PROLOGUE
M. DCC. XXIX.
AVEC PERMISSION.
À PARIS, Chez TABARIE, sur le Quai de Conti.
Texte établi par Paul FIEVRE, juin 2014
Publié par Paul FIEVRE juillet 2014, octobre 2016
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:11:08.
ACTEURS du PROLOGUE.
LE CHEVALIER.
LE COMMANDEUR.
LE VICOMTE.
JULIE.
LA MARQUISE.
HORTENSE.
CÉLIMÈNE.
La Scène est à la Maison de Campagne de...
PROLOGUE DES TROIS S...
SCÈNE PREMIÈRE.
Julie, La Marquise, Le Chevalier, Le Commandeur, Le Vicomte.
JULIE.
Les Comédies que nous représentons entre nous pour nous amuser, excitent la curiosité de nos voisins. Il nous arrive ce soir de la Compagnie, et il serait temps de choisir entre les trois Pièces que nous avons déjà jouées, celle qui vous paraît la plus propre à réjouir aujourd'hui l'assemblée.
LE CHEVALIER.
Eh, Madame, y a-t-il à délibérer ? On est à la Campagne. On veut s'amuser, on veut rire et la chose est toute simple, toute naturelle, toute décidée. C'est du comique qu'il nous faut.
LA MARQUISE.
Eh, pourquoi ne jouerions-nous pas du Tragique ?
LE CHEVALIER.
Pourquoi, Madame ? C'est parce qu'il ennuie, et qu'il déplaît. Pour moi je n'y tiens pas, et la tragédie en un acte qui fut représentée ici ces jours passés, me parut trop longue de moitié.
LA MARQUISE.
Le sérieux vous ennuie, Chevalier, aussi n'est il pas fait pour vous. Mais tout le monde ne pense pas de même, et ; quant à moi, je...
LE CHEVALIER.
Prenez garde, Madame, à ce que vous allez dire se déclarer pour la tragédie, c'est confesser qu'on a le coeur tendre et vous faites gloire d'être insensible.
LA MARQUISE.
Il en sera tout ce que vous voudrez mais j'aime la tragédie d'inclination, et je la trouve admirable.
LE COMMANDEUR.
Elle l'est quelque fois, Madame, mais de grâce peut-on donner ce nom à une pièce en un acte.
LA MARQUISE.
Oui, Monsieur, et je soutiens qu'il ne lui manque rien de tout ce qui est essentiel à la tragédie.
LE COMMANDEUR.
Il ne lui manque que d'être une tragédie.
LE CHEVALIER.
Le Commandeur a raison. Qui dit une Tragédie, dit une pièce en cinq actes : au reste, Madame, je vous avertis que le Commandeur est savant, et qu'il est dangereux de se commettre avec lui.
LA MARQUISE.
Tant mieux. Le triomphe en sera plus beau , et je me sens assez forte pour vous battre tous deux.
LE CHEVALIER.
Commandeur, je compte sur toi.
LE COMMANDEUR.
Si Madame me permet de dire mon sentiment, je lui ferai voir que la tragédie dont il s'agit, est un petit monstre qu'on doit étouffer dans sa naissance, une nouveauté dangereuse et indigne d'un théâtre sérieux.
LE CHEVALIER.
Fort bien.
LA MARQUISE.
Et moi je dis, que c'est une nouveauté digne d'être imitée, et qui ferait peut-être fortune à la Comédie Française.
LE CHEVALIER.
On en serait quitte pour un quart d 'heure d'ennui.
LE COMMANDEUR.
De bonne foi, Madame, n'est ce pas une chose qui révolte, de voir un poète de quatre jours s'écarter de la route ordinaire, renverser tout ce qu'il y a de plus sacré dans la poétique, et s'annoncer dans le monde par une tragédie en un acte ?
LA MARQUISE.
Non, Monsieur, et je crois au contraire qu'on doit lui en tenir compte : c'est un auteur timide, qui se défie de ses forces, qui craint de nous ennuyer, et n'a pas encore la hardiesse de nous demander une audience de deux heures.
LE CHEVALIER.
Un auteur timide ! Un auteur modeste ! Il ne lui manque plus que d'être né Gascon, pour rendre la chose plus vraisemblable.
LA MARQUISE.
Tout nous engage à juger favorablement de cet auteur. Outre qu'il est de nos amis, on sait qu'il n'a travaillé que pour notre théâtre en particulier et à notre prière.
LE COMMANDEUR.
Eh Madame, ne voyez-vous pas qu'il ne faut qu'un coup du fort pour porter cette pièce au Théâtre Français, et que nous voilà responsables de tous les inconvénients qui en arriveront.
LA MARQUISE.
Eh ! Quel inconvénient y a-t-il donc tant à craindre ?
LE COMMANDEUR.
Nous serons inondés de tragédies en un acte, et on n'en fera point d'autres.
LA MARQUISE.
Il en sera de la tragédie comme de la comédie. On fait depuis longtemps des comédies en un acte, de cela n'empêche pas qu'on n'en fasse tous les jours en cinq ou bien en trois.
LE COMMANDEUR.
Il y a grande différence, Madame. La Comédie en un acte n'a rien qui choque, l'esprit est toujours tout prêt à s'amuser, et l'on peut faire rire dès la première scène. Mais il n'en va pas de même de la Tragédie où il faut disposer les choses pour remuer le coeur, de y porter la pitié ou la crainte.
LA MARQUISE.
Mais si je vous disais que cette pièce a su me toucher jusqu'aux larmes.
LE COMMANDEUR.
Je dirais qu'elle n'a pas dû vous toucher et que vos larmes n'étaient point en règle.
LE CHEVALIER.
Oh ! Pour le coup, Commandeur, tu extravagues, et ton érudition te brouille la cervelle. Mais toi, grand flandrin de Vicomte, qui te tiens là les bras croisés sans mot dire, as-tu juré de ne point desserrer les dents ? Tu as de l'esprit, du goût, des connaissances, que ne t'en sers-tu pour mettre fin à cette dispute ? Tu te plais dans le désordre ; cela t'amuse.
LE VICOMTE.
J'avoue que cette dispute me fait plaisir, et que la vivacité du Commandeur ne me réjouit pas moins, que je suis charmé du bon sens de Madame la Marquise.
LE CHEVALIER.
Mais te plaira-t-il enfin de nous dire ton avis ?
LE VICOMTE.
La Marquise a parlé, et tu me demandes mon avis ! Où as-tu donc l'esprit, mon pauvre Chevalier ? Ne sais-tu pas que je tiens le coeur des Dames infaillible sur ces matières ? Mais voici Hortense de Célimène qui nous diront leurs sentiments.
SCÈNE II.
Julie, Le Chevalier, Le Commandeur, La Marquise, Hortense, Célimène, Le Vicomte.
LE COMMANDEUR.
Il s'agit, Mesdames, de savoir la pièce que nous jouerons aujourd'hui.
LE VICOMTE.
Je gagerais bien que la belle Hortense sera pour la tragédie. [ 1 Le titre de la tragédie est "Polixène" éditée dans le même volume.]
HORTENSE.
Vous perdriez Vicomte. Soit que le Comique en général m'amuse davantage, soit que je sache mauvais gré à l'Auteur de votre tragédie en un acte, d'avoir voulu m'attendrir pour si peu de temps, je me déclare hautement pour la comédie, et je souhaite qu'elle soit jouée préférablement à toute autre pièce. [ 2 Il s'agit de "L'Avare amoureux, comédie" éditée dans le même volume.]
CÉLIMÈNE.
Et moi j'opine pour la pastorale, telle est la disposition de mon coeur, que les paroles les plus touchantes ne sauraient l'émouvoir, si la musique n'est de la partie, mais aussi ma sensibilité est alors extrême, de je ne sais plus ce qui me touche davantage ou du chant ou des paroles. [ 3 La pastorale est "Pan et Doris, pastorale héroïque" éditée dans le même volume.]
HORTENSE.
Mais, Madame, peut-on espérer que les personnes qui doivent arriver, accoutumées à voir tous les jours l'Opéra de Paris, et à entendre les voix les plus rares, voudront bien se prêter à l'envie que nous avons de les amuser.
CÉLIMÈNE.
Oui, Madame, on se prête tous les jours à ces sortes de choses, et pourvu que nous chantions avec quelque justesse de quelque goût, on nous passera le reste.
JULIE.
Il me vient une idée qui fera, je pense, au gré de l'Assemblée. La Marquise tient pour la tragédie, Hortense pour la comédie, la Comtesse pour la pastorale ; il n'y a qu'à les jouer aujourd'hui toutes trois ; deux heures de temps nous en feront raison, de tout le monde aura lieu d'être satisfait.
LA MARQUISE.
J'y consens volontiers.
CÉLIMÈNE.
Et moi de même.
LE CHEVALIER.
Une tragédie, un opéra, une comédie ; mais oui, cela peut être amusant. Qu'en dis-tu Vicomte ?
LE VICOMTE.
Je dis que Madame est la première personne du monde pour trouver des ajustements aux choses les plus difficiles.
LE COMMANDEUR.
Pour moi je ne m'y oppose point, pourvu qu'il me soit permis de faire un tour de promenade dans le jardin, pendant qu'on jouera la tragédie en un acte.
LA MARQUISE.
Pour ne pas retarder la promenade de Monsieur le Commandeur, je suis d'avis qu'on commence par jouer cette tragédie qui lui déplaît tant.
LE VICOMTE.
C'est bien le moins qu'on doive à la tragédie, de lui accorder le pas sur la comédie sa cadette.
CÉLIMÈNE.
Comme il est bien dû à l'opéra de terminer le spectacle, lui qui mérite ce nom par excellence.
LE CHEVALIER.
Il me tarde de voir cette bigarrure. [ 4 Bigarrure : Mauvais assortiment de couleurs ou d'ornements sur un habit, sur des meubles, etc. [F]]
LE VICOMTE.
Sa singularité peut lui tenir lieu de mérite.
JULIE.
On verra du moins par là, que nous avons tenté toute forte de voies pour plaire aux personnes que nous attendons , mais je crois entendre le bruit des équipages ; c'est la compagnie sans doute qui arrive, allons la recevoir, de disposer les choses pour l'exécution de notre projet.
PRIVILEGE DU ROI
LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos amés et féaux Conseillers les Gens, tenant nos Cours de Parlements, Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils et autres nos Justiciers qu'il appartiendra, SALUT. Notre bien amé JEAN FRANÇOIS TABARIE, Libraire à Paris, Nous ayant, fait supplier de lui accorder nos Lettres de Permission pour l'impression des Trois Spectacles, Pièce nouvelle, en trois Actes, par le Sieur du Mas d'Aigueberre, offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier à beaux caractères suivant la feuille imprimée, et attachée pour modèle sous le contre-scel des présentes. Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer ledit Livre ci-dessus spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre Royaume, pendant le temps de trois années consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes Faisons défenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres Personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, d'en introduire d'impression étrangère dans aucun lieu de nôtre obéissance ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impression de ce Livre sera faite dans notre Royaume et non ailleurs, et que l'impétrant se conformera en tout aux Règlements de la Librairie, et notamment à celui du dix Avril 1725 et qu'avant que de l'exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l'impression dudit Livre, sera remis au même état où l'Approbation y aura été donnée, ès mains de nôtre très-cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; et qu'il en fera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque Publique, un dans celle de nôtre Château du Louvre, et un dans celle de nôtre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l'Exposant ou ses ayants causes, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la copie desdites présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier nôtre Huissier ou Sergent, de faire pour l'exécution d'icelles, tous Actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres à ce contraires : CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le onzième jour du mois d'Août, l'an de grâce mille sept cent vingt-neuf. Et de nôtre Règne le quatorzième. Par le Roi en son Conseil.
Signé, DE SAINT HlLAIRE.
Registre sur le Registre VII. de la Chambre Royale des Libraires et Imprimeurs de Paris, N°409. F°352. conformément aux anciens Règlements, confirmés par celui du 28 Février 1723. À Paris le 17 Août 1729.
Signé, P. A. LEMERCIER, Syndic.
À Paris, de l'imprimerie de P. PRAULT.
J'ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, les Trois Spectacles, Pièce nouvelle en trois actes ; dont j'ai crû que l'impression serait agréable au public.
FAIT à Paris le 28 Juillet 1729. Signé, GALLYOT.
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Notes
[1] Le titre de la tragédie est "Polixène" éditée dans le même volume.
[2] Il s'agit de "L'Avare amoureux, comédie" éditée dans le même volume.
[3] La pastorale est "Pan et Doris, pastorale héroïque" éditée dans le même volume.
[4] Bigarrure : Mauvais assortiment de couleurs ou d'ornements sur un habit, sur des meubles, etc. [F]