortune t'est propice.
ULYSSE.
250 | Doncques non autrement qu'un taureau mugissant |
S'en va de parc en parc heurtant et tracassant,
Sans redouter les loups tapis en leur tanière,
Il me faut les bourrer sans tirer en arrière.
PALLAS.
Crois qu'ainsi tu viendras au bout de ton projet.
ULYSSE.
255 | Bien, vierge, vous verrez que cela sera fait. |
ACTE II
[I].
Télémaque, Eumée, Philete.
TÉLÉMAQUE.
Si d'un brave seigneur la prouesse admirable,
Malgré les envieux, doit être redoutable,
Si un coeur martial a jamais mérité
De buriner son nom au mont d'éternité,
260 | C'est de mon père seul, le premier de la Grèce |
Qui eut tant de vertu, tant de force et d'adresse,
Les Dardanes campant, que leurs hauts bâtiments
Furent bouleversés jusques aux fondements.
Néanmoins ceux de Same, hardis par son absence,
265 | Ne redoutent le fer de sa guerrière lance. |
Qui plus est sans raison, ils gaspillent ses biens,
Et si m'ont dechassé, comme n'étant des siens.
Ô Dieux ! Quelle douleur me plombe la poitrine,
Quand je viens à parler de l'orage et ruine.
270 | Mes sens sont pleins d'horreur, je suis hors de chez moi |
Aussitôt que je pense à tout leur désarroi.
Ces couards, ces mutins, sans avoir l'âme atteinte
D'un pointelant remord, m'ont-ils pas, quelle crainte, [ 43 Pointeler : Guider, aiguilloner. [Godefroy]]
Réduit presqu'au tombeau, quand j'avais entrepris
275 | D'aller trouver Nestor, au conseil bien appris. |
Si je savais trouver en l'Arabique terre
Won géniteur, mon Roi, la foudre de la guerre,
Je l'irais rechercher, pour lui conter les maux
Que nous font ressentir ses sujets, ses vassaux.
280 | Ni l 'horreur des rochers, des lions, ni des ourses |
Ne tarderaient mes pas, ni les plus longues courses.
Soit que dedans les cieux le perruqué brandon [ 44 Brandon : Bouquet de paille enflammé, dont on se sert pour s'éclairer. [L] Ici métaphore du soleil.]
Déchasse les nuaux du coucher de Tithon, [ 45 Tithon : Prince Troyen, frère de Priam, était si beau que l'Aurore l'enleva pour en faire son époux. [B]]
Pour tôt faire avancer l'aurore coutumière
285 | D'atteler les roussins du char porte-lumière, [ 46 Roussin : Cheval entier un peu épais et entre deux tailles. [L]] |
Ou soit qu'après son cours il baigne asens chevaux, [ 47 La fin du vers est dans la source : "Chex, u"]
Et penche son brancard vers les baltiques eaux,
Un travail angoisseux mon coeur ronge et détire, [ 48 Détire : Tirer en tout sens. [L]]
Sans avoir nul repos. C'est pourquoi je désire
290 | Qu'ainsi qu'un léopard bourrelé de la faim, |
Que l'hiver a serré en un creux souterrain,
S'éventant peu à peu, galope par la plaine
Et dévore, cruel, l'escadron porte-laine,
De même mon cher père alarme ces amants,
295 | Qui misérable m'ont réduit parmi ces champs. |
Je t'invoque, grand Dieu, qui forges et martèles
Le tonnerre grondant, aux rouges étincelles.
Je t'invoque, Phébus, qui luis de toutes parts,
Qui écartes la nuit de tes cheveux épars.
300 | Je t'invoque, Cypris, la race de Diane, |
Toi aussi l'autre enfant de la belle Latone :
Et vous tous, autres Dieux, témoins de ce méchef. [ 49 Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]
Foudroyez ces tyrans et écrasez leur chef.
Que si tel accident davantage demeure,
305 | Il me convient en bref qu'ici près vous je meure. |
EUMÉE.
Prince, si vous aimez ; le conseil et raison,
Ne vous fâchez jamais qu'à bonne occasion :
Je sais qu'ils sont pervers, leurs tours assez le disent,
Pillant, radant vos biens, et ne s'en assouvissent. [ 50 Rader : du latin radere. raser. [L]]
310 | Il vous faut néanmoins modérer votre coeur |
Pour demeurer un jour leur maître et leur seigneur.
Et lors vous gagnerez un superbe trophée,
Quand de ces corrivaux l'île sera purgée. [ 51 Corrival : rival. [L]]
J'espère que les dieux y porteront vos mains,
315 | Si bien à temps et lieu, que tous ces inhumains |
Seront exterminés et verront sur leur tête
Pleuvoir du ciel vengeur une horrible tempête.
Comme les louveteaux, nourris au coin d'un bois
Par leur mère gloutonne, ayant fait plusieurs fois
320 | Aux hameaux d'alentour un extrême dommage, |
Ores mangeant un boeuf au milieu de l'herbage,
Ores une brebis, une vache, un agneau,
Une chèvre, ou un bouc écarté du troupeau,
Enfin sont assommés par la rustre brigade,
325 | Après plusieurs aguets, en forme d 'embuscade : |
Faites en cas pareil, espionnez leurs pas,
Et me les dévidez aux aveugles ébats.
Le Dieu porte-trident, après la grand' tourmente,
Rassérène les flots et rend la mer plaisante.
330 | Les Dieux m'envoient jamais des malheurs aux humains, |
Sans leur donner aussi des remèdes soudains,
Et jamais les méchants ne dominent sur terre,
Sans Alcides Thébains qui leur fassent la guerre.
Attendez, endurez, constant en chaque lieu :
335 | (Cela fait estimer un homme demi-dieu,) |
Quand il bon-bondirait trop plus de maux encore,
Qu'il n'en sortit du vase et l'infecte Pandore. [ 52 Pandore, première femme dans la mythologie grecque, ouvrit une boite de laquelle s'échappèrent tous mes maux et la referma soudain en y laissant l'espoir.]
Les plus galants esprits sont perdus et pipés [ 53 Piper : Fig. Tromper, séduire, enjôler. [L]]
Et deviennent faitards s'ils ne sont occupés. [ 54 Faitard : (fétard dans le texte) Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux. [L]]
340 | Si un brave gendarme est trop en une place, |
Il en rabat beaucoup de sa première audace.
Bref ce qui est dessous la cambrure des cieux,
Est sujet au labeur pénible et rigoureux.
Ainsi la flamme et l'eau se choquent, se tourmentent,
345 | L'air va en contre-fil, de peur qu'ils ne s'assemblent : |
De sorte que les corps de ce globeau terreur [ 55 Globeau : Corps sphérique relativement petit. [DMF]]
Se rangent au travail, sans se montrer oiseux.
Comme les postillons de la saison frileuse
Assiègent le coupeau de Rhodope neigeuse, [ 57 Coupeau : Partie la plus haute de quelque chose, sommet. [DMF]] [ 56 Rhodope : Montagne de Thrace.]
350 | Et pensent tenir fort maugré le clair Titan, [ 58 Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]] |
Qui les fait débusquer, exterminant leur camp,
Si bien que les Sylvains, les nymphes et les fées
Y reviennent danser à cottes agrafées, [ 59 Cotte : Jupe de paysanne, plissée par le haut à la ceinture. Cotte d'armes, habillement que mettaient autrefois les chevaliers sur leurs armes, tant à la guerre que dans les tournois, et qui était porté par les hérauts d'armes. [L]]
J'espère tout ainsi, et tels sont mes désirs,
355 | Que ce brouillard obscur, cause de vos soupirs, |
Sera bien dissipé par l'arrivée heureuse
De votre père. Et lors fortune plus joyeuse .
Nous rira. C'est pourquoi vous ne devez ainsi
Vous plonger en douleurs, mais endurer ici.
TÉLÉMAQUE.
360 | Ha ! Quel sage conseil découle de ta bouche, |
Eumée, mon grand ami, qui de si près me touche. [ 60 Eumée : porcher d'Ulysse et de son père Laërte.]
J'ai toujours bien appris que non pour autre fin
Que pour moi, tu n'avais le discours si divin.
Je sais qu'on doit peiner pour avoir la couronne
365 | Qu'attend un mâle-coeur, qui plus âpre rayonne |
Que le flambant soleil, dont le lustre au teint d'or
Enrichit le pourpris des habitants du Nord. [ 61 Pourpris : Enceinte, habitation. [L]]
Voyez-vous par aussi comment, hélas ! J'endure
Ce travail soucieux, qui si longuement dure ?
370 | Car jugeant que j'étais contraint par mon malheur |
De quitter le logis, où il ne fait plus sûr,
J'ai laissé quand et quand cette royale altesse, [ 62 Quand et quand : loin de. [L]]
Les fragiles honneurs, et la vaine richesse.
Tête des gouverneurs, des rois, des magistrats,
375 | Et de tous ceux qui ont les charges et États. |
C'est parmi les torrents que Tantale travaille
Tour étancher sa soif, et qu'il s'ouvre et qu'il baille
D'une lèvre bessonne à l'eau qu'il voit courir, [ 63 Besson : Jumeau, jumelle ; l'un des deux enfants d'une même couche. Vieux et inusité, si ce n'est dans quelques provinces. [L]]
Et ne peut, altéré, sa douleur secourir.
380 | Mais comme le Liban résiste contre Éole, |
Je ferai des efforts de fait et de parole :
Si bien que vous oirez de leurs funestes cris
Les astres résonner fâchés d'un tel mépris.
Que deuil ce temps-pendant, de tant vivre en servage,
385 | Au lieu de commander dessus son héritage. |
Les pertes, les dangers s'offrent parmi ces lieux,
Comme flambeaux ardents qui brillent dans les cieux,
Et ne se trouve aucun qui de m'aider souhaite,
Sinon toi (cher Eumée) avec le bon Philète.
PHILÈTE.
390 | Prince, surgeon sacré d'Ulysse valeureux, [ 64 Surgeon : Fig. Descendant, rejeton d'une race (vieilli en ce sens). [L]] |
Il faut aux accidents se montrer vertueux.
Ainsi Hercul[e], Thésée et les héros antiques
Acquièrent grand renom parmi les Républiques.
Les vices effrontés s'opposent aux vertus,
395 | Qui leur brisent le chef comme à monstres têtus. |
Car ainsi que la mer est souvent agitée
Des autans furieux, et que l'onde obstinée [ 65 Autan : Vent du midi. En poésie, un vent violent. [L]]
Se hausse vers le ciel, ne cessant d'écumer,
De sorte qu'on dirait que tout va s'abîmer :
400 | De même les grands rois suit l'obscure tempête, |
Et parmi leurs grandeurs vient assaillir leur tête.
Mais comme un bon pilot[e], qui voit courroucer l'eau,
Sauve les mariniers et le voguant vaisseau,
Ainsi la galantise et sagesse d'un prince
405 | Conserve son pays et ceux de sa province. |
Ne perdez plus ainsi la chère liberté
Sans tirer ces faquins hors de votre cité.
TÉLÉMAQUE.
Pensez que la victoire est de telle manière
Qu'elle arrive souvent aux soldats journalière,
410 | Et traçant à l'acier le prix d'un belliqueur [ 66 Belliqueur : guerrier. ] |
On est ores vaincu, incontinent vainqueur.
PHILÈTE.
Mettez-nous en devoir afin de les surprendre.
Vous verrez que pourrons assaillir et défendre
À pied et à chenal, carguer de près, de loin, [ 67 Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]]
415 | Reculer, arrêter, quand il en est besoin : |
Pour-pensant que ceux-là, qui leur seigneur révèrent,
Et pour un bon sujet au combat persévèrent,
Mieux se démêleront des martiaux dangers
Que couards, que poltrons, que fats, que mensongers.
TÉLÉMAQUE.
420 | Ô quel comble de maux ! De voir ainsi rebelles |
Nos hommes, nos cités, et sans justes querelles.
De s'en vouloir venger, nous ne sommes bastants, [ 68 Bastant : Suffisant. [L]]
Ce serait donc en pain d 'y mettre notre temps.
EUMÉE.
À un coeur généreux toute chose est facile,
425 | Le plus âpre conflit ne lui est difficile. |
On trouve bien souvent le grand nombre inutile.
Un soldat aguerri en vaut parfois dix milles.
L'avis et le conseil sert plus dans les armées
Que les gros régiments d'Achille ou Thésée.
430 | Ne vous laissez donc point gagner au désespoir, |
Il vous viendra quelque heur de contre votre espoir.
Que savez-vous si Dieu, devenu plus propice,
Conduira point de bref en ce pays Ulysse ?
Et tandis c'est à vous, doué d'un gentil coeur,
435 | À disposer vos gens, ainsi que le pasteur |
À souvent de coutume, arrivant sur la brune,
De dresser ses troupeaux en l'herbeuse commune.
[II].
Les Mêmes, Ulysse.
ULYSSE.
Je sens un feu brûlant, qui furète mes os [ 69 Fureter : Fig. Fouiller, chercher partout. [L]]
Mon coeur et mes poumons, sans avoir nul repos:
440 | Mille et mille dangers ont dessus moi puissance, |
Avant que de ranger sous mon obéissance
Mes cités, mes maisons au surdoré lambris,
Que tiennent mes vassaux qui m'ont en tel mépris.
En faveur de Pallas, dont la divine audace,
445 | Devance les beaux faits du colonel de Thrace, |
Je gravirais dessus le Caucase neigeux,
Au travers des haliers et buissons épineux,
Trouvant pour lui servir agréable ma peine,
Vu que sans son secours mon entreprise est vaine.
450 | Plutôt les Neustriens aux batailles hardis |
Se laisseront frauder des guirlandes de prix,
Que je fausse jamais d'un seul point ma promesse
Ou le commandement de ma chaste déesse.
Je veux donc achever comme j'ai commencé,
455 | En équipage tel. J'ai tout bien pourpensé. |
Je vais premier aux champs où mes troupeaux de bêtes
Sont gardés. Mais (ô dieux ! Je reconnais aux gestes
Mes gens que je vois là, sans beaucoup de souci,
Lesquels savent fort bien comme tout va ici.
460 | Vois-je point arrêté mon serviteur Eumée ? |
Si c'est lui j'entrerai dans ma cité aimée.
Je m'en vais donc à lui.
EUMÉE.
Dieux ! Quel homme voilà.
J'ai grand pitié de lui voyant l'habit qu'il a.
Vraiment je l'attendrai.
ULYSSE.
Ami, les dieux te gardent,
465 | Et que dorénavant d'un bon oeil me regardent. |
Que vous êtes heureux entre les pastoureaux,
D'estre ainsi à repos sous l'ombre des ormeaux.
Vous oyez le babil des fontaines sacrées
Et voyez à plaisir l'émail des belles prées,
470 | Des pentes, des rochers, nourrissons des ruisseaux, |
Superbement couverts de feuillus arbrisseaux.
Vous sarmentez l'oeillet, la gaie pâquerette,
Et joignez au pavot la pâle violette,
Tandis que vos troupeaux bricolent sur le vert.
475 | Ce vous est un plaisir façonner a couvert |
Des bouquets doux flairants, de fleurs entrelacées,
Qui rendent des odeurs diversement mêlées.
Vous sautez comme Pan, lorsque dedans les bois
Il désire embaucher son flageol ou haut-bois : [ 70 Flageol : ou Flageolet. Sorte de flûte à bec percée de six trous et armée de clefs, qui a des sons très aigus. [F]]
480 | Un bataillon de soins ne rompt votre pensée, |
Quand mêlez l'arigot à la flûte dorée, [ 71 Arigot : Sorte de fifre.]
Selon les sifletis et musicaux détours
Des peuples emplumés qui vantent leurs amours,
Des ailes trémoussants, ou bien quand l'un s'égaye
485 | À gringotter plus haut dans l'épaisse coudraie. [ 73 Coudraie : Lieu planté de coudriers. [L]] [ 72 Gringotter : Familièrement. Il se dit des personnes qui fredonnent mal. [L]] |
Lors vous savez quels chants et quels célestes tons
Ensembles découpaient ces chantres oisillons.
Mais quand je vois du ciel la maligne influence.
Qui épanche sur moi un Nil de déplaisance,
490 | De travaux et de faim, il me fait tant souffrir, |
Que je viens pour chercher quelque maître à servir.
La nuit a pris deux fois sa capeline noire,
Depuis que mon corps est sans manger et sans boire :
C'est pourquoi je vous prie que je puisse or' aller,
495 | Chez Ulysse, duquel j'ai tant ouï parler. |
PHILÈTE.
Après tant de soupirs en forme de complainte,
Et les cuisants ennuis qui ont votre âme atteinte,
Je pense que les dieux vous donneront secours,
Premier que le soleil parachève son cours.
500 | Marchés quand et quand nous, du long ces frais ombrages, |
Compagnes des forêts, des antres et rivages,
Où broutent nos moutons, nos chèvres, nos agneaux
La lambruche bâtarde et les bas arbrisseaux [ 74 Lambruche : Nom vulgaire donné, dans quelques cantons du midi de la France, à des ceps de vigne croissant spontanément et sauvages. [L]]
Plantez en échiquier, à l'entour des vallées,
505 | Des tertres, des couteaux, des plaines bigarrées |
En diverses couleurs, si bien que les Sylvains,
Les satyres, les pans et les faunes terrains,
Viennent sauter, courir dans l'herbeux pâturage,
Où paissent nos troupeaux le serpolet sauvage.
510 | Sortons donc, compagnons, de ce bocage vert, |
Il semble que Phebus nous appelle au couvert,
Et hâte ses coursiers d'approcher de Nérée,
En tirant les rideaux sur sa couche dorée,
Pour permettre a la nuit de ramener aux cieux
515 | Les azurés flambeaux et les feux radieux. |
Déjà de l'océan el' poste brune et sombre,
Encourtinant les cieux et les montagnes d'ombre. [ 75 Encourtiner : Garnir de courtines, de tapisseries, de rideaux. [L]0 Assombrir.]
Il est temps de trier nos scadrons encornés
Qui sont confusément ça et là détournés,
520 | Pour les mener au tect. Demain dès que l'Aurore [ 76 Tect : du latin Tectum Toit.] |
Aura pris le manteau que l'Orient décore
D'une blonde couleur, dès qu'ainsi s'avançant
Ell' guidera du jour le flambeau rougissant,
(Puisque vous désirés de voir l'hôtel d'Ulysse
525 | Qui est ores absent, à qui Dieu soit propice), |
Ensemble nous irons, par l'orée des bois,
Aborder les parois du donjon Ithaquois.
Là je crois que le ciel d'une grâce sereine,
Vu que c'est votre but, vous tirera de peine,
530 | Et un autre dessein paisible et gracieux |
Ira vous caressant jusques dedans les cieux,
Avecque le plaisir des riches édifices,
Des chapiteaux, des tours, des thermes, des comices. [ 77 Comices : Terme d'antiquité. Nom que les Romains donnaient à leurs assemblées pour l'élection des magistrats, et pour d'autres affaires publiques. [L]]
EUMÉE.
Mais il faut vous résoudre aux Syrtes et aux flots,
535 | Car les servants y sont battus à tous propos : |
Et qui pis est encor sa femme Pénélope
Travaille jour et nuit plus qu'un sueux cyclope,
Pour se désempétrer d'une bande d'amants
Qu'elle amuse si bien qu'ils y perdent leur temps. [ 78 En fin de vers on lit Tans, nous lui préférons temps.]
540 | Que si son cher mari, Ulysse, roi d'Ithaque, |
La vient jamais revoir et son fils Télémaque,
Ceux qui mangent ses biens, et à son déshonneur
Consomment leur jeunesse auprès son chaste coeur,
Je chante leur tombeau, je chante leur ruine,
545 | Comme dernier ressort de leur longue rapine. [ 79 Rapine : Action de ravir quelque chose par violence. Volerie, larcin, concussion. [L]] |
Je chante le tourment et le cruel effort.
Qui leur fera premier que de sentir la mort.
Ils se vautrent lascifs dans les molles délices,
Qui seront les bourreaux, leurs gênes, leurs supplices : [ 80 Gêne : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. Par extension, douleurs très vives comparées à celles de la question. [L]]
550 | Et ceux que le destin sauvera des mains du Roi, |
Honteux seront contraints d'aller mourir chez soi.
Les ces esprits mutins, en écumant de rage,
Recevront le loyer de leur superbe outrage.
ACTE III
[I].
Pénélope, Laerte.
PÉNÉLOPE.
Puis-je pas bien blâmer les mouvements des cieux,
555 | Vénus, reine d'Eryce, et son fils furieux ? |
Puis-je pas maintenant a bon droit le mal plaindre
Que j'ai de ces tyrans, qui me veulent astreindre
D'adorer leur beauté, leurs grâces et leurs yeux,
Que j'ai plus en horreur que le fond stygieux ? [ 81 Stygieux : qui a les qualités sombres du Styx, fleuve de l'Enfer.]
560 | Plutôt je passerai l'infernale rivière |
Que je veuille obéir à leur vile prière.
Que faites-vous, Clothon, compagne d'Atropos ? [ 82 Clothon et Atropos : Parques, Clothon tisse le fil de la vie, et Atropos le coupe.]
Venez, courez, sortez à mes faibles propos.
Ha ! Filles de la nuit, parfilez vos fusées, [ 83 Parfiler : Défaire fil à fil une étoffe ou un galon, soit d'or, soit d'argent, et séparer l'or et l'argent. [L]]
565 | Et m'envoyez en bref aux eaux Acherontées. [ 84 Achérontées : Qui a les qualités de l'Acheron, fleuve des Enfers.] |
Que le fatal coton qui causera ma nuit
Soit ciselé menu et en poudre réduit ! [ 85 Ciseler : Terme de découpeur. Ciseler du velours, découper avec agréments et en manière de fleurs le dessus du velours avec la pointe des ciseaux. [L]]
Ô astres lumineux ! Ô terres ! Ô vous rivières,
Je me complains à vous, oyez donc mes prières,
570 | Et vous pareillement, esprits tempêtueux |
Qui punissez les maux des hommes outrageux,
Vengez sans différer ces rigueurs, ces encombres,
Et me les engouffrez aux plutoniques ombres,
Avec un tel fracas qu'il semble entièrement
575 | De glandiers ou de pins abattus par le vent. [ 86 Glandier : arbre qui fabrique des glands : le chêne.] |
Jamais l'oeil Delien ne vit telle détresse,
Passe-filant le tour de sa luisante tresse,
Que l'angoisseux tourment, de quand Ulysse preux
En qui gît tout mon bien, ce prince généreux,
580 | Fît voile pour ravoir la Tyndaride Hélène, [ 87 Dans l'Illiade, Hélène, enlevé par Pâris, est la fille de Léda et Tyndare.] |
Cause de mes ennuis et de ma dure peine.
Pourquoi, vieillard Neptune, quand Pâris vint par mer
La ravir contre droit, ne fis-tu abîmer
Son corsaire vaisseau, et que l'eau furieuse
585 | Tôt ne l'engloutissait en son onde écumeuse ? |
Vous, moites déités, Panopée et Tritons, [ 88 Panopée : Est une des filles de Nérée (néréïde) dans la mythologie grecque.]
Pourquoi ne l'avez-vous plongé sous vos maisons,
Et puis fait trébucher dans la frêle navire
Du renfrogné Charon, nocher du bas empire ?
590 | Et vous, esprits venteux, qui boursouflez les eaux, |
Qui les faites bondir par dessus les bateaux,
Que ne le jetiez-vous dans le havre de Troie, [ 89 Havre : Anciennement, port de mer quelconque. [L]]
Dès qu'il eut le vouloir de prendre ceste voie ?
Que maudit soi Amour, ses traits et son carquois,
595 | Puisque par lui je perds mon loyal Ithaquois. |
Je suis incessamment sur ma toile tendue,
Sans en pouvoir sortir que triste et éperdue.
Hélas ! Mon père Icare en est bien averti,
Et si veut que pourtant je prenne autre parti,
600 | Que je veuille laisser mon Ulysse, ma vie, |
Mon support, mon soulas, que j'ai cette envie,
Que je veuille laisser mon cher prince et mon roi,
Que je rompe jamais ma promesse et ma foi,
Pour tous ces courtisans, pour ces mignons de Zante [ 90 Zante : île grecque de la mer Ionnienne.]
605 | Et de l'ile Samos, tourbe en excès vivante. |
Plutôt les monts bossus planiront leurs coupeaux [ 91 Planir : aplanir. [DMF]]
Et suivront les dauphins aux entorses des eaux,
Plutôt le clair soleil ralentira sa course,
Plutôt les sept Trions s'éclipseront de l'Ourse, [ 92 Ourse : Il s'agit ici de la Constellation de L'Ourse composée de sept étoiles.]
610 | Et plutôt de Thétis sera le flot tari, |
Que je veuille jamais avoir d'autre mary.
Mais quoi, voici Laërte, d'une face dolente, [ 93 Laërte : Père d'Ulysse.]
Qui me cherche en tandis que seule je lamente
La grandeur de mon mal, qui jour et nuit me point. [ 94 Poindre : Piquer [L]]
615 | Je m'en vais l'accoster (Dieu aidant) bien à point. |
LAERTE.
Ruminant à par moi les obscures tempêtes,
Que le ciel tournoyant décoche sur nos têtes,
Je suis presque confus et ne puis que penser
Parmi tant de malheurs qui nous viennent frapper,
620 | Sinon las ! Que les Dieux colérés contre nous [ 96 Las : Tournure vieillie pour "Hélas".] [ 95 Colérer : se mettre en colère. [L]] |
Suscitent ces amants plus sauvages que loups.
Encore te ne plains point ma pénible souffrance,
Pourvu que m'assuriez d'avoir persévérance,
Contre ce Paphien, aime-jeux, aime-ébats, [ 97 Paphien : Originaire de Paphos, surnom du dieu Amour.]
625 | De peur que ne tombions en dédales plus bas : [ 98 Dédale : Fig. Embarras, complication, confusion. [L]] |
Car si vous contractiez avec eux alliance,
Mon mal s'engrégerait, sans espoir d'allégeance. [ 99 S'engréger : s'agraver, s'accumuler.]
Par le fol Cupidon on perd l'entendement,
Les sens et la raison avec le jugement.
630 | Par le fol Cupidon on n'a rien que tempête, |
Que regrets, que soupirs qui vont rongeant la tête,
Enfin pour un plaisir on a mille douleurs.
Après son bel accueil ce ne sont que malheurs.
N'hôtelez donc l'amour, de peur d'un tel diffame, [ 101 Hôteler : Loger, recevoir chez soi. [L]] [ 100 Diffame : substantif du verbe diffamer signifiant déshonneur.]
635 | C'est une grand[e] vertu de comprimer sa flame. |
PÉNÉLOPE.
Je ne sentis jamais si confite douceur
Que vos propos, après un si grand crève-coeur.
Cependant je ferai que le temps qui tout brise,
Ne pourra ombrager ma beauté tant exquise,
640 | De myrte verdoyant, consacré au plaisir. |
Mon père dites-moi (si vous avez loisir)
D'où s'engendre l'amour ?
LAERTE.
D'une passion folle.
PÉNÉLOPE.
Que peut faire l'amour ?
LAERTE.
Les sages il affole.
PÉNÉLOPE.
Et qu'est-ce que l'amour ?
LAERTE.
Un fin enchantement,
645 | Un doux venin couvert de morne pansement. |
PÉNÉLOPE.
Combien dure l'amour ?
LAERTE.
Autant que fait la vie.
PÉNÉLOPE.
Peut-il durer toujours ?
LAERTE.
Mourant il reprend vie.
PÉNÉLOPE.
Ô amants alterés, transis et souffreteux,
Secouez le fardeau que portez tant honteux.
650 | Aussitôt que le jour a ses portes décloses |
Et qu'on voit s'avancer l'Aurore aux doigts de roses,
Vous venez devers moi, sous de belles raisons,
M'appâter en vos rets et pipeurs hameçons [ 103 Pipeur : Celui qui trompe de quelque manière que ce soit. [L]] [ 102 Rest : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]]
Mais vous gagnez autant pour votre griève peine [ 104 Grief : Douloureux. [L]]
655 | Que cil qui conterait le sable de Sardaigne ; [ 105 Cil : terme vieilli pour celui.] |
Car le dur souvenir de mon mal enduré
Va emmurant mon coeur dans un plastron ferré,
Dont ma pudicité aussi ferme se fonde
Qu'un roc Ceraunean battu du ciel, de l'onde, [ 106 Ceraunean : qualifie les Montagnes de l'Epire en Grèce.]
660 | Si bien qu'aucun amour en moi n'est retrouvé, |
Qui ne soit vertueux et d' Ulysse approuvé.
LAERTE.
Vante amour qui voudra par un docte langage,
Et le face un grand Dieu, selon son fol courage :
Pour moi je reconnais qu'il tend à décevoir
665 | Ceux qui veulent cher eux gaiement le recevoir. |
Ses traits sont si pointus qu'ils rebouchent la vue
Et rendent la raison confuse et éperdue.
Ce Thébain monstricide, Hercule vertueux,
En bref s'accouardit, devenu amoureux [ 107 S'accouardir : Rendre couard.[L]]
670 | D'Iole, qui sonnent le contraignit de tistre [ 108 Tistre : Il signifie tisser et est usité seulement au participe passé tissu, et aux temps qui en sont composés. [L]] |
Et tourner le fuseau (ô changement sinistre).
Alcide tu-géant, après avoir dompté [ 109 Alcide : Nom d'Hercule dont on se sert pour désigner un homme très fort. C'est un alcide.]
Le monde spacieux, d'amour est surmonté,
Et jette sa massue aux deux pieds de sa dame,
675 | Tour vêtir les habits d'une impudique femme. |
De Pyrame est certain l'infortuné méchef, [ 111 Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]] [ 110 Pyrame : Personnage de la mythologie, nourrissant une passion pour Thisbé.]
Lorsqu'il trouve à l'écart le poli couvre-chef
De Thysbée sanglant, au bord de la fontaine.
Pourpensant que son coeur, que sa douce inhumaine [ 112 Pourpenser : Méditer longuement ; penser mûrement à un but donné. [L]]
680 | Eut senti la rigueur d'un lion furieux, |
Il se tua premier, en maudissant les cieux.
Elle après arrivant, s'extase sur la place,
Et se naturant le corps, moururent face à face. [ 113 Naturer : Qui façonne qui crée. [DMF]]
La fille au roi de Thrace, éprise de l'amour
685 | Du brave Demophon, second astre du jour, [ 114 Démophon : fils de Thésée.] |
De qui les traits mignards faisaient honte à l'aurore
Courtisant son Titon sur l'Indique Bosphore,
Pour que ce trop longtemps à Cethine se tint,
D'un lien s'étouffa, avant qu'il en revint.
690 | La seule volupté, prodigue de la vie, |
Est sans aucun repos de tempête suivie.
Ainsi mourut Héro dans les flots de la mer [ 115 Héro se jeta à la mer pour rejoindre Héro et mourut.]
Auprès de Léandre qui venait pour l'aimer.
On sait pourtant que Mycre, et Menephre, et Corebe
695 | Tombèrent par l'amour ès plages de l'Erebe. |
Or si les Dieux n'ont pu éviter ses attraits,
À peine les mortels résist[e]ront à ses traits.
Il contraignit Jupin de changer sa figure
En un taureau cornu, riblant par la pâture, [ 116 Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]]
700 | Et ce grizard Neptune, monarque de la mer, |
Ne craignit sa grandeur en cheval transformer.
Pomone le sait bien, si fait aussi Méduse. [ 117 Pomone : Dans le mythologie gréco-romaine, déesse des jardins.]
Jadis il semonça se servir d'autre ruse
L'Atlantique courrier, et le puissant Dieu Mars,
705 | Les faisant se ranger dessous ses étendards. |
Vainquit-il pas Phebus qui aux astres commande,
Lui faisant d'un berger vêtir la houppelande ? [ 118 Houppelande : Espèce de douillette ou vêtement long, ouaté, non ajusté, à manches, à col plat, que les hommes mettaient par-dessus leur habit, et que les prêtres portent encore l'hiver par-dessus leur soutane. [L]]
Que des sphères partant, plus vite qu'un ballon
Il devint amoureux, comme un autre Pluton.
710 | Bref ce qui est au monde, et en ciel, et en terre, |
Se ressent travaillé d'une amoureuse guerre.
PÉNÉLOPE.
J'ai souffert par l'amour tant d'assauts, tant d'alarmes,
J'en ai plus supporté que les Troyens Pergames, [ 119 Pergames : Citadelle d'Asie mineure. Ici la citadelle de Troie.]
Qu'on ne voit de fleurs, au Printemps, dans les champs,
715 | N'y d'épis hérissés sur les plis ondoyants |
De la robe à Cerès, richement étoffée
De frisés crépillons, à la couleur dorée.
LAERTE.
Prenez ; encor courage et portez les tourments,
Les pertes, les rumeurs que nous font ces amants.
720 | Aussi vous acquerrez une grand' renommée, |
Que le temps oublieux ne rendra consommée.
PÉNÉLOPE.
Mon père bien aimé, je ferai que l'amour
Ne charmera les yeux qui me donnent le jour :
Vous le pouvez penser, mesurant ma constance,
725 | Mon port et mon maintien, arcades d'assurance, |
Et qui sur piédestal tiennent ma volonté
Dans les plis gardiens de ma pudicité :
Attendu que Venus n'a changé mon courage.
Depuis que j'ai tramé le fil de mon ouvrage,
730 | Le journalier brandon a roulé dans les cieux, [ 120 Journalier bradon : le soleil.] |
Quatre lustres entiers, son coche radieux,
Et durant tout ce temps je n'ai point au de cesse
De tistre et de filer, non sans beaucoup d'adresse.
Aussitôt que le jour commence à s'auancer
735 | Et l'amie a Cephal[e] son chemin commencer, [ 121 L'Aurore aima Céphale.] |
Chassant les petits feux de la nuit azurée, [ 122 Petits feux : étoiles.]
Je ne cesse d'ouvrer tout du long la journée. [ 123 Ouvrer : travailler. [L]]
Puis alors que Phébus détourne ses chevaux
Pour gagner le séjour des Espagnoles eaux, [ 124 Espagnoles eaux : l'ouest.]
740 | Je défais fil à fil, aux rayons de la lune, |
Ce que j'avais tissu sur ma gaze importune,
Si bien que Cupidon, décochant ses durs traits,
Perd ses coups, tant sur moi peu valent ses attraits.
Mais qui me fâche plus, las ! Ce sont mes servantes,
745 | Qui portent dans leurs coeurs les dardes flamboyantes |
D'Amour porte-carquois, de chaleur enflammé,
Qui leur a fait sentir son feu envenimé,
Que perdant sentiment sur la fin de leur âge,
Elles n'ont pu fausser l'Idalien cordage. [ 125 Idalien cordage : l'arc de cupidon.]
750 | Las ! Ils cuident ainsi mon courage domoter, [ 126 Cuidre : Croire, penser.] |
Qui ne craint les canons du tonnant Jupiter.
Agitez vos esprits, tourmentez-moi sans cesse,
J'aurai pour mon secours l'effroyable Déesse
Qui fit mourir Ajax pour avoir defloré
755 | La fille de Priam après son autel sacré. [ 127 Cassandre : Fille de Priam, qui, prédisant l'avenir, n'était jamais crue des Troyens. [L]] |
Redoutez son pouvoir, de peur qu'une tempête
De cailloux foudroyés ne vous brise la tête,
Ou que ses rais aigus de sa vue clarté
N'empierrent vos cerveaux d'horrible cruauté :
760 | Car avant d'oublier de mon mari la grâce, |
Le feu, la terre et l'eau franchiront de leur place,
Et le père des Dieux échauffé de courroux
M'écrasera le chef de son foudre à tous coups. [ 128 Foudre : Poétiquement et au masculin. Catastrophe, destruction. [L] ]
Soeur jumelle à Phébus, chasseresse agréable, [ 129 La soeur jumelle de Phébus est Diane.]
765 | Prends le soin de mes jours, en ce temps misérable, |
Et fais que Cupidon, aveugle et furieux,
Détourne ses brandons élancés vers mes yeux.
Je ne puis plus souffrir l'effort de son martyre.
C'est pourquoi maintenant d 'ici je me retire,
770 | Et m'en vais au sommet de Cinthe, le haut mont, [ 130 Le Mopnt Cinthe ou Cynthus se situe dans l'ile grecque de Délos.] |
Où les troupeaux sacrés des chastes Dames vont
Apaiser leurs ennuis, avec les Nymphes saintes
Et d'autres déités, toujours ensemble jointes.
LAERTE.
Différez ce dessein. Je crois que votre époux
775 | Est dedans ce château. |
PÉNÉLOPE.
Quoi le penseriez-vous ? |
LAERTE.
Il a un tel maintien, et les traits du visage
M'en donnent pour certain je ne sais quel présage.
Télémaque, Euryclée et les pasteurs l'ont cher
Avec le chien Argus, qui vient le caresser.
780 | Si bien que maintenant il faut par artifice |
Savoir d'eux finement si c'est mon fils Ulysse.
ACTE IIII
[I].
Ulysse.
ULYSSE.
le sais de fil en fil l'état de ma maison.
Me reste seulement prendre l'occasion
De tuer ces rivaux, qui d'une vile attouche, [ 131 Attouche : attouchement.]
785 | S'efforcent diffamer la splendeur de ma couche. |
Sur ce flagrant délit, d'un beau sang animé,
Je veux donner de force au milieu, tout armé,
Les astramaçonnant d'une ardente furie,
Au péril de mon bien et risque de ma vie.
790 | C'est trop poltroniser en habit de servant, [ 132 Poltroniser : Terme vieilli. Faire le poltron ; se conduire en poltron. [L]] |
Il faut m'evertuer contre eux dorénavant,
Tout ainsi qu'un fier tigre, époinçonné de rage,
Au parmi du bétail faible et débile, enrage,
Le faisant çà et là par les pâtis courir [ 133 Pâtis : Lande ou friche, où l'on fait paître les bestiaux. [L]]
795 | Sans arrêter ses pas, qu'il ne l'ait fait mourir : |
Ou comme vu ragas d'eau dévalant des montagnes, [ 134 Ragas d'eau : torrent.]
Rompt de son bredouillis les secondes campagnes,
Et ne peut modérer son cours impétueux,
Qu'il ne gâte les bleds et jardins fructueux, [ 135 Bled : nom donné à un ensemble de céréales blé, seigle (...).]
800 | Maugré le vain effort du criard populace, [ 136 Maugré : Ancienne forme de malgré.] |
Qui pleure son labeur, fuyant de place en place :
Car les vassaux qui ont leur seigneur outragé,
N'ont jamais de repos, qu'il ne s'en soit vengé,
Et bien que pour un temps il cèle sa détresse,
805 | Néanmoins son courroux incessamment le presse : |
Non autrement que l'air chargé d'un gros fardeau,
Lâche débordement une tempête d'eau
Qui tintamarre autant que grêle bondissante,
Au profond de l'hiver sur la terre béante,
810 | Par l'éventail austral, qui, au ciel ténébreux, |
Effondre des nuaux l'amas obscur et creux. [ 137 Nuaux : nuages, nuées.]
Ô fille de Jupin, des guerriers la princesse, [ 138 Fille de Jupin : Minerve.]
Guide mon coutelas, seconde mon adresse,
Et humble je t'irai offrir d'un coeur non feint
815 | Des présents solennels, dedans ton temple saint, |
Et près l'autel fameux où tu es adorée,
Dévot j'appenderai l'honneur de ce trophée. [ 139 Appender : Déployer, répandre, envoyer. [L]]
[II].
Pénélope, puis le messager
PÉNÉLOPE.
Las ! Soit que le soleil dresse sur nous son cours,
Ou qu'il gagne les eaux, je travaille toujours
820 | Sur ce que j'ai tramé de toile et broderie, |
Sans pouvoir soulager les douleurs de ma vie
En aucune façon. Mais que veut ce courrier ?
MESSAGER.
Ulysse a mérité le chapeau de laurier. [ 140 Chapeau de laurier : couronne de vainqueur.]
PÉNÉLOPE.
Héraut, mon bon ami, dis moi quelle nouvelle,
825 | Dis-la moi, je te prie, et tôt me la décèle. [ 141 Déceler : Faire connaître (ce qui est secret), dévoiler qqc., révéler l'existence de qqc. [DMF]] |
MESSAGER.
Chaste fille d'Icar{e], vrai modèle d'honneur,
C'est ores que les Dieux bornent votre langueur, [ 142 Ores : maintenant. [CSP]]
Puisque votre mari est revenu de Troie.
Io par tout Io, Madame, prenez joie.
830 | Déjà il a fait voir d'un champion habile |
Les martiaux efforts, sans si montrer débile. [ 143 Débile : Qui manque de force, au physique et au moral. [L]]
Maugré les fiers amans, leurs targes et leurs dards, [ 145 Targe : Espèce de bouclier. [L]] [ 144 Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]]
Ulysse, mon seigneur, a saisi les remparts,
Ulysse, mon seigneur, en qui gît votre vie,
835 | Ce jour les a punis de leur cypride envie. [ 146 Cypride envie : désirs amoureux.] |
C'est fait de Pisander, d'Irus, de Polyctor
Et même des Zantois, amis de Damastor.
L'expert Dulychien, prudent, disert et sage,
Imite le nocher adextre au navigage. [ 148 Navigage : action de naviguer. [DMF]] [ 147 Adextre : Habile, qui a donné dextérité.]
840 | Bien que la frêle nef s'échoue sur les flots, |
Il la sauve pourtant et se met à repos.
Ainsi ce grand héros, voyant tous ses rebelles
Vous traiter rudement avec vos gens fidèles,
Les attaque si bien, de fureur irrité,
845 | Que ce jour il vous met en pleine liberté. |
PÉNÉLOPE.
Ce sont discours en l'air, et apparences folles,
Je ne croirai jamais vos flatteuses paroles.
MESSAGER.
Voyez-vous point encor ce large coutelas
Tout empourpré de sang qui coule sur mes bras ?
PÉNÉLOPE.
850 | Ces tigres furibonds m'ont fait tant de misère, |
Qu'ils fraudent mon esprit de ce qui peut lui plaire.
Mais si par la faveur du monarque des cieux
Ils étaient terrassez dans le choc furieux,
Quel rameau frondoyant, quelle sainte prière [ 149 Frondoyant : Se couvrant de feuillage. [L]]
855 | Pourrais-je consacrer à sa vertu guerrière ? |
MESSAGER.
Madame, croyez donc qu'Ulysse, Roi fameux,
Ce jour a triomphé de tous les amoureux.
PÉNÉLOPE.
Las ! Que le ciel vengeur me serait favorable.
S'il faisait printaner un temps si agréable. [ 150 Printaner : commencer, fleurir.]
860 | Que de revoir encor l'inflexible destin |
Se montrer devers moi d'un visage bénin, [ 151 Bénin : Fig. Propice, favorable. [L]]
Je quitt[e]rais mes regrets sans autre contenance.
MESSAGER.
Vous les pouvez quitter, dessus mon assurance,
En jonchez donc la terre et d'herbes et de fleurs,
865 | Changeant votre chagrin en grâces et douceurs, |
De sorte que l'accueil, le soulas et franchise [ 152 Soulas : Soulagement, consolation, joie, plaisir. [L]]
Soient prêtes à bienveigner votre mari Ulysse. [ 153 Bienveigner : Souhaiter la bienvenue à qqn, l'accueillir amicalement. [DMF]]
PÉNÉLOPE.
C'est mon tout, c'est mon bien, c'est lui seul que je veux
Honorer et servir, comme un Roi généreux,
870 | Qui suis de ses vertus si bien enamourée, |
Que nulle cavallerisse à mon âme n'agrée. [ 154 Cavallerisse : promesse, cajoleries.]
Et quand contraire avis en moi fera séjour,
Les cercles lumineux ne fassent plus leur tour.
Mais si longtemps y a qu'il tarde sa venue.
MESSAGER.
875 | Croyez qu'il est céans, et avant que la nue |
De son manteau obscur embrunisse les cieux,
Il viendra vous trouver d'un maintien gracieux.
Ores de ses vertus la déesse emplumée [ 155 Déesse emplumée : La Renommée.]
Embouche les effets de sa belle arrivée,
880 | Avec langues et yeux, qui partout en passant |
Vont de votre mari la grandeur annonçant,
Si bien qu'on sait déjà que la Dulyche trope [ 157 Trope : ici Troupeau.] [ 156 Dulyche est un île où Ulysse était seigneur. Voir Pline Liv. XXV.]
A mis en sûr repos la chaste Pénélope.
[III].
Ulysse, Pénélope.
ULYSSE.
Pénélope, mon coeur, ma vie et mon amour,
885 | Me voici retourné de mon fâcheux séjour, |
Ha ! Que je suis content sur la fin de mon âge,
De vous revoir encor, après si long voyage.
Ô puissant Dieu Hymen, sur tes riches autels
Je ferai pétiller mille feux solennels,
890 | Puisque dessous ton joug deux fois ne s'est rangée |
Ma constante moitié, d'un chacun désirée.
Car je connais combien en mes tristes malheurs
Tu m'as prêté l'appui de tes saintes faveurs.
PÉNÉLOPE.
Ulysse, mon époux, las ! Que votre venue
895 | Depuis vingt ans passés est céans attendue. |
Durant un si long temps les superbes Zantois
Ont jouis de vos biens, en dépit de nous trois,
Chacun d'eux les tirait, comme j'étais seulette,
Ils battaient Télémaq[ue], se moquaient de Laerte.
900 | Mais ainsi que la Palme est propre à résister |
Aux fardeaux onéreux, sans point s'acravanter, [ 158 Onéreux : lourd.]
De même ne chopant pour aucune tempête,
Je suis en dépit d'eux votre belle conquête.
ULYSSE.
Or puisque la splendeur de mes rares vertus
905 | A chassé Cupidon et ses monstres têtus, |
Par troublants mon état, qui gâte et précipite
Leurs sinistres desseins aux ondes du Cocyte,
J'ai, qui peux me vanter d'avoir été l'effroi
De ces mignons de cour ennemis de leur Roi,
910 | Plus animés au sang, au butin, au carnage, |
Que tigres, que lions courant, bramant de rage,
Trahissant leur pays, dessous l'autorité
Qu'ils tiennent de mon sceptre et de ma royauté.
Doncques les scélérats qui s'enflent le courage
915 | Contre leur prince et Roi, n'en ont que du dommage. |
Au lieu de foisonner en richesses et biens,
Ils risquent quand et quand leur vie et leurs moyens, [ 159 Quand et quand : en même temps. [L]]
Avec les factieux qui endossent les armes,
Contre les preux héros résolus aux vacarmes,
920 | Ressemblant aux géants, qui à force de bras, |
Roulèrent de gros monts, cuidant d'un tel amas
Escalader le ciel, veillé par le tonnerre,
Et détrôner Jupin, qui les rua par terre.
Ceux qui se sont ligués contre ma majesté
925 | Ont reçu le loyer de leur perversité: |
Car jamais il ne faut follement entreprendre,
Contre un plus grand que soi, de peur de quelque esclandre.
La crainte du malfait accompagné du deuil, [ 160 Malfait : Méfait, mauvaise action, péché. [L]]
Ne quitte les tyrans qu'ils ne soient au cercueil.
930 | Jà la mort est leur vie, et pensent à toute heure |
Qu'on va les culbuter en larvale demeure. [ 161 Larvale demeure : dans le tombe, chez les morts.]
Les rebelles enfin sont, ainsi qu'une tour,
Qui porte son coupeau près la torche du jour, [ 163 Torche du jour : soleil.] [ 162 Coupeau : Sommet d'un coteau, d'une montagne. [L]]
Qu'on dirait qu'el' ne craint de Borée l'audace [ 164 Borrée : personnification du vent du Nord.]
935 | Qui la rue toutefois et en bas la terrasse. |
PÉNÉLOPE.
Mon ami, je vous prie de rompre ce discours.
Ja déjà le soleil parachève son cours,
Et sa soeur en postant par la voûte éthérée
Dépêche devers vous le fantasque Morphée. [ 165 Morphée : Dieu du sommeil.]
ULYSSE.
940 | Ce dieu n'a nul pouvoir d'assoupir mes esprits |
Tandis que je vous vois, et l'eut-il entrepris.
Mais toutefois allons voir mon père Laërte,
Et mon fils Télémaq[ue], pour faire ensemble fête.
ACTE V
[I].
Ulysse, Télémaque.
ULYSSE.
Pourquoi, destin, plutôt travailles-tu un Roi
945 | Qu'un champêtre bouvier, le mettant en émoi ? |
Ores tu sais comment le travail ni la crainte
N'ont rompu mes projets, quand j'avais l'âme atteinte
D'une chaude fureur, ruminant le pouvoir,
Qu'entre les Argiens le ciel m'a fait avoir. [ 166 Argiens : grecs.]
950 | Après avoir vogué longtemps sur l'Amphitrite, [ 167 Amphitrite : Terme de mythologie. Déesse de la mer, et, poétiquement, la mer elle-même. [L]] |
Les filles de la nuit remportent mon mérite :
Car dormant j'ai songé que mon fils Télégon
Hélas ! Doit me tuer entrant dans ma maison.
TÉLÉMAQUE.
Croie ; que Télégon n'en aura la puissance.
955 | Nous pouvons rembarrer sa proterne arrogance, [ 168 Proterne : ou Proterve, Sans mesure, insolent, arrogant. [DMF]] |
Avecques la vertu de vos humbles sujets
Qui pareront le coup de tels craintifs objets.
Et vous, l'honneur des Grecs, n'avez-vous le courage
Assez brave, assez fort, pour brider cet orage?
ULYSSE.
960 | Ha ! Que dis-tu, mon fils, la félonne Clothon [ 169 Clothon : ou Clotho. Mythologie. Celle des trois Parques qui file le fil de la vie des hommes. [L]] |
Achève de mes jours le filandreux coton,
Le terme est déjà près, sans heure ni demie
Des trois fatales soeurs, et la force ennemie. [ 170 Les trois soeurs : les parques.]
J'aperçois maintenant mes membres refroidis.
965 | Et de grande frayeur mornes et engourdis, |
C'est pourquoi je deviens chétif et misérable,
Sans pouvoir désormais m'être plus secourable.
Les présages futurs m'épouvantent aussi
Et le vol des corbeaux je considère ici
970 | Avec croassements, que le corps m'enfrissonne. |
À leurs augures saints de bon coeur m'abandonne.
TÉLÉMAQUE.
Ô ciel, trop importun, quels changements divers
Tournent les beaux exploits des mortels à l'envers ?
Avec le cours du temps toute chose s'efface,
975 | Ou bien en s'altérant de l'une à l'autre passe. |
Quel vite tourbillon, quel orage venteux, [ 171 Vite : rapide, soudain.]
Coupe le fil des jours des mortels malheureux.
ULYSSE.
J'apercois maintenant que l'homme est périssable,
Comme la fleur des champs, vermeille et délectable.
980 | Il peut se comparer aux feuillages divers, |
Qui touffus, qui crêpés, qui ombrageux, qui verts,
Tombent de haut en bas, et perdent leur verdure,
rDès qu'ils ont supporté d'Aquilon la pointure.
Tel est l'instable sort du Microcosme humain.
985 | Il est huy bien dispos, et au tombeau demain. |
Les spectres, les grandeurs, les châteaux imprenables,
Occuper et perdus, enfin sont recouvrables :
Mais depuis que la Parque a tranché de nos jours
Le fatal peloton, il n'y a nul recours.
990 | Ô Roy infortuné, ô Roi plein de misère, |
N'ayant de parangon en l'Avernal repaire.
Où est ce front hautain qui Hector étonnait
Et ce brave maintien qui si bien paraissait ?
Hélas ! quelle douleur, quelle tristesse amère
995 | Engendre Télégon à Ulysse son père ! |
Quels regrets, quels soupirs Itaque répandra,
Lorsque sur le pavé un chacun me verra
Nauré d'un coup mortel, trébuchant, misérable, [ 172 Naturé : Qui est façonné, créé. [DMF]]
Sans jamais échapper cette plaie incurable.
TÉLÉMAQUE.
1000 | Il faut se disposer afin que Télégon |
Ne brasse rien de mal, entrant dans la maison.
Télémaq[ue], mon cher fils, par les Dieux je t'adjure
De me favoriser.
TÉLÉMAQUE.
Oui vraiment je le jure.
Allons donc mettre gens en guet de tous côtés,
1005 | De peur que ne soyons couverts d'adversite. |
ULYSSE.
Je suis comme les cerfs, aux cornes plus rameuses, [ 173 Rameux : Il se dit du bois des cerfs. [L] Rapport à la ramure.]
Qui souvent malmenés par les forêts ombreuses,
Courent de change en change, et plus sont pourchasse ;
À chevaux de relais, si bien qu'étant lassés,
1010 | Sont pressés, aux abois. Alors les chiens sans crainte |
Endentent dessus eux mainte sanglante atteinte.
Mais il faut m'écarter en quelque lieu désert.
{II].
Télémaque, Télégon.
TÉLÉMAQUE.
Las ! Contre le destin le changement peu sert.
TÉLÉGON.
Avant que le soleil à la perruque blonde
1015 | Baigne ses limoniers dedans la mer profonde, |
Je veux sans différer aborder le château
Du grand Laërtien, des Grégeois le flambeau. [ 174 Laertien : ici Ulysse.]
Or voici son pays, voici ses terres sombres.
Je vois déjà du fort les tremblotantes ombres,
1020 | Les créneaux, les remparts, les fossés et les murs |
Qui dépitent Mavors et ses guerriers plus sûrs. [ 175 Mavors : Forme archaïque puis poétique de Mars. [L]]
Que si quelque bravache, à la crêpe jouvence,
Pensait m'agendarmer, ou me faire défense, [ 176 Agendarmer : gendarmer. Saisi d'une irritation qu'on témoigne. [L]]
Par discours ampoulés, d'entrer en la maison,
1025 | Malheur, malheur sur lui, et sur la garnison : |
Car j'ai si grand désir de voir mon sage père,
Qu'il n'y aura danger qui me soit adversaire.
TÉLÉMAQUE.
Que c[h]erchez-vous, parlez, parlez à cette fois.
TÉLÉGON.
Je veux aller dedans le château Ithaquois.
TÉLÉMAQUE.
1030 | C'est assez avancé du premier que d'entendre: |
La part d'où vous venez. Donc sans plus entreprendre,
Dites-nous vitement votre lieu, votre nom,
Vos parents, vos aïeux, s'ils sont gens de renom.
TÉLÉGON.
Je suis d'Ulysse fils, dont la force est connue
1035 | De la terre, de l'onde et de l'onde chenue. |
Ne soyez maintenant davantage en émoi,
Car je suis Télégon, fils de Circé et du Roy.
TÉLÉMAQUE.
Sus, c'est trop cajolé, sur ce qu'on vous demande.
Retirez-vous en bref, le prince vous le mande.
TÉLÉGON.
1040 | J'entrerai là dedans. |
TÉLÉMAQUE.
Quoi ! Le penseriez-vous ? |
Alarme, compagnons, venez, secourez-nous.
Qu'on se mette en devoir pour avoir la victoire,
Et qu'un coup meurtrissant lui soit enfin pour gloire.
Venons donc au combat.
[III].
Télémaque, Télégon, Ulysse.
ULYSSE.
Hé ! Bon Dieu, tout s'enfuit.
1045 | Quels cris, quels choquements, quel cliquetis, quel bruit ! [ 177 Choquement : Action de choquer ou de se choquer. [L]] |
À moi, enfants de Mars, tournez, tournez visage,
Frappez, donnez dessus, qu'on ne perde courage.
TÉLÉMAQUE.
Voilà mon père mort. Las ! Quel sanglant méchef,
Nous revient désormais tomber dessus le chef.
1050 | Mon père, permette ; qu'ores je vous embrasse, |
Et avant que mourir je baise votre face.
Hélas ! On voit à l'oeil que les pins sourcilleux [ 178 Sourcilleur : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]]
Sont plutôt fracassés du foudre impétueux,
Que coudriers touffus qui portent leurs coupelles [ 179 Coupelles ; coupeaux, sommets.]
1055 | Au profond des vallons, éloignez des étoiles. |
Ainsi l'onde abayante enfondre dans les flots [ 181 Abayant ; variante de Aboyant. Participe passé d'Aboyer.] [ 180 Enfondre : Rompre, briser. [L]]
Plutôt les grandes nefs que les petits bachots. [ 182 Bachot : Petit bateau. [L]]
Ainsi les hauts coupeaux des scabreuses montagnes
Sont plutôt eventés que le plat des campagnes.
1060 | Ainsi les gouverneurs, les princes et les Rois |
Sentent plutôt la mort que simples villageois.
Je ne peux à ce corps meilleur office rendre
Que dresser un tombeau pour y serrer sa cendre.
TÉLÉGON.
Quoi ! J'ai tué mon père, en pensant, courageux,
1065 | Aborder le château de mes nobles aïeux. |
Ô terrible courroux, sans espoir de franchise, [ 183 Franchise : pardon]
Ô le triste forfait très digne de reprise, [ 184 Reprise : reproche]
Ô ciel par trop mobile. Hélas ! Tout le malheur
Est causé de par moi, et me navre le coeur.
1070 | Que faites-vous, Clothon, superbe filandière ? |
Sorte ; tonne ; hurle ; déesse meurtrière ;
Entendez mes regrets, et vos deux autres soeurs
Accourent avec vous, terminer mes douleurs.
Je soufre plus d'ahans, d'angoisses et de peines,
1075 | Qu'on ne saurait porter sur vos noires arènes. |
La roue où est roué le perfide Ixion
Ne sera suffisante à ma punition.
Des Béleides soeurs je dépite les cribles, [ 185 Belleide soeurs : Filles de Bélus, les Danaïdes.]
Le caillou de Sisyphe et les douleurs terribles
1080 | De l'infame Tithye, à qui paît un vautour |
Le foie renaissant, havement à l'entour.
Je dépite les fouets des fières Euménides
Et l'affamé troupeau des oiseaux Stympha1ides. [ 186 Stymphalide : contrée du Péloponèse.]
AEque doit trouver des supplices nouveaux
1085 | Qui puissent égaler la grandeur de mes maux. |
Sus donc, monstres hideux, qui tenez le rivage
De l'Enfer Avernal, plein d'horreur et de rage,
Virez, tournez, riblez à mes funestes cris, [ 187 Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]]
Et venez sans tarder des antres plus noircis,
1090 | Grondants, jappant, hurlant d'une façon terrible, |
Sans séjourner la bas dans le manoir horrible.
Tisiphone, Alecton, Mégère, aux noirs cheveux, [ 188 Tisiphone, Alecton, Mégère sont les Furies.]
Vous voulez, vous, dormir, non, non je ne le veux ;
Non, dis-je, je ne veux, furies Cocythides,
1095 | Que vous soyez toujours de vous trois homicides. |
Vous ombres, vous serpents, vous Hydres, vous pythons,
Entrouvrez le conduit de vos gosiers gloutons.
Ne craignez d'aborder, enfler d'énorme vice.
Il faut que Télégon vous serve d'exercice.
1100 | Vous aussi, vous, Démons, fourriers du vieil Charon, [ 189 Fourrier : Autrefois, officier qui servait sous un maréchal des logis et dont la fonction était de marquer le logement de ceux qui suivaient la cour. [L]] |
Laisser vos lits ferrer dans le triste Acheron.
Vous spectres, vous marais, vous chien à triple tête, [ 190 Cerbère : chien à trois têtes qui garde l'entrée de l'Enfer.]
Vous paniques terreurs, redoublez la tempête,
Accablez-moi ici, et les affreux esprits
1105 | Apaisent la rigueur de mes sombres ennuis. |
Vous, race d'Apollon, qui redorez le monde,
Poussez-moi sous les flots de Nérée profonde. [ 191 Nérée : métaphore de la mer.]
Vous, Hécate, à trois noms, déesse des forêts,
Faites tomber sur moi des accidents épais.
1110 | Et vous, astres errants, privez-moi de lumière, |
Sans plus me torturer d'une telle manière.
Mon fait vous est ouvert, vous le savez, Pluton,
Et vous, tous autres dieux, chacun en son canton.
Il faut que Radamante et Minos implacable [ 192 Radamante et Minos : Juges des Enfers.]
1115 | Devisent donc entre eux de mon mal déplorable, |
Et qu'ils cherchent partout et gênes, et travaux, [ 193 Gênes : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. [L]]
Pour moi quand je serai dans leurs obscurs caveaux.
Quoi ? Faut-il que mon bras ait fait ce parricide ?
Faut-il qu'il soit, hélas ! De mon père homicide ?
1120 | Je veux tôt le punir en maudissant les cieux, |
Le tonnant Jupiter et les monstres aqueux.
Ha ! Méchant coutelas, tu m'as bien montré comme
Est hasardeux un coup, lâché dessus un homme,
Faute qui me poignarde et detrench[i]e le coeur, [ 194 Detrenchier : découper, diviser. [L]]
1125 | Me causant à jamais une amère rancueur, |
La terre en a dépit et la mer et le pôle,
Et ne se trouve rien qui ça bas me console.
Enfin je veux tenter quelle sorte de mort
Je dois en bref choisir, sans qu'un pâle remord
1130 | Me ronge le cerveau et toujours me pointelle [ 195 Pointelle : petite pointe. [L]] |
Les flancs et, les poumons d'une passion telle.
Tant plus que je séjourne en ce tapis herbeux,
De tous cotés les maux s'offrent devant mes yeux.
C'est trop, c'est trop penser à ce que je dois faire,
1135 | Tardant le coup fatal de ma main sanguinaire. |
Sus donc, acier tranchant, sus donc, dague mutine,
Fais couler un ruisseau de sang de ma poitrine.
Quoi ! Dois-je me tuer ou prolonger mes jours ?
Dois-je me retirer des lugubres séjours ?
1140 | Il me semble pourtant qu'il vaut mieux que la Parque |
Diffère à m'envoyer en le styrgienne barque,
Vu qu'on dit qu'il ne faut d'un mal en faire deux.
Pourquoi je veux laisser ces tertres raboteux.
Afin de me tirer aux fins de l'Italie,
1145 | Pour y passer mon deuil le reste de ma vie. |
Hélas ! Je ne pensais, la porte envisageant,
Tramer un tel malheur de mon bras inconstant.
Je vous supplie, forêts, vents, grottes et rivages,
Lamentez avec moi par les monts et boccages.
1150 | Et vous, langarde Echon, rechantez dans les bois [ 196 Langard(e) : (Celui qui est) bavard (gén. avec une idée de tromperie ou de médisance) [DMF]] |
Les cris que j'éventrai de l'estomac pantois,
Ains incontinuement que je sanglote et pleure
Jusqu'à tant que je sois en la pâle demeure.
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Notes
[1] Ravelin : Terme de fortification. Synonyme de demi-lune. [L]
[2] Boulevard : Ouvrage de fortification extérieure d'une place forte, rempart de terre, terre-plein en avant d'un rempart. [L]
[3] Laomédontins : Troyens, de Laomédon ancêtre de Priam.
[4] Artisé : construit [Champrepus]
[5] Simoïs : fleuve de Phrygie, proche de Troie.
[6] Dam : Dommage, préjudice (matériel ou moral) [L]
[7] Acravanter : Écraser, anéantir en écrasant. [DMF]
[8] Sarpedon : Fils de Jupiter, tué par Patrocle.
[9] Palladion : Statue de Pallas [DMF]
[10] Chevreux : Ancienne forme de chevreuils.
[11] Sente : Synonyme populaire de sentier. [L]
[12] Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]
[13] Faix : chose qui pèse, chose lourde. [DMF]
[14] Phalange : Nom que les Grecs donnaient à leur infanterie. Plus particulièrement, phalange macédonienne, bataillon formé de huit mille hommes armés de piques et de boucliers, qui se composait de seize files en profondeur ; les cinq premières files croisaient leurs piques, et les onze dernières appuyaient les leurs sur les épaules des hommes placés devant eux. [L]
[15] Ajax est le fils de Télamon.
[16] Atrides : Nom donné aux fils d'Atrée : Agamamnon et Ménélas.
[17] Chenu : Tout blanc de vieillesse. Fig. Couvert de neige. [L] Ici, l'écume.
[18] Filles d'Achéloïs : sirènes.
[19] Empourper : Terme de marine. Prendre un vaisseau en poupe, en parlant du vent. [L]
[20] Sourcilleux : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]
[21] Tors : Synonyme de tordu ; tors est l'ancien participe passé de tordre. [L]
[22] Arète : Reine des Phéaciens. Ceux-ci fournirent un navire à Ulysse pour retourner en Ithaque.
[23] Baisoter : Diminutif et fréquentatif de baiser. Familièrement. [L]
[24] Accoiser : Rendre coi, calme, tranquille. [L]
[25] Flateux : variante ancienne et poétique de Flatueux : Terme de médecine. Qui cause des vents. Certains aliments sont flatueux.
[26] Acasaner : Ne permet que leurs esprits s'abâtardissent ou s'acasanent en voluptés.
[27] Féru : Fig. Être féru d'une personne, d'une chose, en être très épris.
[28] Languide : Qui est dans la langueur. [L]
[29] Raboteux : Par analogie, il se dit d'une superficie inégale, et particulièrement du terrain, des chemins. [L]
[30] Rouaux : roues.
[31] Vers 167, aucun vers ne rime avec étendu.
[32] Faitard : Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux.
[33] Amignoter : Traiter avec tendresse une personne que l'on aime; tenter de s'attirer les faveurs de quelqu'un par la douceur. [TLFI]
[34] Dameret : Homme dont la toilette et la galanterie ont de l'affectation. [L]
[35] Adonisé : Paré avec une grande recherche. [L]
[36] Rapiner : Prendre injustement, en abusant des fonctions dont on est chargé. Ce fournisseur rapine sur tout ce qu'il achète. [L]
[37] Planure : s'est dit au XVIe siècle pour une plaine. [L]
[38] Évaltonner : Prendre un ton dégagé, s'émanciper, égaré, hagard pour une personne. Ici, un emploi.
[39] Haut-tonnant : Jupiter ou Zeus.
[40] Rudache : arme.
[41] Drillement : on dirait plutôt brillement.
[42] Ains : mais.
[43] Pointeler : Guider, aiguilloner. [Godefroy]
[44] Brandon : Bouquet de paille enflammé, dont on se sert pour s'éclairer. [L] Ici métaphore du soleil.
[45] Tithon : Prince Troyen, frère de Priam, était si beau que l'Aurore l'enleva pour en faire son époux. [B]
[46] Roussin : Cheval entier un peu épais et entre deux tailles. [L]
[47] La fin du vers est dans la source : "Chex, u"
[48] Détire : Tirer en tout sens. [L]
[49] Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]
[50] Rader : du latin radere. raser. [L]
[51] Corrival : rival. [L]
[52] Pandore, première femme dans la mythologie grecque, ouvrit une boite de laquelle s'échappèrent tous mes maux et la referma soudain en y laissant l'espoir.
[53] Piper : Fig. Tromper, séduire, enjôler. [L]
[54] Faitard : (fétard dans le texte) Terme vieilli. Qui tarde à faire quelque chose, paresseux. [L]
[55] Globeau : Corps sphérique relativement petit. [DMF]
[56] Rhodope : Montagne de Thrace.
[57] Coupeau : Partie la plus haute de quelque chose, sommet. [DMF]
[58] Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]
[59] Cotte : Jupe de paysanne, plissée par le haut à la ceinture. Cotte d'armes, habillement que mettaient autrefois les chevaliers sur leurs armes, tant à la guerre que dans les tournois, et qui était porté par les hérauts d'armes. [L]
[60] Eumée : porcher d'Ulysse et de son père Laërte.
[61] Pourpris : Enceinte, habitation. [L]
[62] Quand et quand : loin de. [L]
[63] Besson : Jumeau, jumelle ; l'un des deux enfants d'une même couche. Vieux et inusité, si ce n'est dans quelques provinces. [L]
[64] Surgeon : Fig. Descendant, rejeton d'une race (vieilli en ce sens). [L]
[65] Autan : Vent du midi. En poésie, un vent violent. [L]
[66] Belliqueur : guerrier.
[67] Carguer : Terme de marine. Serrer et trousser les voiles contre leurs vergues, au moyen des cargues. [L]
[68] Bastant : Suffisant. [L]
[69] Fureter : Fig. Fouiller, chercher partout. [L]
[70] Flageol : ou Flageolet. Sorte de flûte à bec percée de six trous et armée de clefs, qui a des sons très aigus. [F]
[71] Arigot : Sorte de fifre.
[72] Gringotter : Familièrement. Il se dit des personnes qui fredonnent mal. [L]
[73] Coudraie : Lieu planté de coudriers. [L]
[74] Lambruche : Nom vulgaire donné, dans quelques cantons du midi de la France, à des ceps de vigne croissant spontanément et sauvages. [L]
[75] Encourtiner : Garnir de courtines, de tapisseries, de rideaux. [L]0 Assombrir.
[76] Tect : du latin Tectum Toit.
[77] Comices : Terme d'antiquité. Nom que les Romains donnaient à leurs assemblées pour l'élection des magistrats, et pour d'autres affaires publiques. [L]
[78] En fin de vers on lit Tans, nous lui préférons temps.
[79] Rapine : Action de ravir quelque chose par violence. Volerie, larcin, concussion. [L]
[80] Gêne : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. Par extension, douleurs très vives comparées à celles de la question. [L]
[81] Stygieux : qui a les qualités sombres du Styx, fleuve de l'Enfer.
[82] Clothon et Atropos : Parques, Clothon tisse le fil de la vie, et Atropos le coupe.
[83] Parfiler : Défaire fil à fil une étoffe ou un galon, soit d'or, soit d'argent, et séparer l'or et l'argent. [L]
[84] Achérontées : Qui a les qualités de l'Acheron, fleuve des Enfers.
[85] Ciseler : Terme de découpeur. Ciseler du velours, découper avec agréments et en manière de fleurs le dessus du velours avec la pointe des ciseaux. [L]
[86] Glandier : arbre qui fabrique des glands : le chêne.
[87] Dans l'Illiade, Hélène, enlevé par Pâris, est la fille de Léda et Tyndare.
[88] Panopée : Est une des filles de Nérée (néréïde) dans la mythologie grecque.
[89] Havre : Anciennement, port de mer quelconque. [L]
[90] Zante : île grecque de la mer Ionnienne.
[91] Planir : aplanir. [DMF]
[92] Ourse : Il s'agit ici de la Constellation de L'Ourse composée de sept étoiles.
[93] Laërte : Père d'Ulysse.
[94] Poindre : Piquer [L]
[95] Colérer : se mettre en colère. [L]
[96] Las : Tournure vieillie pour "Hélas".
[97] Paphien : Originaire de Paphos, surnom du dieu Amour.
[98] Dédale : Fig. Embarras, complication, confusion. [L]
[99] S'engréger : s'agraver, s'accumuler.
[100] Diffame : substantif du verbe diffamer signifiant déshonneur.
[101] Hôteler : Loger, recevoir chez soi. [L]
[102] Rest : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]
[103] Pipeur : Celui qui trompe de quelque manière que ce soit. [L]
[104] Grief : Douloureux. [L]
[105] Cil : terme vieilli pour celui.
[106] Ceraunean : qualifie les Montagnes de l'Epire en Grèce.
[107] S'accouardir : Rendre couard.[L]
[108] Tistre : Il signifie tisser et est usité seulement au participe passé tissu, et aux temps qui en sont composés. [L]
[109] Alcide : Nom d'Hercule dont on se sert pour désigner un homme très fort. C'est un alcide.
[110] Pyrame : Personnage de la mythologie, nourrissant une passion pour Thisbé.
[111] Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]
[112] Pourpenser : Méditer longuement ; penser mûrement à un but donné. [L]
[113] Naturer : Qui façonne qui crée. [DMF]
[114] Démophon : fils de Thésée.
[115] Héro se jeta à la mer pour rejoindre Héro et mourut.
[116] Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]
[117] Pomone : Dans le mythologie gréco-romaine, déesse des jardins.
[118] Houppelande : Espèce de douillette ou vêtement long, ouaté, non ajusté, à manches, à col plat, que les hommes mettaient par-dessus leur habit, et que les prêtres portent encore l'hiver par-dessus leur soutane. [L]
[119] Pergames : Citadelle d'Asie mineure. Ici la citadelle de Troie.
[120] Journalier bradon : le soleil.
[121] L'Aurore aima Céphale.
[122] Petits feux : étoiles.
[123] Ouvrer : travailler. [L]
[124] Espagnoles eaux : l'ouest.
[125] Idalien cordage : l'arc de cupidon.
[126] Cuidre : Croire, penser.
[127] Cassandre : Fille de Priam, qui, prédisant l'avenir, n'était jamais crue des Troyens. [L]
[128] Foudre : Poétiquement et au masculin. Catastrophe, destruction. [L]
[129] La soeur jumelle de Phébus est Diane.
[130] Le Mopnt Cinthe ou Cynthus se situe dans l'ile grecque de Délos.
[131] Attouche : attouchement.
[132] Poltroniser : Terme vieilli. Faire le poltron ; se conduire en poltron. [L]
[133] Pâtis : Lande ou friche, où l'on fait paître les bestiaux. [L]
[134] Ragas d'eau : torrent.
[135] Bled : nom donné à un ensemble de céréales blé, seigle (...).
[136] Maugré : Ancienne forme de malgré.
[137] Nuaux : nuages, nuées.
[138] Fille de Jupin : Minerve.
[139] Appender : Déployer, répandre, envoyer. [L]
[140] Chapeau de laurier : couronne de vainqueur.
[141] Déceler : Faire connaître (ce qui est secret), dévoiler qqc., révéler l'existence de qqc. [DMF]
[142] Ores : maintenant. [CSP]
[143] Débile : Qui manque de force, au physique et au moral. [L]
[144] Maugré : Ancienne forme de malgré. [L]
[145] Targe : Espèce de bouclier. [L]
[146] Cypride envie : désirs amoureux.
[147] Adextre : Habile, qui a donné dextérité.
[148] Navigage : action de naviguer. [DMF]
[149] Frondoyant : Se couvrant de feuillage. [L]
[150] Printaner : commencer, fleurir.
[151] Bénin : Fig. Propice, favorable. [L]
[152] Soulas : Soulagement, consolation, joie, plaisir. [L]
[153] Bienveigner : Souhaiter la bienvenue à qqn, l'accueillir amicalement. [DMF]
[154] Cavallerisse : promesse, cajoleries.
[155] Déesse emplumée : La Renommée.
[156] Dulyche est un île où Ulysse était seigneur. Voir Pline Liv. XXV.
[157] Trope : ici Troupeau.
[158] Onéreux : lourd.
[159] Quand et quand : en même temps. [L]
[160] Malfait : Méfait, mauvaise action, péché. [L]
[161] Larvale demeure : dans le tombe, chez les morts.
[162] Coupeau : Sommet d'un coteau, d'une montagne. [L]
[163] Torche du jour : soleil.
[164] Borrée : personnification du vent du Nord.
[165] Morphée : Dieu du sommeil.
[166] Argiens : grecs.
[167] Amphitrite : Terme de mythologie. Déesse de la mer, et, poétiquement, la mer elle-même. [L]
[168] Proterne : ou Proterve, Sans mesure, insolent, arrogant. [DMF]
[169] Clothon : ou Clotho. Mythologie. Celle des trois Parques qui file le fil de la vie des hommes. [L]
[170] Les trois soeurs : les parques.
[171] Vite : rapide, soudain.
[172] Naturé : Qui est façonné, créé. [DMF]
[173] Rameux : Il se dit du bois des cerfs. [L] Rapport à la ramure.
[174] Laertien : ici Ulysse.
[175] Mavors : Forme archaïque puis poétique de Mars. [L]
[176] Agendarmer : gendarmer. Saisi d'une irritation qu'on témoigne. [L]
[177] Choquement : Action de choquer ou de se choquer. [L]
[178] Sourcilleur : Fig. et poétiquement. Haut, élevé. [L]
[179] Coupelles ; coupeaux, sommets.
[180] Enfondre : Rompre, briser. [L]
[181] Abayant ; variante de Aboyant. Participe passé d'Aboyer.
[182] Bachot : Petit bateau. [L]
[183] Franchise : pardon
[184] Reprise : reproche
[185] Belleide soeurs : Filles de Bélus, les Danaïdes.
[186] Stymphalide : contrée du Péloponèse.
[187] Ribler : Aiguiser une meule neuve avec de l'eau ou du sable sec, et en la frottant contre une autre. [L]
[188] Tisiphone, Alecton, Mégère sont les Furies.
[189] Fourrier : Autrefois, officier qui servait sous un maréchal des logis et dont la fonction était de marquer le logement de ceux qui suivaient la cour. [L]
[190] Cerbère : chien à trois têtes qui garde l'entrée de l'Enfer.
[191] Nérée : métaphore de la mer.
[192] Radamante et Minos : Juges des Enfers.
[193] Gênes : La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. [L]
[194] Detrenchier : découper, diviser. [L]
[195] Pointelle : petite pointe. [L]
[196] Langard(e) : (Celui qui est) bavard (gén. avec une idée de tromperie ou de médisance) [DMF]