COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN VERS
Représentée par les comédiens ordinaires du Roi pour la première fois, le 6 mars 1816.
Prix 2 francs.
AN XII. - 1804
PAR ANDRIEUX, de l'Institut National.
À PARIS, chez A. NEPVEU, LIBRAIRE PASSAGE DES PANORAMAS, n°26.
DE L'IMPRIMERIE DE P. DIDOT, L'AINÉ.
Représentée pour la première fois, au Théâtre Français, par les comédiens ordinaires de l'Empereur, le 6 mars 1816.
Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2022.
publié par Paul FIEVRE, septembre 2022.
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:49.
PERSONNAGES ACTEURS.
MADAME BELVAL, première Actrice du Théâtre de Bordeaux. Mlle Mars.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, ancien Major d'Infanterie. M. Baptiste aîné.
SAINVILLE, son Neveu, jeune officier. M. Armand.
DARICOUR, Directeur du Théâtre de Bordeaux, et jouant les financiers. M. de Vigny.
HENRIETTE, Pupille de Daricour, aimée de Sainville. Mlle Bourgoin.
CLÉOFILE, jeune Actrice du Théâtre de Bordeaux. Mlle Dupuis.
AGATHE, Femme de chambre de Madame Belval Mlle de Merson.
La scène est à Bordeaux, chez Madame Belval.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE.
Henriette, Agathe.
HENRIETTE.
Elle m'a fait prier de venir ce matin.
AGATHE, avec l'accent gascon.
Jé lé sais. Sûrément c'est dans un bon dessein.
Car madame vous aime, on né peut davantage.
Hé donc, mademoiselle, à quand lé mariage ?
HENRIETTE.
5 | Lequel ? |
AGATHE.
Lé vôtre. On peut à moi sé confier. |
Je suis dans la maison dépuis un mois entier ;
Madame, en voyageant, mé prit à Carcassonne ;
Jé m'intéresse à vous.
HENRIETTE.
Ah ! Vous êtes trop bonne.
AGATHE.
Et curieuse un peu ; c'est un bonheur pour moi
10 | Dé savoir cé qué fait lé monde qué jé voi ! |
Dé Bordeaux ma maîtresse est la première actrice,
Et pour mé contenter ma place m'est propice !
Au théâtre, au logis, j'écoute les discours,
Et j'entends raconter cent choses tous les jours,
15 | Amours, rivalités, inconstances, ruptures ; |
Céla fait bien souvent dé drôles d'aventures !
Et cé qu'on dit tout haut, et cé qu'on dit tout bas !
Jé sais tout, en un mot ; jé n'en abusé pas.
Ainsi né craignez rien. Jé connais votre affaire.
HENRIETTE.
20 | Qui vous a dit ?... |
AGATHE.
Jé sais cé qui vous est contraire. |
Un aimable officier veut être votre époux ;
Mais son oncle y répugne, et s'en met en courroux ;
Monsur dé Gouvignac (c'est ainsi qu'il sé nomme),
À cause qu'il est riche, et sé croit gentilhomme,
25 | Vous reproché, dit-on, qué vous manquez dé bien, |
Et qué feu votre père était comédien.
HENRIETTE.
Mais comment savez-vous tout cela, je vous prie ?
AGATHE.
Cela peut s'appéler sécret dé comédie
Qué tout lé mondé sait ; mais chacun, dieu merci,
30 | Sé moqué bien dé l'oncle, et prend votre parti ; |
On né dit qué du bien dé vous, dé votré mère ;
C'était un grand acteur qué défunt votre père !
Et que lé Gouvignac disé cé qu'il voudra ;
D'état, jé n'en vois point plus beau qué celui-là !
35 | Régardez ma maîtresse, et l'éclat qu'ellé jette |
Au double emploi dé reine et dé grandé coquette !
On né voit qué son nom remplir tous les journaux ;
Fait-on pour elle assez dé vers, dé madrigaux,
Dé couplets ? En tous lieux on chanté ses éloges ;
40 | Son aspect met en feu lé parterre et les loges ; |
Bientôt, dé nos talents comme on connaît lé prix,
Nous quitterons Bordeaux pour aller à Paris ;
Nous attendons un ordre ; il né faut en rien dire.
HENRIETTE.
Oh ! Non. N'ayez pas peur.
AGATHE.
Tant dé gloiré m'inspire
45 | Un désir dont il faut qué jé vous fasse part. |
Vous pouvez m'y servir.
HENRIETTE.
Qui ? Moi ! Par quel hasard ?
AGATHE.
Monsur votré tuteur...
HENRIETTE.
Daricour ?
AGATHE.
Oui, lui-même
Est ici directeur du théâtre ; il vous aime...
HENRIETTE.
Eh bien ?
AGATHE.
Sans voir Madame, il vient dé s'en aller ;
50 | Et moi, jé n'ai pas eu lé temps dé lui parler ; |
Il vénait nous presser, mais il perdait sa peine :
Car nous né jouerons pas cé soir, j'en suis certaine.
HENRIETTE.
J'aurais voulu le voir.
AGATHE.
Il réviendra bientôt.
Vous lui dévriez bien glisser un pétit mot
55 | En ma faveur... |
HENRIETTE.
Pourquoi ? |
AGATHE.
J'ai bésoin qu'on m'appuie. |
HENRIETTE.
Que voulez-vous ?
AGATHE.
Jé veux jouer la comédie.
HENRIETTE, souriant.
Ah ! Ah ! Jouer !...
AGATHE.
J'aurais dessein dé débuter.
Quand ma maîtresse apprend, jé la fais répéter ;
Et jé jouerais fort bien, surtout dans lé tragique.
HENRIETTE.
60 | Oh ! oui. |
AGATHE.
J'ai des moyens ; d'abord, quant au physique, |
Il ne déplaira pas, jé crois.
HENRIETTE.
Non. Mais l'accent ?
Hein ?
AGATHE.
L'açent ?... J'en ai peu ; quelqués mots, en passant,
Croyez-vous ?... Ce n'est rien ; et quand on a dé l'âme,
C'est là l'essentiel, à cé qué dit madame ;
65 | Et dé l'amé ! J'en ai ! Jé mé sens enflammer, |
Quand j'écoute au logis madame déclamer.
Tous les soirs, sans manquer, jé vais dans les coulisses,
Jé l'entends applaudir. Ce sont là mes délices.
Jugez commé mon coeur dé plaisir bondira,
70 | Lorsqué cé séra moi qué l'on applaudira. |
On entend sonner.
HENRIETTE.
Oui ; mais, en attendant, on vous sonne, ma chère.
AGATHE.
J'y vais. Jé récommande à vos soins mon affaire.
Faites-moi jouer Phèdre, Hermione ; et comptez
Qué ces rôlés pour vous séront des nouveautés.
SCÈNE II.
HENRIETTE, seule.
75 | Elle est folle, je pense !... Où va-t-elle prétendre ? |
Il faut que j'aie, un jour, le plaisir de l'entendre !
Ce serait une scène amusante, je crois !
Mais Madame Belval, que veut-elle de moi ?
Elle va me parler peut-être de Sainville,
80 | Et me causer encore un chagrin inutile ! |
Je ne dois plus le voir... Ah ! Grand Dieu ! Le voici.
SCÈNE III.
Henriette, Sainville.
SAINVILLE.
Henriette !
HENRIETTE.
C'est vous ? Vous me saviez ici ?
Vous m'y cherchiez ?
SAINVILLE.
Moi ? non. Soyez-en bien certaine.
Je sais que ce serait vous causer trop de peine.
HENRIETTE.
85 | À moi, Monsieur ? |
SAINVILLE.
Chez vous, du moins, je n'irai plus ; |
Depuis dix jours entiers n'en suis-je pas exclus ?
HENRIETTE.
J'ai suivi les conseils et l'ordre de ma mère.
SAINVILLE.
Vous souscrivez sans peine a cet ordre sévère.
HENRIETTE.
Ne pouvant être à vous, j'ai fait ce que j'ai dû.
SAINVILLE.
90 | Ah ! Vous seriez à moi, si vous l'aviez voulu. |
Afin de m'engager d'une manière expresse,
Ne vous avais-je pas offert une promesse ?
Ainsi, par l'honneur même à vos lois enchaîné...
HENRIETTE.
Et votre oncle jamais ne vous l'eût pardonné.
95 | Vous m'avez dit souvent qu'il vous servit de père ; |
Pouviez-vous avec lui ne pas être sincère ?
Non ; ma mère eut raison d'exiger franchement
Que vous eussiez d'abord son plein consentement.
Il vous l'a refusé ; ce refus nous sépare.
SAINVILLE.
100 | J'ai déjà trop souffert de son refus barbare. |
HENRIETTE.
Votre oncle, riche, et fier d'un nom qu'il croit très beau,
Ancien militaire, et seigneur de château...
SAINVILLE.
De s'allier à vous qui ne se ferait gloire ?
HENRIETTE.
Non, non, je ne sais point ainsi m'en faire accroire.
105 | Soumettons-nous, Sainville, à la nécessité. |
SAINVILLE.
Vous tenez ce langage avec tranquillité.
Non, je n'ai jamais eu le bonheur de vous plaire ;
Plus que mon oncle encor votre coeur m'est contraire ;
Non, vous ne m'aimez point, et votre âme en secret
110 | N'éprouve, en me quittant, ni chagrin ni regret ; |
Et que sais-je ?... Elle en est satisfaite peut-être ?...
HENRIETTE.
Croyez-le, j'y consens ; c'est fort bien me connaître.
SCÈNE IV.
Henriette, Madame Belval, en déshabillé du matin, très élégant ; Agathe, Sainville.
MADAME BELVAL, parlant à sa femme de chambre.
Mademoiselle Agathe, allez ; de point en point
Faites suivre cet ordre ; et qu'on n'y manque point.
Agathe sort.
115 | Eh bien ! je trouve ici fort bonne compagnie ; |
Où donc est Daricour ?
À Henriette.
Bonjour, ma chère amie.
Comment va-fotre mère ?... Embrassez-moi, mon coeur.
HENRIETTE.
na mère est assez bien ; vous lui faites honneur.
MADAME BELVAL.
Eh ! mais, qu'avez-vous donc ? Je lis sur vos visages
120 | Certain air de chagrin... D'où viennent ces nuages ? |
HENRIETTE.
Monsieur dans ses discours sait peu me ménager.
SAINVILLE.
Mademoiselle aussi se plaît à m'affliger.
MADAME BELVAL.
Ah ! Vous êtes brouillés !... La moindre bagatelle
Souvent chez les amants fait naître une querelle ;
125 | Ce n'est pas cet instant que vous deviez choisir ; |
Quand l'ennemi s'avance, il faut se réunir.
SAINVILLE.
Quel ennemi ?... Comment ?
MADAME BELVAL.
Redoutez sa colère.
C'est votre oncle, en un mot, que vous n'attendiez guère.
HENRIETTE.
Monsieur de Gouvignac ?
SAINVILLE.
Quoi ! Mon oncle est ici ?
MADAME BELVAL.
130 | Depuis hier matin. |
SAINVILLE.
Sans m'avoir averti ? |
MADAME BELVAL.
Figurez-vous qu'hier, en traversant la rue,
J 'en ai fait tout-à-coup la rencontre imprévue ;
Nous nous sommes tous deux à l'instant reconnus,
Quoique depuis quinze ans nous ne nous fussions vus ;
135 | Oui, de notre amitié la date est ancienne, |
Et me vieillit un peu ; mais qu'à cela ne tienne.
Je restai veuve alors ; dans mon affliction
Le major entreprit ma consolation ;
Il y mettait du zèle !...
SAINVILLE.
Il a l'humeur galante !
MADAME BELVAL.
140 | Si je l'avais voulu, je serais votre tante. |
SAINVILLE.
Oh ! Que je le voudrais !
MADAME BELVAL.
L'oncle n'est point changé ;
Toujours l'air jeune et vif, le maintien dégagé,
Toujours un ton aimable, un obligeant langage...
SAINVILLE.
Qui donc l'a décidé soudain à ce voyage ?
MADAME BELVAL.
145 | Eh ! Manque-t-on de gens empressés, indiscrets, |
Recueillant, répandant tous les bruits faux ou vrais ?
Il a reçu l'avis que, bravant sa défense,
Vous alliez contracter l'hymen dont il s'offense ;
Et d'un si grand malheur voulant vous préserver,
150 | Le cher oncle à Bordeaux s'est hâté d'arriver ; |
Sans vous en prévenir, et pour mieux vous surprendre,
C'est en hôtel garni qu'il est allé descendre.
SAINVILLE.
Il vous a donc conté... ?
MADAME BELVAL.
Ce que je savais bien.
Vous avez fait longtemps les frais de l'entretien.
SAINVILLE.
155 | À ses vieux préjugés vous avez fait la guerre ? |
MADAME BELVAL.
Non ; j'ai pris le parti d'écouter, de me taire ; [ 1 (2)]
Il ne se gênait pas ; moi, je trouvais plaisant
Que, ne se doutant pas de mon état présent,
De tant de confiance il me donnât la preuve ;
160 | De son ami Courmon il me croit encor veuve ; |
À Grenoble autrefois je le voyais souvent ;
Il s'y trouvait alors avec son régiment...
SAINVILLE.
Et viendra-t-il vous voir ?
MADAME BELVAL.
Dès ce matin peut-être.
SAINVILLE.
Mais sa visite ici va lui faire connaître
165 | Ce que vous lui cachez, votre état, votre nom. |
MADAME BELVAL.
Oh ! J'ai fait à mes gens avec soin leur leçon ;
Ils diront ce qu'il faut.
SAINVILLE.
Ce léger artifice
Pourrait, si vous vouliez, nous devenir propice.
MADAME BELVAL.
Oui ; j'avais eu dessein d'abord de vous servir ;
170 | Aux peines des amants mon coeur doit compatir ; |
Mais ce soin à présent vous est peu nécessaire.
HENRIETTE.
Et par quelle raison ?
MADAME BELVAL.
La raison est bien claire.
Je vous affligerais, si j'allais m'en mêler ;
Vous étiez tout-à-l'heure en train de quereller.
SAINVILLE.
175 | J'avais tort ; Henriette a sujet de se plaindre. |
HENRIETTE.
Non. Je vous ai fâché ; j'aurais dû me contraindre.
MADAME BELVAL.
Allons ; fort bien. Sur moi vous pouvez donc compter.
SCÈNE V.
Les mêmes, Agathe.
AGATHE.
Mousur dé Gouvignac, Madamé, va monter.
Il est là bas.
MADAME BELVAL.
Déjà ? Tant mieux, vraiment. Qu'il vienne.
180 | Est-ce bien lui ? |
AGATHE.
Lui-même. On l'a connu sans peine ; |
Comme il a démandé madamé dé Courmon...
HENRIETTE.
Je vais m'enfuir bien vite.
MADAME BELVAL.
Eh ! Non ; ma belle ; non.
Il ne vous connaît pas ; demeurez, je vous prie.
Je vous ai fait venir tout exprès.
HENRIETTE.
De ma vie
185 | Je n'eus autant de peur. |
MADAME BELVAL, à Sainville.
Et vous, restez aussi. |
SAINVILLE.
Que va dire mon oncle, en me trouvant ici ?
Moi-même que dirai-je ? Et s'il veut que j'explique...
MADAME BELVAL.
L'occasion pourra vous fournir la réplique.
Un prétexte suffit. Je vous seconderai.
190 | Du courage. |
HENRIETTE.
Ah ! Bon Dieu ! Pour moi, je me tairai. |
MADAME BELVAL.
Faites-le donc venir, Agathe.
AGATHE.
Il vient lui-même.
Agathe sort.
SCÈNE VI.
Henriette, Madame Belval, Monsieur de Gouvignac, Sainville.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Belle dame, pour moi c'est un bonheur extrême !...
J'étais bien empressé de vous faire ma cour ;
Vous me l'avez permis, et dès le premier jour,
195 | Dès le matin j'arrive... |
MADAME BELVAL.
Et je suis enchantée |
De vous voir, cher Major ; je m'étais bien flattée
Que vous n'oublieriez pas...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, se retournant.
Que vois-je ? Mon neveu ?
Ah ! Vous voilà, Monsieur !... Je m'attendais si peu !...
SAINVILLE.
Mon oncle, ma surprise est égale à la vôtre.
200 | Nous n'avions pas compté nous voir ici l'un l'autre. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Moi, je viens de chez vous.
SAINVILLE.
Mon Dieu ! Si j'avais su
Mon cher oncle à Bordeaux, vers lui j'aurais couru.
Mais pourquoi donc chez moi ne pas venir descendre ?
N'y pas loger ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Pourquoi ? Vous devez lé comprendre.
À Madame Belval.
205 | Mais mon neveu, comment est-il connu de vous ? |
MADAME BELVAL.
Comment ?... La connaissance est nouvelle entre nous.
J'ai donné cet hiver quelques bals pour ma nièce,
Et j'y réunissais une aimable jeunesse ;
- Monsieur m'a fait l'honneur d'y venir, et depuis
210 | Je l'ai vu quelquefois. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ah ! Je m'en réjouis. |
Pour lui c'est un bonheur. Ce neveu peu docile
Dont je vous ai parlé, le voilà ; c'est Sainville.
MADAME BELVAL.
Est-il vrai ?... J'étais loin d'en avoir le soupçon ;
Vous ne m'avez hier pas prononcé son nom.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
215 | Cela se peut. |
À Sainville.
Tu veux faire un beau mariage !... |
SAINVILLE.
Mon oncle !...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Me voilà. L'objet de mon voyage
Est de t'en empêcher ; prends-en bien ton parti ;
Mon caractère s'est rarement démenti ;
Et, quand j'ai dans ma tête arrêté quelque chose,
220 | Je n'en démords jamais qu'à bonne et juste cause. |
MADAME BELVAL.
Et vous faites fort bien.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Pour rompre son dessein,
Je compte de Bordeaux l'emmener dès demain ;
Car, si je l'y laissais !... Il ferait la folie !
De chimères d'amour sa cervelle est remplie.
225 | Madame, combattez son caprice fatal, |
Et des comédiens dites-lui bien du mal.
MADAME BELVAL.
Vraiment ! Sans chercher loin je saurais bien qu'en dire ;
Tenez ; tous les états prêtent à la satire ; [ 2 (3)]
Laissons donc ce sujet qui vous met en souci ;
230 | Je veux vous présenter ma nièce que voici. |
À Henriette.
Approchez.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dans ses traits on voit l'air de famille.
MADAME BELVAL.
D'une soeur que j'aimais elle est la seule fille.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
On ne peut pas la voir sans y prendre intérêt.
MADAME BELVAL.
Répondez, Rosalie.
HENRIETTE, en tremblant.
Ah ! Si monsieur promet
235 | De me vouloir du bien, je serai satisfaite, |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Un air plein de décence ! Une grâce parfaite !
HENRIETTE.
Vous me flattez, Monsieur, et vous êtes trop bon.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Elle est charmante ! Oh ! çà, Madame de Courmon,
Vous pouvez bien penser si mon âme est ravie,
240 | Si je suis satisfait !... Retrouver une amie |
Dont je gardai toujours un profond souvenir,
C'est un bonheur si grand !... c'est un si doux plaisir !...
MADAME BELVAL.
Je n'en ressens pas moins, Major, je vous assure.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mes voeux seraient comblés dans cette conjoncture,
245 | Si monsieur mon neveu, que j'aime comme un fils, |
Se rendait sage un peu, grâce à vos bons avis.
Oui? que de son erreur désormais il revienne,
Sans s'attacher au char d'une comédienne...
HENRIETTE, vivement.
Elle ne l'est pas.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Non... Comment le savez-vous ?
MADAME BELVAL.
250 | C'est que... le bruit public... est venu jusqu'à nous... |
On en parle... L'histoire est assez remarquable...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Oui. Tout cet éclat m'est fort désagréable.
MADAME BELVAL.
De la jeune personne on dit beaucoup de bien.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Que vous importe, à vous ?... Cela ne vous fait rien.
255 | On a tort. |
SAINVILLE.
Je suis loin de vouloir vous déplaire, |
Mon oncle ; mais souffrez du moins qu'on vous éclaire.
Vous êtes prévenu, vous êtes irrité ;
Moi, je dois faire ici parler la vérité.
Loin de me tendre un piège, et la mère et la fille
260 | Refusent l'alliance avec votre famille ; |
Leur coeur est noble et fier, et point intéressé ;
Et par elles c'est moi qui me vois repoussé :
Depuis dix jours entiers leur porte m'est fermée...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh bien ! Tant mieux ; ma crainte est quelque peu calmée.
265 | Tu pourras l'oublier, en ne la voyant plus. |
SAINVILLE.
L'oublier ! J'y ferais des efforts superflus.
Je ne trahirai point la foi que j'ai jurée,
Et ma chère Henriette en peut être assurée.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Monsieur, promettez-moi très positivement
270 | De ne la plus revoir. |
MADAME BELVAL, à Sainville.
Pas plus qu'en ce moment ? |
SAINVILLE.
Pour cela, j'y consens.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
C'est fort bien. Chez Madame
Venez assidûment : là, sans craindre aucun blâme,
Sans danger, rencontrant les vertus, la candeur...
SAINVILLE.
Mon oncle, assurément, j'y viendrai de bon coeur. [ 3 (4)]
MADAME BELVAL.
275 | Vous nous ferez plaisir. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
C'est ma loi très expresse : |
Songez bien à la suivre.
Bas, à Madame Belval.
À votre aimable nièce
Je voudrais qu'il pût plaire.
MADAME BELVAL, bas, au major.
Elle est à votre gré,
À ce qu'il me paraît ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, de même.
Très fort.
SCÈNE VII.
Les mêmes, Daricour, se disputant au fond du théâtre avec Agathe, qui veut l'e empêcher d'entrer.
DARICOUR.
Eh ! J'entrerai.
AGATHE.
Mais, Monsur !...
DARICOUR.
Laissez donc ; il faut que je la voie,
280 | Et tout de suite encore : est-ce moi qu'on renvoie ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
D'où vient donc tout ce bruit ?
MADAME BELVAL, à part.
Ô ciel ! C'est Daricour !
C'est notre directeur ! Comment faire ?
DARICOUR, à Madame Belval.
Bonjour.
MADAME BELVAL, à part.
Comment le prévenir ?
Agathe sort.
SCÈNE VIII.
Henriette, Daricour, Madame Belval, Monsieur de Gouvignac, Sainville.
DARICOUR, à Madame Belval.
Bonjour, ma chère amie.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, à part.
Sa chère amie !
MADAME BELVAL.
Ici je suis en compagnie.
DARICOUR.
285 | Je le vois bien. |
MADAME BELVAL, à Daricour.
Voici Monsieur de Gouvignac, |
Dont le château n'est pas bien loin de Bergerac.
Et d'hier seulement venu dans notre ville...
DARICOUR.
J'en suis très enchanté.
MADAME BELVAL.
C'est l'oncle de Sainville.
DARICOUR.
Du capitaine ?
MADAME BELVAL, à Daricour.
Eh ! Oui. Pour vous, mon cher Mircour...
DARICOUR.
290 | Mircour ? Eh ! Mais !... Comment ? |
MADAME BELVAL.
Vous voilà de retour ? |
DARICOUR.
Je n'ai pas été loin.
MADAME BELVAL.
Major, je vous présente
Un de mes amis...
DARICOUR.
Ah ! Ce titre-là m'enchante,
Et m'honore.
En saluant Gouvignac.
Monsieur !...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Monsieur est ... ?
MADAME BELVAL.
Financier.
DARICOUR.
Oui, c'est là mon emploi.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
C'est un très bon métier.
295 | Je lui fais compliment ; plus d'argent que de peines. |
DARICOUR.
Je suis en même temps directeur...
MADAME BELVAL, 1'interrompant vivement.
Des domaines.
DARICOUR.
Des domaines ?... Ah ! Oui.
À part.
Je comprends à la fin ;
On trompe ici quelqu'un.
Haut.
Madame, il est certain...
Bas, à Madame Belval.
J'y veux mettre du mien aussi ; laissez-moi faire.
MADAME BELVAL, à Daricour.
300 | Vous voyez dans monsieur un ancien militaire, |
Monsieur de Gouvignac, qui servit bien l'état...
DARICOUR.
Ah ! Vraiment ! Je le crois ; ce nom a de l'éclat !
Monsieur de Gouvignac ? Eh ! Mais !... Je me rappelle...
Brave officier, qui fit l'action la plus belle !...
305 | J'en fus témoin. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Comment ?... Monsieur a donc servi ? |
DARICOUR.
Dix ans. De vous revoir, d'honneur, je suis ravi.
Vous savez bien !... Ce jour !... En Souabe, en Bavière... [ 4 Souabe : région d'Allemmagne, entre la France et la Bavière.]
C'était... le nom m'échappe... au bord d'une rivière ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Au bord de l'Inn ? [ 5 Inn : Rivière prenant sa source en Suisse et se jetant dans le Danube à Passau.]
DARICOUR.
Eh ! oui, de l'Inn ; c'est celle-là.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
310 | Était-ce à Rozenheim ? |
DARICOUR.
Rozenheim ; m'y voilà ! |
Vous fîtes manoeuvrer joliment votre troupe,
Quand de ce monticule elle atteignit la croupe.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Non ; c'était en plaine.
DARICOUR.
Eh ! Oui, si vous voulez.
Il est sûr que le trait fut des plus signalés.
315 | Vous vous couvrîtes là d'une immortelle gloire. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui ; je contribuai, je pense, à la victoire,
En chargeant !... Il fallut que l'ennemi cédât.
Quel grade avait Monsieur ?
DARICOUR.
J'étais simple soldat.
J'ai cessé de cueillir les lauriers militaires,
320 | Et je me suis jeté depuis dans les affaires. |
Me voilà directeur.
MADAME BELVAL.
Messieurs, pour rappeler
L'ancienne connaissance, et la renouveler,
Dînez chez moi tous deux, et vous aussi, Sainville.
DARICOUR.
Madame !...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Très flatté de votre offre civile.
MADAME BELVAL.
325 | Vous aurez, cher Major, des convives choisis, |
Qui vous divertiront...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dès qu'ils sont vos amis...
MADAME BELVAL.
Si vous avez affaire, entre nous point de gêne.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mais...
MADAME BELVAL.
L'heure du dîner n'est pas encor prochaine.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
De la permission je vais donc profiter
330 | Pour courir... |
SAINVILLE.
L'heure aussi m'oblige à vous quitter. |
Mesdames, agréez...
MADAME BELVAL.
À tantôt, je vous prie,
Et je vous laisse aller.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Point de cérémonie.
À tantôt.
DARICOUR.
Adieu donc, Monsieur, de tout mon coeur,
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
De tout mon coeur, adieu, Monsieur le directeur.
DARICOUR.
335 | Oh ! Ça, ne manquez pas ; on fait fort bonne chère |
Chez Madame. Major, vous buvez sec, j'espère ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mais pas mal. Au revoir.
À part.
Diantre ! Ce financier
Chez Madame Courmon a l'air bien familier !
À Sainville.
Venez-vous, mon neveu ?
Gouvignac et Sainville sortent ensemble.
SCÈNE IX.
Henriette, Madame Belval, Daricour.
HENRIETTE.
Grâce au ciel, je respire.
MADAME BELVAL.
340 | Pauvre enfant !... J'avais peine à m'empêcher de rire, |
Tandis qu'à sa gaîté donnant un libre essor
Daricour a si bien reconnu le major,
Qu'il n'avait jamais vu.
HENRIETTE.
Quoi ! C'était une fable ?
MADAME BELVAL.
Sans doute.
HENRIETTE.
Moi, j'ai cru tout cela véritable.
345 | Je vois que mon tuteur est bon comédien. |
DARICOUR.
Lorsque je suis entré, je n'y comprenais rien.
Voilà donc ce major, cet oncle de Sainville,
Qui vous fait bien souffrir, mon aimable pupille.
HENRIETTE.
Moi ? Je ne souffre point. C'est à vous, mon tuteur,
350 | Pourrais-je l'oublier ? Que je dois mon bonheur ; |
Mon travail me suffit ; il fait vivre ma mère ;
Et c'est par vos bienfaits...
DARICOUR.
Que dites-vous, ma chère ?
HENRIETTE.
Je dis la vérité ; si d'utiles leçons
M'ont instruite à tenir les pinceaux, les crayons,
355 | Si mon talent nous donne une honnête existence, |
Tout me vient de vous seul ; soins, démarches, dépense,
Rien ne vous a coûté...
DARICOUR.
J'ai fait ce que j'ai dû ;
Votre bon père, hélas ! que nous avons perdu,
Était mon camarade et mon ami d'enfance ;
360 | Je l'ai vu s'affaiblir, languir dans la souffrance ; |
Et ses regards mourants me disaient qu'après lui
Il comptait bien en moi vous laisser un appui ;
Ce pauvre Rosemon !... un digne, un galant homme !
Et grand acteur, ma foi !... Comme il jouait Vendôme !
365 | Oreste, Rhadamiste !... On s'en souvient encor ! |
Et parbleu ! N'en déplaise à Monsieur le major,
Il devrait être fier de vous avoir pour nièce ;
Vous tenez du talent vos titres de noblesse.
MADAME BELVAL.
Il pense, par malheur, tout autrement que nous,
370 | Et l'amour de Sainville excite son courroux. |
Mais nous viendrons à bout de cet oncle intraitable.
À Daricour.
Vous me seconderez ?
DARICOUR.
Oui, si j'en suis capable.
MADAME BELVAL, à Henriette.
Voulez-vous qu'avec lui je vous prie à dîner ?
HENRIETTE.
De ma mère longtemps je ne puis m'éloigner ;
375 | Elle est seule, et m'attend. |
DARICOUR.
Retournez auprès d'elle. |
Offrez-lui mon respect, mon amitié fidèle.
MADAME BELVAL.
Faites-lui partager l'espoir que je conçois.
HENRIETTE.
Je l'instruirai surtout de vos bontés pour moi.
Elle sort.
SCÈNE X.
Madame Belval, Daricour.
DARICOUR.
Nous pouvons donc enfin causer sans nul obstacle.
MADAME BELVAL.
380 | Parlons de mon dîner. |
DARICOUR.
Parlons de mon spectacle. |
MADAME BELVAL.
Ah ! S'il vous plaît, d'abord songeons au plus pressé.
DARICOUR.
Le plus pressé, c'est moi ; je suis embarrassé...
MADAME BELVAL.
Avec le cher Major savez-vous qui j'invite ?
Nos camarades...
DARICOUR.
Bon !
MADAME BELVAL.
J'en réunis l'élite,
385 | Vous d'abord, mon ami... |
DARICOUR.
Mais qui jouera ce soir ? |
MADAME BELVAL.
Pour convives, voyons qui nous pourrons avoir ?...
DARICOUR.
Personne.
MADAME BELVAL.
Il nous faudra Darminville et sa femme,
Limeuil !...
DARICOUR.
Le premier rôle ! Y pensez-vous, Madame ?
MADAME BELVAL.
Montigny le comique ; il nous divertira.
DARICOUR.
390 | Sans doute... et mon théâtre aujourd'hui fermera. |
MADAME BELVAL.
Mais comme vous voudrez. Pour moi, je suis malade.
DARICOUR.
Vous ne vous gênez pas, ma chère camarade.
MADAME BELVAL.
Bon ! Si vous le voulez, cela peut s'arranger.
DARICOUR.
Oui, quand l'affiche est mise.
MADAME BELVAL.
On n'a qu'à la changer.
DARICOUR.
395 | La recette, ce soir, n'en sera pas meilleure. |
MADAME BELVAL.
Mais non. Ceux qui joueront s'en iront de bonne heure,
En se levant de table ; ainsi point d'embarras.
DARICOUR.
Ma chère amie, et vous, là, ne jouerez-vous pas ?
Dans la petite pièce, au moins, je vous conjure...
MADAME BELVAL.
400 | Puisque vous le voulez, mettez donc La Gageure ; |
Mais vous me saurez gré de l'effort que je fais...
DARICOUR.
Le grand effort !...
MADAME BELVAL.
C'est bien pour vous, je vous promets,
Et je ne jouerai pas la semaine prochaine.
DARICOUR.
Comment ?...
MADAME BELVAL.
Mon médecin veut que je me promène.
DARICOUR.
405 | À son moindre caprice il faut me résigner !... |
MADAME BELVAL.
Vous ne m'en voudrez pas !... J'ai du monde à dîner.
Elle sort.
SCÈNE XI.
DARICOUR, seul.
Qu'un directeur de troupe est un mortel à plaindre !
Mille ennuis à souffrir, et sa ruine à craindre !
Daricour, ce fut bien pour tes péchés, je crois,
410 | Que tu vins à Bordeaux prendre ce chien d'emploi. |
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE.
Madame Relval, Daricour.
DARICOUR.
Ma foi ! Je vous le dis, sans fade complaisance,
Personne autant que vous n'a de grâce et d'aisance ;
Rien faire les honneurs est un de vos talents ;
Et quel dîner ?... Parfait ! Tous vos vins excellents !
415 | J'admirais du Major l'appétit indomptable ; |
À la place d'honneur, auprès de vous, à table,
Mangeant bien, buvant mieux, mais galant, empressé,
Par vous de mots flatteurs bien souvent caressé,
Il vous aime, il est pris ; le moyen qu'il résiste !...
420 | De vos adorateurs il va grossir la liste... |
MADAME BELVAL.
Allons ; vous plaisantez.
DARICOUR.
Je parle tout de bon.
MADAME BELVAL.
Il pensait courtiser Madame de Courmon ;
Pour moi, je m'amusais, plus qu'on ne saurait croire,
De voir ce bon major si plein de vaine gloire,
425 | Et, des comédiens ennemi déclaré, |
D'actrices et d'acteurs être à table entouré,
S'y plaire, avec eux tous jouer gaîment son rôle,
Rire et boire d'autant...
DARICOUR.
Le tour est assez drôle ;
Mais vous compromettez ainsi la dignité
430 | De Monsieur Gouvignac... |
MADAME BELVAL.
Dites sa vanité. |
DARICOUR.
À propos, je vous veux parler de Cléofile ;
À cette pauvre enfant vous pourriez être utile ;
Elle va nous quitter.
MADAME BELVAL.
Ah ! Vous la renvoyez ?...
DARICOUR.
Non ; ce n'est pas le mot. Mais que faire ? Voyez !
435 | Elle et Lisbeth auraient quelques scènes fatales ; |
Rivales en amour, au théâtre rivales,
C'est trop de la moitié ; ces deux femmes jamais
Ne peuvent vivre ensemble, et demeurer en paix ;
Je préviens un duel.
MADAME BELVAL.
Ah ! Vraiment ! Votre empire
440 | Est agité souvent de troubles qui font rire. |
DARICOUR.
Je n'en ris pas toujours.
MADAME BELVAL.
Par votre arrangement
Il faut à Cléofile un autre engagement.
DARICOUR.
C'est cela. J'ai recours à vos bontés pour elle.
Le directeur d'Angers... Vous savez... qui s'appelle...
445 | Un nom en gnic, en gnac... Je suis mal avec lui ; |
Mais on m'apprend qu'il est à Bordeaux aujourd'hui,
Et très probablement vous aurez sa visite.
Il a déjà promis d'engager la petite.
Recommandez-la lui.
MADAME BELVAL.
Vraiment ! De tout mon coeur.
450 | C'est une bonne enfant, bavarde, par malheur, |
Étourdie, et sujette à beaucoup de caprices.
Mais d'Angers son talent doit faire les délices.
Oui ; je la placerai.
DARICOUR.
Je vous suis obligé.
Tenez ; ce soir, malgré le spectacle changé,
455 | Je crois que nous pourrons avoir encor du monde ; |
Je m'en vais au théâtre, où je ferai ma ronde...
MADAME BELVAL.
Nos camarades sont tous partis à présent ;
J'irai bientôt...
DARICOUR.
Voici votre nouvel amant,
Monsieur de Gouvignac, qui vous cherche sans doute.
SCÈNE II.
Monsieur de Gouvignac, Madame Belval, Daricour.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, à part, en entrant.
460 | Ce maudit financier est toujours sur ma route, |
Tête à tête avec elle... Ah !...
DARICOUR.
Monsieur le major,
Enchanté dans ces lieux de vous trouver encor 1
J'allais sortir.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, saluant.
Monsieur !...
À Madame Belval.
Toute votre assemblée
S'est, après le dîner, promptement écoulée ;
465 | Pour Sainville, il avait un devoir à remplir. |
MADAME BELVAL.
J'espère que bientôt il pourra revenir,
Et je l'en ai prié.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Toujours bonne, obligeante !
Ce dîner m'a ravi ; réunion charmante !
Je n'avais qu'un regret ; c'était de n'y point voir
470 | Votre nièce avec vous. |
MADAME BELVAL.
Elle a voulu ce soir |
Aller passer le temps chez une bonne amie ;
Elle est timide, et craint nombreuse compagnie.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Vous aviez là des gens qui parlaient de bon sens,
D'autres remplis d'esprit, et fort divertissants.
475 | Ce sont là vos amis ?... Je vous en félicite. |
MADAME BELVAL.
Je les vois tous les jours.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ils ont bien du mérite ;
Et leur société me conviendrait très fort.
MADAME BELVAL.
Ils seraient bien flattés...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'ai vu cela d'abord.
Des femmes de bon ton, aussi sages que belles !
DARICOUR.
480 | Pour la fidélité ce sont des tourterelles ! |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Je n'en doute pas. Ce sont des connaisseurs,
Que ces messieurs !... Vraiment ! Ils jugent les auteurs !
DARICOUR.
Ils les savent par coeur.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ils ont de la lecture,
Et m'ont paru versés dans la littérature.
DARICOUR.
485 | Dans celle du théâtre. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ils en parlaient fort bien. |
MADAME BELVAL.
Je n'aimais pas pour vous ce sujet d'entretien.
Il pouvait vous déplaire, en rappelant vos peines
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Il m'a bien quelquefois fait penser aux fredaines
De monsieur mon neveu ; mais, d'un autre côté,
490 | Il me divertissait, et je l'ai fort goûté ; |
Car, avec de l'esprit, qui n'aime le théâtre ?
Savez-vous qu'autrefois j'en étais idolâtre ?
Dans ma jeunesse, à Lille, étant en garnison,
Je jouais le tragique en certaine maison ;
495 | Je disais, d'une voix noble et passionnée : |
Vertueuse Zaïre, avant que l'hyménée ;... [ 6 Zaïre est une pièce de Voltaire]
Et la Zaïre était la dame du logis,
Mes premières amours... J'en étais fort épris,
Comme on l'est à vingt ans... Elle était très jolie !
MADAME BELVAL.
500 | Ah ! Vous deviez aimer alors la comédie ! |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je l'aime bien encor ; j'en conviens avec vous ;
Cela n'empêche pas...
MADAME BELVAL.
Cher major, entre nous,
Puisque l'art théâtral a tant de quoi vous plaire,
Aux artistes comment êtes-vous si contraire ?
505 | Sur eux dans vos discours quand vous vous déchaînez.., |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! N'ai-je pas raison ?
MADAME BELVAL.
Je ne crois pas.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Tenez,
Je pense mal surtout, moi, des comédiennes,
Parce que... vous savez... que ce sont des sirènes...
Il faut s'en défier ; aussi n'est-ce pas moi
510 | Qu'elles pourront tromper ; et j'en donne ma foi. |
DARICOUR.
Ah ! Ne jurons de rien. Tel qui croit les connaître
Souvent en fut la dupe, ou bien est près de l'être.
Major, je vous salue.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Adieu, Monsieur, adieu.
SCÈNE III.
Monsieur de Gouvignac, Madame Belval.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Il me tardait beaucoup qu'il fût hors de ce lieu ;
515 | J'ai bien à vous parler ; je souffrais le martyre ; |
Devant tant de témoins je n'ai pu vous rien dire.
Il faut que je m'explique, et vous ouvre mon coeur.
Oui, de vous retrouver puisque j'ai le bonheur,
Je ne veux plus vous perdre ; enfin, aimable amie,
520 | Ce jour va décider du destin de ma vie ; |
Et c'est vous qui pourrez d'un seul mot le fixer.
MADAME BELVAL.
Quelle vivacité !... Je ne sais que penser...
À part.
Bon, je le vois venir.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Que de fois, à Grenoble,
J'admirai vos vertus, votre conduite noble !
525 | Quoique feu votre époux, ce brave de Courmon, |
Ne vous eût rien laissé qu'un honorable nom,
Vous aviez les respects, l'universel hommage...
MADAME BELVAL.
Vous êtes indulgent, et tenez un langage
D'ancien ami...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Pardon, si je vous contredis.
530 | À votre âge, on n'a pas encor d'anciens amis. |
Vous êtes jeune et belle.
MADAME BELVAL.
Ah ! Point de flatterie.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je ne vous flatte point. Laissez-moi, je vous prie,
Poursuivre mon discours. Je vous retrouve ici
Dans un état d'aisance ; au moins j'en juge ainsi
535 | Par ce train de maison et par votre dépense... |
MADAME BELVAL.
En effet, sans avoir ce qu'on nomme opulence,
Je ne suis point à plaindre, et je ne me plains point.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'en puis, de mon côté, dire autant sur ce point.
Je suis fort à mon aise, et ma fortune est claire ;
540 | Quarante mille francs de rente en fonds de terre : |
On vient me voir ; chez moi je tiens comme une cour.
Savez-vous ce qui manque en ce noble séjour ?
Une dame du lieu charmante, respectable?
Qui fasse les honneurs du château, de la table.
MADAME BELVAL.
545 | Vous les faites, sans doute. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ah ! C'est bien différent ! |
Quel attrait autour d'elle une femme répand !
Par sa seule présence elle anime, elle égaie,
Elle enchante un désert.
MADAME BELVAL.
La remarque est bien vraie.
Mais comment se fait-il, pensant de la façon,
550 | Qu'un homme tel que vous soit demeuré garçon ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! De me marier j'ai souvent eu l'envie ;
Souvent je m'ennuyais de mon genre de vie :
Mais j'étais retenu par la réflexion.
Les femmes, à présent, ont si peu de raison !
555 | J'ai trompé des maris ; j'ai craint qu'une coquette |
Ne me fit du passé trop bien payer la dette :
Vous seule avez fixé mes voeux irrésolus ;
Et, si vous consentez, je ne balance plus.
MADAME BELVAL.
Vous m'honorez beaucoup par tant de confiance ;
560 | Mais c'est aller bien vite, et votre impatience |
Me surprend à tel point...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je sais ce que je fais ;
Depuis assez longtemps, je crois, je vous connais.
Nos jeunes officiers, troupe leste et volage,
Échouaient près de vous, perdaient leur étalage ;
565 | Par votre air réservé vous les déconcertiez : |
Toute jeune et charmante enfin que vous étiez,
Jamais un seul soupçon, jamais la médisance
De s'exercer sur vous n'aurait pris la licence.
Si quelqu'un eût osé noircir votre vertu,
570 | Pour punir l'insolent je me serais battu ; |
Je me battrais encor.
MADAME BELVAL.
Je vous suis obligée ;
Mais de vous exposer je serais affligée.
Pour ma vertu, pour moi, ne vous battez jamais.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dès lors j'étais à vous, dès lors je vous aimais.
MADAME BELVAL.
575 | Est-ce bien sérieux ? Vous plaisantez peut-être ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Doutez-vous d'un amour dont je ne suis pas maître ?
Oui, d'un amour... Enfin voilà le mot lâché.
Jamais autant que vous femme ne m'a touché ;
Mon coeur garda toujours votre adorable image.
580 | Le ciel, de sa faveur pour me donner un gage, |
M'a ramené vers vous...
MADAME BELVAL.
Oh ! Ça, voyez un peu
Si vous êtes bien juste envers votre neveu ?
Devriez-vous pour lui vous montrer si sévère ?
Par vous-même jugez ce que l'amour fait faire,
585 | Et soyez indulgent. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Allez-vous maintenant |
Parler pour mon neveu ? Pour cet extravagant ?
Répondez-moi plutôt, et consentez de grâce...
MADAME BELVAL.
Mais il faudrait d'abord que je me consultasse...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Donnez-moi quelque espoir ; il me sera bien doux...
SCÈNE IV.
Monsieur de Couvignac, Madame Belval, Sainville.
SAINVILLE.
590 | Me voilà libre enfin ; je reviens près de vous. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ali ! C'est vous, mon neveu ? Nous parlions de vous-même.
MADAME BELVAL.
Oui ; je veux obtenir de votre oncle, s'il m'aime,
De vous laisser encore un peu de temps ici.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Mais...
MADAME BELVAL.
Je dois donner un concert ces jours-ci ;
595 | J'ai besoin pour cela des talents de Sainville. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Allons ! Vous le voulez ? S'il peut vous être utile,
Nous resterons tous deux.
SAINVILLE.
Ah ! Mon oncle est galant.
Le beau sexe eut toujours sur lui de l'ascendant.
Je n'aurais pas peut-être obtenu cette grâce.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
600 | Pour Madame il n'est rien qu'en effet je ne fasse. |
SCÈNE V.
Monsieur de Gouvignac, Madame Belval, Agathe, Sainville.
AGATHE, à Madame Belval.
Madame aura changé dé dessein, par hasard ?
Ellé dévait aller...
MADAME BELVAL.
Comment ?... Est-il si tard ?
AGATHE.
Huit heures vont sonner.
MADAME BELVAL.
Allons ; je sors bien vite.
Je reviendrai... Major, pardon si je vous quitte ;
605 | Et j'espère, en rentrant, vous retrouver ici. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dans l'intervalle, moi, je vais sortir aussi.
Je retourne chez moi ; j'ai des lettres à faire.
MADAME BELVAL.
Écrivez-les ici ; ce n'est pas une affaire.
Voilà ce qu'il vous faut.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mais je crains de gêner...
MADAME BELVAL.
610 | Non, non : attendez-moi. Faut-il vous l'ordonner ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Si vous me défendiez de sentir votre absence,
Je ne répondrais pas de mon obéissance.
Revenez donc bientôt.
MADAME BELVAL.
Dès que je le pourrai.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'attends votre réponse.
MADAME BELVAL.
Eh bien ! J'y penserai.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, en lui tendant la main.
615 | Aurai-je le bonheur qu'elle soit favorable ? |
Madame Belval sort avec Agathe.
SCÈNE VI.
Monsieur de Gouvignac, Sainville.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Voilà ce qui s'appelle une femme adorable !
SAINVILLE.
Je le sais bien, mon oncle, et conviens hautement
Qu'elle peut inspirer un tendre attachement.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Tant qu'il vous plaira faites semblant d'en rire.
À part.
620 | De mes projets d'hymen je ne veux lui rien dire. |
SAINVILLE.
Vous l'aimiez autrefois ! N'êtes-vous pas tenté
De rentrer dans ses fers ?... J'en serais enchanté.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dites-moi donc comment cela pourrait vous plaire.
SAINVILLE.
J'espérerais alors, s'il faut ne vous rien taire,
625 | Trouver en vous bien plus d'indulgence pour moi. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ah ! Vous l'espéreriez ? Je ne vois pas pourquoi.
Sainville, savez-vous ce que vous devez faire ?
À sa charmante nièce efforcez-vous de plaire.
SAINVILLE.
À sa nièce ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui, sans doute, à cette aimable enfant
630 | Dont l'air est si modeste et le ton si décent : |
Moi, j'aimerais beaucoup une nièce pareille...
SAINVILLE.
Vous me le conseillez ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui, je vous le conseille.
SAINVILLE.
Peut-être qu'avant peu vous changerez d'avis.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je n'en changerai point, c'est moi qui vous le dis.
SAINVILLE.
635 | Mon oncle, à vos bontés je dois tout dès l'enfance ; |
Mon coeur vous a voué respect et déférence...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! N'en parle pas tant ; songe à me les prouver ;
Songe à former des noeuds que je puisse approuver.
Comment peux-tu, bravant ma colère et le blâme,
640 | Dans cet état exprès oser choisir ta femme ? |
SAINVILLE.
Ce n'est point son état, on vous l'a déjà dit.
Mais cet état, enfin, on l'aime, on l'applaudit ;
Y réussir n'est pas une petite chose :
Que d'efforts il exige ! Et combien il suppose
645 | De dons de la nature et de talents acquis ! |
Avec force, avec grâce, avec un goût exquis,
De nos auteurs fameux embellir les ouvrages,
D'un public éclairé mériter les suffrages,
Se transformer sans cesse, et montrer tour-à-tour
650 | L'ambition, la haine, et la joie, et l'amour, |
Le crime et ses remords, l'innocence et ses charmes,
À son gré faire naître ou le rire ou les larmes,
Et, mêlant la leçon au divertissement,
Procurer un utile et noble amusement,
655 | Malgré des préjugés injustes et bizarres, |
Beaucoup d'estime est due à des talents si rares :
Racine, Despréaux, vivaient avec Baron ;
Et Roscius était l'ami de Cicéron,
D'un orateur illustre et d'un consul de Rome.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
660 | Cicéron !... Cicéron n'était pas gentilhomme. |
SAINVILLE.
Vous m'y faites penser : non, il ne l'était point ;
Mais c'était un grand homme, accordez-moi ce point.
Il commença son nom ; il fut son propre ouvrage,
Et, sans doute, on l'en doit admirer davantage.
665 | Il naquit plébéien ; mais au rang le plus haut, |
Par son talent divin, il s'éleva bientôt ;
Et ce noble nouveau, sauvant Rome trahie,
Le premier fut nommé père de la patrie.
Pour moi, que suis-je enfin ? Un guerrier, un soldat,
670 | Dont le bras, dont la vie appartient à l'État ; |
Mais mon coeur est à moi ; souffrez que j'en dispose ;
Faut-il qu'à mon bonheur mon cher oncle s'oppose ?
De grâce...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Épargne-moi des discours superflus.
SAINVILLE.
Si vous me permettiez...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je ne t'écoute plus :
675 | Ton fol aveuglement et m'indigne et m'afflige. |
Laisse-moi seul.
SAINVILLE.
De grâce...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Laisse-moi, te dis-je.
Madame de Courmon doit bientôt revenir ;
Je veux l'attendre ici. J'ai de quoi réfléchir
Sur un grave sujet dont il est inutile
680 | De t'informer encor. |
SAINVILLE.
Sans être fort habile, |
Je crois le deviner, et j'ose même y voir
De quoi me confirmer dans mon plus cher espoir.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Ne te flatte pas que jamais je consente...
SAINVILLE.
Madame de Courmon sera bien plus puissante.
685 | Je vois qu'auprès de vous mes efforts seraient vains, |
Et je laisse ma cause en de meilleures mains.
Il sort.
SCÈNE VII.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, seul.
Que peut-il espérer ? Et qu'est-ce qu'il veut dire ?
Madame de Courmon a sur moi grand empire,
Mais non pas jusqu'au point de m'aveugler si fort !...
690 | Mais que dis-je ?... Avec moi je la verrai d'accord ; |
Dans tout ce qui convient elle est trop bien instruite ;
C'est la raison, l'honneur, qui règle sa conduite...
SCÈNE VIII.
Monsieur de Gouvignac, Cléofile.
CLÉOFILE.
Bonjour, Monsieur. Voyez ; c'est un bonheur pour moi
De vous trouver ici.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Comment cela ? Pourquoi ?
CLÉOFILE.
695 | Pour Madame Belval, je sais qu'elle est sortie. |
Comme il est à-peu-près huit heures et demie,
J'aurais dû m'en douter : mais on m'a dit là-bas
Que vous étiez ici.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je ne vous connais pas.
Que voulez-vous de moi, ma belle demoiselle ?
CLÉOFILE.
700 | Moi, je vous connais bien : c'est monsieur qui s'appelle |
Bourdignac... Baudignac...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Non ; Gouvignac.
CLÉOFILE.
Ah ! oui.
C'est monsieur ; et je viens pour causer avec lui.
Vous connaissez mon nom d'abord ; c'est Cléofile.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
À la bonne heure. En quoi puis-je vous être utile ?
CLÉOFILE.
705 | Actrice au grand théâtre, à Bordeaux ; et je viens |
Pour vous faire, Monsieur, juger de mes moyens.
Ici, j'étais en chef pour les jeunes princesses,
Les ingénuités ; il n'est guère de pièces
Où je ne sache un rôle ; enfin je tiens l'emploi ;
710 | De ne point vanter je me fais une loi : |
Mais j'ai tout ce qu'il faut pour réussir de reste ;
Un organe touchant, la diction, le geste,
Une âme !... Trop sensible !... Enfin, sans me flatter,
Je sais bien qu'à Bordeaux on va me regretter :
715 | J'avais de l'agrément ; j'étais bien accueillie ; |
Mais mon talent, Monsieur, m'a fait une ennemie.
Vous la connaissez bien.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Moi ?
CLÉOFILE.
C'est cette Lisbeth,
Cabaleuse, et si sotte !... Une voix de fausset !...
Enfin je ne peux plus me trouver avec elle :
720 | Vous devez le savoir ; car de notre querelle |
On a plus de vingt fois parlé très longuement
Au journal de la ville et du département.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Qu'ai-je affaire, moi, de tout ce bavardage ?
CLÉOFILE.
Mais c'est pour m'engager.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Moi ? Que je vous engage ?
CLÉOFILE.
725 | D'abord il faut m'entendre ; et, si cela vous plaît, |
Je m'en vais devant vous dire quelque couplet.
Par où commencerai-je ?.. Hein ?.. tragique, ou comique ?
Choisissez ; vous pourrez me donner la réplique.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
La réplique ! Oui ; je suis à cela bien instruit.
730 | Allons, la comédie, à présent, me poursuit, |
Pour me faire enrager.
CLÉOFILE.
Voudriez-vous Junie,
Atalide, Aricie, ou bien Iphigénie ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! non, non ; mon Dieu ! non. Je ne veux rien du tout.
CLÉOFILE.
Pardonnez-moi : je dois consulter votre goût.
735 | Prenons, en comédie, Agnès, ou la pupille, |
Marianne, Henriette, Isabelle, Lucile.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mais à qui croyez-vous parler ? Car je suis las,
À la fin...
CLÉOFILE.
Comment donc ?... À qui ?... N'êtes-vous pas
Le directeur d'Angers ?... Un honnête et brave homme !..
740 | N'est-ce pas Baudignac... Gouvignac qu'on vous nomme ? |
Et ne venez-vous pas, en secret, à Bordeaux
À dessein d'engager quelques sujets nouveaux ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Non, non.
CLÉOFILE.
Vous chantez très bien la basse-taille ? [ 7 Basse-taille : Voix d'homme immédiatement au-dessus de la basse, et dite aujourd'hui soit baryton, soit première basse. [L]]
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
La basse-taille !... Allons... je crois qu'elle me raille.
CLÉOFILE.
745 | Les pères nobles sont votre emploi, m'a-t-on dit ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Débrouillons une fois ce quiproquo maudit :
Je suis, pour parler net et sans plaisanterie,
Bon gentilhomme, ancien major d'infanterie,
Monsieur de Gouvignac, et non pas directeur,
750 | Ni basse-taille... Eh ! mais, ai-je l'air d'un chanteur ? |
CLÉOFILE.
On peut bien se tromper, sans vous faire une offense.
Je croyais... on m'a dit... Du moins, par complaisance,
À Madame Belval, dont vous êtes l'ami,
Monsieur, parlez pour moi.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Parler pour vous !... À qui ?
CLÉOFILE.
755 | À Belval. De Bordeaux c'est la première actrice, |
Et qui veut bien, Monsieur, être ma protectrice ;
Car je suis son élève, et j'ai pris ses leçons ;
Et, vous trouvant chez elle...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Parbleu ! Finissons.
La dame du logis est une femme aimable.
CLÉOFILE.
760 | Très aimable !... un talent !... |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Et sage, et respectable. |
Elle n'est point actrice.
CLÉOFILE.
Eh ! Mais, pardonnez-moi.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Où prenez-vous cela ?
CLÉOFILE.
Je le sais bien, je crois.
Belval...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Ce n'est point Belval qu'elle se nomme ;
C'est Madame Courmon, veuve d'un gentilhomme,
765 | D'un très bon officier... |
CLÉOFILE.
Eh ! Oui, nous y voilà ; |
Courmon ! Elle portait autrefois ce nom-là.
Je sais bien qu'elle était veuve d'un militaire ;
Mais vous savez aussi ce qu'on fait d'ordinaire,
Quand on prend le théâtre : on quitte son vrai nom,
770 | Et l'on s'en donne un autre alors de sa façon. |
Je m'appelle Angélique, et non pas Cléofile ;
Et ma mère, Gambard ; c'est son nom, par la ville.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Parbleu ! Mademoiselle Angélique Gambard,
Je suis fort redevable au bienheureux hasard
775 | Qui me donne l'honneur de votre connaissance... |
CLÉOFILE.
Pour Madame Belval, elle a de la naissance,
De l'éducation, l'air du monde, en un mot,
Un ton que je copie, et que j'aurai bientôt ;
Tout le monde le dit.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Elle !... Comédienne !
780 | Madame de Courmon !... En êtes-vous certaine ? |
CLÉOFILE.
Certaine !... On n'en peut pas douter, assurément.
Tous les jours elle joue, et même en ce moment.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
En ce moment !
CLÉOFILE.
Eh ! Oui, ce soir, dans la Gageure,
C'est son triomphe !... Elle est si parfaite ! Si pure !
785 | Un diamant !... Eh ! Mais, je fais réflexion... |
Je crains d'avoir commis une indiscrétion.
Quoi !... Vous ne saviez pas... ? Oui, j'aurais dû me taire ;
Peut-être que Monsieur est son oncle, ou son père.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! non ; ni l'un ni l'autre.
CLÉOFILE.
Ah !... d'un si beau talent
790 | On pourrait, en tout cas, vous faire compliment. |
Vous avez l'air fâché ?... Mais quelle étourderie
J'ai faite là !... Monsieur, n'allez pas, je vous prie,
Dire que c'est par moi que vous avez appris...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je n'en puis revenir, et je suis si surpris !...
CLÉOFILE.
795 | Mon Dieu !... je vous ai fait peut-être de la peine ! |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oh ! Oui, beaucoup.
CLÉOFILE.
Peut-être aussi que je vous gêne ?...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Cela se pourrait bien.
CLÉOFILE.
Je vais donc m'en aller.
À madame Belval vous voudrez bien parler ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui, je lui parlerai ; je vais ici l'attendre.
CLÉOFILE.
800 | Ah ! Que j'aurai, Monsieur, de grâces à vous rendre ! |
Lorsque vous passerez par Angers, quelque jour,
J'espère avoir l'honneur de vous y voir. Bonjour ;
Je vous salue.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Adieu.
Cléofile sort.
SCÈNE IX.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, seul.
La cruelle aventure !
Moi, la revoir après une pareille injure !
805 | Non, ne l'attendons pas... Il faudrait éclater ! |
Car le fait est certain, et je n'en puis douter....
Mon neveu... Le sait-il ?... Eh ! Oui... Je me rappelle
Certains mots qu'il a dits, lorsque nous parlions d'elle....
Mais voici la suivante.
SCÈNE X.
Monsieur de Gouvignac, Agathe, portant un panier à robes, ou un carton, qu'elle pose sur un meuble.
AGATHE.
Ah ! Monsur, dans l'instant
810 | Madame va rentrer ; jé marche un peu dévant. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qu'elle vienne, ou s'en aille, il ne m'importe guère ;
Je ne veux plus la voir.
AGATHE.
Êtes-vous en colère ?
Qu'avez-vous ? Quant à moi, jé né puis deviner.
Vous étiéz satisfait en sortant du dîner !...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
815 | Eh ! Je ne m'en plains pas, non plus que des convives. |
Leurs manières étaient des plus récréatives.
À propos, qui sont-ils ? Ne les connais-tu pas ?
AGATHE.
Eh ! mais, monsur, cé sont des gens dé tous états,
Qué vous dirai-jé, moi ? Cé sont des militaires,
820 | Négociants, marins, financiers, gens d'affaires, |
Tous fort honnêtés gens.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je t'entends. Va, conviens.
Tout naturellement qu'ils sont comédiens.
AGATHE.
Comédiens ?... Eh ! quoi ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Voyez la perfidie !
On s'est, à mes dépens, donné la comédie !
825 | Mais, morbleu !.. Qu'en dis-tu ? Sais-je a quoi m'en tenir ? |
Adieu. Je sors d'ici pour n'y plus revenir.
Il va pour sortir.
AGATHE.
Quellé vivacité !
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, revenant sur ses pas.
Dis bien à ta maîtresse
Que la pièce est finie, et que l'intrigue cesse.
Elle a fort bien joué ; j'en conviens avec toi.
830 | Mais, pour le dénouement, qu'on se passe de moi. |
Il sort.
SCÈNE XI.
AGATHE, seule.
Il s'en va !... Je lé vois... la mine est éventée !...
Il mé laissé, vraiment !... toute déconcertée !...
Madamé va rentrer. Quoiqu'on ait dé l'esprit,
Comment la saluer dé cé fâcheux récit ?
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE.
Madame Belval, Sainville.
SAINVILLE.
835 | Voilà tout le succès de ce bel artifice ! |
Mon oncle a découvert que vous êtes actrice ;
Il veut partir.
MADAME BELVAL.
Eh bien ! Laissez-le s'en aller.
SAINVILLE.
Je suis au désespoir.
MADAME BELVAL.
Pourquoi vous désoler ?
SAINVILLE.
C'est qu'il ne prétend pas faire seul le voyage ;
840 | À minuit j'ai reçu de sa part un message |
Qui m'annonce qu'il compte être en route aujourd'hui,
Et m'enjoint d'être prêt à partir avec lui.
Ainsi jugez...
MADAME BELVAL.
J'entends. Cet ordre vous afflige
Ne craignez rien.
SAINVILLE.
Comment ?
MADAME BELVAL.
Ne craignez rien, vous dis-je.
845 | Il ne partira pas, et je vous en réponds. |
SAINVILLE.
Sur quoi le jugez-vous ?
MADAME BELVAL.
Sur de bonnes raisons.
Pensez-vous,s'il vous plaît, quand on est dans ma chaîne,
Qu'on puisse la briser avec si peu de peine ?
Vous vous trompez beaucoup, et, sans trop me flatter,
850 | Il faut quelques efforts, mon cher, pour me quitter. |
Mais que veut Daricour ?
SCÈNE II.
Daricour, Madame Belval, Sainville.
DARICOUR.
Eh ! Que viens-je d'apprendre ?
Le piège où le major s'est d'abord laissé prendre,
Il l'a donc reconnu ?... Le fâcheux incident !
MADAME BELVAL.
Oui ; votre Cléofile a jasé sottement.
855 | L'oncle, dans son courroux, veut quitter notre ville, |
Et même, en s'en allant, nous enlève Sainville.
DARICOUR, à Sainville.
Dites-lui que tout seul il se mette en chemin ;
Et, s'il part aujourd'hui, mariez-vous demain ;
À ces oncles fâcheux il faut apprendre à vivre :
860 | C'est mon avis, à moi. |
SAINVILLE.
Que ne puis-je le suivre ! |
J'avais voulu d'abord, et vous le savez bien,
Former, sans son aveu, ce cher et doux lien ;
Henriette et sa mère ont résisté sans cesse ;
Je leur ai mille fois offert une promesse ;
865 | La voici bien signée ; et voulez-vous encor. |
Aller la leur offrir ?
DARICOUR.
Oh ! Non pas ; j'aurais tort,
Et j'échouerais. La mère a l'esprit ferme et sage.
Ce papier-là ne peut être d'aucun usage.
SAINVILLE.
C'est mon oncle d'abord qu'il faut persuader.
DARICOUR.
870 | Soit. Mais, comme jamais il ne voudra céder... |
SAINVILLE.
Vous me désespérez ; ce papier inutile
N'est bon qu'à déchirer...
Il va pour le déchirer.
MADAME BELVAL, le lui prenant des mains.
Que faites-vous, Sainville ?
Voyons. Cette promesse, il faut me la donner.
SAINVILLE.
Ah ! Mon oncle jamais ne voudra la signer.
MADAME BELVAL.
875 | C'est ce que nous verrons ; et, pourvu qu'il revienne. |
Je suis femme d'abord, et puis comédienne
Il m'aime ; je suis loin d'en vouloir abuser ;
Pour de bonnes raisons je ne puis l'épouser ;
Il ne les connaît pas.
SAINVILLE.
Il est vrai ; pas encore.
880 | Mais il peut découvrir bientôt ce qu'il ignore. |
MADAME BELVAL.
Je me hâterai donc de travailler pour vous.
SAINVILLE.
Comment le ramener, et vaincre son courroux.
MADAME BELVAL.
Il aime le théâtre ? Eh bien ! J'ai quelque envie
De lui faire avec moi jouer la comédie,
885 | Sans qu'il s'en doute encor ; j'aurai bien le talent |
D'arranger une scène...
SCÈNE III.
Daricour, Madame Belval, Agathe, Sainville.
AGATHE, accourant.
Ah ! Madame, à l'instant
Monsur dé Gouvignac arrivé. Qué lui dire ?
SAINVILLE.
Mon oncle ?
AGATHE.
Eh ! Oui, monsur.
DARICOUR, à Madame Belval.
Cela vous fait sourire l
MADAME BELVAL, à Sainville.
Je vous avais bien dit qu'il ne partirait pas.
AGATHE.
890 | Antoiné lé rétient quelqués instants là-bas ; |
Mais il né peut tarder.
SAINVILLE.
Eh bien ! u'allez-vous faire ?
MADAME BELVAL.
Il faut nous concerter d'abord sur cette affaire ;
Convenir de nos faits, de crainte d'accidents ;
Allons apprendre un peu nos rôles là-dedans.
895 | Agathe, restez là. |
AGATHE.
Moi ?... Mais, qué lui dirai-je ? |
MADAME BELVAL.
Tout ce que vous voudrez.
AGATHE.
Encor ?..
MADAME BELVAL.
Dites... que sais-je ?
Que Madame est dehors, qu'elle vient de sortir,
Mais qu'elle va rentrer... Sachez un peu mentir.
AGATHE.
Ah ! Madame sait bien commé jé mens pour elle,
900 | Quand il en fait bésoin. |
DARICOUR.
Cette fille a du zèle. |
MADAME BELVAL, à Daricour.
Mauvais plaisant !.. venez.
Ils entrent dans l'appartement de Madame Belval
SCÈNE IV.
AGATHE, seule.
Cé monsùr lé major,
Chez nous, dités-moi donc, qué vient-il faire encor ?
Il était en courroux hier contré Madame !
Sé peut-il que déjà pour elle il sé renflamme ?
905 | C'est l'effet du théâtre ; oui, dès qu'elle y paraît, |
Uné femme en réçoit un mérite, un attrait !..
Oh ! Quand débutérai-je ?.. Enfin j'en vois plus d'une,
Qué jé vaux bien, jé pense, et qui fait sa fortune...
Jé veux fairé la mienne... Eh ! donc ?.. mais lé voici.
910 | Sachons cé qu'il nous veut. |
SCÈNE V.
Monsieur de Gouvignac, Agathe.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, à part, sans voir Agathe.
Je prends le bon parti. |
Se fâcher est folie. Eh bien ! Elle est actrice ;
Loin de m'en plaindre, il faut que je m'en applaudisse ;
Cela va m'être utile ;... ou pourra s'arranger...
Il est un décorum qu'il faudra ménager...
AGATHE, à part.
915 | Qué dit-il là tout seul ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, à part.
Ah ! Voici la suivante. |
AGATHE, de même.
Je pensé qu'il mé voit.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, de même.
Gagnons la confidente.
Elle peut me servir.
AGATHE, toujours à part.
Approchons dé plus près,
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, toujours de même.
Il la faut, en payant, mettre en mes intérêts.
Haut.
Votre belle maîtresse...
AGATHE.
Elle n'est pas chez elle.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
920 | Ah ! Que m'apprenez-vous ? La fâcheuse nouvelle !.. |
Mais si je puis causer avec vous un moment,
Je l'attendrai, je crois, fort agréablement.
AGATHE.
Monsur est bien galant.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Vous êtes fort jolie.
AGATHE.
Monsur, on mé l'a dit quelquéfois dans ma vie.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
925 | Vous connaîtriez-vous, par hasard, en bijoux ? |
AGATHE.
Moi ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Cette bague-ci, comment la trouvez-vous ?
AGATHE.
Oh ! Comme céla brille !
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh bien ?
AGATHE.
Elle est fort belle.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Gardez-la.
AGATHE.
Vous voulez ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
C'est une bagatelle.
Point de remerciement.
AGATHE, à part.
Céla commencé bien.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
930 | Hier, j'étais fâché ; ce matin, je revien... |
AGATHE, à part.
Peut-être il veut m'aimer, qué sait-on ? Par vengeance.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'attends beaucoup de vous, de votre intelligence...
AGATHE.
Ah ! Monsur,... vous avez dé si noblés façons !..
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dites, puis-je espérer ?..
AGATHE.
Qué vous plaît-il ?... Voyons.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
935 | Eh bien ! ma chère enfant, il faut, avec adresse, |
Parler en ma faveur à ta belle maîtresse.
AGATHE, à part.
Hé donc ! Jé mé trompais.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je crois que, sur ses pas,
Des courtisans nombreux ?...
AGATHE.
Hé, nous n'en manquons pas.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Parlons à coeur ouvert. Dans le nombre, ma chère,
940 | N'est-il pas un heureux qu'en secret on préfère ? |
Par exemple... Mircour ?
AGATHE.
Qui ? Lé financier ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui.
Qu'en dis-tu ?..
AGATHE.
Né prénez aucun soupçon dé lui ;
Jé réponds...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'ai cru voir...
AGATHE.
C'est qu'ils ont voulu rire,
Madamé vient...
À part.
Tant mieux ; car j'allais en trop dire,
SCÈNE VI.
Monsieur de Gouvignac, Madame Belval, comme revenant du dehors, entre sans faire semblant d'abord de voir Monsieur de Gouvignac.
MADAME BELVAL.
945 | Agathe, je reviens... |
Jouant la surprise.
Ah ! Major, vous ici ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Madame, vous voyez...
MADAME BELVAL.
Quoi !... Me surprendre ainsi !...
Je rentre, et je vous trouve... Ah ! je suis tout émue l
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qu'avez-vous ?.. Est-ce moi ?
MADAME BELVAL.
Sans être prévenue...
Quand je n'espérais plus de jamais vous revoir...
950 | C'est un saisissement !... J'ai besoin de m'asseoir. |
Vous permettez ?.. Agathe... un siège.
AGATHE, à part.
L'entend-elle ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, donnant promptement un siège.
Je vais en donner un. Laissez, mademoiselle.
MADAME BELVAL, assise.
C'est bien aimable à vous d'être ainsi revenu'
Je vous reconnais là.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Comment !.. Aviez-vous cru ?..
MADAME BELVAL.
955 | Vous aviez, m'a-t-on dit, montré tant de colère ! |
Vous m'avez fait bien mal !..
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Si j'ai pu vous déplaire,
Pardon. J'aurais besoin de causer avec vous.
MADAME BELVAL.
Soit. Donnez à Monsieur un siège, et laissez-nous.
AGATHE donne un siège au major, et dit, à part, en s'en allant :
Voilà cé qui s'appelle un talent véritable !
960 | Jé laissé lé major dans un péril notable. |
SCÈNE VII.
Monsieur de Gouvignac, Madame Belval.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Êtes-vous un peu mieux ?
MADAME BELVAL.
Oui ; ce ne sera rien.
Asseyez-vous.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, assis, et à part.
Par où commencer l'entretien ?
MADAME BELVAL.
Vous allez donc partir ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Voulez-vous que je reste ?
Cela dépend de vous.
MADAME BELVAL.
Comment ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je vous proteste
965 | Que vous pouvez, ma Reine, ici me retenir ; |
L'amour chez la beauté se fixe avec plaisir.
Je formais, à l'instant, un plan sage, très sage,
Qui m'offrait du bonheur la séduisante image.
MADAME BELVAL.
Quel est-il ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je voudrais vous le faire adopter ;
970 | Ce serait d'être unis, de ne nous plus quitter. |
MADAME BELVAL.
À de pareils discours comment croirais-je encore ?
Vous ne pouvez m'aimer.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qui ? Moi ? Je vous adore,
MADAME BELVAL.
Depuis que vous savez quel état est le mien..,
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qu'importe ? à mon projet cela ne gâte rien.
975 | Heureux de posséder une charmante amie, |
Par mille attentions j'embellirais sa vie ;
Je voudrais prévenir le moindre de ses voeux..,
MADAME BELVAL.
Plait-il ?...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Tout deviendrait commun entre nous deux ;
Entre amis, entre amants, sans scrupule on partage ;
980 | Quand le coeur s'est donné. |
MADAME BELVAL.
Quel est donc ce langage ? |
À qui s'adresse-t-il ?... Est-ce à moi, s'il vous plaît ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, un peu déconcerté.
Madame !...
MADAME BELVAL.
Vous rêvez, à ce qu'il me paraît ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Quel ton ?
À part.
Ce n'est pas là comme il fallait s'y prendre ?
MADAME BELVAL, se levant.
Je vous estime assez pour ne vous pas comprendre.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, se levant aussi, et à part.
985 | Elle refuse !... Allons ! c'est tout de bon, ma foi ! |
MADAME BELVAL, à part.
Ah ! Monsieur le Major, vous pensez mal de moi ?
Je ne l'aurais pas cru.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Que dites-vous, ma chère ?
Vous aurais-je fâchée ? Est-ce de la colère ?
MADAME BELVAL.
Oh ! Non ; je n'en ai point.
À part.
Mais je me vengerai,
990 | Et vous ferez, major, tout ce que je voudrai. |
Haut.
Vous me méconnaissez ; votre erreur est extrême ;
On peut changer d'état ; le coeur reste le même.
Auriez-vous autrefois si mal jugé le mien ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
De madame Belval je pense encor très bien ;
995 | Daignez croire... |
MADAME BELVAL.
Écoutez, et rendez-moi justice. |
Je suis franche, sincère, exempte d'artifice.
Mon état actuel ne m'avait fait jamais
Jusqu'à ce moment-ci connaître les regrets ;
J'ouvre les yeux ; j'y vois un malheur véritable ;
1000 | J'avais cru retrouver un ami... bien aimable... |
Un ami que jamais je n'avais oublié ;
J'ai retrouvé l'ami, mais non pas l'amitié.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Lais, pardonnez-moi ; ne doutez pas, Madame...
MADAME BELVAL.
Je veux que vous lisiez jusqu'au fond de mon âme ;
1005 | Vos projets de départ m'ont causé du chagrin ; |
J'en ai versé des pleurs, cette nuit, ce matin ;
J'avais tort ; cette fuite, à mes voeux si contraire,
Devient à mon repos désormais nécessaire ;
Oui, partez, puisqu'ainsi vous l'avez résolu ;
1010 | C'est un malheur pour moi de vous avoir revu, |
Lorsqu'à fixer vos voeux je ne dois plus prétendre ;
Vous m'oublierez bientôt, et je m'y dois attendre ;
Mais rien n'affaiblira pour vous... mon sentiment.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, à part.
Oh ! Cette femme-là m'aime réellement.
Haut.
1015 | Cette aimable franchise ajoute à tous vos charmes... |
MADAME BELVAL, à part.
Je crois qu'il s'attendrit ; c'est le moment des larmes.
Haut.
Mon état vous révolte, et vous est odieux,
Et l'avoir pris me rend bien coupable à vos yeux ;
J'eus pour m'y décider un motif respectable,
1020 | J'ose le dire... Hélas ! Ici-bas rien n'est stable ; |
Nous sommes, malgré nous, malgré nos sentiments,
Jouets de la fortune et des événements.
Ah ! J'ai beaucoup souffert ; ce souvenir pénible
M'arrache encor des pleurs...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ô ciel ! Est-il possible ?...
1025 | Vous pleurez ?... Que n'étais-je alors auprès de vous !... |
Que n'ai-je pu du sort vous épargner les coups !...
MADAME BELVAL.
Vous, major, qui venez, par une épreuve dure,
De me blesser dans rame et de me faire injure ?
Vous ne me voyez plus du même oeil qu'autrefois ;
1030 | À votre estime, au moins, j'aurai toujours des droits... |
Partez... soyez heureux... vous m'avez mal jugée.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ah ! Par mon repentir vous êtes trop vengée ;
C'est l'erreur d'un moment ; je veux la réparer ;
Par de tendres respects je veux vous honorer,
1035 | Rendre dignes de vous mes voeux et mon hommage ; |
Souffrez qu'à vos. genoux...
MADAME BELVAL.
Voilà votre langage !
Oui, vous voilà, major, et je vous reconnais.
Levez-vous.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Dites-moi d'abord que pour jamais
Vous oubliez mes torts, vous m'accordez ma grâce.
MADAME BELVAL.
1040 | Des torts ?... n'en parlons plus ; ce retour les efface. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je reconnais aussi Madame de Courmon,...
Mon amie...
MADAME BELVAL.
Ah ! Laissez ; ce n'est plus là mon nom.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Quoi ?...
MADAME BELVAL.
Je suis Belval, je suis comédienne ;
Je vous le dis encor ; que rien ne vous retienne ;
1045 | Adieu. Séparons-nous. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Cela ne se peut plus. |
Vous quitter ? J'y ferais des efforts superflus.
Je reste auprès de vous ; j'y veux passer ma vie.
MADAME BELVAL.
Non ; pour y consentir je suis trop votre amie.
Ce conseil à donner me coûte, croyez-moi.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
1050 | Quelle sagesse en vous !... Et quelle bonne foi ! |
J'admire en vos discours le plus beau caractère,
La raison, la vertu ; je vous aime et révère ;
Je vous ai dit, hier, quel était mon dessein ;
J'y tiens plus que jamais.
MADAME BELVAL.
Vous ! M'offrir votre main,
1055 | Major ? Pour mon état je connais votre haine... |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Mais !... En m'épousant vous quitteriez la scène !...
Vous trouveriez, je pense, un dédommagement !...
MADAME BELVAL.
Moi, quitter mon état... et perdre mon talent ?
Quelque sort qu'on m'offrît, j'en serais bien fâchée ;
1060 | Par goût et par honneur j'y suis trop attachée ; |
À force de travaux quand on s'est fait un nom...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Nous pourrions alors nous y prendre d'autre façon.
Ce nom que vos talents, votre conduite honore,
Vous le conserveriez pour l'illustrer encore :
1065 | Soyons ensemble unis par un hymen secret, |
Et gardez votre état.
MADAME BELVAL.
Dans ce nouveau projet
J'entrevois des motifs que vous savez me taire.
Croyez-vous que je puisse approuver ce mystère ?
Accepter un époux qui rougirait de moi,
1070 | Qui craindrait, en public, de m'engager sa foi ?... |
Tenez, il faut vous dire, en grande confidence,
Un fait des plus secrets... Je sais votre prudence.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qu'est-ce donc ?
MADAME BELVAL.
L'an dernier, quelqu'un s'est propose
Pour être mon époux ; c'était un homme aisé,
1075 | Ayant un nom, un rang : il insistait, de même, |
Pour me faire quitter le théâtre que j'aime...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Lui... Vous plaisait-il ?
MADAME BELVAL.
J'en faisais un grand cas,,
Mais je vous dirai vrai ; non, je ne l'aimais pas.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC, tendrement.
M'aimez-vous ?
MADAME BELVAL, avec un soupir.
Ah ! Laissez ; j'en ai trop dit peut-être,
1080 | Ce que je sens pour vous je l'ai trop fait connaître ; |
Mais n'en abusez pas.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je suis donc décidé.
Par la raison autant que par l'amour guidé...
MADAME BELVAL.
Mon cher major, malgré ce feu qui vous égare,
Un obstacle trop fort, vous et moi, nous sépare...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
1085 | Non ; puisque vous m'aimez, plus d'obstacle entre nous : |
Faut-il encor, faut-il vous prier à genoux ?
Tout ce que vous voudrez je consens à le faire ;
Je sens qu'à mon bonheur vous êtes nécessaire :
De mes vains préjugés l'amour m'a bien guéri ;
1090 | Je les abjure tous. |
MADAME BELVAL.
Eh bien ! S'il est ainsi, |
D'un si grand changement donnez-moi donc la preuve.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! comment ?...
MADAME BELVAL.
Je vous offre une facile épreuve.
Ne vous opposez plus à l'hymen recherché
Par votre cher neveu : vous l'avez empêché ;
1095 | Vous avez repoussé loin de votre famille |
Une personne honnête, une charmante fille.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Pardon ; devriez-vous me parler de cela ?
Je viens pour prévenir ce mariage-là :
J'ai, par ce motif seul, entrepris mon voyage ;
1100 | J'ai dit partout combien Sainville était peu sage... |
SCÈNE VIII.
Les mêmes, Sainville.
SAINVILLE.
Mon oncle, je me rends à vos ordres exprès.
Mais quoi ! Pour le départ je n'ai, noient vu d'apprêts ;
Je viens de votre hôtel, où vos gens m'ont dû dire
Que vous étiez sorti, mais sans leur rien prescrire ;
1105 | Auriez-vous donc changé vos dispositions ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Non pas à ton égard ; car mes intentions
Sont toujours qu'au plus tôt tu quittes cette ville,
SAINVILLE.
Eh bien ! Mon oncle, soit. Je veux être docile.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Est-il vrai ?
SAINVILLE.
Sûrement ; je dois vous obéir.
1110 | D'un séjour dangereux je brûle de partir. |
La raison sur mon âme a repris son empire.
À part.
Mon rôle est convenu ; je sais ce qu'il faut dire.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Tu prends le bon parti ; c'est très bien, mon neveu ;
Je t'en fais compliment.
SAINVILLE.
Eh bien ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh bien ! Adieu.
1115 | Bon voyage. Veux-tu m'embrasser ? |
SAINVILLE.
Il me semble |
Que votre ordre, mon oncle, est de partir ensemble.
Ne m'avez-vous pas fait, cette nuit, prévenir ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui ; mais je ne pars plus.
SAINVILLE.
Qui peut vous retenir ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Madame pourrait bien t'en dire quelque chose.
MADAME BELVAL.
1120 | Moi ? Comment ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Si je reste, elle seule en est cause. |
SAINVILLE.
Quoi ! Mon oncle, serait-ce... ? Ah ! Je l'avais prévu.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Enfin à l'épouser tu me vois résolu.
SAINVILLE.
À l'épouser ? Eh ! Mais cela ne peut pas être.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Tu te moques de moi... Ne suis-je pas le maître ?
MADAME BELVAL.
1125 | Pour vous en empêcher, il suffit bien, je crois, |
De mon état...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Eh ! Non...
SAINVILLE, prenant à part Monsieur de Gouvignac, et lui parlant bas :
Mon oncle, écoutez-moi ;
Vous faites cent fois pis que je ne voulais faire.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Si je fais pis ou mieux, ce n'est pas ton affaire.
SAINVILLE.
Je veux vous emmener.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je ne partirai pas.
MADAME BELVAL.
1130 | Qu'avez-vous donc, Messieurs ? Vous querellez tout bas ? |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
C'est qu'il perd la raison ; croiriez-vous qu'il me donne
Des conseils contre vous ?
MADAME BELVAL.
Oh ! Je le lui pardonne.
Vous comptez m'épouser ; votre neveu peut bien
Blâmer votre projet, quand il renonce au sien.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
1135 | Oh ! Ma position n'est point du tout la sienne. |
SAINVILLE.
Vous m'avez fait sentir les dangers de la mienne.
Henriette est pourtant charmante, sans détour ;
Vous-même la jugiez digne de mon amour.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Je ne la connais pas.
SAINVILLE.
Pardon, vous l'avez vue.
1140 | Cette jeune beauté, douce, aimable, ingénue, |
Que vous vîtes hier, qui vous parut si bien,
Dont vous fîtes l'éloge...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Ah ! Oui, je m'en souviens.
MADAME BELVAL.
Elle n'est point ma nièce.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
En voici bien d'une autre !
MADAME BELVAL.
Mais je voudrais beaucoup qu'elle devint la vôtre.
1145 | Hier, en la voyant, vous formiez ce désir. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Pourvu qu'à m'épouser vous veuilliez consentir...
MADAME BELVAL.
De mes conditions vous savez la première.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mais Sainville, à présent, pense d'autre manière ;
Il veut partir.
SAINVILLE.
Non, non. D'après ce que je vois,
1150 | Je change aussi d'avis ; votre exemple est ma loi. |
MADAME BELVAL.
Sainville avait écrit d'avance une promesse.
Approuvez-la. Signez.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Vous êtes la maîtresse.
Il faut bien se soumettre ; et je suis trop heureux
Pour vous rien refuser.
SAINVILLE.
Ah ! Vous comblez mes voeux.
Monsieur de Gouvignac signe la promesse.
SCÈNE IX ET DERNIÈRE.
Les mêmes, Henriette, Daricour.
SAINVILLE, voyant entrer Henriette et Daricour.
1155 | Henriette, venez ; mon oncle, qui vous aime, |
Consent à mon bonheur ; il le signe lui-même.
HENRIETTE.
Est-il vrai ? Quoi ! Monsieur d'avis a donc changé ?
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Oui, ma très belle enfant ; oui, tout est arrangé.
Appelez-moi votre oncle.
HENRIETTE.
Ah ! Que je vous rends grâce,
1160 | Mon cher oncle ! |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Et souffrez qu'ici je vous embrasse. |
Il embrasse Henriette.
MADAME BELVAL.
Cher major, à présent n'allez pas m'en vouloir ;
De l'amour j'ai voulu vous montrer le pouvoir ;
D'une ruse innocente il faut que je m'accuse.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Qu'est-ce donc ?
MADAME BELVAL.
Mon motif me servira d'excuse.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
1165 | Parlez. |
MADAME BELVAL.
De ces enfants je voulais le bonheur, |
Et je songeais au vôtre, en travaillant au leur.
Je serai, près de vous, par là justifiée ;
Mais vous me croyez libre ; et je suis... mariée.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Mariée ! Est-il vrai ?
MADAME BELVAL.
Très mariée, hélas !
En montrant Daricour.
1170 | Monsieur en fut témoin ; je ne vous trompe pas ; |
Il est mon directeur...
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Comment ? Que signifie ?...
Monsieur est directeur ?...
DARICOUR.
Eh oui ! De comédie.
Par mes soins, à Bordeaux le théâtre va bien.
L'emploi des financiers dans la troupe est le mien.
1175 | Mon nom est Daricour. Agréez mon hommage. |
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
J'ai fait, sans le savoir, un joli personnage !
MADAME BELVAL.
Celui d'un amoureux ; et je me suis permis
D'employer mon talent à servir mes amis.
D'intérêt personnel ma conduite est exempte.
1180 | Je vous donne, major, une nièce charmante, |
Qui de votre château fera bien les honneurs,
Embellira vos jours, les sèmera de fleurs.
Au défaut de l'amour, que l'amitié nous lie ;
Elle a des plaisirs vrais, sans trouble et sans folie ;
1185 | Voilà le sentiment qui convient entre nous ; |
Plus pur, il en sera plus durable et plus doux.
MONSIEUR DE GOUVIGNAC.
Le tour est un peu fort !... Le meilleur est d'en rire ;
Au beau titre d'ami puisqu'il faut me réduire,
J'y souscris ; mais croyez qu'avec empressement,
1190 | L'ami, quand vous voudrez, redeviendra l'amant. |
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Notes
[1] (2)
[2] (3)
[3] (4)
[4] Souabe : région d'Allemmagne, entre la France et la Bavière.
[5] Inn : Rivière prenant sa source en Suisse et se jetant dans le Danube à Passau.
[6] Zaïre est une pièce de Voltaire
[7] Basse-taille : Voix d'homme immédiatement au-dessus de la basse, et dite aujourd'hui soit baryton, soit première basse. [L]