DE L'EXHORTATION

CONVERSATION

XII.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


Texte établi par Paul FIÈVRE, octobre 2023

Publié par Paul FIEVRE, novembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 21:19:50.


ACTEUR.

L'ABBÉ.

LE PRÉLAT.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 79-90.


DE L'EXHORTATION

CONVERSATION.

Quoi qu'on accuse un jeune Abbé de n'être pas le plus grand régide du monde ; un prélat qui est son parent, ne laisse pat de l'entretenir saintement de la vertu.

L'ABBÉ.

Que ce qu'on dit de moi, Monsieur, ne vous inquiète point ; je ne démens ni ma naissance, ni ma condition ; je ne déshonore ni mon éducation, ni mon habit ; et si quelque règlement que j'apporte à ma vie, je ne suis pas en trop bonne odeur, c'est que l'Envie qui se couvre du manteau de la vertu, persuade la plupart des choses qu'elle entreprend, et que la plupart des esprits sont moins disposés à croire le bien que le mal.

LE PRÉLAT.

Serait-il possible, mon enfant, que vous connussiez la vertu, et que vous aimassiez le vice ? Que vous possédassiez les lumières d'un ange, et que vous commissiez les actions d'un Démon ? Ha ! Je ne puis avoir de votre conduite des sentiments fi injurieux ; et quand cette même conduite semblerait à mes yeux la plus horrible chose du monde, les préoccupations de mon esprit combattraient les témoignages de mes sens ; et si je n'étais pas votre avocat, au moins ne serais-je pas votre juge.

L'ABBÉ.

Quand je ne me sentirais pas porté à vivre plus régulièrement que les sages du Monde, votre exemple serait capable de corriger mes inclinations ; et quelque différence qu'il y ait entre les Princes, et ceux qui ne font pas de ce rang, j'oserai vous dire que Tibère n'eut jamais tant de respect pour Germanicus, que Théocrite en a pour votre personne.

LE PRÉLAT.

Quelques raisons que vous m'ayez d'abord alléguées, je m'étonne qu'un homme si bien né ait une réputation si méchante.

L'ABBÉ.

Voulez-vous, Monsieur, que je vous dise en peu de mots d'où peut provenir encore ma mauvaise odeur ; c'est que je n'affecte point l'extérieur des hypocrites, et qu'entre mes observateurs il y en a qui croient même qu'un homme n'est pas Catholique, s'il n'est superstitieux.

LE PRÉLAT.

Ô que c'est être ignorant en la science de bien vivre, que d'attacher le salut aux apparences ! Dieu ne se soucie pas qu'on frappe son estomac, il veut qu'on froisse son coeur : Dieu ne se soucie pas qu'on baisse sa vue, il veut qu'on mortifie sa chair : Dieu ne se soucie pas qu'on pousse des soupirs, il veut qu'on forme, des résolutions.

L'ABBÉ.

On peut inférer de ce que j'ai rapporté, que la superstition veut des grimaces, que la superstition veut des extases, et qu'encore que les véritables dévotions soient semblables à ces arbres dont les racines sont plus longues que les branches, il faut pour être estimé dans le Monde, faire profession de celles qui ont plus de montre que de solidité, qui ont plus d'éclat que de fondement.

LE PRÉLAT.

Le témoignage des hommes est inutile ; le témoignage de la conscience est salutaire.

L'ABBÉ.

Ma vie, grâces à Dieu, ne me reproche pas grand chose ; et si j'osais faire mon panégyrique, je vous dirais, Monsieur qu'on ne me voit, ni chez des Traiteurs, ni chez des femmes ; que je suis inconnu aux lieux où les gens de bien ne se font point connaître.

LE PRÉLAT.

Un Homme aurait mauvaise grâce de se vanter d'être Chrétien, et de vivre en pourceau ; de ne vouloir pas qu'il y eut un Enfer pour lui ; et de vouloir, comme on dit, qu'il y en eut un pour Socrate.

L'ABBÉ.

J'avoue que les passions n'ont été données à l'Homme que pour exercer sa raison, que pour confirmer sa volonté : aussi tâchais-je tous les jours de conformer mes actions à mes connaissances ; et si je m'écarte quelquefois de mon devoir, c'est que nous sommes les enfants d' Adam, c'est que nous sommes les fils de la corruption.

LE PRÉLAT.

Il est vrai qu'il est malaisé de réduire les passions à la dernière servitude, qu'il est difficile de vaincre entièrement des ennemis qui ont comme mené en triomphe les plus grands conquérants du Monde : Mais quelle gloire n'y a-t-il point aussi à détruire des factieux, à défaire des brouillons, à faire de leur place d'armes le champ de ces victoires ?

L'ABBÉ.

Encore que la vertu ne s'acquière que par des efforts suants, il ne faut pas penser à ce qu'elle nous coûte, il faut penser à ce qu'elle nous vaut.

LE PRÉLAT.

Si toutes les choies s'entreprennent pour quelque fin, à quoi bon de s'arrêter au milieu de l'entreprise ? Ne sait-on pas que c'est à la fin de la lice que la récompense attend le combattant ? Que c'est au bout de la carrière que le prix attend le vainqueur ?

L'ABBÉ.

Après tout, Monsieur, comme je vous ai souvent ouï dire, quel profit remporte-t-on de son abandonnement ?

LE PRÉLAT.

Il n'y a rien en ce Monde qui mérite notre recherche ; il n'y a rien sur la terre qui mérite notre poursuite : et ce que je dis est tellement prouvé par l'usage, est tellement confirmé par l'expérience, qu'à peine possède-t-on les choses les plus souhaitées, qu'on reconnaît qu'elles n'ont rien de plus consistant que ces songes agréables qui flattent l'imagination, et qui n'assouvissent jamais le désir, que ces festins apparents qui enchantent les yeux, et qui ne contentent jamais l'appétit.

L'ABBÉ.

Comme le Monde n'est rempli que d'altérations, que de vicissitudes, c'est bien mal connaître le souverain bien, que d'y attacher ses affections.

LE PRÉLAT.

Que votre manière de vivre, mon cher cousin, soit toujours conforme à vos beaux sentiments ; qu'on ne dise point justement de vous, ce qu'on dit de cent autres, que vous abusez du revenu de vos bénéfices, que vous frustrez l'intention de vos pères ; que vous employez aux délicatesses de la friandise et aux mollesses de la dissolution, les trésors de leur épargne, et les fruits de leur sainteté.

L'ABBÉ.

Ces conseils sont trop obligeants et trop utiles, pour en faire les simples objets d'une réflexion, pour en faire le simples matières d'un entretien.

LE PRÉLAT.

Comme les vices sont communicatifs ; comme les exemples sont contagieux ; qu'il ne soit point dit non plus que vous risquez votre salut, que vous hasardez votre Paradis, que ceux que vous voyez déshonorent leur condition, que ceux que vous fréquentez profanent leur caractère ; qu'ils travaillent plus à être les soutiens du Démon, que les serviteurs de Dieu ; à être les instruments de leurs passions, que les ministres de leurs dignités.

L'ABBÉ.

Je sais bien que les esprits libertins sont pernicieux, que les compagnies licencieuses sont fatales ; et que si sans sollicitation et sans exemple, un Ange s'est perdu avec des Anges, un Apôtre s'est damné avez des Apôtres, un homme de bien se peut corrompre avecque des vicieux ; aussi puis-je dire sans vanité que t'examine les moeurs de ceux que je souffre, que j'observe les actions de ceux que je vois, et que dès que je découvre quelque indécence en la personne de mes plus familiers, je passe de la société à la retraite, de la compagnie à la solitude.

LE PRÉLAT.

Qu'on ne vous représente point aussi par vue espèce de reproche, que ceux qui vivent tous les jours comme s'ils devaient tous les jours mourir, méprisent les richesses, méprisent les honneurs, et que comme ils vivent plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils vivent plus de la vie des Anges, que de la vie des Hommes.

L'ABBÉ.

J'aurais mauvaise grâce d'établir mon éternité sur des choses temporelles ; j'ai été trop bien instruit pour tomber dans un si étrange aveuglement.

LE PRÉLAT.

Que si dans votre manière de vivre il y a encore quelque chose à redire, que rien ne vous détourne de rompre vos liens, que rien ne vous empêche de briser vos chaînes, puisque le péché et la mort, dit un grand père, sont une même chose et que celui qui retarde la sortie de son sépulcre, en en danger de n'en sortir jamais.

L'ABBÉ.

S'il est à craindre que le péché ne vienne jusques à nous, il est bien plus à craindre que nous ne demeurions au péché.

LE PRÉLAT.

Que les lumières de l'église soient toujours les Lois animées sur lesquelles vous régliez vos actions ; que les légitimes dispensateurs des Oracles éternels soient toujours les règles vivantes sur lesquelles vous ajustiez vos moeurs ; l'on ne peut négliger ce qu'ils ordonnent, qu'on ne choque celui qui les a instruits ; l'on ne peut rejeter ce qu'ils enseignent, qu'on ne méprise celui qui les a inspirés.

L'ABBÉ.

L'Église est une mère infaillible, elle doit être notre Directrice.

LE PRÉLAT.

Que ce qui tente, que ce qui trompe, fait toujours l'objet de votre mépris ; que ce qui flatte, que ce qui passe, fait toujours l'objet de votre aversion.

L'ABBÉ.

Je regarde toutes les choses périssables comme périssables ; et quoi que te ne sois pas insensible, je puis dire par la grâce de Dieu, que je n'ai pas grand sujet de me plaindre de mes infirmités.

LE PRÉLAT.

Enfin, mon cher Parent, que l'amour de Dieu soit toujours chez vous un amour de préférence, puisque Dieu renferme tout ce que les créatures ne renferment point ; que c'est un père q ne peut être dénaturé, que c'est un roi qui ne peut être tyran, que c'est un juge qui ne peut être partial que c'est un maître qui ne peut être méconnaissant, et que c'est un ami qui ne peut être infidèle.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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