LES CHASSEURS ET L'OURS

1894 Tous droits réservés.

FERNAND BESSIER

PARIS, LIBRAIRIE THÉÂTRALE, 14, RUE DE GRAMMOMT, 14

IMPRIMERIE GÉNÉRALE de Chatillon-sur-seine. - [...]


Texte établi par Paul FIEVRE, avril 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 23/08/2024 à 14:28:39.


PERSONNAGES.

GUIGNOL.

LE GENDARME.

L'OURS.

LE COMMISSAIRE.

La grande place du village.


LES CHASSEURS ET L'OURS

SCÈNE PREMIÈRE.

GUIGNOL, entre tristement.

Oh ! Là, la, que j'ai le ventre creux. On dit qui dort dîne. En voilà un mensonge ! J'ai essayé de dormir, j'ai eu faim tout le temps, et plus encore au réveil. Et avec cela j'ai fait des rêves, mais des rêves de pâtissier. Ce qu'il en a passé devant mes yeux de dindes farcies, do tartes à la crème et de nougatines appétissantes ! - Tout cela se promenait, dansait, semblait me faire signe. Moi je m'avançais doucement, j'envoyais la main, et je n'attrapais rien. Toutes ces jolies choses s'envolaient dans l'air comme une nuée de passereaux moqueurs. Au réveil, je me suis retrouvé devant l'armoire vide. Il y avait bien une assiette... mais rien dedans. Cristi ! Où trouverai-je mon déjeuner d'aujourd'hui ? Je voudrais bien être à demain pour vous répondre.

SCÈNE II.
Guignol, Le gendarme.

LE GENDARME, marchant vite et comptant ses pas.

Une, deux, une, deux !

GUIGNOL.

Tiens, le gendarme. Ça va bien ?

LE GENDARME, id.

Très bien. Une, deux, une, deux !

GUIGNOL.

Vous êtes donc bien pressé ?

LE GENDARME.

Toujours pressé. Une, deux, une, deux !

GUIGNOL, lui donnant un coup de bâton.

Trois ! Arrête-toi donc !

LE GENDARME, farritant.

Halte !... Front !

GUIGNOL.

Nous sommes d'accord.

LE GENDARME.

Voyons - que désirez-vous ?

GUIGNOL.

Mais savoir où vous allez.

LE GENDARME.

Impossible.

GUIGNOL.

Pourquoi ?

LE GENDARME.

C'est un secret.

GUIGNOL.

Justement, un secret se garde bien mieux à deux.

LE GENDARME.

Vous croyez ?

GUIGNOL.

J'en suis sûr. C'est un grand savant qui l'a dit. Je ne me souviens plus exactement de ses propres paroles. Mais s'était quelque chose dans ce genre.

LE GENDARME.

Eh bien ! Écoutez. Il y a un ours.

GUIGNOL, recule, effrayé.

Un ours !

LE GENDARME, même jeu.

Oui.

GUIGNOL.

Quoi ?

LE GENDARME.

L'ours ?

GUIGNOL.

Il est là ?

LE GENDARME.

Lequel ?

GUIGNOL.

Celui dont vous me parlez.

LE GENDARME.

Mais non ! Puisque je vais à sa recherche. Est-il possible de trembler comme ça ! Pauvre nature ! Ah ! On voit bien que vous n'avez jamais été gendarme. Je ne vous dis pas : il y a un ours ; mais il y a un ours...

GUIGNOL.

Eh bien ?

LE GENDARME.

Il y a un ours qu'on a vu...

GUIGNOL.

Ah...

LE GENDARME.

Qu'on a vu rôder dans les environs. Il est très gros, tout noir, avec des dents longues comme ça.

GUIGNOL.

Vous les avez vues ?

LE GENDARME.

Non. On me l'a dit. C'est la mère Michel qui l'a vu se glisser derrière les arbres, hier à la tombée de la nuit ; elle longeait la lisière du petit bois. Tout à coup elle a vu passer quelque chose de noir entre les arbres. Elle en a eu si peur qu'elle a laissé échapper son chat. Et depuis elle pleure, l'appelant, demandant qu'on le lui rende. Elle est venue tout en larmes se plaindre à monsieur le commissaire. Monsieur le commissaire...

Il porte la main à son chapeau.

GUIGNOL.

Pourquoi donc vous grattez-vous la tête chaque fois que vous dites : monsieur le commissaire ?

LE GENDARME.

Je ne me gratte pas, je salue, je salue l'autorité.

GUIGNOL.

Ah ! Très bien, grattez... Non, saluez tout à votre aise, mais vous savez, ça doit être fatigant à la longue.

LE GENDARME.

Je recommence. Monsieur le commissaire alors m'a dit : Gendarme, prends ton sabre, tu iras chercher l'ours, tu le prendras, tu l'enchaîneras, et tu me l'amèneras ici pour que je le condamne.

GUIGNOL.

Et vous croyez qu'il se laissera faire ?

LE GENDARME.

Je lui parlerai au nom de la loi.

GUIGNOL.

C'est ça. - Bonsoir.

LE GENDARME.

Vous ne voulez pas venir avec moi ?

GUIGNOL.

Pourquoi faire ?

LE GENDARME.

Chercher l'ours. - Car - j'oubliais le principal - après que nous l'aurons enchaîné et condamné, monsieur le commissaire invite tout le monde à dîner.

GUIGNOL.

Tout le monde ?

LE GENDARME.

Ceux qui auront contribué à arrêter l'ours.

GUIGNOL.

Ils sont nombreux ?

LE GENDARME.

Il y a moi.

GUIGNOL.

Et puis...

LE GENDARME.

Pas davantage. Mais si vous voulez vous joindre a moi...

GUIGNOL.

Attendez !

À part.

- L'heure s'avance - le dîner ne parait pas. Ma foi, je n'ai pas le choix, j'accepte.

Haut.

J'accepte, je vais avec vous - à une condition pourtant, c'est que quand vous lui parlerez au nom de a loi, vous me passerez votre grand sabre.

LE GENDARME.

Poltron !

GUIGNOL.

- Tiens ! - Cet autre - le courage, c'est votre métier. - La poltronnerie c'est encore de la sagesse.

À part.

Je le ferai passer devant. Si l'ours avait faim, pendant qu'il en mangerait un, l'autre pourrait s'échapper.

LE GENDARME.

Parlons-nous ?

GUIGNOL.

Encore un mot. C'est sérieux, le dîner ?

LE GENDARME.

Sans doute. - Un gendarme ne plaisante jamais. - Une, deux !

Il se remet en marche.

GUIGNOL.

Attendez-moi donc !

Il sort derrière lui.

SCÈNE III.

La forêt.

L'OURS.

Il sort de la forêt et se promène en grognant, passant sa grosse langue rouge sur ses babines. Il regarde au loin s'il ne voit rien venir, puis il tend ses pattes comme s'il s'ennuyait et ouvre sa mâchoire toute grande en bâillant bruyamment. Tout à coup il pousse un grognement de satisfaction. Il entend venir quelqu'un. Il sent que des hommes s'approchent. Mais il a peur ; il va se cacher derrière les arbres.

SCÈNE IV.
Guignol et Le Gendarme.

GUIGNOL.

Passez devant ! Passez devant,gendarme ! Honneur aux hommes d'épée !

LE GENDARME.

Tu n'as donc pas de courage ?

GUIGNOL.

Si, mais j'ai encore plus de prudence.

LE GENDARME.

Tu as peur !

GUIGNOL.

Vous exagérez ; je ne me sens pas à mon aise : voilà tout.

LE GENDARME.

Eh bien ! Qu'eut-ce que tu fais là ?

GUIGNOL, s'asseyant.

Je m'assieds un moment, je suis si fatigué.

LE GENDARME.

Paresseux !

GUIGNOL.

Dame ! Je n'ai pas de grandes bottes comme vous ! - Les bottes, ça aide à marcher.

LE GENDARME.

Allons, viens donc !

GUIGNOL.

Tout à l'heure.

LE GENDARME.

Nous perdons un temps précieux.

GUIGNOL.

Précieux, pourquoi ?

LE GENDARME.

Parce que nous pourrions déjà nous mettre à fouiller les buissons.

GUIGNOL.

C'est ça, fouillez tout seul. Moi, je vous attends.

L'Ours, grognant.

Hou ! Hou !

LE GENDARME, tremblant.

Ah ! Mon Dieu !

GUIGNOL, id.

Quoi !

LE GENDARME, bégayant, pris de peur.

As-tu en... en...ten... ten... du ?

GUIGNOL, id.

Oui... oui... si nous filions.

LE GENDARME.

Du cou... cou... ra... ra... ge...

GUIGNOL.

Je n'ose pas me retourner.

LE GENDARME.

Moi non plus...

GUIGNOL.

Tirez votre sabre...

LE GENDARME.

Je ne le trouve plus...

L'ours paraissant.

Hou ! Hou!

LE GENDARME et GUIGNOL, tombant face contre terre.

Ah !

GUIGNOL.

Je suis mort !

L'Ours s'approche joyeux. Il tient à Guignol et le flaire.

GUIGNOL, redressant un peu la tête.

Il me chatouille !

L'Ours, semble réfléchir un moment.

GUIGNOL, id.

Il se consulte : Il me trouve trop maigre ! Si je pouvais lui dire que je suis à jeun depuis vingt-quatre heures.

GUIGNOL, doucement.

Gendarme ?

Il relève un peu la tête.

Ah ! Mon Dieu !

L'Ours, avale le gendarme.

GUIGNOL.

Tout y passe, même les bottes !

L'Ours est content ; il a bien mangé.

GUIGNOL.

Pauvre gendarme !

L'Ours grogne.

GUIGNOL.

Il demande son café, maintenant. - Si j'essayais...

L'Ours, son appétit satisfait, s'accroupit contre un arbre, ne quittant pas des yeux Guignol.

GUIGNOL.

Et pas moyen de lui brûler la politesse ? - Il me guette le chenapan ! Si je tâchais de le persuader ?

L'Ours a soif.

GUIGNOL.

Oh ! Quelle idée ! J'ai dans ma poche une bouteille de vin achetée le long de la route par ce pauvre gendarme ; nous l'avons à peine entamée. - Si je la lui offrais ? Il doit avoir soif, et une bonne manière en appelle une autre.

Appelant.

Pstt ! Pstt I

L'Ours, le regarde.

GUIGNOL, tirant la bouteille de sa poche et la lui montrant.

Bouteille, bon vin, pour toi, boire.

À part.

Je lui parla nègre, il comprendra mieux.

L'Ours fait signe que oui.

GUIGNOL.

Il accepte. Voilà !

L'Ours prend la bouteille.

GUIGNOL.

Et maintenant adieu.

Il veut s'en aller tout doucement. L'Ours le retient avec sa patte.

GUIGNOL.

Comment tu ne veux pas ?

L'Ours fait signe que non.

GUIGNOL, à part.

Il tient à ma compagnie.

Haut.

Le temps d'aller acheter quelques cigares et je reviens.

L'Ours, grognant.

Hou ! Hou !

GUIGNOL.

Il ne croit pas aux cigares ! Je lui ai pourtant donné ma bouteille! Et il la boit ! Le gredin. Hein, c'est bon, n'est-ce pas, vieux brigand ?

L'Ours Se gratte le ventre, il a tout bu, il lui remet la bouteille.

GUIGNOL.

Il rend le verre ! Et dire qu'il va falloir tout à l'heure que j'aille retrouver ce pauvre gendarme ! C'est vrai qu'il ne doit pas s'amuser tout seul là dedans.

Regardant l'ours.

Eh bien ! Qu'est-ce qu'il lui prend ?

L'OURS, commence à donner des signes d'une gaieté folle. - Il gesticule, il marche, en trébuchant, regardant Guignol, mettant la main sur son coeur.

GUIGNOL.

Il me fait des mamours maintenant. Ah ! Mon Dieu, mais il est gris ! C'est le vin.

L'Ours, s'avance vers lui, lui faisant signe.

GUIGNOL.

Comment il veut que je danse avec lui maintenant ! Va te promener.

L'OURS est très navré, il pleure, il lui prend son mouchoir et s'essuie tes yeux.

GUIGNOL.

Comment tu pleures, mon pauvre vieux; ce n'est rien, ce sont les bottes que tu ne digères pas !

L'Ours fait signe qu'il a sommeil.

GUIGNOL.

Tu as sommeil, dors !

Sur un nouveau signe.

Sois sans inquiétude, je ne m'en irai pas, je te le promets ; tu comptes sur moi pour ton souper, sois tranquille, je nE te ferai pas défaut.

L'Ours s'endort.

GUIGNOL.

Il dort ! Sauvé. Tra, deri dera ! Tra la la la ! Filons !

S'arrêtant.

Ah ! Non cependant ! Nous avons un compte à régler ensemble.

Il va prendre un bâton.

Chassons-lui les mouches.

Il assomme l'ours qui ne fait entendre que de sourds grognements, mais ne peut pas se réveiller.

Tiens, vieux brigand, chenapan, voleur, goinfre, ivrogne ! Et le gendarme disait que j'étais un poltron, je le défie de faire ce que je fais.

On entend une voix crier au loin :

« Gendarme ! Gendarme! »

GUIGNOL.

Eh ! C'est monsieur le Commissaire ! Par ici ! Par ici ! Monsieur le Commissaire. Nous tenons l'ours.

SCÈNE V.
Les Mêmes, Le Commissaire.

LE COMMISSAIRE.

Tiens ! Guignol.

GUIGNOL, fièrement.

Moi-même ! Et voici mon adversaire.

LE COMMISSAIRE.

Il recule.

L'ours !

GUIGNOL.

N'aie donc pas peur... il est mort.

LE COMMISSAIRE, s'approchant.

Mais il remue encore.

GUIGNOL, s'essuyant le front.

Ah ! Ce fut une rude bataille ! Quel combat, monsieur le Commissaire. Quel gigantesque combat ! Non, on vous le raconterait que vous n'oseriez pas y ajouter foi.

LE COMMISSAIRE.

Vous êtes sûr qu'il est bien mort ?

GUIGNOL.

C'est tout comme. À preuve...

Il le frappe.

LE COMMISSAIRE.

Ça ne prouve rien.

GUIVNOL.

Comment.

Lui donnant un coup de bâton.

Qu'est-ce quo vous faites ?

LE COMMISSAIRE.

Je fais aïe !

GUIGNOL.

Le fait-il ? Lui.

LE COMMISSAIRE.

Non !

GUIGNOL.

Eh bien! Alors... D'ailleurs, pour plus de sûreté, nous allons le ficeler.

Il va chercher une corde et l'enchaîne.

LE COMMISSAIRE.

Sans que je le juge ?

GUIGNOL.

Vous le jugerez après. Aidez-moi.

LE COMMISSAIRE.

Et à ce propos, le gendarme, ou est-il allé ?

GUIGNOL.

Le gendarme ! Ah ! Il est quelque part où point vous ne pouvez le rencontrer. Il est là.

LE COMMISSAIRE.

Où ?

GUIGNOL, lui montrant le ventre de l'ours.

Là-dedans.

LE COMMISSAIRE.

Il est...

GUIGNOL.

Avalé, comme un simple pruneau. Ah ! Je n'aurais jamais cru qu'un gendarme s'avalât aussi facilement ! Pauvre ami, dire qu'il est là et que nous pourrions frapper à la cloison.

Même jeu que plus haut.

Il ne nous répondrait pas :

LA VOIX DU GENDARME.

Guignol !

GUIGNOL.

Ah ! Mon Dieu ! Qui m'appelle?

LE COMMISSAIRE.

Mais c'est la voix du gendarme ?

GUIGNOL.

Qu'est-ce que vous faites là-dedans ?

LA VOIX DU GENDARME.

Je voudrais bien sortir, je m'ennuie.

GUIGNOL.

Vous n'êtes donc pas mort ?

LA VOIX DU GENDARME.

Non.

LE COMMISSAIRE.

Si vous essayiez de trouver la sortie ?

LA VOIX DU GENDARME.

C'est qu'il fait nuit comme dans un four.

GUIGNOL.

Si on lui passait des allumettes ?

LA VOIX DU GENDARME.

Attendez ! J'y suis.

GUIGNOL.

Poussez fort.

L'Ours, semble se tordre.

LE COMMISSAIRE.

Il y a du tirage.

GUIGNOL.

Je voudrais bien vous y voir vous, si vous aviez avalé un gendarme.

Le gendarme reparaît.

GUIGNOL.

Le voilà !

LE COMMISSAIRE.

Complet ?

LE GENDARME.

Sauf une botte.

GUIGNOL.

Il n'a pas tout rendu.

LE GENDARME.

Ah ! Quel voyage ! C'est effrayant ce que j'ai vu ! Et lui, où est-il ?

GUIGNOL.

Là !

LE COMMISSAIRE.

Ficelé ?

GUIGNOL.

Je l'ai assommé à coups de bâton.

LE GENDARME.

Je les ai sentis.

GUIGNOL.

Ah ! Bah !

LE GENDARME.

Oui. Ça me secouait même assez fort par moment !

GUIGNOL.

Je le regrette. Mais si nous aidons dîner maintenant ?

LE COMMISSAIRE.

C'est juste. Nous allons fêter à table cette belle victoire.

GUIGNOL.

Dépêchons-nous donc.

LE COMMISSAIRE.

Et l'ours !

GUIGNOL.

Le gendarme le traînera... Il lui doit bien ça.

LE COMMISSAIRE.

Mais tout cela ne nous dit pas, Guignol, comment seul, avec un simple bâton, vous êtes arrivé à vous défaire d'un aussi redoutable adversaire ?

GUIGNOL.

À table je vous raconterai cela. Quant à mon bâton, je vous le recommande. C'est une jeune branche que j'ai coupée moi-même, à la cime d'un peuplier, un soir, à la clarté de la lune, sur les bords de la Garonne.

LE GENDARME, allant pour charger l'ours.

Où est-ce situé, la Garonne ?

GUIGNOL, lui donnant un coup de bâton,

Mais... dans la lune !

LE COMMISSAIRE.

Guignol, nous vous élèverons une statue sur la grande place.

GUIGNOL.

Non... Si ça ne vous fait rien, je préférerais mon buste... à cheval !

Au public.

Ainsi finit la comédie.

 



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