LA MORT C'EST LA VIE !

DIALOGUE EN VERS, lu à l'Académie de Clermont, le 6 janvier 1876.

1876

de LOUIS CHALMETON, DE L'ACADÉMIE DE CLERMONT, DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES.

CLERMONT-FERRAND IMPIRMERIE FERDINAND THIBAUD, LIBRAIRE, rue Saint-Genès, 8-10

CLERMONT, Typ. FERD. THIBAUD.

Lu à l'Académie de Clermont le 6 janvier µ1876.


Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:56:56.


A. BARDOUX

MOINS AU MINISTRE QU'A L'AMI

Ces vers sont affectueusement dédiés par l'Auteur



AVANT-PROPOS

La mort est, à coup sûr, le plus intéressant phénomène physiologique soumis aux méditations de l'homme !

Qu'est-elle, en effet ?

Une disparition absolue ou relative, définitive ou momentanée ;

Dans les deux hypothèses, que deviennent réciproquement l'esprit et la matière, unis durant ce qu'on appelle la Vie, disjoints après ce qu'on appelle la Mort ?

De nombreuses théories ont été, à cet égard, formulées.

Je vais avoir l'honneur d'exprimer la mienne.... en vers, ma forme préférée.

Scientifiquement, je ne suis ni un métaphysicien, ni un théologien, ni un philosophe, mais seulement un rêveur ! tâchant d'approfondir les choses librement et par lui-même, sans rien emprunter pour cela aux opinions d'autrui.

La Mort c'est la Vie ! c'est-à-dire, au point de vue divin, tel que je. le comprends : l'Immortalité !

L'une de mes lectures de 1874 : Panthéos, dédiée à mon excellent ami Laurent Pichat, présente avec celle-ci quelques points de contact.

Dans le premier travail, j'ai mis en regard le Divin et l'Humain.

Dans le second, je! juxtapose la Vie et la Mort, et mes deux conclusions sont identiques.

Elles pourraient se résumer par un grand mot : Excelsior !

Qui de nous, en effet, n'entend pas une voix intérieure et permanente, lui dire : Plus haut, plus haut encore !

Ce dialogue a été offert à M. Jules Simon qui, par la lettre suivante, a bien voulu en accepter la dédicace.

« Cher Monsieur,

» Je vous remercie de m'avoir dédié vos beaux vers et je vous remercie, aussi, du souvenir affectueux que vous me gardez depuis si longtemps.

Vous avez raison, mourir c'est vivre ; mais j'ajoute : avoir des amitiés fidèles c'est vivre aussi.

Tout à vous.

Jules SIMON. »

Le sujet n'en est pas gai ; mais entre la gaieté et la tristesse une place ne pourrait-elle pas être réservée à la mélancolie, impression nullement répulsive, selon moi, et qui, mêlant quelques rayons à ses ombres, laisse pénétrer jusqu'à nous les consolations de l'espérance.

L. C.


PERSONNAGES.

L'HOMME.

LA MORT.


LA MORT C'EST LA VIE !

Un cimetière éclairé par la lune. - L'homme est accoudé sur une tombe.

DIALOGUE EN VERS.
L'Homme, La Mort.

La mort paraît. - Robe traînante et long voile noir.

L'HOMME, apercevant la Mort.

Ô sombre Mort ! Qu'es-tu ?

À la Tombe.

Mystérieuse tombe,

Quel est ton dernier mot ? L'homme, quand il y tombe,

Trouve-t-il, dans ta nuit, les rayons d'un soleil?

Son immobilité froide a-t-elle un réveil?

5   Ou bien, d'ombre vêtu, couché dans une bière,

Son corps doit-il rester à tout jamais poussière ?

Au ver livré, n'avoir pour but que le néant,

Et mourir tout entier?

LA MORT.

Non... ! Un mot effrayant

Mais que tu comprends mal ! - Un nuage qui passe

10   Et ne fait qu'obscurcir ! - Une main qui n'efface

Les choses du présent que pour les remplacer,

Un moteur éternel que rien ne peut lasser,

Un mouvement constant !... Telle suis-je ; la Vie

Est l'un des grands côtés de ton âme ravie ;

15   Mais sans l'autre, sans moi, tout serait arrêté,

Et c'est la Mort qui fait vivre l'humanité !

L'enfant naît ! l'aïeul meurt !... Balance inévitable,

Pondération dont la nature est comptable ;

Quand l'un vient, l'autre va, pour aller à son tour,

20   Et qu'est la Mort ? Sinon cet incessant retour,

De ce qui disparaît pour reparaître encore ?

Le soleil du matin est imprégné d'aurore !

Ses rayons empourprés s'obscurcissent le soir ;

En existent-ils moins quand l'horizon est noir ?

25   Non !... Ainsi de la Vie, et qu'est-elle ? Un mélange

Harmonieux de tons, un clair obscur étrange,

Mais elle est !... Et malgré les tombeaux apparents,

Nuls en réalité ; je rends ce que je prends!

Car rien n'existe pas ! Car il en est de l'homme

30   Comme du feu, de l'eau, des éléments ; en somme,

Où tout est pondéré, dont rien impunément

Ne pourrait être en moins, sans que fatalement

L'équilibre rompu des effets et des causes,

Ne le fît s'effondrer, l'édifice des choses !

35   Donc, l'homme est immortel ! Ce qu'il possède en lui

Ne s'anéantit pas ; un constant aujourd'hui

Domine ses hier et ses demain ; son âme,

Rayon pris au foyer de l'éternelle flamme,

Ne s'éteint pas ; elle a Dieu pour la maintenir !

40   Dieu, c'est-à-dire, tout ! Le présent, l'avenir,

Le passé, Dieu la loi, Dieu la force des choses !

Dieu, le rayon du ciel, Dieu, le parfum des roses !...

L'HOMME, l'interrompant.

Mais la matière meurt !

LA MORT.

Non, non, grâce à l'esprit

Ce condiment divin, d'elle rien ne périt !

45   Le corps paraît tomber, mais l'esprit le relève.

L'HOMME, indiquant la tombe.

Une pierre le couvre !

LA MORT.

Une main la soulève

Et mêlée aux lueurs vivantes d'un flambeau,

Une céleste voix réveille le tombeau !...

L'HOMME, rêveur.

Une voix ?...

LA MORT, tendrement.

Tes douleurs sont par elle apaisées !

L'HOMME.

50   Oui !... Quelquefois, souvent, je livre à mes pensées

L'infini, l'inconnu, l'invisible !... Une voix

Bienfaisante, alors, vient me révéler les lois

D'un monde surhumain ?...

LA MORT.

Et cette voix, qu'est elle ?

L'HOMME.

Je l'ignore !.. Pourtant, je l'entends qui m'appelle

55   Et je l'écoute avec un doux ravissement.'

En dépit de mes sens, j'apprends d'elle comment,

Quoique le relatif seul soit ce que voit l'homme,

Il doit à l'absolu toujours aspirer, comme

Le ruisseau, la rivière et le fleuve, en suivant

60   Leur cours, vont à la mer !... Mon âme en s'élevant

De plus en plus, perçoit l'immensité des choses,

Leurs transformations et leurs métamorphoses !

Je ne définis pas ces énormes pourquoi

Dont ma raison ne peut analyser la loi ;

65   Je ne les comprends pas ; mais, que sais-je ?... Peut-être ?...

Et la voix continue !... Elle me dit que naître

C'est commencer le bien pour aboutir au mieux,

Que dans nos doux berceaux, agents mystérieux !

Nous trouvons un espoir triomphant pour nos tombes !

70   Que de ces lieux d'épreuve, obscures catacombes,

Où s'épure la vie, un jour nous sortirons

Pour gravir des sommets rayonnants ; que nos fronts

Y recevront le sceau d'une autre destinée !...

S'interrompant avec terreur.

... Mais, la matière, hélas ! Au néant enchaînée !...

75   Ne me trompes-tu pas, brillante vision ?

Avec désespoir.

Triste erreur !... Oui le corps, en dissolution,

Reste à la terre, au ver, dont il est la pâture !

... Rien de plus !...

LA MORT.

Quoi ! Déjà la plainte, le murmure ?

Homme oublieux !... Ainsi la révélation

80   Qui te charmait hier, ... n'est qu'une illusion

Et le sombre néant reprend, dans ta pensée,

Son droit au désespoir et sa place insensée !

L'HOMME, avec emportement.

Le néant ? Le néant ?... Cruelle..., mais en toi

Que pourrais-je donc voir qui ne soit pas sa loi ?

85   La mort n'est-elle pas la nuit et le silence ?

LA MORT.

Non !... Jette donc les yeux sur l'univers immense ;

Vois?... La vie est partout!... En dépit de mon nom ?

Interroge, et toujours on te répondra : Non !

Non, la mort n'est qu'un mot et tu la calomnies!

90   A-t-elle donc perdu ses douces euphonies,

La terre? (alma mater) ! « Le silence et la nuit

Sont ce qui fait la mort ! » Homme ingrat, m'as-tu dit !

Écoute, écoute donc les voix de la nature :

Là le souffle du vent, et plus loin, le murmure

95   Du ruisseau, du zéphire ; ici les flots amers

S'entrechoquent!... Ailleurs, la forêt d'arbres verts

S'agite et reproduit les bruits de la tempête !

Tout rayonne, s'émeut, et la vie est complète :

L'oiseau chante, la fleur émaille le gazon,

100   L'automne, le printemps, l'été ; chaque saison

À sa beauté !... L'hiver, sous son manteau de givre,

De glace et de frimas, paraissant ne pas vivre,

Malgré le froid linceul qui le couvre aujourd'hui,

Sent bondir les ardeurs qui bouillonnent en lui !

105   Car il vit, cet hiver auquel on me compare,

Il vit... avec amour !... Son flanc rêveur prépare

Tout un monde de fleurs pour le printemps vermeil,

Les moissons, qu'en été mûrira le soleil,

Pour l'automne les fruits !... Dans ton âme saisie

110   Ne la répand-il pas, sa grande poésie ?

Les arbres dépouillés de feuilles, n'ont-ils pas,

Après les arbres verts, leurs austères appas ;

La neige, ce tapis argenté qui remplace

Les fleurs et les moissons ; le lac, plaine de glace

115   Immobile, où naguère ondoyaient les flots verts,

Manquent-ils d'idéal ? Et par ses doux concerts

D'oiseaux, le gai printemps a-t-il plus d'éloquence

Que notre hiver, dans son majestueux silence ?...

Avec ironie.

Non !... Et tu le sais bien, que la vie est partout,

120   Que partout, un volcan à l'état latent, bout ;

Que rien ne meurt, pas plus l'esprit que la matière !....

Victorieusement.

Et c'est moi qui, pour toi, viens jeter la lumière

Sur ces grands horizons de l'homme ?...

L'HOMME, avec effusion.

Oh, je te crois !

Tu me parles, ainsi que me parlait la voix !

125   Oui !... Mais l'esprit, qu'est-il ? La matière qu'est-elle ?

LA MORT.

La matière et l'esprit ?... Question éternelle !

Problème qu'à jamais l'homme se posera

Sans pouvoir le résoudre ; et qui toujours sera

L'inconnu, l'incompris pour son intelligence !

130   Tu veux pourtant savoir de lui ce que je pense ;

Tu consultes la nuit à propos du rayon !

Écoute!... L'univers, c'est l'intime union

De tout ! matière, esprit, sont mêlés dans l'espace,

Mais un ordre parfait y tient tout à sa place;

135   Car la logique en est la règle !... Tout y vit,

Rien n'y meurt !.... Le néant, je te l'ai déjà dit,

Est, du vaste univers, l'antithèse constante !

Un souffle permanent que l'on te représenté

Comme étant Dieu! [Dieu donc) ! anime tour-à-tour

140   L'homme et les animaux! Il met en eux l'amour,

C'est-à-dire la loi qui conserve et propage!

(Cette loi, c'est la vie incessante) ! - Au nuage

Elle donne le vent ! - La sève au végétal,

Un équilibre exact à l'astre, au minéral,

145   Et l'onde trouve, en elle, une pente assurée

Pour couler ! - Des hauteurs de l'immense Empyrée,

Le soleil immobile, autour de lui répand

La clarté, la chaleur, principe fécondant,

Foyer conservateur des corps, de la matière

150   Qui, sans lui, périraient et deviendraient poussière !

L'homme, de cet ensemble est le faîte ; il a seul

La liberté d'agir en dehors du linceul

Que la nature impose à tout ce qu'elle enfante :

L'animal n'en a pas l'allure triomphante ;

155   Un cercle étroit l'entoure et limite ses pas;

Le végétal, au sol rivé ne se meut pas;

Seul l'homme veut et peut!... de là la différence

Entre ce qui végète et vit, et ce qui pense ;

De là l'âme ou l'instinct ; mais en somme l'esprit,

160   Ce grand condensateur, grâces auquel tout vit,

Car sa source immortelle est l'union des choses

Autrement dit : Dieu ?

L'HOMME.

Mais de ces métamorphoses

De l'univers, dont l'homme est le brillant sommet

De la loi par laquelle il naît, meurt et renaît,

165   De cette liberté, son apanage auguste,

Pourra-t-il résulter le bonheur pour le juste ?

Le méchant sera-t-il logiquement puni?

Les distinguera-t-on mêlés à l'infini?

De leur identité quelle sera la preuve?

170   La voix me le disait ! « Les tombes, lieux d'épreuve ! »

Quand nous en sortirons, quel sera notre sort?

Par l'orage battus, atteindrons-nous le port?

Dieu séparera-t-il le bon grain de l'ivraie ?

LA MORT, avec foi.

De ce problème obscur, pour que rien ne t'effraie,

175   Espère et crois !... D'ailleurs, sans te préoccuper

Des systèmes divers qui pourraient te tromper !

Aime !... Du mot amour, naît la vérité même!

Et quand aura pour toi sonné l'heure suprême,

Quand je t'apparaîtrai, sans crainte, réponds-moi :

180   « Le beau fut mon principe et le grand fut ma foi !

» Vers le juste et le bon, je n'ai cessé de tendre !

» En moi, la voix du bien s'est toujours fait entendre,

» Et j'ai haï le mal, j'ai trouvé dans l'honneur

» Mes aspirations de joie et de bonheur !

185   » J'ai vécu sans avoir jamais noirci ma vie

» D'ombres et de remords ; des tourments de l'envie

» Je n'ai jamais souffert, et j'ai beaucoup aimé ! »

Tu n'en mourra pas moins, alors ; mais, animé

Par un souffle nouveau, tu sentiras ton âme

190   Renaître et rayonner d'une nouvelle flamme !

Tu grandiras !... Le Ciel découvrira pour toi

De nouvelles splendeurs ! l'inévitable loi

De mieux après le bien, du jour après l'aurore

Sera ta loi ! Grandi, tu grandiras encore !

195   Et distançant tout ceux qui, moins heureux que toi,

N'ont pas eu ton amour, ton espoir et ta foi,

Tu les précéderas dans le voie infinie

Qu'ils prendront tous enfin ; car le Mort c'est la vie !

La mort s'éloigne. - L'homme tend les bras vers elle.

18 septembre 1873

 



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