PHOCION

TRAGÉDIE

M. DC. XXXVIII.

CAMPISTRON

Paris : Sur le quai des Grands-Augustins, au dessus de la grande porte, à l'image de Saint-Louis

Représenté pour le première fois 16 décembre 1688 au Théâtre de l'Hôtel Guénégaud par la Comédie française.


© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:20:19.


ACTEURS

PHOCION, général des Athéniens.

AGNONIDE, autre général d'Athènes.

CHRISIS, fille de Phocion.

ALCINOUS, fille d'Agnonide, amant de Chrisis.

CLÉON, confident de Phocion.

DIONE, confidente de Chrisis.

LICAS, gouverneur d'Alcinous.

CLITUS, capitaine d'Alcinous.

ARCAS, autre capitaine athénien.

Gardes.

La scène est à Athènes, dans le Palais à la République.


ACTE I

SCÈNE I.
Chrisis, Dione,Licas.

CHRISIS

Ah bien Lidias, eh bien, puis-je voir Agnonide,

L'avez-vous informé du destin qui me guide ?

Sait-il que pour mon père une juste terreur

Accable mes esprits et déchire mon coeur,

5   Et qu'un ordre cruel m'empêchant de le suivre,

Au comble des horreurs son absence me livre.

LICAS

Madame, par mes soins Agnonide est instruit

De l'état déplorable où le sort vous réduit ;

Votre douleur le touche, et prêt à vous entendre

10   Il viendra dans ces lieux où vous pouvez l'attendre.

SCÈNE II.
Chrisis, Dione.

CHRISIS

Quel accueil, quel discours, quel changement, grands dieux !

Puis-je me méconnaître ? Et suis-je dans ces lieux,

Où mon père en ses mains tenant le sort d'Athènes,

Signala l'équité de ses lois souveraines :

15   Sont-ce ces mêmes murs et ce même palais,

Où l'heureux Phocion méditait ses projets ;

Qui marquant chaque jour son zèle et sa sagesse

Firent l'étonnement et l'honneur de la Grèce.

DIONE

Madame...

CHRISIS

Tu le vois, mille objets menaçants

20   Confirment à l'envi les chagrins que je sens ;

Ces indignes enfants de notre république,

Que mon père toujours éloigna de l'Attique,

Amas presque infini d'esclaves, d'étrangers,

Ne s'exposent-ils pas à de nouveaux dangers :

25   Ces gardes qui jadis s'ouvrant à mon passage,

Me rendaient en tremblant un légitime hommage,

Aujourd'hui ne m'offrant que des yeux ennemis,

Après de longs efforts m'ont à peine permis

De venir jusqu'ici faire parler mes larmes,

30   Pour fléchir un tyran, trop impuissantes armes.

DIONE

C'est ce tyran lui seul dont les lâches projets

Ont troublé de vos jours le bonheur et la paix,

Jaloux de Phocion, sa parricide envie,

Attaque également et sa gloire et sa vie ;

35   Il poursuit un héros jusqu'ici tant vanté,

Un héros que la guerre a toujours respecté.

Un héros...

CHRISIS

Ah ! Finis cet éloge inutile,

Réserve ces discours pour un temps plus tranquille,

Et loin de retracer sa gloire et ses vertus,

40   Songe que ce héros peut-être ne vit plus :

Que Cassander aigri par les tyrans d'Athènes,

Ou le livre à la mort, ou le charge de chaînes.

Ingrats Athéniens, pourrez-vous le souffrir ?

Ah ! Marchez sur ses pas, hâtez-vous de répandre

45   Votre sang, que son bras sut tant de fois défendre,

Et toi barbare auteur de nos comuns malheurs,

Toi dont l'ambition fait couler tous nos pleurs,

Agnonide, préviens les maux de ta patrie,

En sa faveur enfin calme ta barbarie,

50   Souviens-toi que ce chef dont tu proscris les jours,

Contre tout l'univers nous défendit toujours,

Qu'Athènes va tomber, si ta haine l'opprime,

Et venger en tombant cette grande victime.

DIONE

Et qui peut se flatter que ce tyran plus doux,

55   Reconnaîtra son crime, et suspendra ses coups :

Madame, à ce retour je vois peu d'apparence ;

Esclave de son sang, et fier de sa puissance,

Nous le verrons plutôt par de nouveaux forfaits

Achever chaque jour ses infâmes projets :

60   Mais tandis que sa haine injuste et sanguinaire,

Détruit la république, et poursuit votre père,

Son fils, du moins, son fils le jeune Alcinous,

Vous force en même temps d'admirer ses vertus.

Je ne puis oublier avec quelle assurance

65   Du fidèle Licas trompant la vigilance,

Il suivit Phocion, et courut partager,

De son sort incertain la gloire et le danger,

Pouvez-vous !

CHRISIS

Sa vertu digne d'être estimée,

Par ce noble dessein me fut trop confirmée ;

70   Il vint dans le moment que mes premiers malheurs

Livraient mon âme en proie aux plus vives douleurs ;

"Madame, me dit-il, la fortune contraire

Au plus grand des périls expose votre père,

C'est le mien qui le livre aux mains de Cassander,

75   Dont la haine barbare ose le demander ;

Je ne viens point ici par un lâche artifice,

De cet ordre funeste excuser l'injustice ;

Non, je viens en mêlant mes pleurs à vos soupirs,

Du moins par quelque espoir flatter vos déplaisirs ;

80   Je pars malgré la loi du peuple, et de mon père,

Je me dérobe aux soins d'un gouverneur sévère ;

On poursuit Phocion, je vole à son secours ;

Au destin qui l'attend j'exposerai mes jours,

Trop heureux si mon sang versé pour sa querelle,

85   Le rend à votre amour, et vous prouve mon zèle."

Tels furent ses discours, et ses derniers adieux,

Et dans le même instant s'éloignant de mes yeux,

Il me fit concevoir une faible espérance,

Et partit assuré de ma reconnaissance.

DIONE

90   Mais, Madame, est-ce assez, et ne croyez-vous pas

Qu'adorateur secret de vos divins appas,

Quand pour vos intérêts il court tout entreprendre

Il se propose un prix qu'il a doit de prétendre.

CHRISIS

Dione, que dis-tu ?

DIONE

Que son amour pour vous

95   Mérite en sa faveur des sentiments plus doux.

CHRISIS

Hélas ! Crois-tu qu'il m'aime ?

DIONE

En doutez-vous encore,

Ses yeux n'ont-ils pas dit que son coeur vous adore

Ses regards, ses soupirs au défaut de sa voix,

Du feu qui le consume ont parlé mille fois ?

100   Vous l'avez vu vous-même, avouez-le Madame.

CHRISIS

Faut-il te faire voir jusqu'au fond de mon âme ?

J'ai cru m'apercevoir dans tous nos entretiens,

Que ses timides yeux tremblaient devant les miens,

Que son esprit confus et sa bouche incertaine,

105   Tandis qu'il me parlait ne s'exprimaient qu'à peine,

J'ai même, le voyant interdit, inquiet,

Senti, je l'avouerai, quelque trouble secret :

Dione, je ne puis t'entendre avantage ;

J'ignore des amants les soins et le langage,

110   Sur ce que j'ai cru voir je n'ose m'arrêter,

Quoiqu'il en soit enfin j'en veux toujours douter

Éloignons ces objets de ma triste pensée,

Grands dieux ! Préservez-moi d'une ardeur insensée,

Mon coeur d'assez de maux est troublé chaque jour

115   Sans qu'il éprouve encore les tourments de l'amour

DIONE

Pourquoi formez-vous de si tristes alarmes ?

CHRISIS

Non, ces plaisirs parfaits, ces doux transports, ces charmes.

Que l'amour fait sentir aux coeurs qu'il a choisis,

Ne sont point destinés à celui de Chrisis ;

120   Le sort me persécute avec trop de constance,

Pour permettre... Mais dieux ! Notre ennemi s'avance.

SCÈNE III.
Chrisis, Agnonide, Dione, Clitus.

CHRISIS

Enfin pour vous parler j'obtiens quelques moments

Vos gardes sont touchés de mes gémissements,

Il ne m'opposent plus de funeste barrière :

125   Mais aucun ne m'apprend le destin de mon père ;

Que fait-il, ou plutôt par quelle injuste loi,

Soumettez-vous sa vie aux caprices d'un roi,

Dont le sang odieux et l'orgueil tyrannique,

N'eurent jamais de droit sur cette république,

130   Quel crime a donc commis ce chef infortuné ?

A-t-il sacrifié par de secrètes haines

Aux faveurs des tyrans la liberté d'Athènes ?

Comptez, examinez les jours de ce héros,

Vous n'y découvrirez que de nobles travaux ;

135   Qu'une vertu sans cesse à nos yeux confirmée,

Et dont la pureté passe la renommée.

AGNONIDE

Madame, je le vois, votre aveugle douleur,

Du sort de Phocion m'impute le malheur,

J'oublierai toutefois cette cruelle injure,

140   En faveur des transports qu'inspire la nature.

Il ne faut qu'un moment pour vous désabuser,

Et détruire l'erreur qui vous fait m'accuser,

Madame, ai-je trahi la sévère justice ?

Ai-je seul ordonné que Phocion périsse ?

145   Tout le peuple en fureur a conspiré sa mort,

Et nommé Cassander arbitre de son sort ;

Vous savez que ce roi successeur d'Alexandre,

Contre la république allait tout entreprendre,

Deux fois loin de ces murs Nicanor repoussé.

150   Et du port de Pirée avec honte chassé ;

De ce roi contre nous allume la colère,

Il impute sa fuite aux soins de votre père :

Athènes toutefois l'accuse hautement

D'avoir pour sa défense agi trop lentement ;

155   Ainsi livré tout seul à la haine commune

Ai-je pu l'arracher à sa triste infortune ?

Ai-je dû le sauver et prévenir vos pleurs ?

Pour faire sur l'État tomber tous ses malheurs,

Non, Madame, et mon fils Alcinous lui-même,

160   Ce fils qui m'est si cher par sa vertu suprême,

Par mon ordre à mes yeux périrait aujourd'hui,

S'il fallait prononcer entre Athènes et lui.

CHRISIS

Puissent les dieux vengeurs me prendre pour victime,

Si j'ose condamner cette noble maxime ;

165   J'en connais la justice, et Phocion cent fois

M'en fit dans ses leçons la plus sainte des lois ;

Si sa mort à l'État eut été nécessaire,

Vous deviez quelque temps la laisser volontaire,

Et voir si son grand coeur lâchement démenti,

170   Aurait pu balancer à prendre son parti.

Ah ! Que dans cet état sa victoire dernière,

Eut dignement fini son illustre carrière,

Dans les murs de Pellé nous l'eussions vu voler.

Heureux pour son pays de pouvoir s'immoler,

175   Et moi de sa vertu chérissant sa mémoire,

consolant ma douleur par l'excès de sa gloire ;

Voyant son nom partout à jamais révéré ;

En pleurant son trépas je l'aurais admiré.

Mais quand sans l'avertir du coup qu'on lui prépare,

180   On le livre avec joie aux mains d'un roi barbare !

Car je ne compte plus parmi nos nations

Tous ces chefs séparés par leurs divisions,

Ces Grecs qui sous un roi le plus grand des héros,

Jusqu'au bout de la terre ont porté leurs travaux,

185   Mais qui l'ayant perdu, nous ont trop fait connaître

Que toute leur grandeur était due à leur maître :

Indignes du haut rang où sa main les a mis,

Et de donner des lois à ceux qu'il a soumis ;

Surtout ce Cassander, ce monstre dans l'envie

190   De ce vainqueur du monde a terminé la vie ;

Et qui par le poison...

AGNONIDE

Ah ! Madame, arrêtez,

N'outragez plus ce prince, et du moins respectez

De ce nom, de son rang, l'auguste caractère.

CHRISIS

Eh quoi ! S'il le profane, est-ce à moi de m'en taire ?

AGNONIDE

195   Oui, l'on doit ces égards au sacré nom de roi.

CHRISIS

Ce nom dans un tyran n'est plus sacré pour moi.

AGNONIDE

Appelez-vous tyran un prince légitime ?

CHRISIS

Celui qui les soutient peut-il les demander ?

AGNONIDE

Si nous sommes tous deux tels que vous l'osez dire,

200   Vous flattez-vous encore que Phocion respire ?

CHRISIS

De vos fureurs les dieux ont pu le préserver.

AGNONIDE

Si les dieux l'ont voulu, leur bras l'a pu sauver,

Mais rarement les dieux prodiguent leurs miracles.

CHRISIS

Leur moindre volonté ne trouve point d'obstacles.

AGNONIDE

205   Nous apprendrons bientôt qui de nous s'est trompé.

CHRISIS

Hélas ! Je cède au coup dont mon coeur est frappé ;

Ma fierté ne peut plus soutenir la pensée

Du parricide affreux dont je suis menacée.

Poursuis, Tyran, poursuis tes barbares désirs,

210   De l'excès de nos maux fais tes plus beaux plaisirs ;

Je vois quelle raison t'intéresse à défendre,

Contre tout l'univers, l'assassin d'Alexandre ;

Les jours de Phocion détruisaient tes projets,

Ils vont être le prix de ta servile paix :

215   Peut-être à mes soupirs le ciel encore propice,

Malgré tes soins cruels confondra l'injustice ;

S'il me refuse enfin le secours de son bras,

Le secours des mortels ne me manquera pas :

Je ne m'explique point, mais si mon père expire.

220   Il ne mourra pas seul, et j'ose te prédire,

Qu'après l'avoir conduit aux horreurs de son sort,

Peut-être autant que moi tu pleureras sa mort ;

Adieu.

SCÈNE IV.
Agnonide, Clitus.

AGNONIDE

Que me dit-elle, et quelle est ton attente ?

Mais non, je ne crains point sa menace impuissante,

225   Et la foudre aujourd'hui dut-elle m'accabler,

Dans un si beau chemin je ne puis reculer,

Il est temps de cueillir l'heureux fruit de mes peines,

Accablons, cher Clitus la liberté d'Athènes,

Hâtons-nous d'accomplir mes glorieux projets,

230   Faisons-nous dans ces murs un trône et des sujets,

Et renversant les lois de cette république,

Rappelons sa splendeur des premiers rois d'Attique.

CLITUS

Mais, Seigneur, songez-vous.

AGNONIDE

J'ai tout examiné.

Je sais que mon projet peut être condamné ;

235   Que ces timides coeurs dont la prudente adresse,

Sous le nom de vertu déguise sa faiblesse,

Qui n'osant s'occuper des soins ambitieux,

Redoutent les périls cent fois plus que les dieux;

Ces coeurs, dis-je, ennemis de mes desseins sublimes,

240   Leur donneront les noms qu'on donne aux plus grands crimes,

Mais aussi que diront ceux dont la noble ardeur

Entraîne tous les voeux vers la seule grandeur,

Qui loin de contracter de basse servitude,

Du soin de commander font toute leur étude :

245   Et ne pouvant souffrir de maître ni d'égal,

Gardent l'ambition jusqu'au terme fatal.

Ces superbes mortels me prenant pour exemple,

Dans le fond de leur coeur m'élèveront un temple,

Et soit que le destin me favorise ou non,

250   Parmi les noms fameux ils compteront mon nom,

Je t'avouerai pourtant, quelque espoir qui m'anime :

Que j'eus quelque terreur en commençant le crime,

D'un violent remords mon coeur fut combattu,

Lorsque de Phocion j'attaquai la vertu :

255   Mais voulant sur mon front placer le diadème,

Il fallait ou le perdre, ou me perdre moi-même ;

Pour m'éloigner du rang que je me suis promis,

Je le crains plus lui seul que tous mes ennemis.

CLITUS

Chargé d'ans et de soins, dont le nombre l'accable

260   Un seul homme, Seigneur, est-il si redoutable ?

Et se peut-il enfin...

AGNONIDE

Eh ! Ne conçois-tu pas,

Qu'un homme tel que lui fait le sort des États ?

Quoique mille raisons à sa perte m'attachent,

Je lui dois un aveu que ses vertus m'arrachent :

265   C'est un de ces mortels que le ciel quelquefois

Fait naître pour défendre ou rétablir les lois,

Un de ces coeurs choisis, de ces heureux génies,

Où les dieux font briller leurs faveurs infinies,

Que de leur feu divin ils ont soin d'éclairer,

270   Et qu'un ennemi même est contraint d'admirer.

CLITUS

Eh ! Faut-il donc, Seigneur, attenter à sa vie ?

AGNONIDE

Triste effet, cher Clitus, des fureurs de l'envie ;

Avec moins de vertus Phocion sans secours,

Tranquille dans ces murs eut vu couler ses jours,

275   Et passé sans péril les plus longues années,

Qu'à son obscur destin la Parque aurait données,

Mais loin de rappeler les pressantes raisons,

Qui le font immoler à mes justes soupçons,

Étouffons les remords que me cause sa perte,

280   En songeant quelle gloire à mon fils est offerte ;

Car, Clitus, c'est pour lui cent fois plus que pour moi ;

Que j'aspire à ranger ce peuple sous ma loi :

C'est l'amour de ce fils digne d'une couronne,

Qui rassure mon coeur quand le crime l'étonne,

285   Qui sur tous mes périls me fait fermer les yeux,

Et braver le courroux des hommes et des dieux.

CLITUS

Mais, Seigneur, votre fils par sa fuite imprévue.

AGNONIDE

Ah ! Ne m'en parle plus, ce souvenir me tue ;

Finissons un discours qui me glace d'effroi,

290   J'ignore quel dessein peut l'ignorer de moi ;

Il a surpris Licas, il m'a surpris moi-même,

Et le sort secondant son fatal stratagème,

Je n'ai pu découvrir le chemin qu'il a pris,

En vain jusqu'à ce jour mes soins l'ont entrepris ;

295   Mais mon coeur affligé reprend quelque espérance :

L'ingrat ne peut longtemps tromper la diligence,

Des fidèles amis qui vont de Cour en Cour,

Le chercher, l'avertir et presser son retour ;

Allons donc pour lui seul consommer mon ouvrage,

300   Des coeurs que j'ai gagnés ranimer le courage,

Sur les plus obstinés faire un dernier effort,

Par l'espoir du salaire ou la peur de la mort.

Et m'instruire sur tout, si, selon mon envie,

Dans Pellé Phocion a vu trancher sa vie.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Agnonide, Clitus.

AGNONIDE

305   Approche, viens Clitus, mes chagrins sont passés,

Je vois mes voeux secrets par le ciel exaucés ;

Dieux ! Avec quel transports mon coeur s'ouvre à la joie.

CLITUS

Eh ! Quel est le bonheur que le ciel nous envoie ?

AGNONIDE

Je viens de recevoir un billet de mon fils.

CLITUS

310   Ah ! Se peut-il ?

AGNONIDE

  Licas en mes mains l'a remis.

CLITUS

Savez-vous sous quel ciel Ascinous respire ?

AGNONIDE

Nous l'ignorons encore, on n'a pu m'en instruire ;  [ Dans le vers précedent le mot "espire" est inconnu, nous écrivons "respire".]

Ce n'est que par les soins d'un esclave inconnu

Que cet heureux écrit jusqu'à nous est venu ;

315   Mais mon fils vit enfin, et bientôt sa présence

Doit remplir en ces lieux ma plus chère espérance ?

Vous me l'avez sauvé, grands dieux c'en est assez,

Écoute cependant ces mots qu'il m'a tracés.

Il lit.

Ne me regardez point comme un enfant rebelle,

320   Seigneur, un soin pressant loin d'Athènes m'appelle,

La gloire l'autorise. Excusez un dessein

Que l'univers entier voudrait combattre en vain :

Si contre moi ma fuite arme votre colère,

Bientôt par mon retour j'irai vous satisfaire,

325   Et chercher sans vouloir forcer vos sentiments,

La peine de mon crime où vous embrassements.

Il continue.

Tu vois par son respect, tu vois par sa promesse,

Que son empressement répond à ma tendresse,

Cependant croiras-tu qu'en ce même moment

330   Je rends grâces aux dieux de son éloignement :

Autant que son départ m'a fait sentir d'alarmes :

Autant son prompt retour peut me coûter de larmes ;

N'en doute point, je crains qu'un destin malheureux

Ne le ramène ici plutôt que je ne veux.

CLITUS

335   D'un pareil sentiment je cherche en vain la cause.

AGNONIDE

Clitus dans le dessein que mon coeur propose,

Près d'opprimer l'Attique et de donner des lois,

À des peuples nourris dans la haine des rois,

Avant que d'exercer un pouvoir légitime,

340   Il faudra s'assurer par plus d'une victime,

Et porter la rigueur jusqu'à la cruauté,

Contre les ennemis de mon autorité ;

Proscrire, sans égard ni de vertu ni d'âge,

Ces citoyens trop fiers pour souffrir l'esclavage,

345   Dont le bras à tout lieu armé pour me punir,

Si je ne les perdais pourrait me prévenir.

Dans ce tumulte affreux qu'existeront mes larmes,

Dans ces proscriptions, ces combats, ces alarmes ?

Mon fils pourrait tomber, et je perdrais en lui

350   Le bonheur de mes jours, mon espoir, mon appui !

Je ne veux point enfin que le sceptre d'Athènes

Le rende comme moi l'objet de tant de haines,

Chargé seul des forfaits qu'il me coûte à gagner,

À ce fils innocent je les dois épargner,

355   Et le faire passer dans ses mains vertueuses,

Tel que jadis sortant de ses courses fameuses ;

L'invincible Thésée arrive dans ces lieux,

Le reçut de son père à la face des Dieux.

CLITUS

J'admire pour ce fils vos soins et vos tendresses,

360   Mais Cassander, Seigneur, tiendra-t-il ses promesses ?

Êtes-vous assuré d'obtenir son secours ?

Enfin, de Phocion tranchera-t-il les jours ?

Je crains que la pitié malgré vous ne l'arrête.

AGNONIDE

Non, son appui m'est sûr et ma victime est prête,

365   Mais quand il manquerait à ce qu'il m'a promis,

À d'autres défenseurs mon destin est remis ;

Démétrius, Cratere, Antigonus, Eumene,

Hasarderont pour moi leur grandeur souveraine

Constant à soutenir me droits et mon dessein,

370   Ils paraîtront bientôt les armes à la main,

Et porteront ici cette sanglante guerre,

Dont leur bras fait rougir la moitié de la terre :

Pour Phocion, ses jours ne sauraient m'échapper,

Si Cassander l'épargne et craint de le frapper,

375   J'espère que le peuple armé contre sa vie

Viendra me demander qu'elle lui soit ravie.

J'excite contre lui ses fureurs chaque jour,

Je lui rendrai fatal l'instant de son retour,

Pour aigrir contre lui ce peuple impitoyable,

380   Je le fais souvenir de ce jour déplorable,

Où Nicanor fut prêt de nous assujettir,

Tandis que Phocion, loin de nous avertir,

Condamnant nos soupçons contre ce téméraire

De ses trompeurs serments vantait la foi sincère

385   Et lui donnant le temps d'avancer ses projets,

Craignait en l'attaquant de violer la paix.

Voilà par quels chemins je prépare sa perte ;

Et si j'en puis saisir l'occasion offerte,

Quel comble à mon honneur de le voir expirer !

390   Dans cette même place où prompt à l'honorer,

Nos citoyens jadis par des cris de victoire,

Célébraient à l'envi ses vertus et sa gloire.

Mais sa fille paraît. Je crains de lui parler,

De nouveaux déplaisirs je n'ose l'accabler ;

395   Laissons-la de ses maux accuser la fortune,

Sortons, et prévenons un plainte importune.

SCÈNE II.
Chrisis, Dione.

CHRISIS

Arrêtez. Il me fuit, et ne m'écoute pas,

Je ne sais quel dessein précipite ses pas ;

Quel trouble me saisit ? Que faut-il que je pense,

400   De ce soin qu'il a pris d'éviter ma présence ?

Juste ciel ! De mon père a-t-il appris le sort,

Et ne s'éloigne-t-il que pour cacher sa mort ?

Dione, c'en est fait leur rage est assouvie.

DIONE

Non, Madame, l'amour vous répond de sa vie,

405   Fiez-vous à ses soins ; ne vous souvient-il plus

Du départ, des serments du jeune Alcinous,

Sa valeur vous promet un succès moins contraire.

CHRISIS

Ah Dieux ! Sur quelle foi me dis-tu que j'espère,

Alcinous peut-il en de barbares lieux

410   S'opposer aux desseins d'un roi victorieux ?

Et renverser les lois de son pouvoir suprême

Qu'en hasardant ses jours et se perdant lui-même ;

Hélas ! Il est péri sans sauver Phocion,

Et pour redoublement à mon affliction  [ 2 Le verbe périr est ici à la voix passive.]

415   Athènes par leur mort est à jamais privée

De toute la vertu qu'elle avait conservée.

DIONE

Mais songez...

CHRISIS

Mon destin ne peut être adouci.

DIONE

Alcinous...

CHRISIS

Eh bien ?

DIONE

Madame le voici.

SCÈNE III.
Alcinous, Chrisis, Dione.

CHRISIS

De quel étonnement, grands dieux, suis-je frappée,

420   Est-ce vous que je vois, ne suis-je point trompée ?

Ah, Seigneur, dissipez le trouble de mon coeur,

Venez-vous augmenter où finir mon malheur,

Découvrez-moi mon sort, reverrai-je mon père,

A-t-il d'un roi barbare évité la colère ?

425   Puis-je enfin me flatter de son heureux retour ?

ALCINOUS

Madame, en doutez-vous, puisque je vois le jour ;

Croyez-vous que soigneux de garantir ma tête,

J'aurai vu sur lui seul éclater la tempête ;

Et son sang à mes yeux lâchement répandu,

430   Sans que parmi ses flots le mien fut confondu ?

Non, Madame, jaloux de défendre sa vie,

Sa perte, de la mienne aurait été suivie :

Et du moins vous contant son déplorable sort,

On vous aurait conté l'histoire de ma mort :

435   Mais grâce à sa vertu, grâce aux dieux tutélaires,

Mes soins pour le sauver n'étaient pas nécessaires ;

Et la fin de ce jour va l'offrir à vos yeux,

Vengé de noirs desseins de tous ses envieux.

CHRISIS

Ce changement soudain, cette joie imprévue

440   Jette un trouble nouveau dans mon âme éperdue,

Et ma faible raison, mes esprits languissants

Ne sauraient résister au plaisir que je sens ;

Quoi vos soins généreux n'ont point trouvé d'obstacle !

Mais ne me cachez plus par quel heureux miracle

445   Mon père m'est rendu, qui me l'a conservé ?

ALCINOUS

Je vous l'ai déjà dit. Sa vertu l'a sauvé :

Sa fierté, sa sagesse et l'éclat de sa vie,

Ont désarmé le bras qu'avait armé l'envie ;

Vous devez en lui-même un si parfait héros,

450   Et lui seul s'est donné la vie et le repos.

Ô ciel ! Que ne peut point sur le coeur le moins juste,

L'intrépide regard, et la présence auguste

D'un mortel dont les jours ménagés par les dieux,

Sont pleins de nobles soins et de faits glorieux.

455   Madame, Cassander enflammé de colère,

Au milieu de sa Cour fit traîner votre père ;

Le supplice était prêt. De barbares soldats

Attendaient le signal, marqué pour son trépas

Devant ce tribunal Phocion se présente,

460   Et loin de faire entendre une voix suppliante,

Tel que dans les périls se montrent les héros,

À ce prince superbe il adresse ces mots :

"Cassander, je ne sais quelle fureur t'anime,

Par quel droit prétends-tu me choisir pour victime ?

465   Mon pays par mes soins s'est longtemps défendu,

J'ai reculé sa chute autant que je l'ai dû ;

Loin de me repentir de ce fameux ouvrage,

Que n'ai-je pour sa gloire encore fait davantage,

Que n'ai-je pu ranger la Grèce sous ses lois,

470   Et détruire l'orgueil et l'empire des rois.

Voilà mes sentiments, je ne veux point les taire,

Et ne m'attache point à calmer ta colère ;

Verse pour me punir, si je t'ose offenser,

Ce reste de mon sang que l'âge allait glacer ;

475   Mais songe pour le moins quand tu vas le répandre,

Qu'il fut jadis sacré pour le grand Alexandre ;

Que ce roi, qui du monde a conquis la moitié,

Après m'avoir connu m'offrit son amitié,

Et m'en fit confirmer les premiers témoignages,

480   Par d'honorables soins et de précieux gages ;

Je ne te dis plus rien. Frappe, perce ce coeur

Rempli pour ses devoirs de la plus vive ardeur,

Et donne à l'univers par ce noir sacrifice

Un exemple éclatant d'horreur et d'injustice,

485   Tandis que par les miens trahi, persécuté,

J'en donne un de constance et de fidélité."

CHRISIS

Ô force plus qu'humaine ! Ô merveilleux courage.

ALCINOUS

Cassander étonné d'entendre ce langage,

De mouvements divers en secret combattu,

490   Est forcé malgré lui d'admirer sa vertu ;

"Va, lui dit-il, reçois le jour que je te laisse,

Sois toujours l'ornement et l'honneur de la Grèce :

Plus pénétré d'estime encore que de pitié,

Je me fais un bonheur d'avoir ton amitié,

495   Ne la refuse pas. C'est un roi qui te prie,

Et libre, va revoir et servir ta patrie.

CHRISIS

Ainsi de mes ennuis le cours est terminé.

ALCINOUS

Et moi plus que jamais à souffrir condamné,

Je frémis des malheurs que le sort me présente,

500   Votre infortune cesse et la mienne s'augmente,

Trop digne d'exciter votre compassion,

Je suis plus malheureux que n'était Phocion.

CHRISIS

Vous, Seigneur, quel malheur peut troubler votre vie ?

ALCINOUS

Hélas, Madame, hélas ! Faut-il que je le die ?

505   Cet aveu dangereux loin de me soulager,

Dans un gouffre nouveau peut encore me plonger ;

Toutefois, dut ma peine en devenir plus rude,

Elle me plaira mieux que mon incertitude ;

Mais quoi, près d'expliquer le malheur de mon sort,

510   Mon courage abattu succombe à cet effort ;

Je commence un discours qu'après je désavoue,

Et ma langue interdite à regret se dénoue,

C'est vous en dire assez. Mes esprits éperdus,

Mes regards incertains, mes soupirs confondus,

515   Le long saisissement, ma surprise soudaine,

Cette source de pleurs que je retiens à peine,

Et la crainte surtout d'aigrir votre courroux ;

Tout ne vous dit-il pas que j'expire pour vous ?

CHRISIS

Ah, Seigneur !

ALCINOUS

Cet aveu ne doit point vous surprendre,

520   Madame, et longtemps vous devez vous attendre

À voir un jour enfin éclater cette ardeur,

Que jusqu'à ce moment j'ai caché dans mon coeur

Mais que déjà cent fois vous auriez dû connaître,

Si vous songiez aux feux que vos beaux yeux font naître ;

525   J'ai vu le premier jour sans vouloir me flatter,

Quelles difficultés j'avais à surmonter,

Mais mon ardeur s'irrite encore par ces obstacles,

L'amour en ma faveur me promet des miracles :

Si je ne trouve pas un dernier malheur,

530   L'obstacle le plus grand au fond de votre coeur ;

Surtout, je ne veux point que la reconnaissance

Vous force, malgré vous à quelque complaisance ;

Si ma flamme vous gêne, ou ne vous touche pas,

Prononcez sans remords l'arrêt de mon trépas :

535   J'ai servi Phocion par égard pour lui-même,

Et ne l'ai point servi parce que je vous aime,

Ce serait me traiter avec indignité

Qu'imputer à l'amour ma générosité,

J'aimai de Phocion la vertu consommé,

540   Dans un autre que lui je l'aurais estimée,

Et pour un inconnu lâchement opprimé

Avec la même ardeur mon bras se fut armé ;

Vous ne me devez rien. N'écoutez donc Madame,

Que les seuls mouvements que vous dicte votre âme,

545   Parlez, parlez sans crainte, et ne voyez en moi,

Que mon coeur, mon respect, mon amour et ma foi.

CHRISIS

Hélas !

ALCINOUS

Achevez.

CHRISIS

Ciel !

ALCINOUS

Ah ! C'est trop vous contraindre,

Quel serait mon bonheur si vous pouviez me plaindre ?

Montrez-moi par pitié vos sentiments secrets.

CHRISIS

550   Pour chercher Phocion je sors de ce palais ;

Je fuis les mouvements que le devoir m'inspire.

ALCINOUS

Eh quoi ! Vous me laissez sans me vouloir rien dire ;

Vous refusez un mot à mon empressement.

CHRISIS

Devez-vous demander d'autre éclaircissement :

555   Voyez dans mes yeux ni mépris ni colère,

Faut-il de ma pitié de marque plus sincère

Que ce triste soupir qui vient de m'échapper,

Et le coeur d'un amant s'y devait-il tromper ?

SCÈNE IV.
Alcinous, Chrisis, Licas, Dione.

LICAS

Madame, Phocion arrive dans Athènes.

CHRISIS

560   Ô moment fortuné qui termine mes peines !

Raisons, devoir, amour précipitez mes pas ?

Adieu, Seigneur.

ALCINOUS

Je vais...

CHRISIS

Non, ne me suivez pas.

Demeurez.

CHRISIS

J'obéis après votre défense,

Mais que je vais souffrir de mon obéissance !

SCÈNE V.
Alcinous, Licas.

LICAS

565   Que vois-je ? Quel adieu ? Quel discours ? Ah, Seigneur,

Vos regards, vos transports ont trahi votre coeur

Vous aimez, juste ciel ! Que dira votre père ?

ALCINOUS

Ah dieux ! Lui voudras-tu révéler ce mystère

Qu'il l'ignore à jamais. Eh quoi mon cher Licas,

570   Pourrais-tu me trahir ?

LICAS

  Non, ne le craignez pas,

Dans les soins que de moi demandait votre enfance,

Vous avez trop souvent senti ma complaisance,

Et c'est encore l'effet de la même amitié

Qui m'inspire pour vous une juste pitié ;

575   Vous prévoyez, Seigneur, quelle suite funeste

Votre amour...

ALCINOUS

C'est assez, épargnez-moi le reste ;

Dans cet heureux instant je ne veux rien prévoir

Qui puisse traverser ma joie et mon espoir.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.
Phocion, Chrisis, Dione.

PHOCION

Enfin nous sommes seuls. Embrassez-moi ma fille,

580   Le Ciel me fait revoir ces murs et ma famille ;

Seuls objets où mon coeur porta toujours ses voeux

Et que malgré mes soins le sort rend malheureux,

Je ne vous cèle point, à cette chère vue

D'un transport si charmant mon âme s'est émue,

585   Qu'il a pu balancer pendant quelques moments,

De mes profonds ennuis les cruels mouvements !

Pour vous, ce tendre amour, et ce respect sincère

Que vous avez toujours senti pour votre père,

Vous ont fait, je le sais, partager mes malheurs,

590   Nos barbares tyrans ont joui de vos pleurs.

Contre eux, votre douleur n'avait point d'autres armes.

CHRISIS

Pourquoi rappelez-vous ces mortelles alarmes ?

N'y songeons plus, Seigneur, mais vivez, je vous vois,

Quelle gloire pour vous, et quel plaisir pour moi,

595   De pouvoir embrasser un père que j'adore ?

Juste ciel ! Qu'il m'est doux de vous revoir encore,

Tranquille et respecté chez les Athéniens.

PHOCION

Ah ! Que tu connais mal quels sont nos citoyens ;

Des peuples inconstants, l'âme basse et commune

600   Règle leurs sentiments au gré de la fortune;

Et tel qu'il adoraient dans la prospérité,

Devient leur ennemi par son adversité :

Ils avancent sa perte injuste ou légitime,

Et joignent leur secours au destin qui l'opprime,

605   Je viens de l'éprouver. Tout le peuple autrefois

Volait pour applaudir à mes moindres exploits ;

Quand suivi des captifs gémissants sous nos chaînes,

Triomphant j'approchais des sacrés murs d'Athènes,

Et je vois qu'aujourd'hui ce peuple furieux

610   Ne souffre qu'à regret mon retour en ces lieux :

Et d'un tyran barbare aimant les injustices,

La haine est le seul prix qu'il donne à mes services.

CHRISIS

Eh ! Laissez-le, Seigneur, ce peuple criminel,

Il mérite de vous un mépris éternel ;

615   Ne vous permettez plus la moindre inquiétude

Pour des coeurs sans justice et plein d'ingratitude ;

À leur propre conduite abandonnez leur sort,

Et bientôt l'infortune, ou les fers, ou la mort

Vengerons vos bontés trop mal récompensées ;

620   Portez par ailleurs vos voeux et vos pensées,

À l'heureuse Chrisis donnez tous vos moments,

Inspirez à son coeur vos nobles sentiments ;

Que vos soins désormais soient pour votre famille,

Que vivant avec vous...

PHOCION

Que dites-vous ma fille ?

625   Nos soins les plus pressants, notre premier amour,

Son dûs aux lieux sacrés où nous venons au jour,

Athènes plus que tout m'est précieuse et chère,

J'en étais citoyen avant que d'être père,

Son salut me tient lieu de tous les autres biens,

630   Et vos droits sur mon coeur sont moins forts que les siens ;

Mais puisque de ma foi l'ingrate se défie,

Et méprise ces soins que je lui sacrifie,

Sans trahir mon devoir je puis les donner tous

Au penchant naturel qui m'entraîne vers vous ;

635   Oui, ma fille, mes voeux et mon bonheur suprême,

Se bornent à jouir de vous et de moi-même ;

Votre vertu me charme. Approchez. Justes dieux,

Conservez chèrement ce trésor précieux,

Et jusques à l'instant qui doit finir ma vie,

640   Sauvez notre amitié des fureurs de l'envie.

Ah quel bonheur ! Grands dieux ! Que mon sort est charmant ;

CHRISIS

Mais ciel ! Cléon vous cherche avec empressement.

SCÈNE II.
Phocion, Chrisis, Cléon, Dione.

CLÉON

Je n'ai pu découvrir les desseins d'Agnonide,

Mais, Seigneur, je crains tout de cette âme perfide.

645   Il assemble avec soin les chefs et les soldats,  [ 3 Le vers précédent se termine par un point d'interrogation syntaxiquement non motivé.]

Tout le peuple en tumulte accompagne ses pas :

Il triomphe, et j'ai vu briller sur son visage

Du plaisir de son coeur l'assuré témoignage

Ses funestes apprêts peuvent nous menacer.

PHOCION

650   Ce serait trop, Cléon, je ne le puis penser,

Mais quand mes ennemis en voudraient à ma vie,

Est-ce un malheur pour moi qu'elle me soit ravie,

Et dois-je par la suite en prolonger le cours,

Non, grands dieux ! Pour le peu qu'il me reste de jours,

655   Je ne veux point survivre à la chute d'Athènes.

Et voir loin du péril ses misères prochaines.

CHRISIS

Quel étrange dessein, Seigneur, quittez ces lieux,

Éloignez-vous.

PHOCION

Cachez cette crainte à mes yeux :

Ma fille, cet avis devrait moins vous surprendre,

660   Quelque soit mon destin je dois ici l'attendre.

CHRISIS

Rendez-vous à mes soins, songez à vous, Seigneur,

Quoi, mes pleurs ne sauraient émouvoir votre coeur.

PHOCION

Non, et ces lâches pleurs font honte à ma famille,

Mes yeux n'osent en vous reconnaître ma fille ;

665   J'en rougis. Si j'avais formé quelque attentat

Contraire à mon devoir ou funeste à l'État,

Voyant mon nom chargé d'une indigne mémoire,

Vous devriez pleurer la perte de ma gloire,

Et voir avec douleur votre père privé

670   D'un honneur si longtemps par son sang conservé ;

Mais puisque, grâce au ciel ; la plus juste envie

Ne peut donner d'atteinte à l'éclat de ma vie,

Ne pleurez point pour moi, pleurez d'autres malheurs

Plus cruels que mon sort, plus dignes de vos pleurs ;

675   Pleurez la liberté, surtout pleurez le crime

Des lâches ennemis dont je suis la victime.

CHRISIS

Malgré mes déplaisirs, je l'avouerai Seigneur,

Vos généreux discours flattent encore mon coeur ;

J'admire la vertu que vous faites paraître,

680   Et je rends grâces aux dieux de ce qu'ils m'ont fait naître

D'un héros dont la gloire est égale à la leur,

Et dont la fermeté passe encore la valeur.

SCÈNE III.
Phocion, Alcinous, Chrisis, Cléon, Dione.

ALCINOUS

Seigneur, ma raison cède au coup qu'on vous prépare,

Je frémis au seul bruit d'un projet si barbare ;

685   Le peuple à haute voix demande votre mort.

CHRISIS

Juste ciel !

ALCINOUS

Prévenez leur criminel effort ;

À leurs perfides coups dérobez votre tête :

Fuyez, Seigneur, fuyez, évitez la tempête :

Vous me voyez ici prêt à guider vos pas,

690   Je viens pour vous offrir le secours de mon bras,

Au nom de tous les dieux, Seigneur, je vous convie

De vous rendre à mes voeux, d'assurer votre vie :

Mais ne différez point. Secondez mes transports,

Seigneur, si vous joignez vos soins à mes efforts,

695   J'ose attester des dieux la majesté suprême,

Qu'Athènes, que la Grèce et Cassander lui-même

Contre vos jours sacrés conspireraient en vain.

Je jure...

PHOCION

Je conçois quel est votre dessein,

Je sais pour dérober ma tête à cet orage

700   À combien de périls l'amitié vous engage,

Je le juge aisément pour tous vos soins passés,

Mais il n'est plus temps, Seigneur, c'en est assez.

ALCINOUS

Ah ! Que me dites-vous ? Quelle funeste envie

Vous fait abandonner le soin de votre envie ?

705   Suivez-moi...

PHOCION

  Modérez cette bouillante ardeur ;

Et du moins un moment écoutez-moi, Seigneur :

Ne vous opposez point au peuple qui m'opprime,

Laissez-le sans obstacle immoler sa victime ;

Abandonnez ma vie, il veut me la ravir,

710   Et conserver la vôtre encore pour le servir :

Vous êtes dans un âge où par d'heureuses peines

Vous pouvez rétablir la puissance d'Athènes ;

C'est là l'unique gloire où vous devez penser,

C'est là que vos vertus se doivent exercer ;

715   Pour moi qui gémissant sous le poids des années,

Ne doit plus espérer de belles destinées,

Qui cédant aux efforts que je voudrais tenter,

Ne me sens plus de bras pour les exécuter,

Loin d'aller à genoux mendier des asiles,

720   Je méprise mes jours, puisqu'ils sont inutiles.

ALCINOUS

Ô ciel !

PHOCION

Je vois Clitus, et je n'ignore pas

Quel funeste dessein conduit ici ses pas.

SCÈNE IV.
Phocion, Alcinous, Chrisis, Clitus, Dione, Gardes.

CLITUS

Seigneur, je suis chargé d'un ordre...

ALCINOUS

Téméraire !

PHOCION

Arrêtez. Où vous porte une aveugle colère ?

ALCINOUS

725   Laissez-moi...

PHOCION

  L'immoler ce serait me trahir !

Aux décrets de l'État j'ai juré d'obéir ;

Je me suis fait toujours de cette obéissance

Un austère devoir dont rien ne me dispense,

J'en ai prescrit au peuple une sévère loi,

730   Pourrais-je sans rougir la violer pour moi :

Je n'examine point au moment qu'on m'accable

Si je suis en effet innocent ou coupable,

Si celui qui m'opprime observe l'équité,

Je songe seulement à son autorité ;

735   Puisqu'il la tient du peuple elle est juste et suprême,

Je la respecte en lui comme dans Solon même ;

J'obéis sans murmure, et s'il faut me venger,

Je ne vois que les dieux qui s'en doivent charger.

CHRISIS

Ah ciel !

PHOCION

Ne craignez-rien : Je vous suivrai sans peine,

740   Clitus ; j'assouvirai la fureur inhumaine

De ces peuples ingrats qui demandent ma mort,

Seigneur, ne tentez plus de criminel effort,

Pour prolonger des jours dont le cours m'importune,

D'Athènes s'il se peut relevez la fortune,

745   Versez tout votre sang pour maintenir ses droits,

Et pour la garantir de l'empire des rois :

Vous, ma fille, armez-vous d'un généreux courage,

Lassez par vos vertus le sort qui nous outrage,

Si je meurs aujourd'hui n'accusez point les dieux,

750   Cachez-vous aux regards d'un peuple furieux ;

De vos tristes foyers faites votre retraite,

Ne montrez de ma mort qu'une douleur discrète,

Rappelez les conseils que je vous ai donnés,

Et voyez les malheurs qui vous sont destinés.

755   Du même oeil dont je vois ceux où le ciel me livre ;

Surtout si vous m'aimez gardez-vous de me suivre.

Adieu.

SCÈNE V.
Chrisis, Alcinous, Dione.

ALCINOUS

Quel coeur, grands dieux dans cette extrêmité

Porta jamais si loin son intrépidité ?

Je l'envie et le plains. Je le pleure et l'admire.

CHRISIS

760   Et moi, Seigneur, et moi je ne puis vous rien dire,

Vous savez mes malheurs, vous les connaissez tous,

Et je dois seulement embrasser vos genoux.

ALCINOUS

Ah ! Madame.

CHRISIS

Seigneur, soulagez ma misère,

Je meurs, j'ai tout perdu quand j'ai perdu mon père ;

765   Rendez-le moi, vous seul pouvez nous secourir.

ALCINOUS

Pour vous le rendre, hélas ! Ne faut-il que mourir ?

J'y volerai, Madame, et vous serez servie.

J'exige seulement pour le prix de ma vie,

Que votre coeur sépare en ce moments affreux,

770   D'un père criminel un fils trop malheureux ;

Et qu'au moins si je meurs où mon amour m'entraîne,

Mourant je ne sois point l'objet de votre haine.

CHRISIS

Que me demandez-vous ? Allez, Seigneur, allez,

Mes yeux par mes malheurs ne sont point aveuglés ;

775   Il ne confondent point l'innocence et le crime,

L'un a toute ma haine, et l'autre mon estime.

ALCINOUS

Après un tel aveu trop content de mon sort,

Je cours pour Phocion faire un dernier effort,

Je vais trouver mon père, et pour toucher son âme,

780   Lui peindre avec transport tout l'excès de ma flamme ;

Madame, j'aime trop pour ne pas triompher

De l'injuste courroux que je veux étouffer :

Je suis cher à mon père, et mon respect, mes larmes,

De ces cruelles mains feront tomber les armes ;

785   Où contre la fureur, par l'amour affermi,

Ne le regardant plus qu'en mortel ennemi :

Mon coeur désespéré trouvera tout facile,

Phocion par mes soins sera libre et tranquille ;

Mon bras le sauvera du peuple et de ses lois,

790   Ou je vous dis adieu pour la dernière fois.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE.
Agnonide, Clitus.

AGNONIDE

J'ai peine je l'avoue, à te croire sincère,

Mes voeux sont traversés par un fils téméraire ?

CLITUS

N'en doutez point, Seigneur, enflammé de courroux,

Ce fils impétueux s'est armé contre nous.

AGNONIDE

795   De cet emportement qui peut être la cause ?

Quel est donc le dessein que l'ingrat se propose ?

Mais pourquoi l'accuser, un penchant généreux

Le pressait de servir Phocion malheureux ;

Il ignore le prix que sa mort lui destine,

800   Et ne soupçonne point que c'est sur la ruine

De ce chef redouté qu'il a voulu sauver,

Que je fonde le trône où je dois l'élever :

Ah ! Quand je l'instruirai de la gloire immortelle,

Des suprêmes honneurs où sa perte l'appelle,

805   Je le verrai superbe ; et plus ardent que moi

Dévorer la couronne, et l'heureux sort d'un roi ;

Renoncer au vain nom d'une vertu stérile,

Pour jouir avec moi d'un crime plus utile ;

Quoiqu'il en soit enfin je réponds de mon fils.

CLITUS

810   C'en est donc fait. Vos soins vont recevoir leur prix.

AGNONIDE

Je n'en saurais douter, mon triomphe s'avance,  [ 4 Les vers suivant semblent être pour Agnonide alors qu'il sont attribués à Clitus.]

Le succès de mes voeux passe mon espérance :

Tout le peuple assemblé condamnant Phocion,

Vient d'ouvrir la barrière à mon ambition ;

815   Voici le jour fatal de ce grand sacrifice,

Je dois lui prononcer l'arrêt de son supplice ;

Va, ma garde t'attend pour le conduire ici.

SCÈNE II.

AGNONIDE, seul.

Jusques à ce moment mes soins ont réussi :

Fortune, à mes desseins, sois encore favorable,

820   Ton retour ordinaire, et presque inévitable,

Par moi-même, à mon tour doit-il être éprouvé ?

Et si près du succès l'aurais-tu réservé ?

Ah ! Si tu dois tromper mes soins et ma prudence,

Attends, à me montrer ta fatale inconstance,

825   Que ce peuple superbe ayant reçu mes lois,

Puisse placer mon nom parmi ceux de ses rois,

Et qu'au moins un seul jour jouissant de ma gloire

Par ce titre éclatant j'assure ma mémoire ;

Mais Phocion paraît , déclarons-lui son sort,

830   Commençons, il est temps, mon bonheur par sa mort ;

Sortez de mon coeur devoir, pitié, tendresse,

Je ne vous connais plus que pour une faiblesse,

Je renonce aux conseils que vous pouvez donner,

Et je me livre à ceux qui vont me couronner.

SCÈNE III.
Agnonide, Phocion, Clitus, Gardes.

PHOCION

835   Arbitres de mon sort, dieux que votre enfance

Avec facilité confond notre prudence !  [ 5 Nous transcrivons enfance pour fance.]

Qui l'eût cru qu'on verrait par un fatal retour

Phocion dans ces lieux accusé quelque jour,

Traité honteusement par un peuple perfide,

840   Et pour comble d'horreur jugé par Agnonide.

AGNONIDE

Ce mépris offensant ces transports de courroux,

Démentent le grand nom d'un homme tel que vous.

Mais loin de prolonger un discours inutile,

Songez que désormais vous n'avez plus d'asile :

845   Que je viens en ces lieux maître de votre sort.

PHOCION

C'en est donc fait. Ce jour est celui de ma mort ;

Car ne présume pas qu'une telle menace

Que ta fureur me porte à te demander grâce,

Ma vertu rougirait de ces indignes soins,

850   Et ne veut que mon coeur et les dieux pour témoins :

Ce n'est pas que je cherche à voir finir ma vie,

Et de quelque malheur qu'elle soit poursuivie,

J'attends ferme et constant à remplir mon destin,

Le moment que le ciel a marqué de sa fin ;

855   Mais pour me dérober au péril qui me presse

Je ne saurais descendre à la moindre faiblesse ;

Un homme tel que moi loin de s'humilier,

Contre ce qu'il a fait pour se justifier :

Ose toi-même ici rappeler mon histoire,

860   Elle ne t'offrira que des jours pleins de gloire :

Chaque instant est marqué par un exploit fameux,

Mais que dis-je ? Où m'emporte un mouvement honteux ?

Est-ce à moi de conter la gloire de ma vie ;

D'en retracer le cours quand Athènes l'oublie :

865   J'en rougis. Je suis prêt à me désavouer ;

Prononce, j'aime mieux mourir que me louer.

AGNONIDE

Et ne comptez-vous point parmi vos faits augustes

Pour un traître ennemi vos faiblesse injustes ?

Pouvez-vous excuser vos soins pour Nicanor ?

870   Dans le port de Pirée on le verrait encore ;

Que dis-je ? Sous le joug d'Athènes opprimée,

Servirait de retraite à sa barbare armée ;

Si malgré vos avis le peuple furieux

Ne l'eut surpris, défait et chassé de ces lieux.

PHOCION

875   Il est vrai, prévenu de la plus forte estime,

Je n'ai pu soupçonner Nicanor d'un tel crime ;

Mais punit-on jamais avec sévérité

L'excès de confiance et de fidélité ;

Cet ennemi funeste a senti ma colère,

880   Quand je l'ai défendu je le croyais sincère ;

Trompé par ses serments, et garant de sa foi,

Je voulais que le peuple en jugeat comme moi,

Et j'aimais mieux tomber sous ses perfides armes,

Que d'immoler sa vie à de vaines alarmes.

AGNONIDE

885   On vous eut applaudi si son noir attentat

N'eut menacé que vous et non pas tout l'État ;

Mais puisque vos conseils et votre négligence

Laissaient nos murs, nos biens, et nos jours sans défense,

Le peuple justement irrité contre vous,

890   Aux plus sanglants effets a porté son courroux.

Ses tributs ont réglé ce que je vous annonce,

Décret trop rigoureux qu'à regret je prononce,

On veut que de vos jours le cours soit terminé,

Par le honteux supplice aux traîtres destinés,

895   Allez attendre.

PHOCION

Ô ciel !

AGNONIDE

  Mais la haine publique

Refuse à votre cendre un tombeau dans l'Attique ;

Cette terre ne peut le garder dans son sein.

PHOCION

Dieux avez-vous permis cet horrible dessein ?

Que dira l'univers instruit de ma fortune ?

900   Livré, quoiqu'innocent, à la haine commune :

Je meurs, et mon pays sauvé par mes exploits,

Pour qui l'on vit mon sang répandu tant de fois,

Refuse après ma mort de recevoir ma cendre ;

Enfin par une loi qu'on ne pourra comprendre,

905   Il faut loin des honneurs que je m'étais promis

Que je cherche un tombeau parmi mes ennemis.

SCÈNE IV.

AGNONIDE, seul.

Je ne le cèle point, quand ma haine l'accable,

J'admire malgré moi ce coeur inébranlable,

Qui toujours préparé contre les coups du sort,

910   Me fait presque envier la gloire de sa mort.

Mais loin que sa vertu m'inspire la clémence,

Ce qu'elle a de plus noble et m'irrite et m'offense :

Et c'est enfin pour lui le plus grand des forfaits

D'avoir pu me contraindre à l'aveu que je fais.

SCÈNE V.
Agnonide, Alcinous.

ALCINOUS

915   Ah, Seigneur ! Qu'a-t-on fait, qu'ose-t-on entreprendre ?

Phocion dans ses fers, quel sort doit-il attendre ?

Quoi Cassander en vain a respecté ses jours,

Puisqu'un peuple barbare en veut trancher le cours !

Et vous-même, Seigneur, précipitez sa chute.

AGNONIDE

920   J'accable un malheureux que le ciel persécute.

ALCINOUS

Ah loin de l'accabler protégez sa vertu.

AGNONIDE

Aveugle Alcinous que me demandes-tu ?

Apprends que c'est moi seul qui l'entraîne au supplice,

Que je joins contre lui l'audace et l'artifice ;

925   Mais que c'est pour toi seul fils ingrat qu'il périt.

ALCINOUS

Pour moi, grands dieux ! Quel trouble agite mon esprit.

AGNONIDE

Oui, pour toi, fils ingrat, je le répète encore,

Tu ne peux ignorer que ton père t'adore ;

Ce tyrannique amour étouffant mon devoir,

930   Jusqu'au trône a porté mes voeux et mon espoir :

Appliqué sans relâche à te soumettre Athènes,

J'immole le seul chef qui peut tromper mes peines,

Tu recueilleras seul tout le fruit de sa mort ;

Malheureux, est-ce toi qui dois plaindre son sort.

ALCINOUS

935   Quoi, vous avez conduit cette injuste entreprise,

Chaque mot, chaque instant ajoute à ma surprise,

Hélas ! Que n'avez-vous, grands dieux, dans mon berceau

De mes funestes jours consumé le flambeau ?

Quand vous avez prévu qu'une plus longue vie

940   D'un semblable attentat devait être suivie.

AGNONIDE

Ciel ! De quels sentiments ton coeur est prévenu.

ALCINOUS

Je le vois bien, ce coeur ne vous est pas connu.

Hélas ! Y pensez-vous ? Quel funeste héritage

Prétendez-vous, Seigneur, me laisser en partage ?

945   Tyran de ma patrie ? Est-il quelque grandeur

Dont ce titre odieux n'efface la splendeur ?

Du trône et de ses soins mon coeur se sent capable,

Mais l'ardeur d'y monter ne me rend point coupable.

Sans violer des droits dans Athènes sacrés,

950   Je voudrais par mon sang m'en tracer les degrés ;

Du peuple en ma faveur réunir les suffrages,

Et mériter de lui les plus justes hommages ;

Ou plutôt sans changer les lois de nos aïeux,

Je voudrais imiter leurs exploits glorieux :

955   Posséder leurs vertus si dignes de nos temples,

Et sans aller plus loin chercher d'autres exemples ;

Jaloux de ce héros que l'on veut immoler,

Pour mourir comme lui je voudrais l'égaler.

AGNONIDE

Quel discours !

ALCINOUS

Dans un fils peut-être il vous offense,

960   Mais c'est le fruit des soins donnés à mon enfance,

J'ose vous rappeler ce respect pour les lois,

Que vos sages conseils m'ont prescrits autrefois ;

Et je dois reconnaître en sauvant votre gloire

L'amour qui de votre âme en bannit la mémoire :

965   Triomphez donc Seigneur, de votre ambition,

Accordez à mes voeux les jours de Phocion.

Permettez...

AGNONIDE

Laissez-moi poursuivre mon ouvrage,

Vainement voudrais-tu me presser davantage ;

Tu n'auras point de part à ces coups inhumains

970   Qui mettront aujourd'hui le sceptre dans tes mains ;

Du trône à mes périls je vais t'ouvrir la route,

Suis-la sans t'informer des crimes qu'il me coûte.

ALCINOUS

Seigneur abandonnez cet horrible dessein

Où vous m'allez plonger un poignard dans le sein !

975   Si votre coeur pour moi devenu moins sévère,

Peut encore s'ouvrir aux tendresses d'un père ;

Du triste Alcinous sachez tous les secrets;

Et concevez par là Seigneur à quels regrets

L'amour de Phocion...

AGNONIDE

Que pourras-tu m'apprendre,

980   Quel aveu, quels secrets...

ALCINOUS

  Que je vais vous surprendre ;

Je n'ose qu'en tremblant lever les yeux sur vous,

Vous m'allez accabler de tout votre courroux ;

Mais dussai-je à jamais mériter votre haine...

AGNONIDE

Parle, c'est trop tenir mon esprit à la gêne.

ALCINOUS

985   Vous voyez à vos pieds dans ce malheureux fils,

Un amant enchanté des beautés de Chrisis.

AGNONIDE

Ô ciel !

ALCINOUS

Je ne veux point, Seigneur, pour ma défense,

Des astres sur les coeurs rappeler la puissance ;

D'un ascendant secret l'effort impérieux,

990   A tiré son pouvoir de l'éclat de ses yeux :

Dès longtemps je l'adore, et je sens que mon âme

Ne peut jusqu'au tombeau brûler d'une autre flamme

C'est de ce tendre amour le généreux transport,

Qui m'a de Phocion fait partager le sort ;

995   Et qui chez Cassander m'a pressé de le suivre,

Résolu s'il mourait de ne le point survivre :

Les dieux ont relevé ce héros abattu,

Son malheur m'a fait voir jusqu'où va sa vertu ;

Je brûlais du désir d'entrer dans sa famille,

1000   J'ai peint en arrivant m tendresse à la fille ;

J'ai cru voir dans ses yeux quelque retour pour moi,

Quand vos ordres cruels les ont rempli d'effroi ;

Pour son père enchaîné de nouvelles alarmes,

Avec plus d'abondance ont fait couler ses larmes ;

1005   À l'excès de ces maux prête de succomber,

J'ai vu presque à mes pieds cette beauté tomber,

Jugez en ce moment de ma tristesse extrême,

Cet affligeant objet vous eut touché vous-même.

Si dans ce jour fatal Phocion doit périr,

1010   D'un si sensible coup on le verra mourir ;

Je ne vous dirait point qu'une douleur mortelle

Me fera dans l'instant expirer avec elle :

On pourrait imputer à de vains mouvements,

Un discours si commun aux vulgaires amants ;

1015   N'en faites point d'épreuve à votre fils funeste ;

Seigneur, si pour ce fils quelque bonté vous reste,

Ce n'est point à régner que je mets mon bonheur,

Chrisis et ma vertu suffisent à mon coeur.

AGNONIDE

Levez-vous.

ALCINOUS

Se peut-il, Seigneur, que ma prière

1020   Ait enfin obtenu la grâce de son père ?

AGNONIDE

Que j'expire plutôt. Tes soins et ton amour,

M'animent encore plus à lui ravir le jour ;

Sa mort me va venger de ta perfide flamme,

Un fils qui me trahit ne peut rien sur mon âme :

1025   Cesse donc de tenter des efforts superflus.

Va.

ALCINOUS

Mon père...

AGNONIDE

Obéis, je ne t'écoute plus.

ALCINOUS

Et moi j'oserai tout puisqu'on me désespère,

Mais non, je garde encore du respect pour mon père ;

Il cesse de m'aimer, et je vois que son coeur

1030   Sans trouble, et sans combat achève mon malheur :

Mais ce jour finira mon sort et mon supplice,

Et puisque Phocion meurt par votre injustice,

Dans mon sang innocent vous me verrez livrer

La honte que je souffre à ne la point sauver.

AGNONIDE

1035   Meurs. Tes jours ne sont plus précieux à ton père,

Mais tu caches en vain ta fureur téméraire,

Au travers du respect que tu veux affecter,

Je vois ta perfidie et ta haine éclater ;

Mais de tes vains projets je préviendrai la suite,

1040   Et je sais le moyen de régler ta conduite ;

Hola, Gardes à moi ! Répondez m'en, Licas,

Dans cet appartement ne l'abandonnez pas.

SCÈNE VI.
Alcinous, Licas, Gardes.

ALCINOUS

Ciel que vois-je ? Ah ! Rends-moi la liberté ravie,

Père injuste et cruel, on m'arrache la vie.

1045   L'espoir seul de la mort m'est offert aujourd'hui,  [ 6 On peut lire : "ou m'arraches la vie".]

Si mes gardes ne sont moins barbares que lui.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.

ALCINOUS, seul.

Arcas ne revient point. Ciel ! Quelle impatience ?

De mes maux chaque instant aigrit la violence.

Il vient.

SCÈNE II.
Arcas, Alcinous.

ALCINOUS

Licas tient-il tout ce qu'il a promis ?

1050   A-t-il à me servir proposé mes amis ?

Pour sauver Phocion, sont-ils prêts à me suivre ?

Dans le trouble où je suis je ne saurais plus vivre.

ARCAS

Oui, Seigneur, ils sont prêts à seconder vos voeux,

Ils brûlent comme vous d'un courroux généreux.

1055   Licas a tout conduit, sa prudence et son zèle.

Ont bientôt assemblé cette troupe fidèle ;

Dès le premier signal ils sont prêts à partir,

Je vous laisse, et dans peu je viens vous avertir.

SCÈNE III.

ALCINOUS, seul.

Hélas ! Quelle infortune à la mienne est égale ?

1060   Ordre injuste et cruel ! Contrainte trop fatale !

Déplorable Chrisis, peut-être en ces moments

Ton coeur soupçonne-t-il la foi de mes serments :

Ô ciel ! De mon dessein seconde la justice,

Empêche par mes soins que Phocion périsse,

1065   Diffère de sa mort les apprêts inhumains,

Et fais que je l'arrache à tes barbares mains ;

Sa vertu t'intéresse à prendre sa défense,

À soutenir un bras armé pour l'innocence ;

Que mon sort serait doux si je pouvais, grands dieux,

1070   Rendre un père à Chrisis, et mourant à ses yeux,

Imprimer dans son coeur la mémoire éternelle,

D'un amant immolé pour la gloire et pour elle.

SCÈNE IV.
Alcinous, Arcas.

ARCAS

Venez, Seigneur, venez, voici l'heureux moment,

Où vous pourrez sortir de cet appartement,

1075   Ne perdons point de temps, le poison se prépare.

ALCINOUS

Mourons, ou prévenons cet attentat barbare.

ARCAS

Fuyez, Seigneur, fuyez, votre père paraît.

SCÈNE V.
Agnonide, Clitus, Arcas.

AGNONIDE à Arcas.

Faites venir mon fils.

SCÈNE VI.
Agnonide, Clitus.

AGNONIDE

Clitus c'en est donc fait.

CLITUS

Oui, Seigneur, Phocion sans changer de visage

1080   Vient de prendre à mes yeux le funeste breuvage ;

Mais avant que l'effet de ce mortel poison

Ait glacé ses esprits et troublé sa raison,

Il demande à vous voir.

AGNONIDE

Eh ! Qu'a-t-il à me dire ?

CLITUS

Je l'ignore, lui seul pourra vous en instruire :

1085   Puis-je voir a-t-il dit, Agnonide un moment,

Qu'il n'appréhende rien de mon ressentiment.

AGNONIDE

Qu'il vienne, accordons-lui cette dernière grâce.

Je l'attendrai.

SCÈNE VII.

AGNONIDE, seul.

L'effet répond à mon audace !

Achevons, assurons le sceptre dans mes mains,

1090   Fermons, fermons mon coeur à des scrupules vains,

Quelque soit le projet où mon coeur s'abandonne ;

Je le crois innocent quand le ciel le couronne ;

Je ne crains point pour moi la honte des tyrans,

Je me place au contraire au rang des conquérants,

1095   Qui font dans les États ces changements célèbres,

Qui de la nuit des temps perceront les ténèbres.

Je couronne mon front pour couronner le tien,

Mon fils, mais qu'avec toi mon dernier entretien

D'un chagrin dévorant empoisonne ma joie,

1100   L'amitié, l'intérêt veut que je le revois ;

Ce fils qui me trahit, on va me l'amener,

À seconder mes voeux puissai-je l'entraîner,

Vainement contre lui j'excite ma colère,

Je me sens pour l'ingrat les entrailles d'un père ;

1105   Peut-être que flattant son amoureuse ardeur,

Par le don de Chrisis je gagnerai son coeur ;

Après la mort du père, il peut aimer la fille,

Je consens que l'hymen l'unisse à ma famille,

Qu'il épouse, qu'il règne, et que le même jour

1110   Satisfasse à la fois et la gloire et l'amour ;

Aussi bien quels honneurs pourraient m'offrir des charmes,

Si je voyais mon fils les payer de ses larmes.

Mais Clitus revient seul, que dois-je soupçonner ?

SCÈNE VIII.
Agnonide, Clitus.

CLITUS

Seigneur, qu'en ce moment je vais vous étonner.

AGNONIDE

1115   Comment ?

CLITUS

  D'Alcinous je vous apprends la fuite,

Tous les gardes gagnés marchent sous sa conduite :

Le perfide Licas cédant à la pitié,

Ou vaincu par les soins d'une tendre amitié,

Seconde ses desseins et soutient son audace,

1120   Je viens de les trouver dans la prochaine place,

Les armes à la main, la fureur dans les yeux,

Ils faisaient éclater des cris séditieux,

Par l'exemple du chef cette troupe animée,

Plaignait de Phocion l'innocence opprimée,

1125   Et jurait à l'envi de courir à la mort,

Ou de changer bientôt son déplorable sort.

AGNONIDE

Dieux qu'est-ce que j'entends ! Quel étrange nouvelle.

Ô téméraire fils ! Ô Licas infidèle !

Mais je vais te punir. Cher Clitus, suis mes pas,

1130   Allons opposer mes fidèles soldats,

Et répandons le sang dans ma fureur extrême,

Des mutins, de Licas, et de mon fils lui-même.

SCÈNE IX.
Phocion, Cléon.

PHOCION

Agnonide me fuit, et n'ose m'accorder,

Le dernier entretien que j'ai fait demander ;

1135   Que le sort d'un tyran, justes dieux ! est à plaindre

Sans armes, et mourant je le force à me craindre ;

Que le poison est lent, qui doit finir mon sort,

Dieu ! Que n'avancez-vous le moment de ma mort.

CLÉON

Eh ! Que puis-je vous dire ?

1140   Mes yeux versent des pleurs, Seigneur, mon coeur soupire,  [ 7 Il manque un demi vers.]

Tous mes sens sont saisis du plus mortel effroi ;

Ah ! Seigneur, quel discours attendez-vous de moi ?

Hélas !

PHOCION

Ma destinée est celle de Socrate,

Immolé comme lui par ma patrie ingrate.

1145   Que dis-je ? C'est le sort des généraux fameux

Que les Athéniens ont vu naître chez eux ;

Mais dieux je vois ma fille.

SCÈNE X.
Phocion, Chrisis, Cléon, Dione.

CHRISIS

Ah que votre présence

De mes vives douleurs suspend la violence ;

À l'aspect de mes pleurs les plus cruels soldats

1150   N'ont osé m'outrager ni retenir mes pas.

PHOCION

Ô ciel !

CHRISIS

Votre énnemi n'ose achever son crime,

Il n'ose encore porter la main sur sa victime :

Vous ne répondez point, et je vois dans vos yeux.

PHOCION

Préparez-vous ma fille à nos derniers adieux.

CHRISIS

1155   Je vous perds donc, Seigneur. Au désespoir livrée,

D'avec vous pour jamais je serai séparée ;

Non, de mes jours mes mains éteindrons le flambeau,

Et Chrisis vous suivra jusques dans le tombeau.

PHOCION

Gardez-vous d'accomplir ce dessein téméraire,

1160   Songez qu'après ma mort vous m'êtes nécessaire ;

L'implacable fureur de nos cruels tyrans,

Refuse le repos à mes mannes errans :

Je n'ai point en ces lieux de bûcher à prétendre ;

Ma fille c'est à vous de recueillir ma cendre :

1165   Sans pompe, sans éclat, portez loin de ces lieux

Les restes condamnés d'un père glorieux,

Mon urne entre vos mains, gémissante, éplorée,

Célébrez mes malheurs de contrée en contrée,

Et ne vous arrêtez que sur les bords heureux,

1170   Où la terre plus douce et propice à vos voeux

Vous pressant d'achever mes tristes funérailles,

À ma cendre proscrite ouvrira les entrailles.

CHRISIS

Quoi vous me destinez à ce funeste emploi,

Hélas !

PHOCION

Je vous prescris encore une autre loi :

1175   N'entreprenez jamais de me venger d'Athènes,

Que mon tombeau finisse, et renferme vos haines ;

Puisse le ciel pour elle apaiser son courroux

Il me reste ma fille à disposer de vous ;

Alcinous vous aime, et sa vertu m'est chère,

1180   Tous ses voeux, tous ses soins ne tendent qu'à vous plaire :

Si son coeur est pour vous fidèle après ma mort,

Joignez par un saint noeud tous vos jours à son sort

Je n'avais souhaité de voir ici son père

Que pour en obtenir un aveu nécessaire ;

1185   Peut-être à mes désirs se serait-il rendu,

Mais le perfide, hélas ! Ne m'a point attendu :

Ne vous souvenez plus que sa fureur m'opprime,

S'il est traître et cruel, le fils est magnanime ;

Et voulant en mourant vous choisir un époux,

1190   Je ne trouve que lui qui soit digne de vous.

CHRISIS

Lui Seigneur ? Ah plutôt que la foudre m'accable ;

Je ne vous cèle point qu'il me parut aimable,

Qu'avec plaisir tantôt mon coeur eut obéi,

Mais il m'est odieux puisqu'il vous a trahi ;

1195   De mille faux serments sa tendresse est suivie,

Il devait ou périr ou vous sauver la vie,

Il me l'avait promis, et cependant hélas !

Le perfide se cache, et ne vous défend pas,

Il perd toute sa gloire, et monte sa faiblesse.

SCÈNE DERNIÈRE.
Phocion, Chrisis, Alcinous, Dione, Cléon, Licas.

ALCINOUS

1200   Aux dépens de ses jours il vous tient sa promesse,

Cet amant malheureux accusé sans raison.

Venez, Seigneur, sortez d'une indigne prison,

Que votre liberté soit mon dernier ouvrage,

Mais dieux ! Je vois la mort peinte sur son visage,

1205   Ne serait-il plus temps, Madame ?

PHOCION

  Non, Seigneur.

ALCINOUS

Ah ! C'en est trop. Ce coup accable enfin mon coeur :

En vain par tout mon sang je vous ouvre un asile,

Je meurs et mon trépas vous devient inutile.

PHOCION

Hélas ! Que votre sort est terrible pour moi :

1210   Qu'avez-vous entrepris ? Pourquoi Seigneur, Pourquoi

Immoler votre vie au salut de la mienne ?

Nos tyrans n'auront plus de frein qui les retiennent ;

Vous seul pouviez encore résister à leurs coups,

Mais la foi, la vertu, tout expire avec vous.

CHRISIS

1215   Destin cruel, prends-moi pour dernière victime ;

Un père que j'adore, un amant que j'estime...

Dieux ! Qui voyez mon coeur dans cet ordre affreux,

Vous savez qui de nous est le plus malheureux.

PHOCION

C'en est fait, tout mon sang se glace dans mes veines,

1220   Grande divinité protectrice d'Athènes,

Minerve, daigne encore soutenir sa grandeur,

Écoute, et pénétrant jusqu'au fond de mon coeur,

Sois témoin que malgré sa poursuite cruelle,

Le dernier de mes voeux t'est adressé pour elle.

ALCINOUS

1225   Digne effort d'un héros qu'Athènes a proscrit,

Un soin bien différent occupe mon esprit ;

Ô toi qui fus toujours l'arbitre de ma vie.

Je n'implore que toi, seconde mon envie :

Amour, offre à l'objet pour qui je vais mourir,

1230   Ma dernière pensée et mon dernier soupir.

PHOCION

Adieu ma fille.

ALCINOUS

Hélas !

CHRISIS

Ô fortune contraire.

J'ose après de tels coups défier ta colère.

 



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Notes

[1] Dans le vers précedent le mot "espire" est inconnu, nous écrivons "respire".

[2] Le verbe périr est ici à la voix passive.

[3] Le vers précédent se termine par un point d'interrogation syntaxiquement non motivé.

[4] Les vers suivant semblent être pour Agnonide alors qu'il sont attribués à Clitus.

[5] Nous transcrivons enfance pour fance.

[6] On peut lire : "ou m'arraches la vie".

[7] Il manque un demi vers.

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