LE CHIEN DE LA FOIRE

COMÉDIE.

TRENTE et UNIÈME PROVERBE.

M. DCC. LXXXIII. Avec approbation et privilège du Roi

de CARMONTELLE.

À VERSAILLES, chez POINÇOT, libraire rue Dauphine, et à Paris Chez MERIGOT Jeune, quai des Augustins, NYON Jeune, Quai des quatre Nations, LA PORTE, rue des Noyers, BELI, rue Saint-Jacques, DE SAINE, au Palais-Royal,Libraires.


Texte établi par Paul FIEVRE avril 2021

Publié par Paul FIEVRE mai 2021.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:08:58.


PERSONNAGES

MADAME DE GRAND-COUR, Tous bien mis et suivant leur état.

MADAME DE FERMANT.

LE CHEVALIER.

L'ABBÉ.

LE PRÉSIDENT.

LE MAÎTRE DU CHIEN, Redingote bleue, mauvaise perruque.

CADET, Garçon de Spectacle. En espèce de gilet galonné avec des rubans rouges.

LE CHIEN, qu'il faut prendre grand et bête.

La Scène est à la Foire, dans la loge où l'on fait voir le Chien sans-pareil.

Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE (...), chez Poinçot libraire, Tome Second, Versailles, 1783. pp. 303-318.


LE BAVARD

SCÈNE PREMIÈRE.
La Comtesse, Dubois, Madame de Grand-Cour, Madame de Fermant, Le Président, Le Chevalier, L'Abbé, Le Maître, Cadet.

MADAME DE GRAND-COUR, paraissant à la porte.

Par où faut-il aller ?

CADET.

C'est par ici, mes Princesses.

MADAME DE FERMANT.

Quoi ! Il faut entrer là ?

LE MAÎTRE.

Oui, oui, pour voir le Chien sans-pareil, qui va vous donner toutes sortes de divertissements.

MADAME DE GRAND-COUR.

L'Abbé, ceci sent bien mauvais.

L'ABBÉ.

À faire mal au coeur. Avez-vous un flacon ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Vous savez bien que vous avez pris le mien, tantôt.

L'ABBÉ.

Ah, c'est vrai.

CADET.

Si vous voulez vous asseoir là, ma Princesse...

LE PRÉSIDENT.

On ne voit pas clair ici.

CADET.

On va allumer dans le moment, Monseigneur.

MADAME DE GRAND-COUR.

L'Abbé, mettez-vous donc auprès de moi.

MADAME DE FERMANT.

Madame êtes-vous bien ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Comme cela.

MADAME DE FERMANT.

Chevalier, où allez-vous ?

LE CHEVALIER.

C'est que je veux demander... Est-ce un chien de chasse que votre chien qui fait des tours ?

LE MAÎTRE.

Non, mon Général ; c'est un chien, comme qui dirait un chien que j'ai élevé à faire ces tours-là en m'amusant comme cela, quand je n'avais rien à faire.

MADAME DE FERMANT.

Je crois que cela sera pitoyable, Président ; qu'en pensez-vous ?

LE PRÉSIDENT.

Nous verrons ; Monsieur, commencerez-vous bientôt ?

LE MAÎTRE.

Oui, Monseigneur. Allons, Cadet, allume le lustre.

CADET.

Je le tiens.

LE MAÎTRE.

Fais donc venir violon.

CADET.

Il est allé boire un coup ; il va revenir.

L'ABBÉ.

Ah, faites-nous grâce de la musique.

LE MAÎTRE.

Comme il plaira à Votre Grandeur.

MADAME DE GRAND-COUR.

L'Abbé, on ne vous traite pas mal.

CADET.

Si Son Éminence voulait bien ranger ses pieds.

MADAME DE FERMANT.

Son Éminence ! L'Abbé, vous voilà Cardinal.

L'ABBÉ.

Ces gens-là vont grand train. Qu'est-ce que tu veux faire ?

CADET.

C'est pour étendre le tapis, pour ranger tout ce qu'il faut.

MADAME DE GRAND-COUR.

Président, dites-moi un peu ; qui est-ce qui donnait la main à Madame Durteil, à la porte des Danseurs de corde ?

LE PRÉSIDENT.

C'est le Baron de Morberg.

MADAME DE GRAND-COUR.

Quoi, est-ce qu'elle l'a toujours ?

LE PRÉSIDENT.

Oui ; on dit qu'ils sont raccommodés ; c'est un homme vigoureux !

MADAME DE GRAND-COUR.

Fi donc ; ne dites donc pas de ces choses-là.

LE CHEVALIER.

À la Foire, vous verrez qu'il faut être bien scrupuleux.

MADAME DE GRAND-COUR.

À la Foire, comme ailleurs. Monsieur, quand commencerez-vous ?

LE MAÎTRE.

Dans le moment, Madame ; vous n'attendrez pas longtemps à présent.

LE CHEVALIER.

Il ne faut pas tant de cérémonie.

LE MAÎTRE.

Non, mon Général ; mais c'est que le chien mange, parce qu'il a travaillé beaucoup aujourd'hui.

LE PRÉSIDENT.

Je crois que pour ce qu'il a à manger, cela doit être bientôt fait.

LE MAÎTRE.

Monseigneur, il faut qu'il soit bien nourri, sans quoi il ne travaillerait pas. Cadet ?

CADET, derrière une tapisserie.

J'y suis.

LE MAÎTRE.

Le Chien a-t-il mangé ?

CADET.

Oui, voilà qu'il a fini.

LE MAÎTRE.

Hé bien, amène-le donc.

CADET.

Il boit.

LE MAÎTRE.

Alors, dépêche-toi.

CADET, amenant le Chien.

Briscambille, allons, allons, mon ami.

L'ABBÉ.

Ah, le voilà.

MADAME DE GRAND-COUR.

Il n'est pas trop beau.

MADAME DE FERMANT.

Il a l'air bien triste, la pauvre bête.

LE MAÎTRE.

Messieurs, Mesdames ; vous allez voir tout ce que sait faire cet animal-là. Je vais avoir l'honneur de ranger à terre un jeu de cartes qui ne sont aucunement préparées de quelque manière que ce soit. Mets donc Briscambille dans le milieu du tapis.

CADET.

Briscambille, allons reste-là. Il va se coucher. Hé, allons donc.

LE MAÎTRE.

Laisse-le tranquille. Vous allez voir, Messieurs, Mesdames, qu'il n'y a pas un animal pareil à celui-là.

Il range les cartes en rond à terre autour du chien.

À présent s'il y a quelqu'une de ces Dames ou de ces Messieurs, qui veulent bien avoir la bonté de penser une carte, cet animal l'apportera sur le moment. Madame veut-elle bien penser une carte ?

MADAME DE GRAND-COUR.

J'en ai pensé une.

LE MAÎTRE.

Et Madame ?

MADAME DE FERMANT.

Et moi aussi.

LE MAÎTRE.

Ces Messieurs veulent-ils ?

LE CHEVALIER.

Non, non, une ; c'est comme cent.

LE MAÎTRE.

Allons, à présent, Briscambille, songe bien à ce que tu vas faire. Apporte-moi la carte que Madame a pensé. Le chien apporte une carte. Madame, n'est ce pas cette carte-là ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Non ; c'est la Dame de trefle.

LE MAÎTRE.

Il n'a pourtant jamais manqué. Allons, Briscambille, prends garde à toi. Apporte-moi la carte que l'autre Dame a pensé.

Le Chien tourne ou ne tourne pas, et apporte une carte.

Madame, voilà votre carte.

MADAME DE FERMANT.

Non, Monsieur ; c'est l'As de Pique.

LE MAÎTRE.

Je suis fort étonné pourtant ; car jamais il n'a manqué. Je vais le faire recommencer.

LE PRÉSIDENT.

Faites-lui plutôt faire autre chose.

LE MAÎTRE.

Comme Monseigneur il voudra. Tiens, Cadet, ôte toutes les cartes.

MADAME DE GRAND-COUR.

Qu'est-ce qu'il va faire à présent ?

LE MAÎTRE.

Présentement, vous allez voir les nombres ; il n'a jamais manqué celui là.

LE CHEVALIER.

Qu'est-ce que c'est que les nombres ?

LE MAÎTRE.

Les nombres, mon Général, c'est de deviner combien il y a de personnes dans la chambre, par exemple ; c'est un tour de raisonnement qui est fort joli pour un animal. Je vais ranger les nombres autour de lui.

Il les range.

Les voilà. Voyez à présent, Messieurs et Dames, ce que vous voulez lui demander ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Hé bien, ce que nous sommes de personnes ici ?

LE MAÎTRE.

Oui, ma Princesse. Allons, Briscambille, prends bien garde à toi. Si tu veux avoir à souper, il faut que tu me dise combien, il y a de personnes ici. Allons, marche, apporte.

Le chien apporte un trois.

MADAME DE GRAND-COUR.

Un trois ! Et nous sommes sept.

CADET.

Non, non, Madame ; il va faire dans l'instant.

LE MAÎTRE.

Je te demande, Briscambille, combien nous sommes de monde dans cette chambre ?

Le Chien apporte un Cinq.

LE PRÉSIDENT.

Vous voyez bien qu'il ne sait ce qu'il fait.

LE MAÎTRE.

Il est vrai ; je ne comprends pas moi-même...

LE CHEVALIER.

C'est une bête fort habile !

L'ABBÉ.

Plus que vous ne pensez : voyez les deux cartes, cinq et trois font huit ; il se compte aussi.

LE MAÎTRE.

Oui, oui, justement ; Son Éminence il a raison ; c'est qu'il fait quelquefois en deux fois.

LE PRÉSIDENT.

Je crois que l'Abbé est de moitié avec le chien.

LE CHEVALIER.

Oui, oui, je le crois aussi.

MADAME DE GRAND-COUR, qui causait avec Madame de Fermant.

Hé bien, a-t-il deviné ?

LE PRÉSIDENT.

Non, vraiment ; et je vous réponds qu'il ne devinera rien.

LE MAÎTRE.

Je demande pardon à Monseigneur.

MADAME DE FERMANT.

Hé bien, allons-nous-en, voulez-vous, Madame ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Je ne demande pas mieux.

Se levant.

LE MAÎTRE.

Ah, mes Princesses ! Ce tour-ci encore, qu'il fait fort bien.

MADAME DE FERMANT.

Oui, comme les autres.

L'ABBÉ.

Il faut le voir, Mesdames ; asseyez-vous.

MADAME DE GRAND-COUR.

L'Abbé y prend goût.

MADAME DE FERMANT.

C'est ennuyeux à mourir !

L'ABBÉ.

Cela sera bien tôt fait, n'est-ce pas, Monsieur ?

LE MAÎTRE.

Oui, mon Révérend Père.

MADAME DE GRAND-COUR.

Ah, l'Abbé, mon Révérend Père ! Je l'aime tout-à-fait !

Elle rit.

L'ABBÉ.

Allons, Mesdames, ne faites donc pas de bruit.

MADAME DE GRAND-COUR.

Oui, oui, mon Révérend Père.

Elle rit.

LE CHEVALIER.

Qu'est-ce qu'il va faire, votre Chien, Monsieur le Maître ?

LE MAÎTRE.

C'est pour les couleurs à présent.

Il les range.

Vous allez voir présentement, qu'il va deviner la couleur qu'on voudra ; par où voulez-vous qu'il commence ?

LE PRÉSIDENT.

Ah, par où vous voudrez vous-même.

LE MAÎTRE.

Allons, je vais dire la robe de la Princesse. Briscambille, regarde bien.

Le chien ne regarde pas.

Il faut deviner cette couleur. Briscambille ; allons, apporte donc.

Le Chien apporte du noir.

MADAME DE FERMANT.

Fort bien, fort bien ; il prend du couleur de rose pour du noir.

LE MAÎTRE, menaçant le Chien.

Ah ! Le vilain. Allons, recommence.

MADAME DE GRAND-COUR, s'en allant.

Non, en voilà assez.

LE PRÉSIDENT, ironiquement.

Il est fort habile, votre chien.

LE MAÎTRE.

Monseigneur, une autre fois, il fera encore mieux.

MADAME DE GRAND-COUR.

Ah ! L'Abbé, mon manteau, je vous prie.

L'ABBÉ.

Où l'avez-vous laissé ?

MADAME DE GRAND-COUR.

Quelque part là sur la chaise où j'étais assise.

L'ABBÉ.

Oui, le voilà.

MADAME DE GRAND-COUR.

En vous remerciant, l'Abbé.

LE MAÎTRE.

Mes Princesses, vous nous ferez l'honneur de revenir nous voir.

LE PRÉSIDENT.

Sûrement, ces Dames n'y manqueront pas.

LE MAÎTRE.

Nous vous prions de nous envoyer vos amis, vos connaissances.

LE PRÉSIDENT.

Oui, c'est un bon tour à leur faire.

LE MAÎTRE.

Je suis bien aise que Monseigneur il soit content.

Ils sortent tous.

Explication du Proverbe : 31. Promettre et tenir sont deux.

 



Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 606

 [PDF]  [TXT]  [XML] 

 

 Edition

 Répliques par acte

 Caractères par acte

 Présence par scène

 Caractères par acte

 Taille des scènes

 Répliques par scène

 Primo-locuteur

 

 Vocabulaire par acte

 Vocabulaire par perso.

 Long. mots par acte

 Long. mots par perso.

 

 Didascalies


Licence Creative Commons