DE LA DISSIMULATION

CONVERSATION

XXXIII.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


Texte établi par Paul FIÈVRE, octobre 2023

Publié par Paul FIEVRE, novembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 21:19:53.


ACTEUR.

BELISE.

ARIMENE.

TEROVANE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 208-212.


DE LA DISSIMULATION

On se plaint d'une Fille de ce qu'elle est dissimulée.

BELISE.

Il est ridicule de faire du premier venu son confesseur, on ne doit pas condamner une fille de ce qu'elle déguise quelquefois ses sentiments.

TEROVANE.

Comme les pensées doivent représenter les choses, les paroles doivent représenter les pensées.

BELISE.

On nous demande quelquefois si nous aimons les jeunes hommes, aurions-nous bonne grâce de dire qu'ils nous plaisent ? On nous demande quelquefois si nous sommes insensibles aux aiguillons de l'âge, aurions-nous bonne grâce de dire qu'ils nous importunent ? Vous voyez bien, Monsieur, que la même bienséance qui veut qu'on dise quelque chose, ne veut pas qu'on dise toujours vrai, et que la dissimulation qui est souvent une fuite de la crainte, est quelquefois un effet de la pudeur.

TEROVANE.

Je ne veux pas (contre ce que j'ai ci-devant dit) que sur de certaines interrogations les filles se définissent : mais à l'exception des confessions indécentes, je suis tellement pour la franchise, que je voudrais même que l'ingénuité du visage découvrit le fonds du coeur, que le silence fut parlant, que le regard fut interprétatif qu'on connut par le mouvement du dehors les ressorts du dedans.

ARIMENE.

La pensée précède toujours l'ouverture du coeur ; et comme la pensée est quelquefois fausse, la franchise est quel[que]fois injurieuse.

TEROVANE.

Quand on est incertain des choses, l'on doit être retenu, et la retenue en ce cas est plutôt une crainte qu'une dissimulation.

ARIMENE.

L'on ne se repent guère de s'être voilé, l'on se repent souvent de s'être découvert.

BELISE.

La dissimulation est d'un grand usage.

ARIMENE.

La dissimulation est d'une grande utilité.

TEROVANE.

Quelle confiance peut-on prendre en une personne qui masque toujours ?

BELISE.

Une personne dissimulée est plus capable de garder le secret, qu'une personne ouverte ; l'une est taciturne, et l'autre est babillarde ; la première est ordinairement circonspecte, et l'autre est ordinairement imprudente.

ARIMENE.

S'il y avait ici des Politiques, ils ne diraient seulement pas avecque Tibère et Louis XI que celui qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner ; ils diraient encore avec tous les Sages du Monde, que celui qui ne sait pas se contreminer contre les artificieux, ne sait pas vivre.

TEROVANE.

Vous direz ce qu'il vous plaira, la liberté est toute entière : mais enfin qu'est-ce que de déguiser ses pensées ? Ce n'est autre chose que de tromper les gens. Hé quelle gloire y a-t-il de préférer le mensonge à la vérité le démenti du sentiment à la naïveté de la pensée ?

BELISE.

Si vous condamnez toutes sortes de tromperies, vous faites le procès à l'Art et à la Nature, aux expédients que la Prudence invente, et aux mouvements que la nécessité inspire.

ARIMENE.

Mademoiselle ne dit pas cela sans sujet, elle sait ce qu'elle avance ; et pour terminer le différend, il suffit de vous dire que le chirurgien cache la lancette, que l'apothicaire dore les pilules, que le médecin flatte l'espérance, que le Capitaine use de stratagème, que le politique se sert de prétextes, et que les escrimeurs font des feintes ; enfin que les cerfs rasent, que les daims coupent, et que les insectes contrefont les mortes.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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