ADIEUX À MA POUPÉE

MONOLOGUE POUR FILLETTE.

1896. Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège.

H. BEZANÇON

PARIS, LIBRAIRIE THÉÂTRALE, 14, rue de Grammond, 14.

Imprimerie générale de Châtillcu-sur-Seine. ? PICHAT et PÉPIN.


Texte établi par Paul FIEVRE, septembre 2024

Publié par Paul FIEVRE, octobre 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 26/10/2024 à 20:15:19.


PERSONNAGES

UNE FILLETTE, 18 ans.


ADIEUX À MA POUPÉE

Elle entre avec une poupée dans ses bras.

Adieu !... Ah ! Le vilain mot triste qui donne envie de pleurer... même quand on ne le dit qu'à une pauvre poupée...

Une poupée !... Mais oui... Bien que j'aie quinze ans depuis hier... et mes cheveux relevés en chignon... depuis hier aussi.

Elle tire une montre de sa ceinture.

Ma belle petite montre !... Bonne-maman me l'a donnée pour mon anniversaire. Quel joli tic-tac elle fait ! Oui, mais... elle sonne toujours l'heure d'être sage, comme on me disait quand j'étais petite... Et, pour nous, c'est l'heure des adieux, ma pauvre Rosette !...

Elle regarde sa poupée avec attendrissement et l'embrasse.

Ah ! C'est mon cousin Henri et mon frère Jean qui riraient, s'ils me voyaient embrasser ma poupée !...

Rêveuse.

Et pourtant... pourtant, quelle gentille amie tu as été pour moi pendant tant d'années, ma pauvre Rosette !... Que de bons exemples tu me donnais sans en avoir l'air ! Car tu n'étais ni bavarde, ni gourmande, ni capricieuse... Toujours ta petite figure rose me souriait, dissipant mes bouderies ou mes chagrins d'enfant. Rosette, c'est à toi que je dois l'amour du travail, le goût et l'adresse... Que de fraîches petites toilettes je t'ai confectionnées moi-même !... Mais cela ne te rendait pas coquette...

Soupirant.

Allons !... Encore des enfantillages !... Maman veut que je sois sérieuse ; elle a raison... comme toujours... Il faut que je me consacre à mes études ; l'année prochaine, je passerai mon examen... La vie grave commence tout à fait, et les jeux sont finis.

Avec douceur.

Pauvre Rosette !... Tu me regardes avec tes chers yeux bleus et ton gentil sourire de poupée... Je ne t'endormirai plus sur mes genoux, je ne t'appellerai plus ma fille, je ne te mettrai plus de jolies petites robes roses et bleues... Et tu ris quand même, ma Rosette !...

Allons ! Tu n'es qu'une chose, après tout... et moi... je suis une grande demoiselle, qui n'ai plus besoin de joujoux...

Elle soupire.

Eh bien, cela ne fait rien, va ! Cela n'empêche pas que tu sois une chère petite chose et un bien doux souvenir !... Ma poupée ! C'est mon enfance tout entière, avec ses joies sans mélange, ses larmes si vite essuyées, son insouciance, la tendresse du foyer, et tout le bonheur qu'on n'oublie jamais... À présent, j'ai d'autres devoirs. L'avenir s'ouvre devant moi... très beau, mais un peu effrayant... comme tout ce qu'on ne connaît pas... Et c'est pour cela, ma Rosette, que je tremble un peu, à l'idée de t'enfermer pour toujours dans une boîte...

Après une pause, et souriant.

Pour toujours ? Non ; les années et les robes allongent si vite !... Plus tard, je serai une vraie maman, à mon tour... Rosette, tu seras la première poupée de ma fille... Ma fille!... C'était le nom que je te donnais, et c'est toi qui m'auras enseigné la première comment on berce un petit enfant sur ses genoux... Je dirai à la mienne : « Prends Rosette, et aime-la bien ! Rosette, c'est mon enfance, ce sont mes joies passées... C'est mon premier amour de petite maman... Prends bien garde, en ouvrant la boîte, de ne pas laisser envoler les souvenirs qui y dorment... »

Gaiement.

Mais je n'en suis pas encore là... Et il faut te dire - non pas adieu - mais au revoir, Rosette... Au revoir, et merci !...

Elle la pose doucement dans une boîte.

Dors la, ma poupée, en attendant qu'une autre petite fille vienne t'éveiller...

Fermant précipitamment la boîte.

Ah ! Mon Dieu!... J'entends la voix de Jean et d'Henri... Vite, cachons ma pauvre poupée... Il ne faut pas qu'ils se moquent de moi...

Regardant de nouveau à sa montre.

Mais oui... C'est l'heure d'être sérieuse... Eh bien, on s'y habituera... Noblesse oblige !...

 



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