VINGT MINUTES D'ARRÊT... BUFFET
Comédie en un acte et en prose.
1884
Évariste CARRANCE
AGEN, LIBRAIRIE DU COMITÉ POÉTIQUE ET DE LA REVUE FRANÇAISE, 6, rue du saumon, 8
AGEN, V. LENTHERIC, Juin 1890.
Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2023
© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:57:11.
PERSONNAGES.
GONTRAN DE MELVIL.
LE COMTE DE MAILLY.
MADAME DE MORA.
BLANCHE DE MAILLY.
PIERRE, Garçon de Buffet.
JOSEPH, Garçon de Buffet;
UN EMPLOYÉ.
La scène se passe à Colombes-les-Amours.
Texte extrait de "Théâtre complet de Évariste Carrance".- Agen : Librairie du comité poétique et de la revue française. pp 119-166.
VINGT MINUTES D'ARRÊ...
Le théâtre représente un buffet de chemin de fer. Salle de restaurant très vaste - Table d'hôte au milieu - A droite et à gauche, de petites tables pour les services particuliers. Un comptoir surchargé de provisions de toute nature occupe le côté droit de la salle : au-dessus du comptoir, une pendule - oeil de boeuf - marque huit heures. À gauche, une porte donnant sur les salles d'attente de la gare. Issue à droite, près du comptoir, conduisant à l'office. En face de la scène, une grande porte s'ouvrant sur la voie de fer.
SCÈNE PREMIÈRE.
PIERRE, plaçant des assiettes sur la table d'hôte.
Avoir commencé sa carrière chez Son Excellence Monsieur le Comte de Mailly et la terminer dans un buffet de chemin de fer !
Il pousse un profond soupir.
Voilà de ces coups que la fortune vous réserve !
Regardant la pendule.
L'express de Bordeaux a trois minutes de retard... Brigand de chemin de fer ! Il n'en fait jamais d'autres. Et Joseph qui ne paraît pas...
Appelant :
Joseph ! Bon ! Pas plus de Joseph que de train express... C'est vraiment fait exprès... Tiens ! Voilà un mot.
Avec suffisance.
J'en faisais beaucoup autrefois, chez Son Excellence le Comte de Mailly ! Je m'occupais même de théâtre à cette heureuse époque !
Nouveau soupir.
Hélas ! J'ai quitté la voie dramatique pour la voie ferrée, et depuis j'en ai presque perdu la voix.
SCÈNE II.
Le même, plus Joseph qui apparaît chargé de bouteilles.
JOSEPH.
L'express...
PIERRE, il ouvre les portes donnant sur la voie,tandis que Joseph dépose les bouteilles sur les tables.
Cinq minutes en retard... Si cela ne fait pas pitié !
On entend le sifflet de la locomotive et la voix d'un employé criant :
« COLOMBES-LES-AMOURS. Vingt minutes d'arrêt. Buffet ».
PIERRE.
Va toujours, mon brave, cela ne fait ni froid ni chaud.
JOSEPH, sur la porte.
Par ici, messieurs les voyageurs, buffet, buvette, table d'hôte !
PIERRE.
Quel organe ! Tais-toi donc, animal, le patron est au lit et ton zèle est bien inutile.
JOSEPH.
Je fais honnêtement mon métier.
Criant.
Par ici, buffet, buvette !...
PIERRE.
Ah ça, voyons, est-ce que tu t'imagines que Son Excellence Monsieur le comte de Mailly aurait voulu de moi si je n'avais pas été dix fois honnête !...
JOSEPH.
Je ne te dis pas le contraire.
PIERRE.
Et tu fais bien, car autrement...
JOSEPH, parlant à un voyageur.
Par ici, monsieur.
Il s'empare de la valise et de la couverture du voyageur.
SCÈNE III.
Les mêmes, plus Gontran de Melvil et Blanche de Mailly.
Gontran et Blanche entrent en jetant à droite et à gauche des regards investigateurs).
PIERRE.
Monsieur désire-t-il déjeuner ?
GONTRAN.
Servez-nous du café seulement et laissez-nous.
PIERRE, criant.
Versez !
À part.
Échinez-vous le tempérament pour appeler les voyageurs. Ah ! Si le patron fait fortune !... Après ça, c'est son affaire !
Joseph apporte le café aux deux voyageurs.
BLANCHE, à Gontran.
Mon ami, il me semble que tout le monde me regarde.
GONTRAN.
Mais cela serait difficile... Il n'y a absolument personne ici ; d'ailleurs, que pouvons-nous craindre !
Ils s'installent devant une petite table de marbre.
PIERRE, à part.
Personne ! Excusez, Monseigneur. Ô fortune ! Fortune, avoir servi chez Son Excellence le...
GONTRAN.
Garçon !
PIERRE.
Voilà, Monsieur.
À part.
Peu de dépenses et beaucoup de questions, ils sont tous ainsi.
GONTRAN.
Le départ du train pour Paris ?
PIERRE.
Dans vingt minutes.
JOSEPH.
Ne vous pressez pas, messieurs les voyageurs, on viendra vous prévenir cinq minutes avant le départ.
GONTRAN.
Peste soit du braillard !
Les garçons s'éloignent.
À Blanche.
Allons, calmez-vous, ma bien-aimée, n'êtes-vous pas en sûreté auprès de moi ? Que veut dire cette mine désolée qui me ferait presque douter de votre amour ? Regrettez-vous donc le sacrifice que vous avez fait ? Ne suis-je plus digne de vous ?
BLANCHE.
Quelle preuve plus puissante de mon amour désirez-vous donc, Gontran ? J'ai quitté mon vieux père pour vous suivre.
GONTRAN.
Vous êtes un ange.
BLANCHE.
Mille remords me déchirent le coeur ! Ah ! Nous aurions dû patienter, attendre ! Les grands parents ne sont pas toujours inflexibles ; en nous voyant malheureux, ils eussent consenti peut-être ?
GONTRAN.
Jamais ! Ignorez-vous la haine que nourrit votre père pour le mien ? Cela date presque de Waterloo ! Ces deux hommes si bien faits pour s'entendre se prirent de querelle à propos du César tombé ; le vôtre, jeune soldat de la vieille garde, fanatisé par le héros de Wagram, ne pardonna pas à mon père des articles violents, sans doute, échappés à sa plume républicaine ! Hélas ! Mon amie, ce temps s'est enfui comme un nuage chassé par le vent : Monsieur de Melvil ne tient plus une plume, Monsieur de Mailly ne tient plus une épée, et la haine existe toujours.
BLANCHE.
Et nous devions en subir les terribles conséquences. Ah ! Gontran, comment ai-je pu consentir à quitter ce pauvre vieillard ! Je vous aime de toute mon âme, mais je le respecte de tout mon coeur, et je ne réponds à ses bienfaits que par la plus affreuse des ingratitudes.
GONTRAN, il lui prend la main.
À mon retour de la terre africaine, où j'ai laissé un peu de mon sang, je vous ai rencontrée dans les salons de Bordeaux. Vous voir, c'était vous aimer, Blanche, et j'ai obéi à ma destinée. Dès le premier jour, je jurai de vous consacrer ma vie. Cette vie, dont les Arabes n'ont pas voulu, disposez-en comme une souveraine absolue. Vivre pour vous et par vous serait un rêve enivrant, mais je n'ose y croire. Mourir pour vous serait encore du bonheur.
BLANCHE.
Vous vivrez, puisque je vous aime, Gontran, et que vous avez le droit de douter de tout, excepté de la sincérité de cet amour ; mais je ne puis me défendre d'une appréhension terrible... Vous avez promis de me conduire chez votre bonne tante qui habite la Normandie, n'est-ce pas ?
GONTRAN.
Sans doute, et cette vieille de Mora sera bien heureuse de vous recevoir.
BLANCHE.
Eh bien ! Gontran, il me semble que nous n'y arriverons jamais, que le malheur plane sur nos têtes, et que la faute que nous commettons va recevoir un affreux châtiment.
GONTRAN, il porte la tasse à café à ses lèvres.
Garçon ! Ce café est détestable.
PIERRE.
Monsieur m'a appelé ?
GONTRAN.
Vous rêvez !
PIERRE.
Monsieur est bien bon ; mais je ne rêve plus depuis que j'ai eu le malheur de quitter Son Excellence le...
GONTRAN.
Voulez-vous nous laisser tranquilles, oui ou non ?
PIERRE.
Oui, Monsieur.
À part, en se reculant.
C'est peut-être un inspecteur en bonne fortune ; ils vous tombent dessus sans crier gare.
GONTRAN, à Blanche.
Vous avez de bien singulières idées, ma chère Blanche ; il me semble que nul ne serait à cette heure assez puissant pour nous séparer, et que l'amour qui nous a permis de vaincre tous les obstacles est assez fort pour nous mettre à l'abri des puériles craintes qui vous agitent.
SCÈNE IV.
Les mêmes, plus un Surveillant.
Le surveillant, armé d'une sonnette apparaît à l'entrée du buffet ; fait retentir deux fois la clochette qu'il tient à la main droite et soulève sa casquette de la main gauche.
LE SURVEILLANT.
Messieurs les voyageurs pour la ligne de Bretagne, en voiture ! Le train va partir.
Il sort.
SCÈNE V.
Les mêmes, moins le Surveillant.
BLANCHE.
Je voudrais vous croire, Gontran, mais je songe à mon père et je devine son désespoir ! Que dira le monde, mon ami, de cette fuite inattendue ? Ah ! Si grand que soit mon amour, il ne saurait m'empêcher de jeter un dernier regard sur un passé sans reproches.
GONTRAN.
Que dira le monde, ma bien-aimée ? Il dira ce qu'il voudra ; vivons pour nous sans nous inquiéter de lui. Vous savez bien que mon voeu le plus ardent est de vous appeler ma femme, et que cette fuite qui vous afflige n'a qu'un but : décider nos parents à nous unir et à se pardonner leur haine pour légitimer notre union. Quant à votre honneur, ma belle fiancée, il demeure irréprochable. Est-ce que vous n'êtes pas la plus respectée comme la plus aimée des femmes.
BLANCHE.
Il y a un abîme qui me sépare du passé.
On entend le sifflet d'une locomotive.
PIERRE.
L'omnibus de Paris.
UN EMPLOYÉ, sur le trottoir de la gare.
Colombe-les-Amours ! Vingt minutes d'arrêt ; Buffet, tout le monde change de voiture.
JOSEPH, sur la porte.
Par ici, messieurs ! Buffet, buvette, table d 'hôte !
À part.
Je vois des militaires dans le train, des clients pour la buvette ; le patron sera content.
PIERRE.
Le train pour la ligne de Bordeaux partira dans seize minutes.
GONTRAN.
Ils n'en finissent pas avec leurs cris.
SCÈNE VI.
Les mêmes, plus Madame de Mora.
Madame de Mora, enveloppée dans une vaste pelisse, portant un carton à chapeau, un sac de nuit et une chaufferette, pénètre dans la salle du buffet. Gontran et Blanche se reculent et observent.
JOSEPH, s'emparant des bagages de Madame de Mora.
Madame veut-elle déjeuner ou faire une légère collation ? Nous pouvons offrir à madame du café à la crème, du chocolat, du potage. Madame n'a qu'à choisir.
MADAME DE MORA.
Offrez-moi ce que vous voudrez, mon garçon. Ah ! Quel voyage, grand Dieu ! J'en suis toute chose. Ne me parlez pas de ces affreux chemins de fer, ils ne se composent que de fumée et de bruit. On ne part pas, on arrive. Ah ! Garçon, de mon temps ce n'était pas ainsi ; on voyageait plus doucement, sans fatigues et sans ennuis... Moi, qui vous parle, je me souviens d'un voyage de noce accompli il y a plus de quarante ans...
Avec bonté.
Mais cela ne vous intéresserait pas, mon ami, et je préfère vous laisser à vos occupations.
JOSEPH, à part.
Pierre a quelquefois raison, il y a des gens bien singuliers.
Haut.
Nous avons du café à la crème, du chocolat, du potage.
MADAME DE MORA, souriant.
Vous m'avez dit tout cela, garçon. Apportez-moi un potage, une aile de poulet et un doigt de Bordeaux. Madame de Mora n'est pas difficile.
Joseph sort.
GONTRAN, à part.
Madame de Mora ! Ah ! Mon Dieu ! Mais c'est ma tante de Normandie.
BLANCHE.
Qu'avez-vous, mon ami ! Ce trouble ?
GONTRAN.
Le hasard fait quelquefois des miracles, ma bonne Blanche ; cette dame est précisément Madame de Mora, cette parente chez laquelle je vous conduisais.
BLANCHE.
Oh ! Cachez-moi, je vous en supplie, mon ami, ou plutôt laissez-moi partir... Je ne veux pas qu'on lise ma honte sur mon visage !
Avec douleur.
Qu'ai-je fait en vous écoutant, Gontran, j'étais folle, je me suis perdue !
Elle cache son visage dans ses mains et pleure.
Joseph, pendant ce dialogue, sert Madame de Mora.
GONTRAN.
Je ne vous comprends pas, mon amie. Cette parente chez laquelle vous deviez trouver un refuge à l'abri de tout soupçon, le hasard ou mieux, la Providence nous l'envoie, et vous pleurez au lieu de vous réjouir... Voyons, mon enfant, soyez raisonnable et laissez-moi faire ; Madame de Mora est la plus aimable personne du monde, quoique un peu bavarde, - un défaut de vieille femme. - Retirez-vous dans la salle d'attente, et dans un instant je la conduis auprès de VOUS.
Blanche se lève ; Gontran l'accompagne à l'entrée de la porte qui s'ouvre à gauche, puis se dirige lentement vers Madame de Mora. Il s'arrête à quelques pas derrière elle.
MADAME DE MORA, prenant son potage.
Ah ! Tout est bien changé depuis cinquante ans... Est-ce que nous connaissions ces voyages à la vapeur autrefois...
Elle soupire.
On appelle cela du progrès... Il est joli, ce progrès... Et le télégraphe ?... Voilà encore un moyen de correspondance inventé par Lucifer... Vous êtes tranquille dans le château de vos pères, à l'abri de toute inquiétude et de tout désagrément ; vous prenez doucement votre café quotidien, vous ouvrez votre journal, - je suis très forte sur la politique, bien que je n'y comprenne pas grand'chose, - crac ! trois coups de sonnette retentissent ; vous croyez à une visite, et vous vous retournez, le visage souriant ! Elle est jolie, la visite ! C'est un télégramme.
Elle sort une dépêche de sa poche.
- On a inventé des mots pour le besoin de la chose, - un télégramme qui vous dit.
Lisant.
« Soeur, arrive par premier train ; Gontran fait folies sur folies. Ne perds pas une minute. DE MELVIL. »
GONTRAN, à part.
Bon, j'étais sûr d'apprendre du nouveau ; la tante de Mora est une véritable gazette.
MADAME DE MORA, tendant son assiette vide, dont Gontran la débarrasse.
Avec les chemins de fer et les télégraphes, vous comprenez bien qu'il n'y a plus de repos sur la terre : plus de déjeuners paisibles, plus de café dégusté doucement, plus de sieste !... Il m'a fallu partir comme un ouragan...
À Pierre qui l'écoute tranquillement.
Eh bien ! Garçon, mon aile de volaille ?
GONTRAN, faisant signe à Pierre de ne pas bouger et apparaissant brusquement devant Madame de Mora.
Vous êtes donc bien pressée, ma tante ?
MADAME DE MORA, poussant un cri.
Hein !... Plaît-il ?... Comment ! C'est toi, mauvais sujet...
Elle se lève.
Ah ! Par exemple, mon cher Gontran, je suis bien heureuse de te voir.
GONTRAN, l'embrassant.
Et moi, ma tante, je ne puis vous exprimer le bonheur que j'éprouve en vous embrassant... Qui donc ne vous aimerait pas ? En vous écoutant, tout à l'heure, je me suis bien aperçu que vous êtes restée la même.
MADAME DE MORA.
Oui, n'est-ce pas, mon enfant, toujours un peu bavarde. - Dame ! Que veux-tu, c'est un défaut qui date de loin et dont je crains fort de ne jamais me corriger.
GONTRAN.
Vous êtes toujours bonne au-dessus de toute expression.
MADAME DE MORA.
Autrefois, tu ne me flattais que lorsque tu en voulais à ma bourse.
GONTRAN.
Oh ! Maintenant, c'est autre chose, je vais tirer une lettre de change sur votre coeur.
MADAME DE MORA.
Et payable ?
GONTRAN.
À vue.
MADAME DE MORA.
Tu m'effiles, mon ami... Voyons rassure-moi bien vite.
Elle lui prend les mains.
Et dis à ta bonne vieille tante le motif de ta présence ici.
Le regardant fixement.
Nous avons donc fait des sottises, à notre âge ?
GONTRAN.
Par exemple !
MADAME DE MORA.
Alors que les journaux racontaient ces jours derniers ta belle conduite et faisaient de toi un héros ! - Il paraît que tu as tué une demi-douzaine d'Arabes à toi tout seul pour délivrer un jeune Français ; - alors que, perdue au fond de ma province, je songeais à ce neveu chevaleresque et que je l'admirais presque autant que je l'aime, une bombe, une vraie bombe, - une dépêche télégraphique - éclate chez moi.
GONTRAN.
Nous y sommes.
MADAME DE MORA.
Et cette dépêche la voici mot pour mot...
GONTRAN.
« Soeur, arrive par premier train ; Gontran fait folies sur folies ! »
MADAME DE MORA.
C'est cela.
Avec étonnement.
Tout à fait cela... Je pars aussitôt, et je te rencontre à Colombes-les-Amours. Voyez un peu le hasard...
GONTRAN.
Cette rencontre était inévitable, ma tante ; j'allais chez vous.
MADAME DE MORA.
Comment ! Tu venais chez moi... Mais alors que veut dire ton père avec cette bombe ?... Et quelles sont ces folies dont tu te serais rendu coupable ?
GONTRAN.
Ma bonne tante...
MADAME DE MORA.
Il y a quelque amourette sous roche, n'est-ce pas ?
GONTRAN.
C'est plus gros que cela.
Avec humilité.
Je suis un grand coupable !
MADAME DE MORA.
Ne dirait-on pas qu'il a commis un crime.
GONTRAN.
Ma tante, avez-vous aimé ?
MADAME DE MORA.
Je pense bien que tu ne veux pas une confession... La demande est singulière.
GONTRAN.
Répondez toujours.
MADAME DE MORA, levant les yeux vers le ciel.
Oui, mon ami, j'ai aimé, beaucoup aimé...
GONTRAN.
D'amour !...
MADAME DE MORA, soupirant.
Oui, d'amour.
GONTRAN.
Eh bien, ma tante, mon coeur a fait comme le vôtre ; il a parlé.
MADAME DE MORA.
Je ne vois pas là-dedans l'ombre d'une folie.
GONTRAN.
Tout le monde n'en juge pas ainsi... J'ai rencontré un ange, ma tante, et je l'adore.
MADAME DE MORA.
Les anges, mon neveu, ne sont pas sur la terre... S'ils y étaient, on ne les épouserait pas.
GONTRAN.
Vous ne connaissez pas Blanche de Mailly, ma tante ; elle ne ressemble pas aux autres femmes ; elle est belle comme la Vierge et douce comme une colombe...
MADAME DE MORA.
Les de Mailly ?... Noblesse de robe, n'est-ce pas ?... Un de Mailly a été attaché à la cour de Louis XIV ; un autre a été président de chambre sous Louis XVI. Les derniers se sont ralliés à l'empire et ont changé la robe contre l'épée... Il y a une vieille querelle entre les Melvil et les de Mailly.
GONTRAN.
Votre mémoire est prodigieuse, ma tante.
MADAME DE MORA.
Et celle que tu aimes ?
GONTRAN.
Appartient à cette famille. Mais est-ce sa faute ?... Est-ce qu'on peut la connaître et ne pas l'aimer ?...
MADAME DE MORA.
On te refuse sa main ?
GONTRAN.
Mon père, voyant mon désespoir, - car j'aime Blanche à en mourir, - aurait peut-être fléchi, mais Monsieur de Mailly demeure inébranlable ; il veut faire le malheur de sa fille et le mien... Ah ! Ma tante, si vous ne venez à notre aide, nous sommes perdus... Si vous me refusez votre appui, je repars pour l'Afrique, je provoque le premier bédouin que je rencontre, je me fais loger une balle dans la tête et je vous livre à d'éternels remords.
MADAME DE MORA.
Doucement, doucement, mon ami. Peste ! Tu vas vite en besogne... Les affaires de cette nature ne s'expédient pas comme cela, et la diplomatie n'a pas été inventée pour rien.
GONTRAN.
De votre temps, ma tante, on ne la connaissait pas.
MADAME DE MORA.
Je te demande bien pardon ; mais elle était certainement meilleure et n'empruntait ni les télégraphes ni les chemins de fer.
GONTRAN.
Elle utilisait quelquefois les diligences... Est-ce que Monsieur de Mora ne s'est pas servi de ce moyen pour arracher à des parents rebelles un consentement de mariage.
MADAME DE MORA.
Veux-tu bien te taire, mauvais sujet, et ne pas réciter l'histoire ancienne comme un véritable écolier. Quelle faute as-tu donc commise pour parler ainsi ?
GONTRAN, baissant la tête.
J'ai fait comme Monsieur de Mora.
MADAME DE MORA.
Mais tu es fou !...
GONTRAN.
Toujours comme Monsieur de Mora, ma tante ; protégez-moi, daignez m'accorder votre appui. Blanche de Mailly, pure comme vous l'étiez vous-même, attend un mot, un seul mot de vous pour se précipiter dans vos bras. Elle sera ma femme un jour... Elle vous connaît et vous aime... Si votre coeur lui manque, il ne lui reste plus qu'à mourir.
MADAME DE MORA, très agitée.
Le télégraphe et le chemin de fer ne suffisaient pas... Gontran, vous n'êtes qu'un étourdi... qu'un extravagant... plus que cela...
Avec douceur.
Mais elle t'aime donc bien ?
Avec vivacité.
Et vous la laissez seule ici... dans un buffet de chemin de fer ! Dans une gare ! Conduis-moi vers cette jeune fille, mauvais sujet !
GONTRAN.
Blanche s'est réfugiée dans la salle d'attente de la gare.
MADAME DE MORA.
Il fallait commencer par me l'apprendre. Venez, mais venez donc, mon neveu.
Ils sortent.
SCÈNE VII.
Pierre, Joseph.
PIERRE.
Eh bien, ce sont là de singuliers clients... L'un laisse sa tasse de café et l'autre son aile de volaille !... Ils diront ensuite qu'ils n'ont pas eu le temps de boire et de manger... Voilà ce qu'est un buffet de chemin de fer, et avec cela un registre de réclamations... Quelque chose comme le rasoir d'un certain Damoclès suspendu sur la tête du patron... Ah ! Je commence à en avoir assez, moi ! Et dire que j'ai eu l'honneur d'être au service de Son Excellence Monsieur le Comte de Mailly.
On entend un coup de sifflet.
JOSEPH.
L'omnibus de Bordeaux !
La voix du surveillant criant au dehors.
Colombes-les-Amours ! Vingt minutes d'arrêt ! Buffet !
JOSEPH, sur le seuil de la porte.
Par ici, messieurs les voyageurs ! Buffet, buvette, table d'hôte !
SCÈNE VIII.
Joseph, Pierre, Le Comte de Mailly.
LE COMTE.
Il laisse tomber sa couverture de voyage dont s'empare Joseph.
Combien d'arrêt ?
JOSEPH.
Vingt minutes.
LE COMTE.
Merci.
PIERRE, à part.
Est-ce possible ?... C'est Son Excellence Monsieur le Comte de Mailly que j'ai l'honneur de revoir...
JOSEPH.
Que faut-il servir à Monsieur ?
LE COMTE, à Pierre.
Un renseignement, s'il vous plaît, mon ami.
PIERRE.
Toujours à vos ordres comme autrefois, Monsieur le Comte.
LE COMTE.
Comment ! Je vous retrouve ici, Pierre ?
PIERRE.
La fortune a de terribles lendemains...
LE COMTE.
En effet, mon pauvre Pierre !
À part.
Je le sais : elle me gardait une poignante douleur.
Haut.
Dites-moi, Pierre, le train de Bordeaux a-t-il amené beaucoup de voyageurs ?
PIERRE.
Très peu pour la gare et très peu pour nous.
LE COMTE.
Avez-vous remarqué, parmi ces voyageurs, une jeune personne d'une vingtaine d 'années, d'une mise élégante et d'un visage très doux ?
PIERRE.
L'express de Bordeaux ne nous a donné qu'une jeune dame et un monsieur.
LE COMTE.
Ah !
PIERRE.
Le monsieur a même rencontré ici une dame de sa connaissance, arrivée par le train de Paris. Nous avons encore les bagages de ces voyageurs.
LE COMTE.
Ce ne sont pas eux... Ils auraient fui tout le monde... Ah ! Malheureuse enfant, quelle tristesse tu répands en moi !
Il s'assied et rêve.
PIERRE, doucement.
Monsieur le Comte est peut-être souffrant ?
LE COMTE.
Merci, Pierre, ne vous occupez pas de moi... Je n'ai rien et n'ai besoin de rien...
PIERRE, à part.
Comme il est changé !
LE COMTE.
Il se lève et marche avec agitation.
Où est-elle, maintenant ? Dieu seul le sait... La reverrai-je encore ?... Ô l'ingrate ! Que de larmes elle va mettre dans ma vie, moi qui l'aimais tant !... Mais cette fuite, est-elle vraie ? Elle a voulu me faire peur, elle va revenir... Elle se cachait parfois, quand elle était toute petite, puis elle revenait toute rieuse se blottir dans mes bras... Est-ce que ce n'est pas sa voix que j'entends ?...
Avec douleur.
Non ! Non ! Elle ne reviendra pas, je l'ai trop cruellement offensée hier soir... Ne lui ai-je pas dit que je ne consentirai jamais à un mariage déshonorant ! Allons ! Allons ! Je suis allé trop loin, beaucoup trop loin même ! Ces de Melvil, je ne les aime pas... Voilà près de cinquante ans que nos familles sont divisées... mais, après tout, ce sont d'honnêtes gens... Est-ce que les enfants doivent supporter les fautes des pères ?
Il s'assied et appuie sa tête dans ses mains.
SCÈNE IX.
Les mêmes, plus Le Surveillant.
LE SURVEILLANT.
Il agite deux fois sa sonnette.
Le train pour la ligne de Paris part dans cinq minutes !
SCÈNE X.
Les mêmes, moins Le Surveillant.
LE COMTE.
Il froisse un papier dans sa main.
M'écrire un pareil billet ! Ah ! Toutes les lettres en sont gravées là.
Il se frappe le front.
En caractères ineffaçables... Élevez des enfants, placez sur ces têtes frêles et chéries toutes vos affections, toutes vos espérances ; écartez du chemin où ils doivent poser les pieds toutes les ronces que vous avez rencontrées vous-mêmes ; vivez pour ces créatures qui vous rappellent le printemps et le sourire ; revoyez dans leur azur tout votre printemps évanoui... un jour tout s'écroule ! Tout s'effondre ! Vous restez seul, isolé, abandonné, maudit !
Avec un sanglot.
Abandonner un vieillard ainsi, oh ! C'est plus que de l'ingratitude, c'est de la cruauté... Livrer ses cheveux blancs à la risée du monde ; n'écouter que le langage de la passion ; fuir la maison paisible et pure qui ne vous offrait que de la joie ; laisser à la place de tout ce bonheur le désespoir morne et sinistre, oh ! C'est lâche ! Lâche ! Et je ne reconnais plus mon enfant...
Il pleure.
Et cet homme, qui m'enlève ainsi le repos de mes dernières années... Ce misérable qui dresse lentement le piège où doit tomber l'innocence... Il me faudra tout son sang ! Pas de pitié pour ce Gontran de Melvil... Je le briserai comme je brise ce verre...
Il prend un verre et le jette fortement sur le parquet.
PIERRE, s'élançant vers le Comte.
Ah ! Mon Dieu ! Qu'arrive-t-il ? Monsieur le Comte serait-il mécontent ?
LE COMTE, honteux, relevant la tête.
Pardonnez-moi mon garçon, c'est une maladresse dont je me suis rendu coupable... Tenez !
Il lui donne vingt francs.
Voici de quoi la réparer.
PIERRE.
Monsieur le Comte a bien le droit d'être maladroit, si cela plaît à Monsieur le Comte.
Il s'incline.
Le comte sort du buffet par la grande porte s'ouvrant sur la voie de fer.
SCÈNE XI.
Madame de Mora, Gontran, Blanche, Pierre, Joseph.
MADAME DE MORA, donnant le bras à Blanche et à Gontran.
Par exemple, mes enfants, vous allez me permettre de manger mon aile de poulet et de boire un doigt de bordeaux... Vous comprenez que j'ai besoin de réconforter mes soixante-dix ans.
BLANCHE.
Oh ! Oui, bonne mère, et de vous conserver pour ceux qui vous aiment.
MADAME DE MORA.
N'est-ce pas ? Ma fille.
GONTRAN.
D'autant plus que le télégraphe... Le chemin de fer... L'émotion... Tout cela aiguise diablement l'appétit.
MADAME DE MORA.
Moquez-vous, Gontran, moquez-vous à votre aise de votre vieille tante qui ne peut se soumettre aux obligations de ce siècle étonnant ! Que voulez-vous, mes amis, j'ai toujours été un peu sauvage, moi, je l'avoue ; puis je me trouve si bien dans le fond de ma province normande.
BLANCHE.
Et vous avez mille fois raison, Madame.
MADAME DE MORA.
Vous savez, Blanche, que je ne veux pas être traitée cérémonieusement.
BLANCHE.
Pardonnez-moi, bonne mère.
MADAME DE MORA.
Voilà un titre que je tâcherai de mériter. Et, pour commencer, mes amis, il convient de dresser un plan de conduite dont nous ne nous écarterons pas.
GONTRAN.
Notre avenir est entre vos mains.
MADAME DE MORA.
Vous, Gontran, je vous enferme jusqu'à nouvel ordre au château de Mora.
GONTRAN.
Comment ma tante, vous m'enfermez ?
MADAME DE MORA.
C'est absolument nécessaire ; donc pas de réplique où je vous plante là et je me lave les mains de tout ce qui pourra survenir de fâcheux par votre imprudence.
GONTRAN.
Vous serez obéie.
MADAME DE MORA.
Je l'entends ainsi.
À Blanche.
Vous, Blanche, je vous ramène à Paris ; je vous conduis auprès de votre père que vous n'auriez pas dû quitter.
BLANCHE.
Disposez de moi, bonne mère.
GONTRAN.
Et le rideau tombe là-dessus... Vous venez me retrouver à Mora et vous essayez de me consoler avec de bonnes paroles ?... Eh bien, non, cent fois non, j'aime mieux aller revoir les bédouins et me faire casser la tête...
MADAME DE MORA.
Gontran, vous êtes un homme de peu de foi et vous ne méritez pas mon amitié.
GONTRAN.
Mais vous ignorez donc que Blanche est toute ma vie ?...
MADAME DE MORA.
Et que vous ne pouvez vivre sans elle... C'est convenu, mon garçon, j'en sais aussi long que vous sur cet article ; mais ce que j'ai décidé s'accomplira... ou sinon...
GONTRAN.
Ah ! Tante de Mora, vous êtes bien dure.
MADAME DE MORA.
Mais tu n'ignores pas, mauvais sujet, que je ne travaille qu'à ton bonheur. Blanche a écrit à son père un billet insensé. Monsieur de Mailly doit être en ce moment sur la route de la folie ; il faut absolument retourner auprès de lui. Et puisqu'il faut tout vous dire, j'ai, dans mon sac de voyage, certains documents qui décideront le père de Blanche au mariage.
GONTRAN.
Vous êtes donc une véritable fée ?...
MADAME DE MORA.
Je suis ce que je suis...
SCÈNE XII.
Les mêmes, plus Le Surveillant.
LE SURVEILLANT, après avoir agité sa sonnette.
Le train pour la ligne de Paris partira dans trois minutes ! Ligne de Paris seulement !...
Il sort.
SCÈNE XIII.
Les mêmes, moins Le Surveillant.
MADAME DE MORA.
C'est le train que vous allez prendre, Gontran... Blanche et moi nous prendrons, dans quelques instants, celui de Bordeaux.
GONTRAN, à Blanche.
Vous consentez, Blanche ?
BLANCHE.
Il le faut, mon ami.
MADAME DE MORA.
Je réponds du succès si l'on a confiance en moi.
GONTRAN.
Eh bien, ma tante, agissez selon votre coeur et songez que j'attendrai avec anxiété... Blanche, vous savez que rien au monde ne saurait nous séparer ?
JOSEPH.
Messieurs les voyageurs pour la ligne de Bordeaux, le train part dans trois minutes !
Sur un signe de Gontran, Joseph s'approche et reçoit de l'argent.
Blanche et Madame de Mora s'avancent vers la porte.
MADAME DE MORA.
Voilà les buffets de chemin de fer, - encore une invention de ce siècle, - ils ne laissent même pas le temps de manger une aile de poulet !
SCÈNE XIV.
Les mêmes, plus Le Comte de Mailly, qui rentre.
LE COMTE.
Elle n'est pas partie pour Paris ?
BLANCHE, éplorée et se reculant vivement.
Mon père ! Ah ! Mon père !
LE COMTE, portant la main à son coeur et d'une voix étranglée.
C'est vous que je retrouve ici, Blanche !... Mademoiselle ! Ah ! Votre conduite est infâme !
Il se laisse tomber sur une chaise.
BLANCHE, à genoux.
Mon père, de grâce, pardonnez-moi ! J'étais folle, et je reviens à vous repentante !
LE COMTE.
Tu as brisé ma vie, mon enfant... Qu'allons-nous devenir tous les deux...
MADAME DE MORA.
Monsieur le Comte, Blanche de Mailly est encore digne de vous, je vous le jure sur l'honneur.
LE COMTE.
Pour parler ainsi d'honneur, qui êtes-vous, Madame ?
MADAME DE MORA.
Je vais vous le dire.
À Blanche.
Rassurez-vous, Blanche vous avez retrouvé votre père et le bonheur.
LE COMTE, à Madame de Mora.
Je ne vous connais pas.
MADAME DE MORA.
Je suis Madame de Mora, veuve de Son Excellence le baron de Mora, ministre plénipotentiaire de Sa Majesté Louis dix-huitième du nom.
Le comte s'incline.
Je suis la soeur de Monsieur de Melvil, dont vous avez été l'ami.
Geste du comte.
Je suis enfin la tante de Monsieur Gontran de Melvil, capitaine de spahis, dont la bravoure vous a conservé un fils...
GONTRAN.
La tante de Mora devient folle !
LE COMTE.
Que dites-vous là, Madame... Mon fils aurait couru un danger de mort ?
MADAME DE MORA, prenant Gontran par la main.
Vous avez, monsieur le comte, une grande faute à punir, un grand mérite à récompenser.
BLANCHE, toujours à genoux.
Oh ! Mon père ! Vous ne m'avez pas pardonnée !
LE COMTE.
Relevez-vous, ma fille, j'ai besoin d'écouter les explications de Madame de Mora.
MADAME DE MORA, présentant Gontran.
Voici le coupable et le héros. La faute vous la connaissez. Ces enfants ont oublié la haine de leurs pères ; ils ont commis le crime de s'aimer, et vous les condamnerez à mort en les séparant.
LE COMTE, à Gontran.
Vous me rendrez raison de l'outrage que vous faites subir à mon nom, monsieur le Capitaine de spahis. J'ai été soldat comme vous, et je n'ai jamais déshonoré mes épaulettes.
GONTRAN.
Monsieur le Comte...
MADAME DE MORA.
Je n'ai pas fini, mon cher Comte.
Elle prend dans son sac de voyage le Journal Officiel.
Voici un article de journal publié par les soins du gouverneur général de l'Algérie qui vous permettra d'écouter la bonté naturelle de votre coeur :
Lisant.
« Le Ministre de la guerre vient de nommer Monsieur Gontran de Melvil chevalier de la Légion d 'honneur.
Mouvement de Gontran.
« On se rappelle que, le 3 avril dernier, le Vicomte de Mailly, lieutenant d 'infanterie attaqué par six Arabes dans les gorges d 'El Kantara, n'a dû la vie qu'au courage déployé par le Capitaine de Melvil. [ 1 El Kantara : ville Oasis dans les Aurès en Algérie.]
» Cet officier, dont la modestie égale le mérite, a pu se dérober brusquement à la reconnaissance de Monsieur de Mailly, mais il appartenait au Ministre de porter cette action d'éclat à la connaissance de l'armée et d'accorder à son auteur une récompense vraiment nationale. »
LE COMTE.
Vous avez sauvé mon fils, Monsieur de Melvil ?
GONTRAN.
J'ignorais le nom de celui que j'ai eu le bonheur d'aider de mon épée, monsieur le comte, et je suis heureux d'apprendre qu'il appartient à votre famille. Quant à la récompense que Monsieur le Ministre daigne m'accorder, elle me serait bien plus précieuse si elle m'aidait à.obtenir le pardon d'un père que j'ai offensé.
BLANCHE.
Serez-vous inflexible, mon père ?...
MADAME DE MORA.
Je vous l'ai dit, comte, vous avez à punir et à récompenser.
LE COMTE.
Je choisis la récompense, Baronne ; et puisque le capitaine m'a gardé un fils, je ferme les yeux sur l'aventure de ce matin... et je lui donne ma fille.
Gontran s'empare des mains du Comte, tandis que Blanche se précipite dans ses bras.
MADAME DE MORA.
Voilà ce que j'appelle de la justice.
LE COMTE.
Sans doute, mais nous allons un peu vite, mes amis. Sommes-nous seulement assurés du consentement de Monsieur de Melvil ?
MADAME DE MORA.
Ah ! Ceci me regarde, et personne ici, je l'espère, ne doutera de la valeur de ma diplomatie.
BLANCHE.
Oh ! Non, bonne mère.
GONTRAN.
J'aimerais mieux douter de moi, tante de Mora.
SCÈNE XV.
Les mêmes, plus Le Surveillant.
LE SURVEILLANT, agitant sa clochette.
Messieurs les voyageurs pour la ligne de Bordeaux, en voiture ! Le train va partir.
LE COMTE, offrant son bras à Madame de Mora.
Gontran, offrez le bras à votre fiancée.
Gontran obéit.
PIERRE, à Monsieur de Mailly.
Si Monsieur le Comte avait conservé de mes services un bon souvenir... et s'il daignait me reprendre ?...
LE COMTE.
Vous êtes donc malheureux ici, Pierre ?
MADAME DE MORA, avec intérêt.
Dame!... Dans un buffet de chemin de fer...
PIERRE, baissant la tête.
Hélas !
LE COMTE.
Eh bien, venez avec nous, mon ami ; depuis six ans, la maison n'a guère changé, et vous retrouverez votre ancien emploi.
PIERRE, s'emparant des cartons, des pardessus, etc.
Ah ! Quel poids de moins sur le coeur !
JOSEPH.
Me voilà premier garçon.
Le comte, Madame de Mora, Gontran et Blanche, suivis de Pierre, se dirigent vers la porte.
On entend un coup de sifflet, le bruit d'un train qui s'arrête et la voix d'un employé criant au dehors :
Colombes-les-Amours ! Vingt minutes d'arrêt ! buffet !
La toile tombe.
Avril 1878.
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Notes
[1] El Kantara : ville Oasis dans les Aurès en Algérie.