COMÉDIE SATITIQUE
Représenté pour le première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Odéon, le 26 décembre 1852
COLLABORATEUR : PHILOXÈNE BOYER
1853. Tous droits réservés
PAR MM. PHILOXÈNE BOYER et THÉODORE DE BANVILLE
MICHEL LEVY FRÈRES, rue Vivienne, 2 bis.
Clermont (Oise) .- Imp. A. DAIX, rue de Condé, 58
Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2024.
publié par Paul FIEVRE, août 2024.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2024 à 22:09:57.
DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.
THALIE, Mme Roger-Solié.
ARISTOPHANE, Monsieur Pierron.
XANTHIAS, Monsieur Tétard.
RÉALISTA, monsieur Boudeville.
TABARIN, Monsieur Kime.
LE ROI MIDAS, Monsieur Néroud.
CAROLUS, Monsieur Fleuret.
UN GAMIN DE PARIS,Mademoiselle Bilhaut.
LA MUSE DU THÉÂTRE, Mademoiselle Marie Daubrun.
TEMPESTA, Madame Grassau Marie Daubrun.
ÉGLANTINE, Mademoiselle Valérie.
LA FÉE DU PALAIS DE CRISTAL, Mademoiselle Valérie.
LA PEINTURE.
LA MUSIQUE.
THRATTA.
CALLISTRATE.
PHILONIDE.
La scène est à Athènes et à Paris.
LE PROLOGUE
à Athènes, chez Aristophane.
SCÈNE PREMIÈRE.
XANTHIAS.
À la cantonade.
C'est bien, tes ordres seront exécutés.
Au public.
Nous sommes à Athènes, vers la fin de la quatre-vingt-dixième olympiade. Je me nomme Xanthias, et mon maître s'appelle Aristophane. Il parait, on dit, on affirme même qu'Aristophane est poète. Moi, je le veux bien ; je suis un esclave si dévoué ! Cependant,
Regardant si personne ne l'écoute.
je puis me dire cela à moi-même, en monologue,comme dans les pièces de théâtre, cependant, j'ai cru m'apercevoir qu'Aristophane vit chichement du produit de ses oeuvres. C'est bien fait ! Cela lui apprendra à être poète et à avoir du génie ! Voyez, moi, moi...
Même jeu.
Je peux toujours me dire cela en confidence, moi qui ne suis pas poète... Pouah ! Je me suis fait une industrie qui me rapporte à foison des lentilles, du froment, de la salaison... et du boudin ! On pourrait me demander... Personne ne me le demande, mais qu'importe ? Je vais toujours me répondre ! On pourrait me demander quelle est cette industrie si fructueuse ? La voici. Aristophane compose des comédies dans lesquelles il a la prétention dépeindre les moeurs athéniennes. Mais, insouciant et difficile comme un poète, il jette dédaigneusement sous sa table des bribes de scènes, des fragments des pièces qu'il rougit d'avoir faites. Moi, je les ramasse, je m'en empare, et tandis que mon maître recueille parfois des huées et des sifflets pour prix de ses sueurs, moi timidement, modestement, je me fais ceindre le front de lauriers... dans les carrefours, où je fais déclamer, sous mon nom bien entendu, les parcelles qu'il a dédaignées. Et voilà comment sans talent, sans travail, je suis arrivé à me faire une position aussi luxueuse que douce..
SCÈNE II.
Xanthias, Aristophane.
ARISTOPHANE.
Rien de prêt ! Est-ce ainsi que tu as exécuté mes ordres, Xanthias ?
XANTHIAS.
Pardon, maître, mais...
ARISTOPHANE.
Par Zeus !
XANTHIAS.
Es-tu assez heureux ! Tu jures par les Dieux de l'Olympe ! Moi je ne jure que par les demi-Dieux, et à la rigueur, les quarts de Dieux me suffisent.
ARISTOPHANE.
Paresseux et philosophe, c'est-à-dire deux fois imbécile ! Tu crois donc qu'il n'y a plus de trique dans la maison ?
XANTHIAS.
Je crois que tu pourrais te mettre en colère, et je m'en vais.
ARISTOPHANE, l'arrêtant par l'oreille.
Arrête ! Il faut qu'avant une heure nous ayons quitté Athènes. Tu m'entends ?
XANTHIAS.
Je n'entends pas de cette oreille-là !
ARISTOPHANE.
Ne t'embarrasse ni de provisions, ni de vaisselle. Laisse en place mes meubles et mes statues.
XANTHIAS.
Nous ne partons donc que pour un jour ou deux ?
ARISTOPHANE.
Nous partons pour ne plus revenir.
XANTHIAS.
Mais...
ARISTOPHANE.
Assez de questions ! Va ramasser les quelques hardes dont je puis avoir besoin en route, et trouve-toi à la dernière heure du jour sur le chemin de Salamine.
XANTHIAS.
Encore une fois...
ARISTOPHANE.
Va, te dis-je.
SCÈNE III.
ARISTOPHANE.
Quelques instants encore, et je suis libre. Pourquoi resterais-je ici davantage ? Je ne veux pas parcourir les gymnases pour y corrompre la jeunesse, faire de ma Muse une entremetteuse, me divertir à railler les vieillards. Ma Comédie ne consentira pas à s'éLancer sur la scène, ivre, une torche à la main, et dansant la cordace ! Je n'ai plus rien à faire à Athènes.
SCÈNE IV.
Aristophane, Thratta, Callistrate, Philonide.
THRATTA, entr'ouvrant la porte.
Ami...
ARISTOPHANE.
Thratta !
THRATTA.
Callistrate et Philonide aussi.
ARISTOPHANE.
Toi, mon amie ! Vous, mes comédiens ! Que me voulez-vous ?
THRATTA.
Nous sommes chargés de réclamer de toi une nouvelle oeuvre, un motif de plus pour te glorifier encore.
ARISTOPHANE.
Jamais !
THRATTA.
Comment ?
ARISTOPHANE.
Je ne suis plus poète comique, et demain je ne serai plus citoyen d'Athènes.
On entend crier M dehors Vive Aristophane !
Mais quel est ce bruit ?
THRATTA.
Les corporations des artisans, des ouvriers, des soldats, viennent se joindre a nous, les archontes à leur tête, et te supplier de te remettre a la tâche. [ 1 Archonte : Titre qu'on donnait, en Grèce et particulièrement à Athènes, aux magistrats qui dirigeaient la république. [L]]
SCÈNE V.
Aristophane, Thratta, Callistrate, Philonide, Citoyens d'Athènes.
CITOYENS D'ATHÈNES se précipitant sur la scène.
Vive Aristophane ! Gloire à Aristophane !
ARISTOPHANE.
Ma gloire passée, je la renie ; ma gloire future, je la repousse ! Comme l'hirondelle, j'ai eu mes jours de grand air et de large vol sous le soleil du printemps ; mais l'hiver est arrivé ! Je ne suis pas, moi, de ces bavards tragiques, de ces corrupteurs de l'art qui, exténues de fatigue et d'impuissance, déchirent encore les cordes de la lyre muette sous leurs doigts. J'ai épuisé, je le sens, tout ce que mon coeur avait d'ardeur et de poésie. Ma muse, Thalie, que j'invoquerais en vain, n'est plus en moi. Elle est loin d'ici. Thalie se promène dans les vallons de Tempé, parmi les Dryades qui s'enivrent de sa voix. Thalie est sur quelque montagne de Sicile, contemplant de loin le front humide de l'amoureuse Aréthuse. Thalie donne l'accord aux flûtes des bergers, a l'essaim des cigales. Thalie ne viendra plus visiter Aristophane.
SCÈNE VI.
Aristophane, Thratta, Callistrate, Philonide, Citoyens d'Athènes, Thalie.
THALIE.
Me voici.
TOUS.
Thalie !
ARISTOPHANE.
Thalie, ô ma Muse.
THALIE.
Tu te trompes sur moi, Aristophane, qui ne t'ai pas oublié. Tu te trompes sur toi, ô mon fils, qui prends pour de l'abattement ce qui n'est que le moment nécessaire de la méditation féconde où l'âme se recueille dans la conception de l'idéal. Aristophane, Aristophane, entends ma voix, et commence ta comédie nouvelle.
ARISTOPHANE.
J'ai peint tout ce que j'ai vu; j'ai mis à nu tous les coeurs. Je ne sais plus rien. Athènes est le résumé du monde ; j'ai résumé Athènes.
THALIE.
Athènes est un coin de l'univers. Cette époque est une page dans l'histoire de l'humanité. Seulement, Athènes contient en elle les germes que d'autres villes admireront transformés en moissons. Cette année recèle dans chacune de ses minutes une des idées, une des sensations qui suffiront à occuper les heures des siècles futurs. Aristophane, je prétends t'élever et l'intelligence supérieure de ton temps et de ton époque, et pour cela je te dévoilerai une autre face de la machine terrestre. Pour cela, je t'initierai aux secrets d'un autre âge, et tu te persuaderas alors que l'on n'a jamais épuisé la matière quand il s'agit de représenter les hommes; car l'homme a la pensée unique comme le créateur, mais ses modifications sont aussi multiples que la nature. Viens donc avec moi, Aristophane.
ARISTOPHANE.
Où me conduis-tu ?
THALIE.
Tu le sauras plus tard. Soyez tranquilles, Athéniens ; votre poète vous reviendra plus grand, plus inspiré, plus convaincu.
SCÈNE VII.
Aristophane, Thratta, Callistrate, Philonide, Citoyens d'Athènes, Thalie, Xanthias.
XANTHIAS, entrant.
Qu'est-ce à dire ? Aristophane partir sans moi, sans Xanthias, son fidèle esclave Que deviendrai-je ? Privé des épluchures de mon maître je ne serai plus poète dramatique ! Aristophane, je m'attache a toi, je me cloue tes cotés, je me rive à ton manteau !
THALIE.
Partons.
ARISTOPHANE.
Adieu, mes amis. Je ne sais guère quelle sera la longueur du voyage. Mais je sais bien désormais quel en sera le but et l'espérance. Vous revoir, vous soutenir encore dans les voies de l'honnêteté et de la gloire.
TOUS.
Vive Aristophane !
SCÈNE DEVANT LE RIDEAU.
THALIE.
C'est encor moi tandis que devant leurs miroirs
Nos acteurs là dedans mettent leurs cheveux noirs
Et nos actrices leurs bas roses,
Tandis que les auteurs surveillent les apprêts,
5 | Encouragent la troupe, et mordent leurs gants frais |
Dans des attitudes moroses,
Je viens vous saluer et vous considérer
Tremblante, moi qui dois tous à tous vous montrer
Sous quelque saisissant emblème,
10 | Moi qui dois résumer chaque entretien banal |
Dans un vers résonnant, et donner au journal
Le charme grave d'un poème !
Muse, on m'appellera La Revue aujourd'hui
Déesse, sans pleurer l'Olympe que j'ai fui,
15 | Je cours la rue et m'humanise, |
Moi qui dictai jadis le joyeux rituel
De Scapin, de Falstaff et de Pantagruel,
Moi qui fis Gozzi pour Venise !
J'ai suivi ces sentiers souvent, quand je marchais,
20 | Affilant à Paris ton rasoir, Beaumarchais, |
À Madrid excitant Cervantes,
Courant où la satire à l'ode s'accouplait,
Semant dans le roman, le drame ou le pamphlet
L'idéal des choses vivantes !
25 | La Revue Un coeur droit bat sous ses habits fous ! |
Hier encore, elle errait au milieu des bambous
Où l'oncle Tom bâtit sa case,
S'enivrant du grand cri qu'une femme a jeté
Pour unir par l'amour et par la charité
30 | Les deux univers en extase ! |
Cette fois, je n'ai pas ces nobles familiers.
Mais vous accueillerez, Messieurs, mes écoliers
Dévoués aux gloires anciennes,
Libres aventuriers résignés aux échecs,
35 | Et, volontiers, faisant parler la prose aux grecs, |
Et les vers aux parisiennes !
Aristophane manque Eh bien, vous, vous restez.
Nous vous réjouirons, si vous nous écoutez
Nous décrirons vos types rares,
40 | Nous peindrons en riant vos eûtes sérieux, |
Et pour donner l'aubade à Paris glorieux,
L'Odéon aura des fanfares !
L Odéon c'est toujours pour l'esprit des journaux
Le volcan dont le temps éteignit les fourneaux,
45 | La Palmyre aux détours sonores |
Dont jamais un Volney ne trouble le repos,
Et le morne désert où ronflent des troupeaux
De buffles et d'onocentaures ! [ 2 Onocentaure : animal fabuleux.]
Mais, quand ils ont, pendant les farces du début,
50 | Contre notre Odéon et contre l'Institut |
Décoché la flèche ennemie,
Les railleurs à leur tour rêvent un Panthéon,
Et, leur oeuvre à la main, tourmentent l'Odéon,
Cette clef de l'Académie !
55 | Qu'ils viennent ! Le chemin qui mène à ces déserts |
Est depuis quarante ans peuplé tous les hivers
Ils auront d'illustres complices;
Les maîtres ici, tous estimés à leurs taux,
Pour leurs bustes futurs ont tous des piédestaux
60 | Dans les portants de nos coulisses ! |
Nos poètes, dont rien ne lasse les efforts,
Pour le jeune public prodiguent des trésors
Dont l'avenir saura la somme,
Sur cette scène aimée où germe chaque épi,
65 | Où Tartuffe naguère escortait le Champi, |
Où vint Sophocle avant Prudhomme !
Parterre, applaudis-nous ce soir ! Car nous t'aimons
Car nous croyons, malgré les grotesques démons
Des esthétiques surannées,
70 | Que la Muse est jolie, et que ses ouvriers |
Sont chargés, en dépit des vieux calendriers,
D'éterniser les vingt années !
LA REVUE.
Le salon d'un homme de lettres, Meubles élégants, bibliothèques, objets d'art. À droite et à gauche sur la muraille du fond sont pendus deux grands tableaux, représentant, personniRées,ta. Peinture et la Musique. Aristophane, en costume moderne, est endormi sur un sopha encombré de livres et de journaux,parmi les coussins en désordre.
SCÈNE PREMIÈRE.
ARISTOPHANE, s'éveillant.
Holà, Sosie ! Holà, Charion ! Par Hercule,
J'ai manqué choir ! Allons ! Quel rêve ridicule
75 | Je faisais là tout seul ! Au fait, ai-je rêvé ? |
Mais non. C'est inouï, que m'est-il arrivé ?
Au moins, je sais mon nom redouté du profane !
Je ne me trompe pas, je suis Aristophane,
Et c'est moi qui vingt ans, d'un vers mélodieux,
80 | Combattis pour le grand Eschyle et pour ses Dieux ! |
Passant sa main sur son front.
Tout cela m'épouvante, et tient de la merveille.
Où donc est mon figuier ? D'où vient que je m'éveille
Sur un sopha ? Qui m'a donné cet habit bleu
À boutons d'or, coupé par Dusautoy ? Parbleu, [ 3 Auguste Dusautoy (1810-1873) : tailleur parisien qui fit fortune- entre autres, en tant que fournisseurs d'uniformes militaires.]
85 | D'où connais-je le nom de Dusautoy ? Ma tête, |
Meublée à neuf de tant de choses, m'inquiète.
Je sais qui m'a vendu ce stick, et je sais qui [ 4 Stick : Canne très mince qu'on tient à la main pour se donner un maintien. [L]]
M'a fait ces brodequins, un nommé Sakoski
Il prend sur son bureau un cigare, et l'allume.
Je sais que cette armoire est un meuble de Boulle [ 5 André Charles Boulle (1642-1732) : célèbre ébéniste nomme par Colbert ébéniste du Roi.]
90 | Délicieux; les mots m'apparaissent en foule. |
Oui, je sais que je fume un londrès assez doux [ 6 Londrès : Cigare de la Havane, à l'origine fabriqué spécialement pour Londres et l'Angleterre. [CNRTL]]
Et sec parfaitement, qui m'a coûté huit sous !
Voici mon encrier ! Ce verre diaphane
Est mon lorgnon ! Je suis, non plus Aristophane,
95 | Mais Vernin, et je vais commencer à midi |
Un feuilleton charmant qui paraîtra lundi !
Tâchons de rassembler mes souvenirs !
Thatio entre, en longue tunique Manche brodée d'un rameau vert, les cheveux couronnés de vignes, et chaussée de brodequins dorés.
ARISTOPHANE, apercevant Thalie.
Thalie
Elle m'expliquera si c'est de la folie !
SCÈNE II.
Aristophane, Thalie.
THALIE.
Non pas, mon cher poète ; allons, rappelle-toi
100 | Nos conversations d'hier. Dans ton effroi |
De tant de sots, livrés par nous à la risée,
Tu proclamais déjà la matière épuisée.
Je t'ai promis Paris, grand, sublime, hideux,
Inextricable, et mil huit cent cinquante-deux ! [ 7 1852 : Année de création du second empire dirigé par Louis-Napoléon.]
105 | Si tant d'événements nouveaux, et tant d'idées |
Assiègent ta raison en vagues débordées,
C'est que je t'ai voulu dans le ciel des esprits,
Dans la ville immortelle et féconde, à Paris !
ARISTOPHANE.
À Paris.
THALIE.
Tu verras l'Athènes rajeunie,
110 | Titan dont l'univers subit l'ardent génie, |
Nouvel Atlas qui tient la terre dans ses bras,
Tu liras dans son livre, et tu contempleras
Ce monde magnifique épris de sa chimère,
Que j'aime, et dont Balzac fut l'immortel Homère.
ARISTOPHANE.
115 | Un poète, dis-tu ; l'Homère d'aujourd'hui ! |
Répète-moi ce nom qui seul résume en lui
La nouvelle patrie où mon destin m'amène !
THALIE.
BALZAC !
ARISTOPHANE.
Et qu'a-t-il peint ?
THALIE.
LA COMÉDIE HUMAINE !
Sous le dais du ciel bienfaisant
120 | Où tout ce qui fut grand respire, |
Près de Molière et de Shakespeare
Balzac se repose à présent
Dans l'éternité du sourire.
Et, penché vers son monument
125 | Que baigne une lumière ardente, |
Avec sa parole abondante
Il le commente longuement
Pour Rabelais et pour le Dante
Oh ! C'est la moderne Babel
130 | Vautrin le forçat sur sa nuque |
Colle sa menteuse perruque
Mais Caïn se double d'Abel,
Vautrin est coudoyé par Schmucke. [ 8 Vautrin et (Wilhelm) Schmucke sont des personnages de roman d'Honor? de Balzac.]
Bixiou, Finot et Lora,
135 | Chez les duchesses dédaigneuses |
Unissent leurs mains besogneuses,
Dans le boudoir des Foedora,
Dans le salon des Maufrigneuses. [ 9 Diane de Maufrigeuse : personnage d'un roman d'Honor? de Balzac.]
Chez Madame de Bargeton [ 10 Marie-Louise-Ana?s de Bargeton : personnage de roman dans la Com?die humaine d?Honor? de Balzac.]
140 | Lucien est enfant prodige [ 11 Lucien de Rubempr? : personnage de roman dans la Com?die humaine d?Honor? de Balzac.] |
Fraisier s'acharne à son litige,
Et Lousteau vit du feuilleton [ 12 Lausteau, Etienne : personnage de roman dans la Com?die humaine d?Honor? de Balzac.]
Que sa maîtresse lui rédige.
Chacun convoite son trésor,
145 | Marcas la tribune et la lutte, |
Grandet les jaunets qu'il suppute,
Et Marsay la fille aux yeux d'or,
Qu'un infâme amour lui dispute.
Puis, à côté des portraits vils
150 | Que le grand songeur accumule, |
Esther, âme folle et crédule,
Sourit auprès des purs profils
D'Eugénie et de l'humble Ursule.
Claës se tord sous l'idéal,
155 | Et Véronique désolée, |
Dans sa pénitence voilée
Regrette le parfum natal
Du chaste Lys de la Vallée.
Merveilleuse apparition !
160 | Devant ta troupe favorite, |
Les héros que sa voix suscite
Se meuvent ; la création
Sous l'oeil du Créateur palpite.
Car l'historien a jeté
165 | Dans cette histoire de la vie, |
Sans pitié comme sans envie,
Tous les types d'humanité
Qu'on couronne ou qu'on crucifie.
Et, quand il lui plaît de tout voir,
170 | Ce merveilleux metteur en scène |
Plante ses décors et promène
Dans leur uniforme habit noir
Tes acteurs, COMÉDIE HUMAINE !
ARISTOPHANE.
Et moi, verrai-je tout ?
THALIE.
Tout ! Non pas, mon ami.
175 | Tant de bien ne vient pas au songeur endormi ! |
Ce que je puis t'offrir de mes petits services,
C'est d'évoquer vivant, avec ses moeurs, ses vices
Et ses amours, s'il est encore des amours,
Un coin de l'an qui fuit dans le gouffre des jours.
ARISTOPHANE.
180 | Par quel moyen ? |
THALIE.
Il est très simple. Un journaliste |
Plein de bonheur, de verve et de tact, un artiste,
Un Théophraste avec quelques grains de Platon,
A mis depuis vingt ans au bas d'un feuilleton
Plus d'esprit, envié par d'élégantes plumes,
185 | Qu'il n'en aurait fallu pour faire cent volumes. |
ARISTOPHANE.
Quelle imprudence !
THALIE.
Hélas ! Mais, timide ou hardi,
Tout ce qui plaît le hante, et vient chaque lundi
Lui redire son nom Jocrisse ou Lovelace.
Le maître était aux eaux ; je t'ai donné sa place,
190 | Sa plume, son habit, et sa chère maison. |
Jusqu'à son perroquet ! ai-je pas eu raison ?
ARISTOPHANE.
Comment le remplacer ?
THALIE.
Toi seul en étais digne.
Aristophane a droit à cet honneur insigne.
ARISTOPHANE.
Oui, mais les visiteurs ! Que diront-ils de voir
195 | Dans ses brodequins d'or et son beau nonchaloir, [ 13 Nonchaloir : S'est dit pour nonchalance, paresse, inaction. [L]] |
Fièrement appuyée et ma bibliothèque,
Une Muse vivante habillée à la grecque ?
THALIE.
En aucun temps, qui donc s'inquiéta vraiment
De savoir si la Muse est vivante, et comment
200 | Elle s'habite, et comme en sa mélancolie |
Elle vit, et comment elle meurt ?
ARISTOPHANE.
Ô Thalie,
Tu dis vrai !
THALIE.
Tout est donc au mieux.
SCÈNE III.
Aristophane, Thalie, Xanthias.
Xanthias entre, vêtu comme un huissier du vieux jeu habit noir, cravate blanche sans col, nez écarlate.
ARISTOPHANE.
Mais, par ]e chien
À trois têtes quel est cet insolent vaurien [ 14 Chien à trois têtes : Cerbère, chien qui garde les Enfers empêchant les morts de s'enfuir. ]
Qui porte sa sottise avec un air si brave?
205 | Parbleu, c'est Xanthias, mon scélérat d'esclave |
À Xanthias.
Approche ici, coquin !
XANTHIAS.
Je suis votre valet,
Mais votre esclave, point; ce nom me ravalait,
Car je suis affranchi, seigneur, comme une lettre
De trois sous, et Phoebos l'ayant voulu permettre,
210 | On ne me nomme plus Xanthias, mais Piffard, |
Saluant.
Homme de lettres.
ARISTOPHANE.
Toi !
XANTHIAS.
Mais oui, je fais de l'art,
Dans la langue des Dieux, ou même en vile prose.
Ce qui rapporte plus !
ARISTOPHANE.
Quelle métamorphose !
Écrire toi deux fois âne, un littérateur !
XANTHIAS.
215 | Non pas littérateur, mais collaborateur. |
ARISTOPHANE.
Quel est ce métier-là ?
XANTHIAS.
Le meilleur de la ville.
J'abouche cinq ou six auteurs de vaudeville
Pour faire un petit acte on en cause en fumant;
Quelqu'un l'écrit, ou bien, même assez fréquemment,
220 | On ne l'écrit pas ; puis ensuite, j'importune |
Un directeur ; j'ai là, lui dis-je, une fortune !
Il nous joue. Ah ! Le tour est subtil !
ARISTOPHANE.
En effet.
Oui, le tour, c'est fort bien ; mais la pièce ?
XANTHIAS.
On la fait
Aux répétitions.
On entend sonner, Xanthias sort pour aller ouvrir.
ARISTOPHANE.
Ô merveilleux programme
225 | Là-bas, nos beaux esprits qui voulaient l'épigramme |
Dorée avec le miel suave de l'Hybla, [ 15 Mont Hybla : mont de Sicile, dont le miel était réputé : Virg. B. 7, 37 [GAFFIOT] ]
N'avaient pas, je l'avoue, inventé celui-là !
SCÈNE IV.
Aristophane, Thalie, Xanthias, RÉALISTA.
XANTHIAS, entrant.
Monsieur, je vous annonce un peintre. C'est un maître
Mal léché. Sans remords je l'eusse envoyé paître.
230 | Il me parut hideux ; mais comme il insista, |
Je l'introduisis !
ARISTOPHANE.
Bon.
RÉALISTA.
Je suis Réalista !
ARISTOPHANE, saluant.
Monsieur...
RÉALISTA.
L'art, c'est moi !
ARISTOPHANE.
Bah !
RÉALISTA.
Je suis un réaliste,
Et contre l'idéal j'ai dressé ma baliste.
J'ai créé l'art bonhomme, enfantin et naïf
235 | Sur les autels de qui j'égorge le poncif. |
Rubens, poncif ! Rembrandt, Poussin, poncif ! Corrège
Et Raphaël, poncif qu'on ânonne au collège !
Hors moi tout est poncif !
ARISTOPHANE.
Vous m'étonnez !
RÉALISTA.
Le ciel
Vous doua mal. Je vous l'ai dit, je fais réel.
240 | J'ai rayé tous les noms de votre ancienne liste, |
Et ma réalité c'est d'être réaliste !
ARISTOPHANE.
En un mot, n'est-ce pas, si j'entends bien ces flots
Éloquents, pour donner la vie à vos tableaux,
Vous y représentez la nature elle-même.
245 | Vous ai-je bien compris ? |
RÉALISTA.
Sans nul doute. Et je m'aime |
D'avoir trouvé cela !
XANTHIAS.
Parbleu !
RÉALISTA.
Faites l'achat
De mes tableaux de genre !
ARISTOPHANE, ironisquement.
Au fait !
XANTHIAS.
Il sait qu'un chat
Est un chat, c'est très fort.
RÉALISTA.
Que votre erreur est triste
Faire vrai, ce n'est rien pour être réaliste
250 | C'est faire laid qu'il faut ! Or, Monsieur, s'il vous plaît, |
Tout ce que je dessine est horriblement laid !
Ma peinture est affreuse, et, pour qu'elle soit vraie,
J'en arrache le beau comme on fait de l'ivraie
J'aime les teints terreux et les nez de carton,
255 | Les fillettes avec de la barbe au menton, |
Les trognes de tarasque et de coquecigrues, [ 16 Tarasque : Représentation d'un animal monstrueux que l'on promène solennellement à Tarascon et dans plusieurs autres villes de France. [L]]
Les durillons, les cors aux pieds et les verrues
Voila le vrai.
ARISTOPHANE.
Sans doute, oui, comme les huissiers
Et la peste.
RÉALISTA.
Monsieur, il faut que vous puissiez
260 | Juger. |
Aidé de Xanthias, il déroule une toile sur laquelle est peinte une caricature grotesque du tableau intitulé LES BEMOSELLES DE VILLAGE.
Voyez, mon maître a fait Les Péronnelles |
De village ! On dirait de vieux polichinelles !
Elles ont toutes trois des fronts désordonnés
Et des pommes de terre à la place du nez.
Les vaches dans le fond, c'est ce dont il se pique,
265 | Paraissent d'une taille assez microscopique ! |
Donc, quoique je dédaigne un éloge banal,
Monsieur, parlez de moi lundi, dans le journal !
Par grâce, encouragez ma peinture humble et fruste, [ 17 Fruste : Fig. Style, poésie fruste, style, poésie qui porte la marque d'une haute antiquité. [L]]
Ou je ne m'en vais pas de chez vous. Je m'incruste !
ARISTOPHANE.
270 | Ô peuple malheureux qu'un vertige a séduit, |
Est-ce là qu'en effet votre art en est réduit ?
Quoi ! la basse laideur, avec amour flattée,
C'est là votre idéal, ô fils de Prométhée !
C'est pour elle qu'hélas vous dépensez les vers
275 | Et la couleur splendide, âme de l'univers ! |
Dans ma ville, où pourtant nous aimions la nature,
Une loi défendait que la Caricature
Peinte ou sculptée, avec ses amusements vains,
Détournât notre esprit des spectacles divins.
280 | Vous, loin de la chasser de vos murs pacifiques, |
Vous l'enchâssez dans l'or des cadres magnifiques
Et lorsque ses hideurs offensent le regard, [ 18 Hideur : Ancien mot fort nécessaire. État de ce qui est hideux. [L]]
Vous criez réalisme et vérité dans l'art !
Pauvres fous ! Dans sa forme élégante et choisie,
285 | L'art fut toujours un don comme la poésie |
Avec l'amour du beau son destin est lié,
Et c'est tant pis pour vous de l'avoir oublié !
Le tableau placé a gauche s'anime; la Peinture en descend.
SCÈNE V.
Aristophane, Xanthias, Rëalista, La Peinture.
LA PEINTURE.
Non, rien n'est mort ! L'Art simple et grave
S'épanouit comme jadis,
290 | Comme au temps de César Octave |
Et comme au temps de Léon Dix !
Ô mon fils, dans les cités mortes,
Jamais le mystique flambeau
Entre des mains chastes et fortes
295 | N'a mieux guidé le peuple au beau ! |
Parmi des vagues de lumière,
Le fils vainqueur du Titien
Dresse Phoebos sur les crinières
De l'attelage olympien !
300 | L'un, Coustou nouveau, sur leur couche [ 19 Coustou : famille de sculpteur. Nicolas, Guillaume, Guillaume fils.] |
Faite d'un marbre étincelant,
Tord les Bacchantes dont la bouche
Aspire après l'amour sanglant !
Esprit que Puget accompagne,
305 | L'autre anime à coups de ciseau |
Des corps forts comme une montagne,
Ou frissonnants comme un roseau !
Des Wateau plus français égarent
Dans un parc ou sur un perron
310 | De blanches duchesses, que parent |
Les reflets du Décaméron !
Ainsi la radieuse élite
Garde avec un culte dévot
L'âme de mes fils morts trop vite,
315 | D'Orsay, Pradier et Johannot |
D'Orsay continuant Florence
À Londres, sous les tristes cieux,
Parmi les clubs de tempérance
Et les quakers silencieux !
320 | Pradier, jetant sur ses statues, |
Visions d'un autre Prudhon, [ 20 Pierre Paul Prud'hon (1758-1823) : peintre fran?ais. ]
Souriant, de blancheurs vêtues,
La grâce et le mol abandon !
Et sur la page familière,
325 | Johannot d'un crayon soudain |
Fixant les Agnès de Molière
Et les vierges de Bernardin
XANTHIAS.
Honneur aux peintres qu'on renomme !
Ah ! Je suis fou de la couleur !
330 | Les arts sont les amis de l'homme, |
Et c'est pourquoi je suis le leur !
Que je sois riche ! En mes demeures,
Je fais suspendre élégamment
La Permission de dix heures
335 | Et puis Le Chien du régiment ! |
J'aime le daguerréotype !
Il est fort joli quand il l'est.
Je permets qu'on me moule en pipe,
Apostrophant Réalista.
Mais quant à toi, qui fais si laid,
340 | Je ne veux pas que tu m'immisces |
Sous ton horrible ciel de zinc,
Devant tes petites génisses
Dont le prix est d'un franc vingt-cinq !
Il pousse Réalista dehors.
Adieu !
SCENE VI.
Aristophane, Thalie, Xanthias.
ARISTOPHANE.
Le drôle !
THALIE.
Allons, épargne ces sottises.
345 | Rêve aux bois, aux chevreaux qui broutent les cytises, [ 21 Cytise : Genre de plantes légumineuses, dont le cytisus laburnum est le type. [L]] |
Aux chasseurs, à Naïs que Lycidas retient,
Car sur ton seuil ému c'est un printemps qui vient !
SCÈNE VII.
Aristophane, Thalie, Xanthias, Églantine.
ÉGLANTINE, entrant, à Aristophane.
Monsieur.
ARISTOPHANE.
Mademoiselle.
ÉGLANTINE.
On me nomme Églantine.
J'ai la taille cambrée et l'allure mutine,
350 | Et les Parisiens ne sont pas encor las |
De me voir en été valser sous les lilas
D'Asnières, de Mabille et de la Closerie. [ 22 La closerie des Lilas : Actuellement un restaurant mais qui fut connu pour son bal nommé aussi Bal Bullier.]
Or, je viens réclamer de votre seigneurie
Un service...
ARISTOPHANE.
Un service ?
ÉGLANTINE.
Un but intéressé
355 | M'amène ; j'ai pour vous un goût presqu'insensé, |
Et je viens sans pudeur quêter un grand article,
De ceux que l'on traduit dans le Mornnig-Chronicle
Pour l'ébahissement de Londres.
ARISTOPHANE, à part.
Il paraît
Qu'on me traduit !
Haut.
Madame, à quelle affaire ont trait
360 | Vos réclamations ? |
ÉGLANTINE.
Il s'agit d'industrie. |
XANTHIAS, regardant Eglantine.
L'usine est attrayante !
ARISTOPHANE.
Allons, paix !
ÉGLANTINE.
Je vous prie
De vanter notre plan. Pour quelques millions
Dépensés à Paris en faveur des lions,
Nous allons entourer d'un rail-way circulaire
365 | Les sites où l'amour dicte un vocabulaire ! |
Notre chemin de fer que tout un peuple attend,
Portera de Passy jusqu'à Ménilmontant
Le public, et fuyant sous les collines bleues,
Les nuits de bal, joindra la polka des banlieues !
370 | Nous offrons aux martyrs de l'antique omnibus |
Le Pégase effrayant lancé comme un obus,
Et notre cantonnier a proscrit la patache
Des pays qu'a sacrés Troussard après Moustache
Oasis où Boileau chanta dans son fauteuil,
375 | Tivoli de Molière et de Musard, Auteuil, |
Nous pourrons sous tes bois pénétrer les dimanches
Dans un large wagon propice aux robes blanches,
Nous suivrons plus gaiement l'éternel festival
Que la verdure et l'eau donnent à Bougival,
380 | Et nous découvrirons plus vite à Batignolles |
Les nymphes dont Paris fera des espagnoles.
C'est dit, vous m'assurez ma réclame ?
ARISTOPHANE.
Oui, vraiment !
L'affiche est séduisante et le projet charmant !
Ah ! Nos Athéniens auraient cru l'Empyrée
385 | Sur terre, si jadis pour descendre au Pirée, |
Pour aller du poecile aux fêtes d 'Éleusis, [ 23 Poecile : Portique public orné de peintures. [CNRTL]]
La vapeur eût aidé Périclès et Laïs,
Et consolé l'ennui des stoïques moroses
En les jetant soudain parmi les lauriers-roses !
XANTHIAS.
390 | Mon maître eût plus souvent dîné sous le mûrier |
Qui protège au faubourg son père l'armurier,
Et partant j'aurais pu, moi, sur tes nobles rives,
Ilissos, plus souvent aller chasser les grives !
THALIE.
N'aurez-vous pas fini bientôt de parler grec
395 | À cette enfant ? |
ÉGLANTINE, à Thalie.
Merci. |
À Aristophane.
J'ai vingt ans. Née au Pecq, |
Je veux, quand finira ma carrière bourgeoise,
N'avoir jamais franchi les limites de l'Oise !
Athènes ! Vous l'aimez et je l'estime aussi :
Seulement, cher monsieur, Athènes, c'est ici !
400 | Les souvenirs lointains où votre esprit s'égare, |
Vous les retrouverez en allant d'une gare
Jusqu'à l'autre, en wagon ! Demandez au marin
Qui puisa dans le Nil, qui fut le riverain
Du Gange, et qui vécut parmi la grande horde
405 | Son coeur préfère à tout le pont de la Concorde, |
Car, au-dessus des quais où le gaz met son feu,
La lune dort plus blanche au fond du ciel plus bleu !
XANTHIAS, exalté et lutinant Eglantine.
Car ici, pour la soif des amoureux arides,
Vous cultivez encor les fruits des Hespérides !
ÉGLANTINE, le repoussant, à Aristophane.
410 | Votre valet de chambre est familier ! Je pars, |
Et je vais visiter vos confrères, épars
Dans la ville. Excusez, Monsieur, mon babillage,
Et prenez ces billets pour le premier voyage !
Elle dépose sur la table un paquet de billets, et va pour sortir ; Aristophane l'arrête.
ARISTOPHANE.
L'accorte créature ! Elle me fait rêver
415 | À la patrie ! |
THALIE.
Ami, crois-la ; tu dois trouver |
L'Hellade et ses splendeurs dans la ville où nous sommes,
Fille du dieu Travail et mère des grands hommes !
Comme elle sourit la noble Cité
Et comme avec foi, dans sa majesté
420 | De mère féconde, |
Elle s'éblouit des fronts triomphants,
Des esprits vainqueurs de ses beaux enfants,
Souverains du monde
Elle réunit pour tous les combats
425 | L'escadron sacré des vaillants soldats |
Et des doux poètes ;
Car au son des luths, au son des tambours,
Paris obstiné travaille toujours,
Même dans ses fêtes !
430 | Dieu, pour accomplir les desseins secrets, |
Avec des jardins, avec des forêts
Lui fit sa ceinture,
Et là, l'univers qui songe à demain,
Voit comment l'effort du labeur humain
435 | Finit la nature ! |
D'un élan sublime et religieux,
Dans ce temple où tout est prodigieux,
Mon Aristophane,
Atteins l'idéal que n'ont eu jamais
440 | Les divins chanteurs que pourtant j'aimais |
Dans l'âge profane !
ARISTOPHANE.
Oui, tout me semble grand et merveilleux ici,
Montrant Églantine.
Et cette enchanteresse est une Muse aussi.
XANTHIAS, dévorant des yeux Ëglantine.
Je saurai sur quel mode elle accorde sa lyre !
ÉGLANTINE, à Aristophane.
445 | Adieu, cher feuilleton. |
ARISTOPHANE.
Au revoir, cher sourire ! |
Églantine sort avec Thalie, suivie de Xanthias, qui l'accompagne avec mille galanteries. Aristophane, qui a escorté Thalie et Églantine, revient vers son fauteuil. Il est appréhendé par Tabarin, qui est entré à pas de loup par la gauche.
SCÈNE VIII.
Aristophane, Tabarin.
TABARIN, un placet il la main.
Signez-moi ce placet !
ARISTOPHANE.
Quel est donc ce farceur
Mal vêtu ?
TABARIN.
Recevez, confrère, avec douceur
Un pèlerin qui trouve après un long voyage
En pays étranger, sa maison au pillage,
450 | Puis signez ! |
ARISTOPHANE.
Je prétends savoir. |
TABARIN.
Vous saurez tout ! |
Signez d'abord !
ARISTOPHANE.
Non pas. Dites-moi...
TABARIN.
Mon sang bout !
Chaque heure accroît le mal !
ARISTOPHANE, impatienté.
Quel mal ?
TABARIN.
Le replâtrage
De mes doux mascarons, le sacrilège ouvrage [ 24 Mascaron : Terme d'architecture. Figure de tête faite en caprice, qu'on met aux fontaines, aux portes, aux clefs des arcades. [L]]
Des démolisseurs !
ARISTOPHANE.
Bah ! Qu'ont-ils donc démoli ?
TABARIN.
455 | La ville de Paris ! |
ARISTOPHANE.
Le propos est joli. |
Mais, pour bien pénétrer les sphinx il faut OEdipe,
Et moi, je ne viens pas de Thèbes !
TABARIN.
Participe
À notre deuil !
ARISTOPHANE, exaspéré.
Quel deuil ?
TABARIN.
De Java jusqu'au Rhin,
On a préconisé le nom de Tabarin,
460 | Critique ! On a brodé sur des rimes diverses |
Le détail merveilleux de mes anciens commerces,
Et les étudiants s'arrachent chez Babin
Mon mémorable habit de Diogène urbain,
Quand vient le carnaval ! Car je personnifie
465 | La satire bourgeoise, et la philosophie |
En belle humeur ! Molière, en quittant Gassendi,
Auprès de mes tréteaux ébauchait L Étourdi ! [ 25 L'Étourdi est une comédie de Molière de 1663.]
Francs comme le nectar des ceps de la Gironde,
Mes couplets capiteux éclataient sur la Fronde !
470 | Dans sa vaisselle d'or, Voltaire a fait manger |
Au monde mon brouet gaulois, et Béranger,
Quand il nota pour vous ses vives sérénades,
Se souvenait encor de mes mazarinades !
ARISTOPHANE.
La liaison des faits me manque !
TABARIN.
J'ai vécu
475 | Vieux ! Puis, par le travail et par le temps vaincu, |
Je suis mort, ou plutôt, j'ai changé d'enveloppe,
Comme tout ce qui meurt. J'ai parcouru l'Europe,
Partout gaillard, ivrogne, aventureux, taquin !
À Londres je fus Punch, à Bergame Arlequin,
480 | Et le succès constant de ma plaisanterie |
M'a valu cet honneur de revoir la patrie.
J'y rentre ! Je m'élance à travers les quartiers
Où mes fredons hardis réveillaient les rentiers : [ 26 Fredon : Terme de musique vocale. Vocalise qui se composait principalement d'une foule de petits agréments abandonnés aujourd'hui. [L]]
Je ne reconnais rien ! On m'a changé mes halles,
485 | Mon Palais de Justice a démembré ses salles, |
De sa vieille cité Paris est presque veuf,
Et quand j'ai mis le pied sur mon pauvre Pont-Neuf,
J'ai heurté des maçons ! Signez la remontrance
Que j'expédie et tous les parlements de France !
ARISTOPHANE.
490 | Il est fou ! |
TABARIN.
Préservez le suprême moellon |
Du Paris de Mansard et de Germain Pilon !
Ils n'ont pas entendu les plaintes
Qu'au milieu des gravois accrus [ 27 Gravois. [L] La partie la plus grossi?re du pl?tre apr?s qu'on l'a sass?. []
Les morts prolongent sous les plinthes
495 | Des logis presque disparus, |
Où souvent leurs âmes souffrirent,
Où parfois leurs lèvres sourirent !
Où donc est tout ce qui brillait
Pour l'enchantement de la ville?
500 | Où donc l'hôtel de Rambouillet? |
Où donc l'hôtel de Longueville,
Et les caves au bord de l'eau
Où Chapelle enivrait Boileau ?
Tout s'en va ! Des humbles murailles
505 | Où sur Françoise d 'Aubigné |
Reine future de Versailles
Le goutteux Scarron a régné, [ 28 Paul Scarron (1610-1660) : po?te, dramaturge et romancier.]
Jusqu'au capharnaüm bizarre
Où Flamel fit de l'or en barre ! [ 29 Nicolas Flamel (1340-1418) : bourgeois parisien qui fit fortune. On lui attribue une comp?tence d'alchimiste.]
510 | Café classique où Gluck chantait, [ 30 Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : compositeur d'op?ra et th?oricien de la dramaturgie. Il s?journa ? Paris de 1774 ? 1779.] |
Où Duclos vantait Louis Onze
À Jean-Jacques qui méditait
Sur le damier le coup du bonze,
Où Piron, ironique et sec, [ 31 Alexis Piron (1689-1773) : po?te, chansonnier et dramatruge.]
515 | Tint le roi Voltaire en échec, |
Tu tombes et déjà la sape
S'acharne à tes comptoirs minés
Car aucune époque n'échappe,
Et le Paris des raffinés
520 | S'engloutit dans ces catastrophes |
Près du Paris des philosophes !
Il présente de nouveau sa pétition à Aristophane.
Signez ! On peut sauver quelques débris !
ARISTOPHANE, se décidant à signer.
Ma foi !...
SCÈNE IX.
Aristophane, Tabarin, Un gamin de paris en apprenti-imprimeur.
Le Gamin de Paris entre précipitamment et arrête Aristophane au moment où celui-ci va signer.
LE GAMIN DE PARIS.
Ne signez pas !
TABARIN, poussant Aristophane.
Monsieur, de grâce, épargnez-moi !
ARISTOPHANE, au Gamin de Paris.
Mais qui donc êtes-vous, pour venir de la sorte
525 | M'influencer ? |
TABARIN, bas, à Aristophane.
Il faut le jeter à la porte ! |
ARISTOPHANE.
Qu'il s'explique !
LE GAMIN DE PARIS.
Je suis un gamin de Paris,
Et, ni moi nil es miens, nous ne sommes nourris
D'aucuns vieux préjugés !
ARISTOPHANE, montrant Tabarin.
Monsieur parle ruine,
Pillage, monuments détruits.
LE GAMIN DE PARIS.
Bon, je devine,
530 | Les démolitions ! Le fade plaidoyer |
Que dédaigne à présent la place Baudoyer
Elle-même ! Monsieur hurle, monsieur proteste !
Son toit croule, on empêche un incident funeste,
On lui sauve la vie en ]e dédommageant,
535 | Mais il faut à monsieur sa baraque et l'argent ! |
TABARIN.
Je n'ai pas de pignon sur rue !
LE GAMIN DE PARIS.
Alors vous êtes
Marchand de bric-à-brac Pour jeter ces sornettes
Au nez des gens de bien, il faut avoir passé
Le meilleur de sa vie à vendre un pot cassé,
540 | Sous prétexte qu'il fut cuit dans un four étrusque ! |
TABARIN.
Insolent !
LE GAMIN DE PARIS.
Les taudis où le larron s'embusque
Valent bien en effet ce culte filial !
Et tout est compromis si le Palais-Royal,
Retiré de la crotte environnante, échappe
545 | À la proximité du quartier Tirechappe ! |
TABARIN, à Aristophane.
Le laissez-vous aller ?
LE GAMIN DE PARIS.
Pourquoi pas ? Je vous vaux,
Et je vaux mieux, car j'ai l'amour des temps nouveaux !
Que nous veut la voix fatale
De ce funèbre Mentor ?
550 | On installe |
Des bocaux au Lingot d 'Or !
À tous les coins on débite
La prune aux douées saveurs,
Favorite
555 | Des dames et des rêveurs ! |
Et des anges privés d'ailes
Se tiennent dans les chemins,
Très fidèles,
Avec des cuillers aux mains !
560 | Qu'on élargisse les rues ! |
Nous pourrons de tout côté
Voir accrues
Des boutiques de gaîté
Qu'on détruise les cuisines
565 | Dangereuses aux rentiers ! |
Les usines
Des criminels gargotiers,
Où des sauces fantastiques
Font servir les animaux
570 | Domestiques |
À des festins d'Esquimaux !
Que la lumière pénètre
Les antres où des pervers
Osent mettre
575 | Au vin bleu des cachets verts |
Que les halles égayées,
Là même où se tient l'étal
Des criées,
Gardent leur salon de bal !
580 | Et qu'on chasse à toute outrance |
Ce baladin qui maudit
Notre France
Quand l'abondance y grandit !
Quand chaque rail vers nous porte
585 | Avec les plus chauds Pomards, [ 32 Pomard : Bon vin du d?partement de la C?te-d'Or. [L]] |
La cohorte
Des huîtres et des homards !
TABARIN.
N'êtes-vous pas honteux de l'écouter ?
ARISTOPHANE.
Non certes,
Il parle de bon sens.
TABARIN, au Gamin de Paris.
À plaisir tu dissertes !
ARISTOPHANE.
590 | Marteaux, frappez ; creusez, pioches; croulez, vieux murs ! |
On procède aux moissons dès que les blés sont mûrs !
Moissonnons ! Et lançons dans l'espace équivoque
Où chaque lune éteinte a jeté sa défroqué,
L'ancien travail nuisible aux travailleurs du jour
595 | Laissons mourir les morts, les vivants ont leur tour ! |
De la joie à plein coeur, du vin à pleine coupe !
Car Paris étouffé s'élargit, car la troupe
Des gais adolescents avides de soleil
Aura sous les toits neufs un plus charmant réveil,
600 | Et Mai, multipliant grâce à nous ses rosées, |
Fleurira des jardins sur toutes les croisées !
TABARIN.
L'idylle est sans portée !
ARISTOPHANE.
Au cabaret, buvons !
À nos belles, aimons à notre oeuvre, vivons
Le vin sera meilleur si la bouteille est fraîche
605 | C'est le gazon qui donne un lait pur à la crèche ; |
Ce qui nous donne a nous le courage et l'amour,
Soleil, c'est ta chaleur ; ô mon Dieu, c'est ton jour !
TABARIN.
Autant dire en trois mots, que tous ce qu'on renomme,
Nos gloires, nos aïeux, vous tuez tout !
LE GAMIN DE PARIS.
Brave homme,
610 | Nous n'avons rien tué, mais nous ne voulons pas |
Unir l'âme à la pierre, et la vie au trépas !
Nos pères ont bâti, nous bâtissons encore,
Nous voyons le midi dont ils ont vu l'aurore.
Nous les suivons ! et fils des ouvriers fameux,
615 | Pour les bien honorer, nous travaillons comme eux ! |
Nous anéantissons les greniers des poètes,
Mais dans l'airain vaincu nous ravivons leurs têtes !
Nous détruisons l'échoppe où Corneille attendait
Le bouillon que pour lui Despréaux demandait ;
620 | Mais la Maison de Ville, à tous hospitalière, |
Réserve une statue à l'histrion Molière
Le café de Panard disparaît ; mais bientôt
Les couplets oubliés avant Clément Marot,
Les virelais aigus, qui dans chaque province [ 33 Virelai : Ancienne poésie française, toute composée de vers courts, sur deux rimes ; elle commence par quatre vers, dont les deux premiers se répètent dans le cours de la pièce. [L]]
625 | Étourdissaient le peuple et consolaient le prince, |
Vont au monde enchanté faire entendre à la fois
Le merveilleux accord de leurs cent mille voix
On chasse les truands; l'édile désinfecte
Les bouges; mais pourtant, un sculpteur architecte,
630 | Sur les frontons finis du vieux Louvre, a posé |
Ton corps parmi les fleurs, Diane de Brézé !
Et remis aux panneaux de la sainte bâtisse
Les formes que rêvaient Goujon et Primatice ! [ 35 Primatice : Francesco Primaticcio, dit le Primatice (1503-1570) peintre, architecte et sculpteur italien de la Renaissance. ] [ 34 Jean Goujon : sculpteur et architecte français du XVIe siècle, probablement né en Normandie vers 1510 et mort selon toute vraisemblance à Bologne, vers 1567. ]
Partout de l'air, partout du jour Un arrêté
635 | Fait du bois de Boulogne un square illimité, |
Pave ses carrefours, éclaire ses allées,
Et, sous les oasis naguère encor troublées
Par le cri du gendarme accouru contre un duel,
Dispose le terrain d'un Longchamps éternel
640 | Ainsi, ne ferme plus les yeux, ô bon ancêtre |
Regarde seulement Paris de ta fenêtre,
Et puis admire enfin car ayant travaillé
Pour les desseins de Dieu, qui sur nous a veillé,
Nous avons accepté comme la loi première
645 | Que tout être vivant a droit à la lumière ! |
TABARIN, présentant de nouveau la pétition.
Donc, vous ne signez pas ?
ARISTOPHANE.
Ton placet ? Pauvre fou !
TABARIN.
Eh bien donc, sur vous deux, puissent, on ne sait d'où,
En votre Pompéi, pleuvoir des avalanches
De plâtre et de.moellons, de vitres et de planches,
650 | Et puisse votre corps être ensuite enterré |
Dans un appartement fraîchement décoré !
Tabarin et le gamin de Paris sortent, chacun d'un côté différent.
SCÈNE X.
Aristophane, Xanthias, L'Imprimerie, Le Roi Midas.
XANTHIAS, au fond du théâtre, apercevant l'Imprimerie et le roi.
Midas, qu'on ne voit pas encore.
Les jolis visiteurs ! Que leurs habits sont riches !
Une jeune personne habillée en affiches
Un monsieur tout en or !
ARISTOPHANE.
Il extravague, hélas !
L'IMPRIMERIE, entrant en même temps que le roi Midas.
655 | Je suis l'Imprimerie. |
LE ROI MIDAS.
Et moi, le roi Midas. |
ARISTOPHANE.
Salut à tous les deux !
LE ROI MIDAS.
J'arrive d'Australie.
L'IMPRIMERIE.
Moi de Strasbourg.
ARISTOPHANE.
Je sais.
L'IMPRIMERIE.
Admire sa folie !
Au-dessus de mon art sacré, du seul trésor,
Il veut mettre sa boue et sa poussière d'or !
ARISTOPHANE, jeu des Plaideurs.
660 | Madame, calmez-vous. |
LE ROI MIDAS.
Cette intrigante emploie |
Son art à rabaisser l'argent, d'où naît la joie !
ARISTOPHANE, jeu des Plaideurs.
Elle a tort.
L'IMPRIMERIE.
Devant lui Midas est à genoux
Le sot !
ARISTOPHANE.
Midas, dis-tu ? Midas ! Entendons-nous !
Midas, notre Midas ? Le prince de Phrygie ?
665 | L'élève de Silène à la face rougie ? |
LE ROI MIDAS.
Oui, c'est bien moi, l'ami du grand vieillard pourpré
Car je vis, et je suis immortel. Diapré
De métaux, créateur de toutes les merveilles,
J'ai gardé mes trésors.
XANTHIAS.
Qu'a-t-il fait des oreilles ?
ARISTOPHANE, même jeu.
670 | Vous devez être vieux ! |
LE ROI MIDAS.
Moi ? Pas du tout, mon cher. |
L'or épure le sang et raffermit la chair.
Le remède est coûteux pour vous, ô pauvres hommes,
De vos sous amassés détenteurs économes !
Mais, l'Or, c'est moi; je suis ma santé. Quelquefois,
675 | Étant trop bien portant, je me rince les doigts |
Pour les débarrasser d'un superflu de graisse.
Aussitôt, le récit des conteurs de la Grèce
Se réalise, et l'eau devient or; le Pérou
A dû ses milliards, dont l'univers est fou,
680 | Aux soins minutieux d'une longue toilette. |
XANTHIAS.
Dieux ! Comme je voudrais vous prêter ma cuvette !
LE ROI MIDAS.
L'Australie est mon bain dans cet Eldorado
J'ai posé mes dix doigts sur chaque filet d'eau,
Et, depuis l'Océan jusqu'à l'humble rigole,
685 | Chaque courant y roule un sable de Pactole. |
ARISTOPHANE.
Sur le point de la carte où luit Van-Diemen,
Je sais, ô roi Midas, comment les gentlemen,
Pour fâcher l'Amérique à présent dégarnie,
Ont reproduit les puffs de la Californie. [ 36 Puff : Publicité mensongère ou outrancière, tromperie de charlatan. [L]]
690 | Oui, la folie habite en ce brûlant décor |
Où les Ophélias tachent de poudre d'or
Leurs lèvres, ces trésors de rouges églantines,
Et les petits doigts blancs de leurs mains enfantines.
Mais, la conclusion ? J'ai hâte, soyez bref.
LE ROI MIDAS.
695 | Je pense être demain ton rédacteur en chef, |
J'achète ton journal.
ARISTOPHANE.
Après ?
LE ROI MIDAS.
Je viens t'enjoindre
D'avoir pour les rimeurs une affection moindre,
Et de garder ton encre, ô donneur de conseils,
Pour l'éloge éternel de l'Or, fils des soleils.
700 | En ouvrant ton secrétaire, |
N'as-tu jamais écouté
L'Argent et l'Or sédentaire
Qui parlaient de volupté ?
Les petites pièces blanches
705 | Qui t'offraient pour les hasards |
De tes amoureux dimanches
L'orchestre de nos Musards ?
Les Louis et les Guinées
Sifflant sur l'air souverain
710 | Des chansons illuminées |
Par l'éclair du vin du Rhin ?
Laisse aller la sotte race
Du stoïcisme énervé
L'Or, c'est la force vivace,
715 | C'est le grand levier trouvé ! |
C'est l'Art ! Les financiers dotent
Les mérites apparents,
Et les Murillo se cotent
À des six cent mille francs !
720 | C'est l'Amour ! Les indolentes |
Qui nous tiennent occupés
À des prouesses galantes,
Ne marchent pas sans coupés.
Il leur faut, quand elles passent,
725 | Rose aux lèvres, neige au sein, |
Les diamants qui s'entassent
Chez Meurice et chez Fossin. [ 37 Meurice : h?tel parisien de luxe, situ? au 228 rue de Rivoli face au jardin des Tuileries, cr?? par Charles-Augustin Meurice en 1835.]
Pour guérir leur teint malade
Qu'un peu d'ennui flétrira,
730 | En juillet il leur faut Bade, |
En novembre, l Opéra.
L'Or, c'est l'éperon qui mène
De la Marche à Chantilly
Nos Glaucos, chaque semaine,
735 | Au turf toujours assailli. [ 38 Turf : Lieu o? se font les courses de chevaux. [L]] |
C'est le timbre qui paraphe,
Inventeurs, votre brevet;
C'est le nouveau télégraphe
Que l'ancien Titan rêvait !
740 | Aussi la fashion errante |
Ne lit plus dans les journaux
Que le roman de la rente
Et l'idylle des canaux !
L'IMPRIMERIE.
Tu mens ! Signe banal dont toute main s'arrange,
745 | L'Or se souvient toujours qu'il est né dans la fange ; |
Mais le Livre, vainqueur du temps et du trépas,
Nous donne les vrais biens qui ne s'achètent pas
En ouvrant quelque cher Livre,
N'entends-tu pas une voix
750 | Dont le murmure t'enivre |
Comme une senteur des bois ?
Voici qu'aux premières pages,
Création et portrait,
Chaste, parmi les ombrages
755 | Une figure apparaît. |
Cette amoureuse inquiète,
Avec ses pleurs séduisants,
C'est Agnès ou Juliette
En la fleur de ses quinze ans,
760 | Et pourtant, c'est ta maîtresse |
Lys que rien ne peut ternir,
Le zéphyr qui la caresse
Te rapporte un souvenir !
Tous ceux que l'Inassouvie
765 | A fauché pour ses tombeaux, |
Le Livre tout plein de vie
Te les rend jeunes et beaux !
Il te rend avec leurs charmes
Tes rêves, pareils aux siens,
770 | Et la saveur de tes larmes, |
Et tous les espoirs anciens !
Car en sa raison féconde,
Tour à tour doux et moqueur,
Il est l'histoire du monde
775 | Comme celle de ton coeur. |
Ô familles printanières
Vous qui n'êtes jamais las
D'errer au bord des rivières
Quand fleurissent les lilas,
780 | Couples enchantés de vivre, |
Coeurs de beaux feux embrasés,
Comme vous prenez le Livre
Qui conseille les baisers !
Quand l'hirondelle en novembre
785 | Fuit au loin dans le ciel bleu, |
Comme en la petite chambre
Il vous rapproche du feu
Oui, tu mens, comme la prose !
Toi qui dans notre jardin
790 | Foules sous tes pieds la rosé |
Car, malgré ton fier dédain,
En France, ô roi sans mémoire,
On veut jusqu'au dernier jour
Lire des récits de gloire
795 | Et des histoires d'amour ! |
ARISTOPHANE.
Oui, tant que tes coteaux, France amoureuse et blonde,
Récolteront les vins dont s'enivre le monde,
Toujours vers ton beau ciel tu lèveras les bras
Ainsi qu'une prêtresse, et tu demeureras,
800 | En ton aventureuse et libre fantaisie, |
Reine de la pensée et de la poésie !
L'Idée est tout, malheur à qui ne le sait pas !
XANTHIAS.
Alors, malheur à moi ! J'aime les bons repas.
Au roi Midas.
Un bon filet de boeuf n'a rien d'hypothétique,
805 | Hein ? |
LE ROI MIDAS.
Je m'étais trompé ; voilà le vrai critique ! |
Il donne une bourse à Xanthias.
Ami, prends cette bourse; aiguise bien tes dents,
Et puis mords Tout l'esprit du monde est là-dedans.
Tu seras, si tu veux, aimé d'une duchesse !
L'IMPRIMERIE, à Aristophane.
Tiens, ami, prends ce Livre; il contient la richesse.
810 | Toujours l'humanité captive en ses liens |
Dépensera sa vie à chercher les faux biens;
Mais ce trésor pourra te consoler de vivre !
MIDAS, à Xanthias.
Adieu, prodigue l'Or !
L'IMPRIMERIE, à Aristophane.
Interroge le Livre !
SCÈNE XI.
Aristophane, Xanthias, puis
ARISTOPHANE.
Oui, les livres, voilà nos suprêmes amis !
XANTHIAS.
815 | Par Plutus Que ce roi Midas était bien mis |
Faisant sonner l'or enfermé dans la bourse qu'il tient.
Ô musique admirable ! Ô mètre qui me berce
Ô chanson de la drachme ! Ô couplet du sesterce !
ARISTOPHANE, lisant dans le livre qu'il tient à la main.
Ô vaste symphonie ! Ô modulation
Que note à mon profit l'imagination !
THALIE, entrant, à part.
820 | Ils me donnent tous deux vraiment la comédie ! |
XANTHIAS.
Ô puissance du rythme !
ARISTOPHANE.
Ô sainte mélodie !
THALIE.
Qui vous enchante ainsi ?
XANTHIAS.
Cette bourse, où mon or
Chuchote le plaisir.
ARISTOPHANE.
Ce livre, ce trésor !
THALIE, à Aristophane.
Lis aux livres vivants. Vois !
SCÈNE XII.
Aristophane, Xanthias, Thalie, La Muse du Théatre.
LA MUSE DU THÉÂTRE, entrant par le man teau d'Arelquin
Je suis le Théâtre.
825 | J'entraîne sur mes pas une foule idolâtre. |
ARISTOPHANE, avec dédain.
Vous, le Théâtre ! Allons !
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Je vous comprends, mon cher
Quand Thalie est présente avec son regard fier,
Vous êtes étonné qu'une folle vous dise
Je suis la Comédie !
ARISTOPHANE.
Excusez ma franchise.
LA MUSE DU THÉÂTRE, montrant Thalie.
830 | Je la connais, la muse au hardi brodequin ! |
Je la regardais là, du manteau d'Arlequin,
Tout à l'heure, et, les yeux sur sa noire prunelle,
Je me disais : jamais elle ne fut plus belle !
Je suis. le seul miroir qui la reflète encor,
835 | Le billon dont elle est l'auguste sequin d'or. |
Et le gui verdissant sur le tronc de son arbre;
Le plâtre, par lequel ses chefs d 'oeuvre de marbre,
Sur le type éternel moulés cent mille fois,
Renaissent plus nombreux que les feuilles des bois.
840 | Je suis... sa fille ! |
ARISTOPHANE.
Vous ! |
LA MUSE DU THÉÂTRE, avec mélancolie.
Un peu dégénérée |
Sans doute de ta race, ô Bacchante sacrée !
J'ai porté du paillon plus que des diamants, [ 39 Paillon : Terme de papeterie. Poignée de paille qu'on place au fond de la cuve à papier. [L]]
Et dans tous les chemins j'ai choisi mes amants !
Tous ont vu des rayons dans mes yeux peu sévères ;
845 | À tous les cabarets j'ai bu dans tous les verres ! |
Baste ! Il fallait bien vivre et dîner quelquefois !
Avec orgueil.
D'ailleurs on trouve encor du charme dans ma voix,
Bien qu'elle soit flétrie, et plus d'un poète aime
À toucher mes cheveux de danseuse bohème.
ARISTOPHANE.
850 | Pauvre fille ! |
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Oui, le hâle a déchiré mes lys |
À Thalie.
Mais je suis comme toi la fille de Thespis,
Et sur son chariot tu sais qu'un peu de lie
Fut d'abord notre rouge, ô ma mère Thalie !
THALIE.
Moi, j'aimais à chanter en vers mélodieux,
855 | Et j'ai pris mes amants parmi les fils des Dieux. |
Pourtant, viens sur mon coeur, pauvre enfant de la balle !
Ma lyre ne veut pas dédaigner ta cymbale
Je souriais jadis à ton babil naissant,
Et tu redeviendras plus pure en m'embrassant.
Elles s'embrassent.
LA MUSE DU THÉÂTRE, avec étourderie.
860 | J'ai fait de tout ! Mes fils peuplent toutes les villes. |
Pastiches, opéras, proverbes, vaudevilles,
Drames, farces, ponts-neufs, ballets ! Chaque tréteau
Voit sous le vent du rire ondoyer mon manteau.
ARISTOPHANE.
Et l'art tragique ?
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Il a sa divine maîtresse.
865 | Celui-là, reste encor le lot d'une déesse |
Dont l'univers entend les accents enivrés.
Changeant de ton.
Mais, voyons; dites-moi ce que vous désirez ?
Du drame ? Du vrai drame ?
Aristophane et Thalie font un signe affirmatif.
En voici !
Imitation de Madame Guyon dans Berthe la Flamande.
Quoi ! Ma fille !
Cette ange, chaste et pure ainsi qu'un lys qui brille,
870 | Vous me l'avez flétrie ! Ah ! sire, par bonheur, |
Vous voilà ! Vous allez lui rendre son honneur !
C'est elle que je crois, sire elle est encor sage !
Mylords, vous avez beau me montrer son corsage,
Elle me l'a juré sur sa petite croix
875 | Vous en avez menti, c'est elle que je crois |
Son honneur est perdu. Qu'est-ce que cela prouve ?
Cela m'est bien égal, il faut qu'on le retrouve !
Interpellant violemment Aristophane et Xanthias.
Fouillez-vous !
Elle pleure.
Son vieux père est mort sur l'échafaud.
Retrouvez-lui cela, messeigneurs il le faut.
880 | Au fait, arrangez-vous, cherchez ! |
Fondant en larmes.
Pensée amère ! |
Sire, c'est une mère en pleurs c'est une mère !
Pauvre mère qu'on raille avec un air moqueur,
Tandis qu'en vous jouant vous arrachez son coeur !
Je veux que pure encor, sire, c'est ma chimère !
885 | Ma pauvre enfant revienne avec sa pauvre mère ! |
L'honneur ! Elle en avait tant qu'elle en étouffait !
Sire, rendez-le-lui. Qu'est-ce que ça vous fait ?
XANTHIAS, à la Muse du Théâtre.
Qu'est-ce que ça lui fait ? Permettez donc !
ARISTOPHANE, à Xanthias.
Écoute
Le drame.
XANTHIAS.
Il est peut-être émouvant mais je doute
890 | Qu'on lui retrouve rien, malgré tous ses remords. |
On ne voit pas deux fois le rivage des morts.
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Partez ! Préférez-vous la comédie ? En prose,
En vers, en pantomime ? En bure, en satin rose ?
Faut-il des jeux cruels ou des jeux innocents ?
895 | La Fantaisie, ou bien l'École du Bon Sens ? |
Montrant son front.
La comédie est là ! La voulez-vous ancienne
Ou nouvelle ? Picarde ou bien parisienne ?
Ou berrichonne ?
XANTHIAS, à La Muse du Théâtre.
Enfin, votre mère a souri.
C'est celle-là qu'il faut.
ARISTOPHANE.
Va donc pour le Berri.
XANTHIAS.
900 | La française serait peut-être plus commode. |
ARISTOPHANE.
Oui. Mais la berrichonne est bien plus à la mode.
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Voilà.
Changeant de ton.
Différemment, oui-dà, c'est un champi
Pour qui j'ai de l'attache, appelé Grain d 'Épi,
905 | Gars aux cheveux brunets sur une tête chaude, |
Qui dansait avec moi le jour de la gerbaude. [ 40 Jour de la gerbaude : jour de fête de la fin des moissons]
Un soir que je tenais la clarté dans ma main,
Il s'en vint se jucher blêmi sur mon chemin,
Et me dit d'une voix quasiment souffreteuse
910 | « Va, tu n'es qu'une laide et pauvre loqueteuse, |
Mais, si l'on te saboule avec un air moqueur,
Il ne m'importe pas, j'ai fiance en ton coeur !
Si jamais, resongeant à d'autres, je me flanque
Le renom d'un poulain désenfargé, qui manque
915 | De bons comportements pour vous, alors, ma foi, |
Différemment, usez de nuisance envers moi ! »
XANTHIAS.
Oh ! Que c'est berrichon, Madame !
ARISTOPHANE.
À la bonne heure !
Le langage est nouveau pour nous ! Mais si l'on pleure
Et qu'on rie à la fois, grâce à la passion !
920 | Si le secret de l'art et de l'émotion |
Est là ! Non, il n'est pas de patois que je nie,
Pourvu qu'il soit sublime et qu'il serve au génie !
LA MUSE DU THÉÂTRE.
Passons au vaudeville ! Art joyeux a l'excès,
Spirituel, folâtre, aimable et tout Français
Elle chante.
925 | Ô blanche fleur hautaine, |
Camellia fardé,
Souris, de rose bordé,
À ma dernière fredaine !
Et flon, Non, flon, larira, dondaine,
930 | Et gai, gai, gai, larira, dondé |
Plus de calembredaine ! [ 41 Calembredaine : Bourde, vains propos, faux-fuyants. R?pondre par des calembredaines. Mot tr?s familier. [L]]
À l'Hiver j'ai cédé.
Je l'avais d'abord fraudé :
Mais je tousse à perdre haleine !
935 | Et non, flon, non, larira, dondaine, |
Et gai, gai, gai, larira, dondé !
Je m'enfuis, ombre vaine !
C'est assez bavardé.
Mon coeur n'était pas blindé
940 | Pour courir la prétantaine |
Et flon, flon, flon, larira, dondaine,
Et gai, gai, gai, larira, dondé !
On n'aura pas la peine
De voir mon front ridé.
945 | Tout mon fil est dévidé |
Mourir, c'est ma turlutaine ! [ 42 Turlutaine : Manie, marotte. [L]]
Et flon, flon, flon, larira, dondaine,
Et gai, gai, gai, larira dondé
La Muse du Théâtre sort vivement par le manteau d'Arlequin achevant le refrain de ce dernier couplet.
XANTHIAS.
Le camellia rose est triste en cette ville.
950 | Un fossoyeur malin créa le vaudeville. |
On entend sous le théâtre des cris et des rugissements d'animaux féroces. Thalie s'enfuit.
SCÈNE XIII.
Aristophane, Xanthias, puis Carolus.
CAROLUS, sous le théâtre.
Sang ! Têtebleu ! Massacre et tonnerre !
ARISTOPHANE.
Holà !
Quels grognements C'est donc Ulysse qui vient là
XANTHIAS.
C'est encore bien pis, Monsieur. Je vous annonce
L'homme à qui les lions ne pèsent pas une once !
955 | Il habite une cave, assez incongrûment |
Située au-dessous de cet appartement
Les monstres de l'Afrique y rugissent en foule,
Et rien que d'y penser je sens la chair de poule.
C'est monsieur Carolus
Une trappe s'ouvre. Carolus monte par un escalier souterrain. Il tient à la main sa cravache.
CAROLUS, d'une voix terrible, à Aristophane.
Bonjour ; domptez-vous bien ?
ARISTOPHANE.
960 | Merci, pas mal. Et vous ? |
CAROLUS.
Le seul tragédien, |
C'est moi. Mon drame sombre, effaré dans son bouge,
N'a pas drapé son flanc dans le calicot rouge ;
Et, sans récits hurlés par de vieux confidents,
Il éveille à l entour les grincements de dents.
965 | Je n'ai pas de fauteuil usé ma fable saine |
Se passe de décors comme de mise en scène,
Et je ne réclamai jamais de droits d'auteur.
ARISTOPHANE.
Bah ! Qui donc êtes-vous ?
CAROLUS.
Le dompteur.
ARISTOPHANE.
Le dompteur !
CAROLUS, jeu du CID.
Est-il quelque ennemi qui veut que je le dompte ?
970 | Parais, Léviathan, Behémot, Mastodonte, |
Et tout ce que la terre a produit de vaillant !
Monsieur, c'est un plaisir de me voir travaillant,
Et d'admirer combien je soigne mon ouvrage
Se tournant vers la trappe, d'où l'on entend sortir des hurlements.
Vous, sauvages taureaux, prenez garde a ma rage !
975 | Tremblez, tigres, et vous, léopards, soyez doux ! |
Pour arrêter mon bras c'est trop peu que de vous.
ARISTOPHANE.
Vous les bravez ainsi !
CAROLUS.
Je dompte en mes colères
Jusqu'aux ours affamés des Océans polaires.
Je les maltraite, et même on a fait sur mes tours
980 | Un poème appelé Les Travaux et les Ours. |
ARISTOPHANE.
Comme Hésiode ! Ainsi, vous domptez ?
CAROLUS.
Si je dompte !
J'ai vaincu des jaguars dont j'ignore le compte.
XANTHIAS.
Sapristi !
CAROLUS.
Sur les monts inconnus des humains,
J'étrangle, pour jouer, des milans dans mes mains,
985 | Et je m'endors, au lieu de vos molles alcôves, |
Entre les blanches dents de mes panthères fauves,
Sur les coteaux, parmi les animaux rampants,
Botté d'ours, et le cou cravaté de serpents !
XANTHIAS.
Je préfère pour moi ces bonnets qu'on surnomme
990 | De coton, et mon lit. Mais vous êtes un homme |
Étonnant.
CAROLUS.
Dans un bras du Nil, à mes moments
Perdus, je folâtrais avec les caïmans
Quand les buffles me voient venir pour les étreindre,
Vous sentez frissonner et devant moi s'éteindre
995 | Leurs prunelles de flamme où brillent des charbons. |
Ils se laissent rosser.
XANTHIAS.
Les buffles sont bien bons.
Cris et rugissements sous le théâtre.
ARISTOPHANE.
Quel est cet orage ?
XANTHIAS, avec épouvante.
Oh !
CAROLUS.
Mon tigre, ce bravache,
Désire être battu. Donnez-moi ma cravache
Jeu des l'L.UBEURS.
ARISTOPHANE.
Monsieur, restez ici !
CAROLUS.
Rien ne peut m'arrêter.
XANTHIAS, suppliant.
1000 | Par grâce ! |
ARISTOPHANE.
Où courez-vous ? |
CAROLUS.
Je veux aller dompter. |
XANTHIAS, se penchant avec effroi sur la trappe ouverte.
Comme je descendrais plutôt dans les cratères
De l'Etna
Carolus descend l'escalier souterrain.
CAROLUS, sous le théâtre.
Me voici, mes petites panthères !
On entend le bruit d'une lutte effroyable.
SCÈNE XIV.
Aristophane, Xanthias.
ARISTOPHANE.
Oui, l'homme vaincra bien les tigres, mais non pas
1005 | L'immortelle Douleur et l'immortel Trépas ! |
La Mort nous suit, la Mort, l'impérissable aïeule
Pendant l'éternité, son implacable meule,
Que chaque esprit aiguise avec ses passions,
Poursuivra le travail des désolations !
1010 | Nous marchons, nous tombons ! Nous les chiffres du nombre |
Que l'éternel songeur coordonne dans l'ombre,
Sans entendre celui dont le bourdonnement
Voudrait dans ses desseins l'arrêter un moment !
SCÈNE XV.
Aristophane, Xanthias, Carolus.
On entend encore une fois des rugissements épouvantables. Carolus remonte en scène. Il a un bras de moins ses cheveux ont blanchi ses vêtements déchirés et souillés sont devenus des haillons.
CAROLUS, d'une voix mourante.
J'ai dompté.
ARISTOPHANE.
Quel est donc ce manchot ?
Carolus veut parler mais aucun son n'arrive à l'oreille de ses interlocuteurs.
XANTHIAS.
Son organe
1015 | Est si faible, qu'a peine Urgèle ou bien Morgane |
L'entendraient, elles qui, par les brises d'été,
Entendent bien germer le gazon !
CAROLUS, râlant.
J'ai dompté
ARISTOPHANE.
Vous êtes... ?
CAROLUS.
Carolus. Le ciel me fut propice.
J'ai vaincu.
ARISTOPHANE.
Malheureux !
CAROLUS.
Je m'en vais à l'hospice.
Xanthias reconduit jusqu'à la porte Carolus qui ne peut se tenir debout. La trappe se referme.
SCÈNE XVI.
Aristophane, Xanthias.
ARISTOPHANE.
1020 | Misérables mortels, victorieux bouffons, |
En effet, voilà bien comme nous triomphons !
Poètes et soldats, dompteurs de bêtes fauves,
Quand le laurier descend sur nos fronts, ils sont chauves,
Et la Victoire, amour des jeunes, tend sa main
1025 | À des agonisants qui n'ont plus rien d'humain ! |
Nourrices des héros, ô Force, ô Poésie,
On veut tremper sa lèvre à vos flots d'ambroisie,
On y boit, mais on meurt, car le vin du trépas
Était au fond, hélas !
XANTHIAS.
Je n'y goûterai pas.
ARISTOPHANE.
1030 | Je le crois. |
On entend au dehors les sons d'une musique délicieuse.
Mais d'où vient cette rumeur suave ? |
XANTHIAS.
Quels accords
Le tableau placé à droite s'anime la Musique en descend.
SCÈNE XVII.
Aristophane, Xanthias, La Musique.
LA MUSIQUE.
Réunis, le maître avec l'esclave,
Ah vous pouviez tous deux choisir votre instrument ;
Mais, si la voix intime en sort différemment,
Nous n'en aviez pas moins tous deux perçu de même,
1035 | Par des moyens divers, ce sentiment que j'aime, |
Ce besoin dominant du rythme intérieur
Qui fait l'esprit plus tendre ou le fait plus rieur,
Et met un idéal dans tout être physique ;
Remerciez Paris, vous aimez la Musique !
XANTHIAS.
1040 | Or ça, penses-tu donc que nous n'ayons encor |
Jamais ouï les luths, jamais les sistres d'or,
Et jamais fatigué nos jambes titubantes
À suivre votre ronde, ô fougueux Corybantes !
LA MUSIQUE.
Oui, vous avez connu le bruit ! les durs accents
1045 | Qui souffraient à la chair les désirs flétrissants, |
Et qui, maîtres partout du profane vulgaire,
Conseillaient en hurlant la débauche et la guerre
Mais le chant mais le son purifie mais l'art
Du grand Palestrina, de Gluck et de Mozart,
1050 | Ô bons Athéniens, vous n'en avez pas même |
Eu la conception Il fallait que plus blême,
Plus vieux, plus fatigué de doute et de douleurs,
L'homme eût bu plus avant dans la coupe des pleurs,
Pour que Dieu lui laissât consoler son génie
1055 | Dans les longs entretiens de la chaste harmonie ! |
La Musique ne sert pas
Son repas
Composé de mets célestes,
Pour ceux dont le clair esprit
1060 | Qui sourit |
Brave les songes funestes
Elle garde ses faveurs
Aux rêveurs
Las de l'horizon terrestre,
1065 | Aux femmes qui chaque soir |
S'en vont voir
Saigner leur coeur sous t'orchestre
Ô rapsode Italien, [ 43 Rapsode : Terme d'antiquit? grecque. Nom donn? ? ceux qui allaient de ville en ville chanter des po?sies et surtout des morceaux d?tach?s de l'Iliade et de l'Odyss?e. [L]]
Gai païen,
1070 | Ton charme, c'est ta folie |
Apaise avec tes grelots
Les sanglots
De l'amoureuse Italie !
Mais sur nos fronts tonnera
1075 | L'Opéra |
Du maître qui prédestine
De nouveaux types charmants
Aux tourments
D'Alice et de Valentine !
1080 | Mais le vieil hôte français |
Du succès
Publiera les douces choses
Que les couples bien épris
À Paris
1085 | Racontent aux chambres closes ! |
Mais le choeur des jeunes gens
Diligents
Poursuivra l'oeuvre tentée,
L'un ressuscitant l'écho
1090 | De Sappho, |
L'autre animant Galatée
Ainsi, par tous les côtés,
Les beautés
De la musique clémente
1095 | Attendriront les grands coeurs |
Des vainqueurs,
Rafraîchiront l'âme aimante !
XANTHIAS.
Tout cela est fort beau ; mais je préférerais
Pouvoir à l'Opéra choisir mes tabourets
1100 | Pour les soirs de ballet, où des formes trop nettes |
Aux doigts des chérubins font trembler les lorgnettes.
LA MUSIQUE.
Ton souhait vient à point justement, ces jours-ci,
Un astre disparu dans le ciel obscurci
Des Nymphes, la plus svelte entre les plus agiles,
1105 | Celle dont la présence eût créé des Virgiles |
À Naples, si toujours elle eût dans San Carlo
Joué, Dryade au bois, Naïade au bord de l'eau,
Revient, et tu verras sur un socle de roses
La blonde Orfa courir à ses apothéoses.
On entend au dehors une musique barbare.
1110 | Adieu ! |
Le bruit redouble et va croissant jusqu'à l'entrée de Tempesta.
ARISTOPHANE.
Tu pars ? |
LA MUSIQUE, semblant défaillir par degrés.
Je viens d'entendre aux alentours |
Le mortel ennemi qui me chasse toujours
Et dont j'ai si grand' peur, le bruit ! Mon coeur tressaille,
Il vient, je vais mourir, je meurs !
XANTHIAS, charmé du bruit qu'il entend.
Elle nous raille.
ARISTOPHANE.
Maudit soit l'importun qui nous désenchanta !
SCÈNE XVIII.
Aristophane, Xanthias, La Musique, Tempesta.
TEMPESTA, entrant.
1115 | Pif ! paf ! pouf ! zing ! boum ! Place et gloire à Tempesta ! |
ARISTOPHANE.
Tu pars, douce Musique, ô radieux fantôme !
TEMPESTA.
La Musique, ceci cet avorton, ce môme
La Musique, c'est moi !
LA MUSIQUE.
L'épouvantable bruit
Adieu !
Elle s'enfuit et le tableau apparait de nouveau.
SCÈNE XIX.
Aristophane, Xanthias, Tempesta.
TEMPESTA, avec orgueil.
Rien qu'à ma voix, la peureuse s'enfuit !
ARISTOPHANE.
1120 | Mais, on fuirait à moins. |
TEMPESTA.
Tout succombe à ma rage ! |
Je suis la passion, l'enivrement, l'orage
Écoutez retentir ma trompette et mes cors,
Mes gongs et mes tambours ; ils ont le diable au corps !
Par la voix des tubas mon âme éclate et crie,
1125 | Déesse des clairons et de la cuivrerie ! [ 44 Cuivrerie : Fabrique, magasin d'ustensiles de cuivre. [L]] |
XANTHIAS, jeu de TARTUFFE.
Forte femme !
TEMPESTA.
Élevant l'art naguère vassal,
J'ai fait de la Musique un monde colossal,
Qui, foudroyant de sons les foules alarmées,
Dans un tumulte affreux promène ses armées
1130 | Voyez mes opéras ! Un autre pour les siens |
Se serait contenté de cent musiciens
Jouant dans une salle en un coin de la ville !
Moi, j'ai rêvé le Champ de Mars, et deux cent mille
Exécutants, qui tous font dresser les cheveux
1135 | Et, s'il s'agit de peindre un chaste amour, je veux |
Pour en communiquer des impressions nettes,
Qu'en entende à la fois huit mille clarinettes !
XANTHIAS, même jeu.
Forte femme !
TEMPESTA.
Les arts tombent dans l'abandon
Le croiriez-vous ? J'avais demandé le bourdon
1140 | De Notre-Dame, un rien pour compléter mes timbres. |
On m'a dit Repassez ! Ces gens-là sont des Cimbres
J'ai demandé la tour du télégraphe use
Pour un chapeau chinois mais on m'a refuse !
Comme timbale aussi je réclamais le dôme
1145 | Des Invalides, puis la colonne Vendôme |
Pour en faire un clairon. Bah l'on hésite encor
Mes basses ont vingt pieds, et mon plus petit cor
Atteint tacitement la longueur de dix mètres.
Mais vous me comprenez, vous autres gens de lettres
1150 | Je règne sur le ban et sur l'arrière-ban, |
Et j'aurai quelque jour le cèdre du Liban,
Pour y faire tailler, moyennant quelques sommes,
Un alto qui sera tenu par deux mille hommes
Du tonnerre ! Un succès réel est à ce prix !
1155 | J'ai déjà rendu sourds trois quartiers de Paris, |
Et je veux, pour donner l'essor à mon génie,
Faire une si terrible et vaste symphonie
Qu'on verra les oiseaux tomber morts sur les pics,
Et s'écrouler en blocs les monuments publics !
XANTHIAS, même jeu.
1160 | Forte femme ! |
TEMPESTA.
Je sais peindre avec mon orchestre |
Tous les aspects divers de ce globe terrestre.
Voulez-vous la campagne, un printemps embaumé
Dans le bois de Meudon vers le soir du huit mai?
Écoutez.
Tempesta s'avance devant le trou du souffleur, et, avec son bâton de commandement, dirige l'orchestre qui exécute une musique sauvage et incohérente.
XANTHIAS, jeu d'HAMLET, scène du nuage.
Ah ! Vit-on jamais adresse telle !
1165 | Comme c'est vraiment bien le huit mai ! |
TEMPESTA.
Bagatelle |
Voulez-vous mieux encor ?
Annonçant.
Symphonie exprimant
Une marquise à sa fenêtre, et son amant
Allant la voir, suivi d'un valet qui le raille,
Avec son habit rose et son manteau muraille.
Même jeu de Tempesta. Musique à l'orchestre.
XANTHIAS, même jeu.
1170 | Comme l'habit est donc bien rose ! Et le manteau |
Bien muraille !
TEMPESTA, annonçant.
Un brigand enfonçant son couteau
Et le manche de corne au coeur d'un pauvre moine.
Même jeu, musique à l'orchestre.
XANTHIAS, même jeu.
Oui, c'est bien le brigand, quel brigand !
TEMPESTA, annonçant.
Saint Antoine
Tenté par des houris, dont les appas de lys
1175 | Frissonnent. |
XANTHIAS.
Des houris ! En effet. Par Cypris |
J'en suis blême. On les voit frissonner. Forte femme
Saint Antoine ! Un brigand ! C'est inouï.
ARISTOPHANE, à Tempesta.
Madame,
Vous avez beau parler de mille objets divers,
Vous ne variez pas ces horribles concerts
1180 | À terrasser d'horreur les monstres du Ténare, |
Et vous faites toujours le même tintamarre !
TEMPESTA.
Sans doute, et c'est le beau Du cuivre, des canons,
Des feux, des appareils musicaux, dont les noms
Suffisent à jeter partout quelque panique,
1185 | Voilà ce qui constate un talent symphonique ! |
Mais vous n'entendez rien à ces chefs d 'oeuvre ! Adieu.
Au sommet de l'Atlas je vais sous le ciel bleu
D'un concert gigantesque organiser la fête,
Avec deux cents ballons allumés sur le faîte !
Aux musiciens de l'orchestre.
1190 | Et vous, musiciens, suivez-moi ! |
Elle sort, en brandissant le tuba gigantesque qu'elle tient à la main.
SCÈNE XX.
Aristophane, Xanthias.
ARISTOPHANE.
Les plaisants |
Originaux !
XANTHIAS.
Momos nous a fait ces présents.
ARISTOPHANE.
Dis plutôt celle qui, pour éclairer nos proses,
Près des masques bouffons ouvre les lèvres rosés 1
La Muse, qui, fidèle au programme juré,
1195 | Pour nous éveille un monde, et qui nous a montré, |
Dans la diversité des types et des castes,
Une ville si fière et si riche en contrastes;
Une Athènes du rêve où nous sommes venus
Pour voir un autre enfer et des Dieux inconnus !
SCÈNE XXI.
Aristophane, Xanthias, Thalie.
THALIE, entrant, à Aristophane.
1200 | Ainsi, je te retrouve heureux par moi ! |
ARISTOPHANE, avec effusion.
Thalie ! |
XANTHIAS.
L'Églantine surtout m'a semblé fort jolie !
THALIE.
Je te dois cependant une autre vision,
Et le panorama veut sa conclusion !
Le vent souffle, le ciel se remplit d'azur,
Lui tendant sa main.
garde
1205 | Cette main dans la tienne, ô poète, et regarde. |
Le théâtre change et représente la place publique d'Athènes. On y voit groupés, dans des attitudes diverses et animées, tous tes personnages de la Revue, mêlés aux Athéniens du Prologue. La scène est baignée d'une vive lumière.
SCÈNE XXII.
Aristophane, Xanthias, Thalie, puis Tous les personnages et la Fée du Palais de Cristal.
ARISTOPHANE, dans l'extase.
Athènes, l'Agora murs sacrés ! [ 45 Agora : Le marché, la place publique dans les villes grecques. [L]]
XANTHIAS.
Tout autour
Nos amis de Paris sont groupés, et le jour,
Baignant les fronts riants et les faces hautaines,
Unit sous un rayon doré les deux Athènes !
THALIE.
1210 | Oui, rassemblés ici le Pnyx et l'univers ! [ 46 Pnyx : Terme d'antiquité. Place d'Athènes où le peuple se rassemblait quelquefois pour délibérer. [L]] |
Paris vient s'admirer au miroir de tes vers !
ARISTOPHANE.
Merveille !
THALIE.
Vois ! la tâche, autrefois condamnée,
De Phaéton, d'Icare et du grand Salmonée,
Aboutit; l'Industrie a forcé les chemins,
1215 | Et vient vers toi, la joie aux yeux, des fleurs aux mains. |
XANTHIAS.
Le sol se fend
La terre s'ouvre, et l'on en voit sortir, radieuse, la Fée du Palais de Cristal.
ARISTOPHANE.
Quel est cet ange des féeries
Sur qui tant de lumière éclate en pierreries ?
XANTHIAS.
Son jeune front rayonne.
ARISTOPHANE.
Un fleuve oriental
L'enveloppe.
LA FÉE DU PALAIS DE CRISTAL.
Je suis LE PALAIS DE CRISTAL
1220 | Du couchant à l'aurore, |
Réunissez encore,
Ô grands peuples épars,
Vos étendards !
Pour l'apprendre à l'Histoire,
1225 | Consignez votre gloire |
Dans mes livres, ouverts
À l'univers !
Et que chaque patrie
Fidèle à l'Industrie,
1230 | Règne sur un fragment |
Du monument !
Déjà vous m'avez vue
Sur mon épaule nue
Portant mon cher trésor,
1235 | Le Kohinor ! [ 47 Le kohinor : c?l?bre diamant de plus de 100 000 carats, il fait partie de la couronne de Grande-Bretagne en 1936.] |
Et, parmi les machines,
Pressant sur les bobines
Le travail infini
Des Mull Jenny, [ 48 Mull-Jenny : M?tier ? tisser le coton invent? par Samuel Crompton fin XVII?me.]
1240 | À Londres, quand les mondes |
Ont déroulé leurs ondes
Frémissantes d'espoir
Sous le ciel noir,
Et quand la France calme
1245 | À regagné la palme |
Obtenue au tournoi
De Fontenoy !
Ô vous, par moi naguères
Triomphants dans ces guerres,
1250 | 0 Français forts et doux, |
Je viens à vous
Maçons, bâtissez vite
La demeure où m'invite
À prolonger mon bail
1255 | Votre travail ! |
Ô foules ouvrières
Épuisez les carrières,
Pour en tirer les blocs
Des nouveaux docks !
1260 | Pour les piliers solides, |
Prenez aux Invalides,
Dans leur chaste repos,
Tous vos drapeaux
Leurs pourpres envolées
1265 | Qui parmi les mêlées |
Montraient leurs plis vermeils
Aux grands soleils,
Iront bien sur ce faite !
Car, ô Paris en fête,
1270 | Les combats où tu cours |
Durent toujours !
Combat de l'espérance
Contre l'âpre souffrance,
Et du soleil qui luit
1275 | Contre la nuit ! |
Combat, qu'autour du monde
La Science féconde
Soutient pour l'idéal
Contre le mal !
1280 | Ah ! La France est maîtresse ! |
Puisque sa forteresse,
C'est son front qui sourit,
C'est son esprit !
ARISTOPHANE, exalté.
Au temple ! Apollon veut son encens et son lierre !
THALIE.
1285 | Reste ! Il me faut le temps de faire une prière |
Montrant le public.
Ici !
XANTHIAS, à part.
Bon, l'éternel boniment ! Basilic !
Elle appelle prière un sonnet au public !
THALIE, au public.
Mesdames et messieurs, quand leur pièce est finie,
Les poètes fameux viennent modestement
1290 | Jeter au bon parterre un tendre compliment, |
Et quêter en retour un brevet de génie.
ARISTOPHANE, au public.
Hélas Aristophane eut toujours la manie
De ne pas mendier un applaudissement.
Il vient donc vous prier très fraternellement
1295 | De le bien accueillir en votre compagnie. |
THALIE.
C'est mon fils excusez son langage un peu dur
Pour un monde nouveau son esprit n'est pas mûr,
À ses griffes plus tard nous mettrons des mitaines. [ 49 Mitaine : Gant sans séparation pour les quatre doigts, avec une séparation pour le pouce. [L]]
ARISTOPHANE.
C'est ma mère excusez son costume un peu vieux
1300 | Elle vous aime tant qu'en mon esprit joyeux |
Elle a mêlé Paris avec la douce Athènes !
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Notes
[1] Archonte : Titre qu'on donnait, en Grèce et particulièrement à Athènes, aux magistrats qui dirigeaient la république. [L]
[2] Onocentaure : animal fabuleux.
[3] Auguste Dusautoy (1810-1873) : tailleur parisien qui fit fortune- entre autres, en tant que fournisseurs d'uniformes militaires.
[4] Stick : Canne très mince qu'on tient à la main pour se donner un maintien. [L]
[5] André Charles Boulle (1642-1732) : célèbre ébéniste nomme par Colbert ébéniste du Roi.
[6] Londrès : Cigare de la Havane, à l'origine fabriqué spécialement pour Londres et l'Angleterre. [CNRTL]
[7] 1852 : Année de création du second empire dirigé par Louis-Napoléon.
[8] Vautrin et (Wilhelm) Schmucke sont des personnages de roman d'Honoré de Balzac.
[9] Diane de Maufrigeuse : personnage d'un roman d'Honoré de Balzac.
[10] Marie-Louise-Anaïs de Bargeton : personnage de roman dans la Comédie humaine d?Honoré de Balzac.
[11] Lucien de Rubempré : personnage de roman dans la Comédie humaine d?Honoré de Balzac.
[12] Lausteau, Etienne : personnage de roman dans la Comédie humaine d?Honoré de Balzac.
[13] Nonchaloir : S'est dit pour nonchalance, paresse, inaction. [L]
[14] Chien à trois têtes : Cerbère, chien qui garde les Enfers empêchant les morts de s'enfuir.
[15] Mont Hybla : mont de Sicile, dont le miel était réputé : Virg. B. 7, 37 [GAFFIOT]
[16] Tarasque : Représentation d'un animal monstrueux que l'on promène solennellement à Tarascon et dans plusieurs autres villes de France. [L]
[17] Fruste : Fig. Style, poésie fruste, style, poésie qui porte la marque d'une haute antiquité. [L]
[18] Hideur : Ancien mot fort nécessaire. État de ce qui est hideux. [L]
[19] Coustou : famille de sculpteur. Nicolas, Guillaume, Guillaume fils.
[20] Pierre Paul Prud'hon (1758-1823) : peintre français.
[21] Cytise : Genre de plantes légumineuses, dont le cytisus laburnum est le type. [L]
[22] La closerie des Lilas : Actuellement un restaurant mais qui fut connu pour son bal nommé aussi Bal Bullier.
[23] Poecile : Portique public orné de peintures. [CNRTL]
[24] Mascaron : Terme d'architecture. Figure de tête faite en caprice, qu'on met aux fontaines, aux portes, aux clefs des arcades. [L]
[25] L'Étourdi est une comédie de Molière de 1663.
[26] Fredon : Terme de musique vocale. Vocalise qui se composait principalement d'une foule de petits agréments abandonnés aujourd'hui. [L]
[27] Gravois. [L] La partie la plus grossière du plâtre après qu'on l'a sassé. [
[28] Paul Scarron (1610-1660) : poète, dramaturge et romancier.
[29] Nicolas Flamel (1340-1418) : bourgeois parisien qui fit fortune. On lui attribue une compétence d'alchimiste.
[30] Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : compositeur d'opéra et théoricien de la dramaturgie. Il séjourna à Paris de 1774 à 1779.
[31] Alexis Piron (1689-1773) : poète, chansonnier et dramatruge.
[32] Pomard : Bon vin du département de la Côte-d'Or. [L]
[33] Virelai : Ancienne poésie française, toute composée de vers courts, sur deux rimes ; elle commence par quatre vers, dont les deux premiers se répètent dans le cours de la pièce. [L]
[34] Jean Goujon : sculpteur et architecte français du XVIe siècle, probablement né en Normandie vers 1510 et mort selon toute vraisemblance à Bologne, vers 1567.
[35] Primatice : Francesco Primaticcio, dit le Primatice (1503-1570) peintre, architecte et sculpteur italien de la Renaissance.
[36] Puff : Publicité mensongère ou outrancière, tromperie de charlatan. [L]
[37] Meurice : hôtel parisien de luxe, situé au 228 rue de Rivoli face au jardin des Tuileries, créé par Charles-Augustin Meurice en 1835.
[38] Turf : Lieu où se font les courses de chevaux. [L]
[39] Paillon : Terme de papeterie. Poignée de paille qu'on place au fond de la cuve à papier. [L]
[40] Jour de la gerbaude : jour de fête de la fin des moissons
[41] Calembredaine : Bourde, vains propos, faux-fuyants. Répondre par des calembredaines. Mot très familier. [L]
[42] Turlutaine : Manie, marotte. [L]
[43] Rapsode : Terme d'antiquité grecque. Nom donné à ceux qui allaient de ville en ville chanter des poésies et surtout des morceaux détachés de l'Iliade et de l'Odyssée. [L]
[44] Cuivrerie : Fabrique, magasin d'ustensiles de cuivre. [L]
[45] Agora : Le marché, la place publique dans les villes grecques. [L]
[46] Pnyx : Terme d'antiquité. Place d'Athènes où le peuple se rassemblait quelquefois pour délibérer. [L]
[47] Le kohinor : célèbre diamant de plus de 100 000 carats, il fait partie de la couronne de Grande-Bretagne en 1936.
[48] Mull-Jenny : Métier à tisser le coton inventé par Samuel Crompton fin XVIIème.
[49] Mitaine : Gant sans séparation pour les quatre doigts, avec une séparation pour le pouce. [L]