DE L'INCLINATION BIZARRE

CONVERSATION

XXVII.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


Texte établi par Paul FIÈVRE, octobre 2023

Publié par Paul FIEVRE, novembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 21:19:41.


ACTEUR.

BELIGONNE.

ALMANE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 172-179.


DE L'INCLINATION BIZARRE

Beligonne qui est une fille, ne se plaît qu'avecque les Filles.

ALMANE.

Vous ne considérez pas, Beligonne, qu'on fait de votre exemple une raison, que la plupart des Filles fuient les Hommes, et que si vous faites toujours divorce avecque nous, vous allez être coupable de la fin du Monde.

BELIGONNE.

Que voulez-vous que je vous dise ? La même Nature qui m'a fait Fille, m'a donné de l'aversion pour les garçons.

ALMANE.

Il ne faut pas suivre les mouvements d'une folle.

BELIGONNE.

La Nature ne passe pas pour telle.

ALMANE.

La bizarrerie de votre inclination est une preuve de son extravagance.

BELIGONNE.

Il est vrai qu'en ma personne elle s'est moquée de votre sexe, et que si elle a condamné quelques Hommes à m'aimer, elle m'a condamné à n'en aimer pas un.

ALMANE.

Quoi que l'aversion qu'elle vous a donnée vous doive rendre son ennemie, les grâces dont elle vous a fait part, vous doivent rendre sa reconnaissante.

BELIGONNE.

Je ne m'aperçois point de ses bienfaits : mais supposons que je lui aie de l'obligation, que faut-il que je fasse pour l'obliger à mon tour ?

ALMANE.

Il faut que vous répariez son manquement.

BELIGONNE.

Ne puis-je la reconnaître qu'en agissant contre elle ?

ALMANE.

Je ne découvre point d'autre moyen.

BELIGONNE.

Ô la plaisante rêverie ! Hé quelle honte y a-t-il à une fille d'aimer les filles ? Notre sexe n'a-t-il pas des douceurs que le vôtre n'a point ?

ALMANE.

Les Filles sont mal servies des filles. L'amour qui règne entre elles, n'exerce point les sages Femmes.

BELIGONNE.

Toutes les filles ne font pas obligées de porter le bouquet conjugal.

ALMANE.

Les pierres sont dispensées de produire leurs pareilles, elles ne font pas animées ; Les Anges sont dispensez d'engendrer leurs semblable, ils ne font pas organiques ; les monstres sont dispensés de perpétuer leur engeance, il leur manque quelque chose : mais qui peut dispenser une fille du Monde de fournir à la multiplication ?

BELIGONNE.

Quand je n'aurais point d'aversion pour les hommes, je ne me marierais pas ; qui a mari, a maître.

ALMANE.

Voilà ce que dirent les filles vulgaires ; mais qui a une maîtresse, a-t-il une servante ?

BELIGONNE.

Nous perdons la qualité de maîtresse, dès que nous perdons la qualité de fille.

ALMANE.

Le mariage est il incompatible avec les agréments ? La qualité de femme les belles choses ?

BELIGONNE.

Je ne prétends pas que le Mariage soit si désavantageux à notre sexe ; mais enfin les femmes comme femmes, ne sont pas tant aimées que les filles comme filles.

ALMANE.

Il n'est pas de vous comme de cent Damoiselles que je connais ; l'on ne peut se défendre des charmes de votre conversation ; vous régnez par toutes sortes d'avantages ; et un mari serait bien ennemi des bonnes choses, si lorsqu'il ne vivrait plus sous l'empire de votre beau virage, il ne vivait encore sous celui de votre bel esprit.

BELIGONNE.

N'appréhendez-vous point d'encourir l'indignation de mes Compagnes ?

ALMANE.

Si je choque leur inclination, je ne choque point leur intérêt.

BELIGONNE.

Vous parlez mystère.

ALMANE.

Vous m'entendez bien.

BELIGONNE.

Hé quelle part mes compagnes prendraient-elles à mon mariage ?

ALMANE.

Elles se piquent de vous imiter, et elles se mariaient ; et comme il n'y a rien de si doux que les plaisirs du mariage, elles goûteraient avecque les Hommes, ce qu'elles ne peuvent goûter avecque les filles.

BELIGONNE.

Je ne sais, ni ne veut savoir, le détail de ce que vous dites ; et je crois qu'en cela il est de mes amies comme de moi.

ALMANE.

Je loue la sagesse de votre ignorance, mais je condamne le défaut de votre curiosité : il appartient à vos semblables de peupler le monde : La Marquise d 'Antipone ne fut pas plutôt votre mère, qu'elle enfanta des grâces ; et vous ne ferez pas plutôt mère aussi, que vous enfanterez des amours.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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